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Full text of "Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne depuis les origines jusqu'à l'invasion arabe"

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DESCRIPTION  DE  L'AFRIQUE  DU  NORD 

ENTREPRISE    PAR    ORDRE    DE 

M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE  ET  DES  BEAUX-ARTS 


HISTOIRE  LITTÉRAIRE 


DE 


L'AFRIQUE   CHRÉTIENNE 


DEPUIS  LES  ORIGINES  JlSQl'A  L'INVASION  ARABE 


^Ç 


HISTOIRE  LITTÉRAIRE 

l-iû\^  DE  I  - 

L'AFRIQUE  CHRÉTIENNE 


DEPUIS  LES  OltlGllS  JUSQU'A  l'IXVASIOX  ARABE 


PAR 


PAUL    MONCEAUX 

MEMBRE   DE   l'iNSTITUT 
PROFESSKUR    AU     COLLÈGE     DE     FRANCE 

ET  A  l'École  des  hautes-études 


TOME     SIXIEME 

LITTÉRATURE    DONATISTE 

AU  TEMPS  DE  SAINT  AUGUSTIN 


A/ 


PARIS  \^  y^'S' 

ÉDITIONS       ERNEST       LERO- 

28,      RUE      BONAPARTE      (vi«) 


1922 


LIVRE  DIXIÈME 


LA  LITTERATURE   DONATISTE 

AU   TEMPS    DE    SAINT    AUGUSTIN 


CHAPITRE   I 

PETILIANUS    DE    CONSTANTIME 


I 

Biographie.  —  Petillanus  avocat.  —  Petilianus  catéchumène  dans  l'Eglise 
catholique. —  Sa  conversion  forcée  au  Donatisme.  —  11  est  élu  malgré  lui 
évêque  schismatique  de  Constantine.  —  Son  épiscopat.  —  Démêlés  avec 
son  collègue  catholique.  —  Attaques  contre  l'Eglise  catholique.  —  Polé- 
miques contre  Augustin.  —  Petilianus  devient  l'un  des  chefs  du  parti 
donatiste.  —  Amhassade  en  Italie.  —  Rôle  à  la  Conférence  de  Carthage 
en  4.11.  —  Attitude  après  la  condamnation  du  Donatisme.  —  Dernières 
années.  —  Caractère  et  tour  d'esprit.  —  Austérité  et  désintéressement.  — 
Intransigeance  et  àpreté.  —  Dévouement  à  son  parti.  —  Ilahileté  et  chi- 
canes. —  Talent  reconnu  de  tous.  —  L'homme  d'action.  —  Chronologie 
des  œuvres  de  Petilianus. 

Petilianus  de  Constantine  est  assurément  la  figure  la  plus 
originale  et  la  personnalité  la  plus  puissante  de  l'Eglise  dona- 
tiste au  temps  d'Augustin.  Homme  d'action,  écrivain  remar- 
quable, orateur  énergique  et  jamais  à  court,  il  aurait  toujours 
et  partout  attiré  l'attention.  Mais,  indépendamment  de  ses 
dons  de  nature,  les  circonstances  ont  contribué  à  le  porter  au 
premier  rang.  Il  gouvernait  l'importante  communauté  scliisma- 
tique  de  Constantine  pendant  la  période  des  luttes  suprêmes 
entre  les  deux  Eglises  africaines.  Durant  cette  crise  dernière, 
qui  allait  décider  de  sa  vie  ou  de  sa  mort,  la  secte  donatiste  ne 
pouvait  soutenir  le  combat  qu'en  se  ralliant  tout  entière  autour 
d'un  chef  résolu,  entreprenant,  ferme  sur  les  principes,  mais 
habile  à  en  tirer  les  conséquences  pratiques  comme  à  mener 
une  active  propagande,  prompt  à  la  riposte  comme  là  l'attaque 
dans  les  controverses,  capable  d'agir  sur  l'opinion,  d'entraîner 
les  votes  dans  les  assemblées,  de  grouper  toutes  les  forces  du 
parti  par  l'ascendant  d'une  parole  passionnée  et  vivante.  Ce  rôle 
revenait  de  droit  au  primat  de  Carthage  :  mais  ce  primat,  élu 
dans  un  jour  de  malheur,  était  alors  Primianus,  un  homme  la- 
mentablement médiocre,  violent  et  borné,  d'une  maladresse 
invraisemblable,  qui  d'abord  avait  voulu  gouverner  à  coups 
d'injures  et  d'anathèmes,  qui  plus  tard  s'était  résigné  à  laisser 


4  LITTERATURE    DONATISTE 

faire,  et  qui  enfin,  après  avoir  parlé  à  tort  et  à  travers  quand  il 
aurait  dû  se  taire,  se  taisait  maintenant  ou  bredouillait,  quand  il 
aurait  dû  parler  haut  et  ferme'.  Cette  place,  que  laissait 
vacante  un  primat  incapable,  c'est  Petilianus  qui  la  prit  insen- 
siblement, sans  peut-être  y  songer,  mais  du  consentement  de 
tous.  Sans  titre  officiel-,  à  la  suite  de  controverses  retentis- 
santes, par  l'autorité  du  talent  et  de  l'éloquence,  il  devint  le 
vrai  chef  de  l'Eglise  donatiste  :  un  chef  avec  qui  dut  compter 
Augustin.  Et  c'est  par  là  que  Petilianus  a  joué  un  rôle  assez 
important  dans  l'histoire  de  l'Afrique  chrétienne.  Il  a  été 
le  plus  vigoureux  champion  du  Donatisme  au  moment  du  der- 
nier choc  entre  les  deux  Eglises  :  s'il  a  été  vaincu,  il  ne  l'a  pas 
été  sans  honneur.  Par  l'énergie  désespérée  de  sa  résistance,  il  a 
honoré  la  chute  de  son  parti,  il  a  honoré  une  défaite  dont  il  ne 
se  consola  jamais,  il  a  enfin  honoré  son  nom  à  lui  jusque  dans 
la  déroute  de  son  éloquence. 

Il  a  dû  naître  à  Gonstantine  vers  3G5.  Au  cours  de  ses  contro- 
verses avec  Augustin,  vers  401,  il  qualifie  son  adversaire  de 
«  vieillard,  seiiex-'  »  ;  ce  qui  laisse  supposer,  entre  eux,  une  dif- 
férence d'une  dizaine  d'années  au  moins.  Or,  Augustin  était  né 
en  354.  D'autre  part,  Petilianus  était  dans  la  force  de  l'âge  au 
moment  de  ses  premières  polémiques  avec  l'évéque  d'Hippone, 
en  400-402''  ;  et  il  était  en  411  le  principal  chef  de  son  parti'. 
Ces  indications  concordantes  permettent  de  placer  sa  naissance 
vers  l'année  365. 

Ses  ouvrages  seuls,  sans  parler  du  témoignage  de  ses  adver- 
saires^', suffiraient  à  prouver  qu'il  avait  reçu  une  instruction 
très  complète  :  l'instruction  qui  se  donnait  alors  dans  toutes  les 
écoles  de  l'Empire,  et  qui,  à  base  di;  rhétorique,  préparait  sur- 
tout au  barreau.  C'est  la  voie  que  suivit  d'abord  l\'tilianus.  Il 
fut  dans  sa  jeunesse,  comme  dit  Augustin,  un  «  avocat  du  forum, 
advocatus  forensis  ~  »    :  du  forum  de  Gonstantine.   Le    futur 


1)  Voyez  plus  loin  le  chapitre  sur 
Priiuianiis   de   (JarUiagc   (cliapilrc    III). 

2)  En  principe,  l'eliliauus  n'eiil  ja- 
mais d'autorité  que  sur  son  diocèse  «le 
(^ouslanliiic.  Il  avait  cifUcicllcinent  pour 
cliels,  min  scideim.'nl  le  primai  <le 
CarliiuKC,  mais  encore,  dans  sa  pro- 
>incc,  le  primai  île  Numidie,  qui  élail 
alors  laiiuarianus,  évè(jue.  de  Casai!  M- 
grae  (Augustin,  Epist.  88  ;  Possidius, 
liulic.  opcr.  Auguslini,  8  ;  Collât.  tJar- 
lltay.,  I,  14  ;  148;  157;  111,  258). 

3)  n  Si   ego  proplerea  reus  sum  (]uiu 


non  ignora\i,  ut  sccundum  ipsum  (Pe- 
tilianum)  loquar,  itleu  autem  non  igno- 
ra\i  (plia  et  Afer  sum  et  aetate  pacne 
jam  senex,  salteni  pueri...  »  (Augustin, 
Contra  litteras  Petiliuni,  III,  2(i,  'M.  — 
(.r.  111,  25,  211). 

4)  Augustin,  Contra  litteras  Petiliani, 
1,  1  ;  111,  1  et  suiv. 

5)  Ci>U<tt.  Cartiuig. ,  1, 12  ; 29  ; 53  ;6l;  148  ; 
208;  II,  2-12,  etc.;  111,  22;  30;  75;  89,  etc. 

6)  Augustin,  Contra  litteras  Petiliani,  I, 
1:  11,23,  55;  98.  226  ;  101,  232. 

7)  Ibid.,  m,  16,  19. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  5 

champion  du  Donatisme  y  remporta  d'éclatants  succès,  et  se 
classa  vite  au  premier  rang.  Petilianus  n'oublia  et  ne  renia 
jamais  son  ancienne  prol'ession;  au  contraire,  il  aimait  à  rap- 
peler aux  autres  ses  succès  profanes  d'autrefois  ^  En  fait,  de- 
venu évêque,  il  devait  rester  toujours  avocat.  Il  le  resta  dans  le 
gouvernement  de  son  Eglise,  dans  ses  mandements,  dans  ses 
controverses,  comme  dans  ses  discours  de  concile.  Un  de  ses 
adversaires  catholiques  le  remarquait  encore  à  la  Conférence 
de  411,  et  disait  ironiquement  à  l'ancien  avocat  :  «  Ton  forum 
ne  t'u  donc  pas  appris  qu'on  n'est  pas  admis  à  revendication  sur 
les  points  omis-  ?  ».  Augustin  ne  s'est  pas  fait  faute  de  railler, 
chez  l'évêque  schismatique  de  Gonstantine,  cette  persistance 
des  goûts,  des  habitudes  et  des  procédés  du  barreau  ;  mais, 
sous  la  raillerie,  on  devine  encore  un  hommage. 

Rien  ne  semblait  prédestiner  aux  fonctions  sacerdotales  le 
jeune  et  brillant  avocat  de  Gonstantine.  Rien,  surtout,  n'annon- 
çait en  lui  un  chef  de  secte  :  né  de  parents  catholiques,  il  était 
catéchumène  dans  la  communauté  catholique  de  la  ville''.  Ghose 
curieuse,  ce  sont  pourtant  ses  succès  du  barreau,  qui,  indirec- 
tement, provoquèrent  Tétrange  aventure  d'où  sortit  l'homme 
nouveau.  Les  Donatistes  de  Gonstantine,  qui  étaient  nombreux 
et  puissants,  avec  un  minimum  de  scrupules,  se  dirent  un  jour 
que  le  grand  orateur  catholique  de  la  cité  ferait  un  bon  évêque. 
Pour  plus  de  sûreté,  on  ne  lui  demanda  pas  son  avis,  laissant 
à  la  grâce  le  soin  de  le  convaincre  après  coup.  On  s'empara  de 
lui  par  surprise,  on  le  baptisa  séance  tenante,  et,  bientôt  après, 
on  l'ordonna  évêque.  Augustin  a  résumé  toute  l'aventure  dans 
cette  phrase  d'une  ironie  pittoresque  :  «  Alors  que  le  parti  de 
Donat  l'emportait  à  Gonstantine,  on  s'empara  de  Petilianus, 
un  laïque,  un  de  nos  catéchumènes,  né  de  parents  catholiques; 
comme  il  se  débattait,  on  lui  fit  violence  ;  comme  il  fuyait,  on 
le  chercha;  comme  il  se  cachait,  on  le  trouva;  de  sa  cachette, 
on  le  tira  tout  effrayé;  tout  tremblant,  on  le  baptisa;  malgré 
lui,  on  l'ordonna^.  »  Bien  d'autres,  en  ces  temps-là,  sont  deve- 


1)  <(  Advocationein,  in  qua  poten- 
tiam  quondam  suani  jaclat...  »  (ibid., 
III,  Ki,  ]9). 

2)  Collât.  Carllmg.,  III,  57. 

i5)  Augustin,  Contra  litteras  PetiUani, 
TI,  104,  239;  Serino  ad  Caesareensis  Ec- 
clesiae  plebem,  8. 

4)  «  Pars  DonaU  quando  praevaleb.it 
Constantinae,  laicimi  nostruni  catechu- 
nienum,  natum  de  i^arentibus  caUioli- 
cis,  Petiiianum  tenait,  vini  fecit  noienti. 


scrutatus  est  fngientem,  invenit  laten- 
teni,  extraxit  paventem,  baptizavil  tre- 
mentem,  ordinavit  noientem  »  {Senno 
ad  Caesareensis  Ecclesiae  plebem,  8).  — 
Tel  est  le  texte  traditionnel,  où  l'on  a 
pu  remarquer  l'incorrection  :  «  Pars 
Donati...  Petiiianum...  scrutatus  est  », 
Le  dernier  éditeur,  sur  la  foi  d'un  ma- 
nuscrit, propose  de  lire  :  ((  Petialius... 
scrutatus  est  »  (éd.  Petschenig,  1910, 
p.  177  ;  tome  53  du  Corpus  scriptor. écoles. 


6 


LITTERATURE    DONATISTE 


nus  évêques  ou  prêtres  par  surprise  :  à  commencer  par  saint 
Ambroise,  saint  Paulin  de  Noie,  et  saint  Augustin.  Mais,  de 
toutes  ces  élections  brusquées,  aucune  sans  doute  n'égale  en 
A^olence  pittoresque  le  coup  de  force  qui,  du  grand  orateur 
catholique  de  Constantine,  fit  l'évêque  donatiste  de  la  cité. 

La  date  en  peut  être  déterminée  approximativement.  L'ordina- 
tion épiscopale  de  P'etilianus  doit  être  postérieure  à  394  ;  car  il 
ne  figure  pas  au  concile  donatiste  de  Bagaï',  et  il  n'était  pas 
homme  à  passer  nulle  part  inaperçu.  Mais  il  était  déjà  célèbre 
en  400,  au  moment  où  il  publia  ce  mandement  {Epistida  ad 
presbyteros)  qui  fit  tant  de  bruit  en  Afrique'-.  Il  a  dû  être 
ordonné  vers  395.  Il  avait  alors  une  trentaine  d'années. 

Le  nouvel  évêque  avait  vu  sans  doute  dans  son  aventure  une 
manifestation  de  la  volonté  divine.  Non  seulement  il  ne  songea 
pas  à  protester  contre  sa  conversion  forcée  et  son  ordination 
non  moins  obligatoire;  mais  encore  il  en  accepta  sans  réserve 
toutes  les  conséquences.  Le  coup  de  l'orce  de  ses  compatriotes 
fut  pour  lui  comme  un  coup  de  la  grâce,  de  la  grâce  donatiste. 
Il  sortit  de  là,  vraiment,  un  homme  nouveau.  Du  jour  au  lende- 
main, il  renonça  à  ses  occupations  et  à  ses  ambitions  profanes, 
pour  se  consacrer  tout  entier,  exclusivement,  jalousement,  à  ses 
fonctions  d'évêque.  Du  parti  de  Donat,  il  adopta  les  principes  et 
les  idées,  les  espérances,  les  rancunes,  les  haines.  Il  devint  le 
plus  Donatiste  de  tous  les  Donatistes,  et  finit  par  personnifier, 
en  un  jour  solennel,  l'Eglise  de  Donat  3. 

Comme  tout  bon  Donatiste,  il  fut  bientôt  en  o-uerre  avec  les 
Catholiques.  Il  les  combattit  d'abord  dans  son  diocèse,  puis 
jusqu'au  bout  de  la  Numidie,  puis  à  Carthage  et  dans  toute 
l'Afrique.  Il  allait  lutter  contre  eux  sans  trêve,  par  tous  les 
moyens,  jusqu'à  son  dernier  jour. 

Il  commença  naturellement  par  les  Catholiques  de   son  dio- 


lul.  de  Vienne).  Ce  Pctialiiis,  fl'ailleurs 
incoiuui,  sérail  un  é\è(Hie  duiiatisle  d(; 
Constantine,  prédccessenr  et  consécra- 
leur  de  Petilianus.  Voilà  une  hypo- 
thèse bien  avenlnreusc,  ([ni  transl'urnie 
en  évèqut!  une  bourde  de  copiste  rsaris 
chercher  si  loin,  on  rendrait  le  texte 
correct  en  lisant  scrulula  au  lieu  de 
scrutalus  (conlusioii  l'ré(|iicnle  de  \'u  et 
de  l'u  ;  puis  addition  de  i's  liiial,  qui; 
les  copistes  écrivaient  souvent  dans 
rinlerligne).  En  tout  cas,  le  récit  d'Au- 
gustin vise  sûrement  l'rtilianiis.  CA'. 
Contra   tilleras   Petilicini,    II,   104,    2:^ii  : 


((  Discernai  te  Dens  a  parte  Donali,  et 
in  (>ath(>licaui  revocel,  und(!  le  illi 
calechunienuni  abre|iliiiii  incirlireri  iio- 
noris  >inrulo  li<i:averunt  >>. 

1)  Au;^iistin,  Conlni  Cre^coniiun ,  III, 
53,  5!»  ;  IV,   10,  12. 

2)  Conlra  lilleras  J'etilinni,  1,  1  ;  111, 
1  ;  Ad  Cdtliolicos  Epislula  conlra  Dona- 
tisUii,  1  ;  Contra  Crei^conium,  1,   1. 

8)  A  la  Conlérence  de  Carlhaf^e.  Cf. 
Collai.  Curtliog.,  I,  12  ;  29  ;  ôS  ;  (51  ;  148  ; 
20H  ;  II,  2-12  ;  III,  22;  30  ;  75  ;  89  ;  U3 
et  suiv.  ;  227  et  suiv. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  / 

cèse.    Il  avait  contre  eux  la  partie   belle,  et   des   griefs  qu'il 
croyait  fondés.  Girta-Constantine  était,  depuis  un  siècle,   l'une 
des  places    fortes   du    Donatisme.  C'était  la  patrie  et  la  ville 
épiscopale  de  Silvanus,  l'un  des  protagonistes  de  la  secte  aux 
temps  de  la  rupture  avec  l'Eglise  catholique  '.  Là  s'étaient  dé- 
roulés plusieurs  des  événements  qui  avaient  contribué  à  déchaî- 
ner le  schisme  :  la  capitulation  lamentable  de  l'évêque  Paulus  et 
de  tout  son  clergé  au  début  de  la  persécution  de  Dioclétien-, 
puis  l'élection  démagogique  de  Silvanus  3,  sa  consécration  épis- 
copale par  des  évêques  compromis  ou  suspects,  enfin  les  scènes 
étranges  de  ce  synode  malencontreux,  dit  «  concile  de  Cirta  », 
que  présida  si   piteusement,  non   moins  suspect  lui-même,   le 
primat  de  Numidie^.    Silvanus  avait  été  l'un  des  plus  ardents 
promoteurs,  l'un  des  champions  les  plus  fougueux,  de  l'Eglise 
nouvelle;  et   sa  popularité  avait  résisté  à  tout,  même  aux  plus 
inquiétantes  révélations  sur  ses   trahisons  et  sa  vénalité,   aux 
accusations  formelles  et  aux  dossiers  du  diacre  Nundinarius,  à 
une  condamnation  infamante,  à  la  sentence  d'exil   dont  l'avait 
frappé    un  gouvern-eur  de  Numidie  lors  du  procès   de   Thamu- 
gadi''.  Avec  Silvanus,  presque  tous   les  chrétiens  de  Gonstan- 
tine  étaient  passés  au  Donatisme  ;  la  plupart  avec  une  naïve  ou 
cynique    inconscience,   comme  le  triste  grammairien  Victor 6. 
Pendant   deux   ou  trois  générations,  la  Adlle  avait  semblé  tout 
entière  acquise  au  schisme  ;  les  Gatholiques  y  étaient  si  peu  nom- 
breux, que,  durant  une  partie  du  quatrième  siècle,  ils  n'eurent 
même   plus  d'évêque.    Cependant,  vers  le  temps  où  Petilianus 
prit  à  Gonstantine  la  direction  de  la  communauté  donatiste,  la 
situation  tendait  à  changer.  Les  Gatholiques  de  la  cité  commen- 
çaient à  relever  la  tête.  Us  avaient  alors  un  évêque  :  un  certain 
Profuturus,  ami   d'Augustin  et  son  ancien  élève,  formé  par  lui 
au  monastère   d'Hippone".    A  Profuturus,  qui  mourut  bientôt, 
succéda  Fortunatus,  encore  un  ami  d'Augustin*^.  A  peine  installé, 
Fortunatus  semble  avoir  entrepris  une   active  propagande,  qui 


1)  Gesla  apud  Zenopliilain,  dans  ÏAp- 
pendix  d'Optat,  n.  1  ;  éd.  Ziwsa,  p.  185- 
197  ;  Augustin,  Contra  litteras  PelUiani, 
III,  57,  69  ^'Contra  Cresconium,  III,  27) 
31  et  suiv.  ;  IV,  56,  66  ;  Epist.  4;-i,  6,  17  ; 
53,  2,  4. 

2)  Gesla  apud  Zenophilum,  p.  186  et 
suiv.  ;  Augustin,  Epist.  53,  2,  4  ;  Conlra 
Cresconium,  III,  29,  33. 

3)  Gesta  apud  Zenophilum,  p.  192- 
196. 

4j  0|)tat,  I,    13-14  ;  Augustin,   Contra 


Cresconium,  III,  27,  30. 

5)  Gesla  apud  Zenophilum,  p.  185-197  ; 
Augustin,  Epist.  43,  6,  17  ;  Conlra  Cres- 
conium, III,  29,  33  et  suiv. 

6)  Gesta  apud  Zenophilum,  p.  185. 

7)  Augustin,  Epist.  32,  1  ;  38  ;  71.  1, 
2  ;  72,  1  ;  De  unico  baptismo,  16,  29. 

8)  Epist.  53  ;  115  ;  Contra  litteras  Pe- 
lUiani, I,  1  ;  II,  99,  228;  III,  38,  44; 
De  unico  baptismo,  16,  29  ;  Collât.  Car- 
Ihag.,  I,  65  et  138. 


8  LITTÉRATURE    DONATISTE 

inquiéta  et  irrita  Petilianus.  D'où  les  accusations  réciproques, 
les  querelles,  la  guerre  '. 

A  son  collègue  catholique,  Petilianus  reprochait  d'abord 
d'avoir  morcelé  ou  laissé  morceler  son  propre  diocèse,  pour 
égarer  l'opinion  et  faire  croire  à  de  nombreuses  conversions.  Il 
formulait  ainsi  son  grief  en  pleine  conférence  de  Carthage  : 
«  Dans  mon  diocèse,  c'est-à-dire  dans  la  cité  de  Constan- 
tine,  j'ai  pour  adversaire  Fortunatus.  Mais,  au  milieu  de  mon 
diocèse,  j'ai  maintenant,  ou  plutôt  ils  ont,  eux,  un  autre 
évéque,  nommé  Delphinus.  Votre  Eminence  voit  chiirement  par 
là  que,  dans  le  diocèse  d'un  seul,  ils  ont  installé  deux  prétendus 
évêques.  Ils  veulent  ainsi  augmenter  leur  nombre;  mais  le 
nombre  réel  de  leurs  diocèses  n'est  pas  le  même  que  celui  de 
leurs  évêques'-.  »  C'était  là  une  mauvaise  chicane:  chacune 
des  Eglises  avait  naturellement  toute  liberté  de  s'organiser 
comme  bon  lui  semblait,  et  chacun  des  deux  partis  avait  large- 
ment usé  de  cette  liberté  pour  modifier  sur  bien  des  points  les 
anciennes  circonscriptions  '■^. 

Contre  son  rival  catholique  Petilianus  croyait  avoir  des 
griefs  plus  personnels  et  très  précis.  En  fait,  dans  ces  querelles 
entre  Eglises,  et  malgré  toute  sa  charité  chrétienne,  Fortuna- 
tus était  de  l'école  d'Augustin  :  aux  schismatiques,  par  prin- 
cipe, il  rendait  coup  pour  coup.  On  le  vit  bien  dans  l'aventure 
de  Splendonius.  Un  jour,  à  (^onstantine,  l'on  vit  arriver  ce 
Splendonius,  que  personne  ne  connaissait  :  il  se  disait  diacre 
catholique,  mais  n'aimait  pas  raconter  en  détail  son  histoire.  Il 
entra  bientôt  en  relations  avec  les  schismatiques.  Enchanté  de 
faire  pièce  aux  Catholiques,  Petilianus  l'accueillit  fort  bien,  le 
rebaptisa,  puis  l'ordonna  prêtre  de  son  Eglise.  Cependant  For- 
tunatus, mis  en  défiance,  voulut  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  le 
passé  de  cet  intrus.  Il  apprit  que  Splendonius  arrivait  de  Caule, 
où  il  avait  été  réellement  diacre  catholique,  mais  oii  il  avait  été 
condamné  par  son  évoque  et  exclu  de  sa  communauté.  Fortuna- 
tus reçut  de  Gaule  l'acte  même  de  condamnation.  Pour  édifier 
les  fidèles  sur  le  recrutement  des  prêtres  donatistes  de  Constan- 
tine,  il  imagina  de  faire  afficher  le  document  sur  les  murs  de  la 
ville.  On  devine  le  scandale,  et  la  fureur  de  Petilianus.  (Cepen- 
dant, l'évêque  schismatique  n'était  j)as  encore  à  bout  de  compte. 
Quehjue  temps  après,  nous  dit-on,  il  fit  lui-même  «  l'expérience  » 


1)  Aiitçuslin,  Conlra  lilteras  Petilituii,  2)  Collai.  Cnrlhag.,  1,  ()r>, 

111,  ^^S,  44  ;  Collai.  Curlhuij.,  1,  (].">  ;   138-  3)  Voyez  plus    liaut,  loiiic  IV,  p.  135 

139.  et  suiv. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  9 

personnelle  des  vertueux  instincts  de  Splendonius,  et  de  «  ses 
horribles  embûches  »  ;  à  son  tour,  il  dut  le  condamner  et  le 
chasser'.  Cela  n'empêcha  pas  Petilianus  de  garder  rancune  à 
Fortunatus,  qu'il  affectait  de  considérer  comme  un  intrigant, 
toujours  prêt  aux  provocations  et  aux  querelles.  Il  s'exaspéra 
si  bien  contre  lui,  qu'il  en  arriva  à  ce  qui  était  à  ses  yeux  la 
suprême  injure  :  comme  son  prédécesseur  Profuturus,  et  comme 
son  ami  Augustin,  il  l'accusa  d'être  manichéen-. 

C'étaient  là  des  querelles  presque  personnelles.  Comme 
évêque,  et  comme  l'un  des  chefs  du  parti  donatiste  en  Numidie, 
Petilianus  en  voulait  surtout  à  Fortunatus  du  succès  de  sa  pro- 
pagande. Il  l'accusait  amèrement  de  persécuter  ses  adversaires, 
d'abord  avec  la  complicité,  et  plus  tard,  après  l'édit  d'union 
de  405,  avec  l'appui  officiel  du  pouvoir  civil.  Fortunatus  répli- 
quait en  incriminant  les  violences  des  Donatistes.  Quand  les 
deux  évêques  rivaux  de  Constantine  se  trouvèrent  en  l'ace  l'un 
de  l'autre  à  la  Conférence  de  Cartilage,  ce  fut  naturellement 
pour  se  quereller  ;  et  les  vieux  griefs  reparurent  au  grand  jour. 
Pendant  la  vérification  des  signatures,  à  l'appel  de  son  nom, 
Fortunatus  s'avança  et  dit  :  «  J'ai  pour  adversaire  Petilianus.  » 
—  «  Oui,  s'écrie  le  Donatiste,  il  est  le  persécuteur  de  l'Eglise 
dans  la  cité  où,  moi,  je  suis  évêque.  »  —  «  Oui,  réplique  Fortu- 
natus, et  dans  la  même  ville  tous  les  autels  ont  été  brisés  par 
les  hérétiques.  »  —  «  Persécuteur,  oui,  tu  l'es,  crie  Petilianus; 
et  que  cela  soit  consigné  au  procès-verbal.  Le  moment  venu, 
tu  entendras  ce  que  tu  mérites '^  »  Voilà,  sans  doute,  un  petit 
dialogue  qui  en  dit  long  sur  les  sentiments  réciproques  des 
deux  évêcjues,  et  sur  la  paix  religieuse  à  Constantine  en  ces 
temps-là. 

Peu  à  peu  s'étendit,  pour  Petilianus,  le  champ  d'action  ; 
c'est-à-dire,  le  champ  des  controverses,  des  récriminations,  des 
querelles  et  des  injuret).  Il  s'en  prit  alors,  non  plus  seulement 
aux  Catholiques  de  son  diocèse,  mais  à  l'Eglise  officielle  tout  en- 
tière, à  ses  représentants  et  à  ses  défenseurs  en  Afrique.  Sa 
campagne  commença,  en  399  ou  400,  par  la  publication  d'un 
ouvrage  singulier,  assez  original,  qui,  dans  le  cadre  d'une 
lettre  pastorale  [Epistiila  ad  presbyteros  et  diaconos\  était 
un  véritable  pamphlet  contre  l'éternel  ennemi  de  sa  secte,  le 
Catholicisme  africain^.  Sous   prétexte  de  mettre  ses  clercs  en 


j)  Augustin,  Contra  lUteras  Petiliani,  3)  Collai.  Cartkag.,  I,  13S-130. 

III,  38,  44.  4)  Augustin,    RetracL,  II,  51  ;   Contra 

2)  De  uiilco  Ijaptisnio,  16,   2'J.  litteras  Peliliani, 1,1  ctsuiw;  11,1  clsiii\. 


iO  LITTÉRATURE    DONATISTE 

garde  contre  la  propagande  ennemie,  l'évêqiie  y  passait  en  revue 
les  principales  questions  qui  séparaient  les  deux  Eglises.  Mais 
partout,  l'exposé  doctrinal,  la  polémique  ou  la  citation  biblique, 
aboutissaient  au  même  refrain  :  refrain  de  haine,  d'anathème 
et  d'injure.  La  lettre  pastorale  fit  du  bruit  dans  la  région  '. 

Par  cet  ouvrage,  où  il  inaugurait  sa  campagne  contre 
l'Eglise  catholique, -Petilianus  fut  amené  à  des  polémiques  de 
plus  en  plus  directes  contre  le  grand  évêque  d'Hippone.  Augus- 
tin eut  connaissance  de  la  première  partie  de  ce  mandement 
agressif  ;  il  la  réfuta  aussitôt  dans  un  premier  livre  Contra  lit- 
teras  Petiliani-.  Dès  que  cette  réfutation  lui  parvint,  Petilia- 
nus se  tourna  contre  Augustin,  et  lança  contre  lui  un  nouveau 
pamphlet,  plein  d'attaques  personnelles,  intitulé  «  Lettre  à  Au- 
gustin, Epistula  (tel  Auguslinuni-^  ».  Dans  l'intervalle,  l'évéque 
d'Hippone  avait  reçu  le  texte  complet  de  V Epistula  ad presby- 
teros  ;  SS.  &XV  avait  entrepris  la  réfutation  systématique  dans  un 
second  livre  Contra  litteras  Petiliani''.  Il  venait  de  terminer 
ce  second  livre,  quand  lui  arriva  le  nouveau  pamphlet  de  Peti- 
lianus. A  ce  deuxième  pamphlet,  il  répondit  par  un  troisième 
livre  Contra  litteras  Petiliani'-^.  De  son  côté,  et  vers  le  même 
temps,  Petilianus  critiquait  le  second  livre  de  son  contradicteur 
dans  une  deuxième  «  Lettre  à  Augustin  ^  »  .  C'est  donc  une 
série  de  six  ouvrages,  qui  se  succèdent  et  s'opposent,  trois 
contre  trois,  à  quelques  mois  seulement  d'intervalle.  On  voit 
combien,  entre  les  deux  adversaires,  la  lutte  était  âpre  et 
serrée. 

A  ces  controverses  se  rapportent  encore,  plus  ou  moins  direc- 
tement, deux  autres  ouvraL>-es  de  Petilianus  :  l'un  «  Sur  le 
schisme  des  Maximianistes,  De  schismate  Maxiinianislarum''  », 
l'autre  sur  l'Eglise  donatiste  [De  online  episcoporiini'^).  De  son 
côté,  Augustin  continuait  à  combattre  les  idées  de  Petilianus 
dans  le  De  unitale  Ecclesiae  et  dans  le  Contra  C resconiuin'\ 
La  polémique  directe  recommença  en  409-41Û.  Petilianus  ayant 
publié  un  traité  De  iinico  baptismo,  Augustin  le  réfuta  aussit<H 
dans  un  ouvrage  qui  portait  le  même  titre'".  Enfin,  en  411,1a 


1)  Contra  littcni^^    PelUiuiii,  I,    1  ;   Ad  C)  Conlra  Gdudrntiiiin,   I,  1. 
Callwlicos  l-'pislula  contra  Donutistus,  1  ;  7)  Contra  litteras  Pcliliani,  1(1,  3(),42; 
Contra  Cresconium,  I,  1.  !^y,  4.5. 

2)  Contra   litteras  Petiliani,   I,  1  ;  2ô,  8)  l^pist.  .")3,  1  clsuiv. 

27.  —  Cf.  II,  1  ;  III,  60,  (11.  9)  .-1(/  CathoUcos  Epistula  contra  hona- 

8)  Ibid.,  III,  1  et  siii\.  :  ]•'>,  19  cl  siiiv.;  listas,  1   et  siiiv.  ;  Contra  Cresconium,  I, 

50,  <iO  et  Mih.  1  cl  suiv.  ;  Retract.,  II,  02. 

4)  Ibid.,  II,  1   cl  suiv.  10)  De  tinico  baptismo,  1  cl  Miiv.  ;  Hc- 

6)  Ibid.,  111,1  cl  sui>.;  Hetrurt.,  II,  .")1.  tract.,  II,  CO. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  11 

.Gonft;rence  de  Carthage   mit  face  à  face  les  deux  adversaires, 
qui  furent  les  protagonistes  des  deux  Eglises  en  présence  '. 

C'est  que,  dans  l'intervalle,  Petilianus  était  devenu -l'un  des 
chefs  du  parti  de  Donat.  Sa  réputation  déjà  ancienne,    son   élo- 
quence dès  longtemps  célèbre  en  Numidie,  ses  allures   décidées 
.et   son  autorité   personnelle,    sa   Lettre  pastorale,  surtout   ses 
retentissantes  controverses  avec  Augustin,  l'avaient  porté  peu  à 
-  peu  au  premier  rang  des  évêques  de  sa  secte.  On  se  rallia  d'au- 
tant plus  volontiers   autour  de  lui,   que  le  danger  grandissait 
depuis  l'édit   d'union   de  405,  et  que  l'incurable  médiocrité  du 
primat  de  Carthage  avait  décapité  le  parti.  Nul  doute  que  Peti- 
lianus ait  joué  un  rôle  prépondérant  dans  les  conciles  donatistes 
de  cette  période,  sur   lesquels  nous  sommes  malheureusement 
très   mal  renseignés.  Nous  en  avons  une  preuve  indirecte  dans 
l'histoire   d'une  ambassade   que,   vers  le  début  de  l'année  406, 
les     schismatiques    africains     envoyèrent    en    Italie,    jusqu'à 
Piavennes,  pour   présenter  aux  préfets  du  prétoire  une  requête 
relative  à  une  conférence  contradictoire  avec  les  délégués  de 
l'Eglise  officielle-.    Petilianus   fit  partie  de  la  députation.   Un 
•évêque  catholique  le   lui  rappelait  en  411  :    «  Tu  refuses  donc 
maintenant,  lui  disait-il,  ce  que  tu  acceptais  et  désirais  à  l'au- 
dience  des  préfets,  in  prœfectornm  judlcio  ?  ».  Et  Petilianus 
répondit:  «  Je  ne  refuse  pas  maintenant  non  plus...^»  .  D'après 
cet  incident,    on   ne  saurait  douter   que    Petilianus   ait  figuré 
en  406  parmi  les  députés  de  sa  secte  ;  mais  nous  ne  saA^ons  rien 
de  précis   sur  le   rôle  qu'il  put  jouer  à  Ravennes.  En  tout  cas, 
cette  ambassade,  puis  les  nouvelles  polémiques  avec  Augustin 
que   souleva  en  409-410   son   traité   De  luiico  baptismo,  tout 
cela  contribua  à  lui  assurer  dans   son  Eglise  une  autorité  de 
plus   en  plus  grande.  Aussi,  en  411,    au  moment  de  la  crise 
suprême  du  Donatisme,  fut-il  vraiment  le  chef  de  son  parti.  A 
la  Conférence  de   Carthage,  il  fut  naturellement  l'un  des  sept 
avocats-mandataires   élus  par  la  secte 4;  à  lui   seul,  il  y  tint 
plus  de  place,  y  prononça  plus  de  discours  que  tous  les  autres 
ensemble.  C'est  lui  qui,   au  nom  de  tout  son  parti,  engagea  la 
bataille  et  soutint  l'assaut  des  adversaires  ;  lui  qui  prit  les  ini- 
tiatives, qui  imagina  les  obstructions,  para  les  coups,  et,  avec 


1)  Collai.    Carthay.,   III,    50-55  ;  143-  DonatiAlas   post    Collai.,    25,44;    Epist. 
155;    183-187;    203-207;   217-222;    22(5-  88,  10. 

247;  263-276.  3)  Collât.  Carlkag.,  III,  31-32. 

2)  Collai.  CartIuKj.,  III,  141  ;  Augustin,  4)    Ibid.,    I,  148    et    208  :  II,  2  et  12 
Brevic.    Collai.,    III,    4,  5    et  suiv.  ;  Ad  III,  2;  etc. 


12  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Emeritus,  tenta  de  sauver  la  situation  '.  Toujours  sur  la  brèche, 
toujours  face  à  l'ennemi,  fertile  en  expédients,  il  fait  vraiment 
grande  figure  dans  cet  énorme  dossier  de  la  Conférence,  où  ses 
innombrables  discours,  ses  objections  et  ses  interruptions, 
témoignent  encore  de  son  énergie  farouche,  de  son  entêtement, 
de  son  éloquence  féconde  en  chicanes,  de  son  dévouement  fana- 
tique à  son  Eglise.- 

Après  la  défaite,  il  resta  le  même  homme,  mais  sans  trouver 
l'emploi  de  ces  énergies.  Vaincu,  il  ne  céda  pas  :  il  assista  tris- 
tement à  la  déroute  de  son  parti,  aux  proscriptions  qui  suivi- 
rent le  nouvel  édit  d'union,  à  la  confiscation  des  basiliques  et 
autres  biens  des  communautés.  Abandonné  de  ses  troupes,  il 
vit  beaucoup  de  ses  anciens  collègues  et  la  plupart  des  clercs 
changer  de  camp,  les  foules  se  rallier  à  l'Eglise  officielle.  Pros- 
crit lui-même,  exilé  de  sa  ville  épiscopale,  il  errait  ou  se 
cachait  dans  les  campagnes  voisines,  attendant  un  retour  de 
fortune.  Sept  ou  huit  ans  plus  tard,  en  418  ou  419,  un  concile 
donatiste  se  réunissait  furtivement  en  Numidie,  et,  refusant  de 
s'incliner  devant  les  faits,  votait  un  canon  relatif  à  la  réconci- 
liation des  clercs  schismatiques  convertis  de  force  par  les 
Catholiques-.  A  ce  concile  assistaient  seulement  trente  évêques, 
sur  les  quatre  cents  qu'avait  jadis  comptés  la  secte.  Petilianus 
était  naturellement  l'un  des  trente-^.  Jusqu'au  bout,  il  s'obstina 
dans  ses  souvenirs  et  dans  ses  chimériques  espérances  ;  mais, 
quand  il  mourut,  il  n'était  plus  que  l'un  des  chevaliers  errants 
du  Donatisme  aux  abois. 

On  ne  connaît  pas  exactement  la  date  de  sa  mort,  La  dernière 
fois  qu'on  nous  parle  de  lui,  c'est  à  propos  de  ce  concile  tenu 
en  418  ou  419.  Il  dut  mourir  peu  après,  vers  420,  à  l'âge  d'en- 
viron cinquante-cinq  ans  ;  en  exil,  loin  de  sa  ville  épiscopale. 
Sa  fin  dut  être  bien  triste  :  car  il  n'avait  pu  se  consoler  de  la 
ruine  de  son  Eglise,  il  avait  vu  ses  amis  le  renier  et  ses 
anciens  fidèles  déserter  en  masse  '♦. 

11  pouvait  du  moins  se  rendre  cette  justice,  qu'il  avait  tout 
fait  pour  conjurer  la  catastrophe.  Petilianus  est  assurément 
l'un  des  hommes  qui  ont  le  mieux  servi  l'Eglise  de  Donat  :  il 
l'aurait  sauvée  sans  doute,  si  elle  avait  pu  l'être  en  face  d'Au- 
gustin.  C'est  une  figure  originale,  qui  force,  sinon  la  sympa- 


ll  Collai.  Cnrlhmj.,  I,   12;  29:  r)3  ;  61;  47-48. 

14.")  ;  II,  3  el  suiv.;  111,  30;  52;  7.">  ;  8'J  ;  H)  «  In  coucilium...,  ulji  cl  Pcliliamis 

143-155  ;  203-207  ;  227-244.  fuit  »  {ibid.,  I,  37,  47). 

2)  \uguslin,  Contra  Gaudentium,  I,  37,  4)  Episl.  144. 


PETILIANUS    DE    CONSTâXTINE  13 

thie,  du  moins  rattention.  Même  à  ceux  qui  le  contrecarraient 
et  le  combattaient  ouvertement,  même  à  ses  ennemis  les  plus 
décidés,  Petilianus  imposait  une  sorte  de  respect  involontaire  ': 
le  respect  qu'inspirent  toujours  les  fortes  convictions  et  les 
énergies  morales. 

Par  le  caractère,  il  était  de  la  lignée  de  Donat  le  Grand.  Lui 
aussi  était  un  homme  tout  d'une  pièce,  dont  l'àme  était  tou- 
jours tendue  vers  l'idée  fixe  :  l'intérêt  de  la  secte.  Lui  aussi 
trahissait,  dans  sa  parole  et  dans  ses  actes,  jusque  dans  ses 
attitudes,  un  orgueil  indomptable,  presque  mystique.  De  même 
que  Donat  se  faisait  ou  se  laissait  adorer  comme  un  dieu,  Peti- 
lianus insinuait  ou  laissait  croire  qu'il  était  proche  parent  de  la 
Trinité  :  comme  il  avait  été  avocat,  et  que  cette  profession  était 
désignée  alors  chez  les  Grecs  par  le  mot  PaixicLetos,  il  aimait 
à  faire  remarquer,  moitié  sérieusement,  moitié  par  plaisanlei-ie, 
qu'il  avait  des  accointances  avec  le  Paraclet,  c'est-à-dire  avec 
l'Esprit  saint'-. 

Presque  autant  que  le  fondateur  ou  l'organisateur  dé  la  secte, 
il  exerçait  sur  son  entourage  et  sur  tout  son  parti  un  ascendant 
extraordinaire,   non  seulement  par  ses  allures    de   chef  et  de 
maître,  mais  encore  par  le  rayonnement  de  ses  vertus  privées, 
par  son  honnêteté  reconnue  de  tous,  par  son  austérité,  par  son 
désintéressement  personnel,  dont  il   avait  pourtant  le  tort  de 
trop  parler.   Il   se  vantait  volontiers  de  sa  pauvreté,  digne  des 
temps  évangéliques,    qu'il  opposait  aux  richesses  et  à  la  pré- 
tendue rapacité  des  Catholiques  :    «  Nous  aussi,  leur  disait-il, 
nous  aussi,  vous  ne  cessez  de  nous  égorger:  nous  qui  sommes 
justes  et  pauvres  (en  ce  qui  concerne  les  richesses  de  ce  monde, 
car  la  grâce   de    Dieu    en  nous  n'est  pas    pauvre)...-^   ».    Ou 
remarquera  cette  curieuse  parenthèse,  et  cette  foi  naïve  dans  la 
surabondance  de  la  grâce  :    foi  naturelle,    après  tout,  chez  un 
homme  qui  se  croyait  un  peu  la  personnification  terrestre  ou  le 
cousin  du  Saint-Esprit.  Ailleurs,   l'évêque   schismatique  déve- 
loppait avec  complaisance  ce   thème   c{ui  lui  était  cher  :  l'émi- 
nente  dignité   des  pauvres,   à   qui  sont  réservées  les  richesses 
du  Paradis  :  «  Nous,  disait-il,    nous   qui  sommes  pauvres  en 
esprit,   nous   ne   craignons  pas  pour  nos  richesses,  mais  nous 
redoutons  les  richesses.  Nous,    qui  n'avons  rien  et  qui  possé- 
dons tout,  nous  croyons  que  l'âme  est  un  bien  :  au  prix  de  nos 


1)  Contra    lilleras   Petiliani,   I,   1  ;  II,  2)  Augustin,  Contra  litteras  PelUiani, 

23,  .55  ;  98,  226  ;  101,  232  ;  Collât.   Car-  III,  16,  19. 

thag.,  I,  30  ;  61  ;  III,  227  et  suiv.  3)  Ibid.,  H,  92,  202. 

VI  2 


14  LITTÉRATURE    DONATISTE 

souffrances  et  de  notre  sang,  nous  achetons  les  richesses  éter- 
nelles du  ciel.  Ainsi  dit  le  Seigneur  :  Celui  qui  aura  perdu  sa 
fortune,  recevra  cent  fois  autant'.  »  Conformément  à  ses  prin- 
cipes, Petilianus  paraît  avoir  abandonné  tous  ses  biens  à  son 
Eglise  :  sans  confirmer  le  fait,  qu'il  déclare  n'avoir  pu  contrôler, 
Augustin  ne  le  nie  pas^. 

Ce  désintéressement  est  d'ailleurs  conforme  à  tout  ce  que 
nous  savons  du  caractère  de  l'homme.  Petilianus  était  de  ceux 
qui  sacrifient  tout  à  la  cause  défendue  par  eux.  Il  ne  vivait  que 
pour  son  Eglise,  dont  il  acceptait  les  yeux  fermés  les  principes 
ou  les  revendications,  et  dont  il  soutenait  les  intérêts,  en  toute 
circonstance,  avec  une  âpre  et  jalouse  intransigeance.  Dans 
cette  âme  fanatique  de  sectaire,  toutes  les  pensées  se  subordon- 
naient d'elles-mêmes  à  un  sentiment  unique,  exclusif  :  un 
dévouement  sans  réserve  au  parti. 

Avec  la  raideur  intransigeante  du  caractère,  le  tour  d'esprit 
forme  un  singulier  contraste.  Petilianus  n'était  pas  seulement 
un  lettré,  un  orateur  façonné  par  l'école  ;  c'était  encore  un 
ancien  avocat,  qui  dans  sa  vie  nouvelle,  et  malgré  des  préoccu- 
pations toutes  différentes,  était  resté  avocat^.  Au  service  de  son 
idée  fixe,  il  mit  toutes  les  ressources  d'une  intelligence  jadis 
orientée  vers  le  barreau:  la  précision  méticuleuse  d'un  juriste, 
l'adresse  à  tirer  parti  des  règles  de  la  procédure,  la  tendance 
à  plaider  le  vraisemblalile  au  lieu  de  chercher  le  vrai,  souvent 
même  les  roueries  du  métier,  les  habiletés  sans  çcrupule  et  les 
ciiicanes  d'un  vieil  avocat  habitué  à  ne  rien  négliger  pour  gagner 
sa  cause  ^.  C'est  un  étrange  spectacle,  de  voir  ce  farouche  sec- 
taire, dans  une  assemblée  d'évêques  ou  dans  une  controverse 
d'Eglise,  raisonner  en  homme  du  barreau  sur  des  questions  de 
tliéologie  ou  de  discipline,  quand  il  ne  raisonne  pas  en  i-liéteur 
ou  en  sophiste  sur  des  questions  de  fait.  Ces  méthodes  de  dis- 
cussion, que  lui  reprochait  Augustin '',  n'en  avaient  pas  moins 
de  prise  sur  la  plupart  des  auditeurs  ou  des  lecteurs.  D'autant 
mieux  que  cet  avocat  en  théologie  ou  en  disciidine  était  en 
même  temps  un  vigoureux  orateur,  un  habile  écrivain,  un  polé- 
miste à  l'œil  éveillé,  à  l'esprit  satirique  et  mordant,  qui  saisis- 
sait vite  le  point  faible  des  hommes  ou  des  choses,  et  qui  savait 


1)  Aii;,nislin,    Coiilra  lillcras  Peliliani,  4)  CoZ/a^    Carllwg.,    1,    12;    2!»  ;  ôS  ; 
11,  y!',  227.                                                           Gl  ;  II,  3  et  suiv.  ;  I H,  30  ;  75  ;  89  ;  143 

2)  IbuL,  II,  !)9,  228.  et  suiv.  ;  203  et  suix. 

3)  Ihicl.,  m,  W,  19;  Collai.  Carlhaij.,  5)  Auf,Mislin,  dmlrn  litlcras  Peliliani, 
U\,  Ô7.                                                                      III,  I   ut  suiv.  ;  K;,  19  et  suiv.  ;  59,  71. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  15 

marquer  d'un  trait  ironique  ou  pittoresque  l'inconséquence  des 
doctrines  ou  les  travers  des  gens. 

Qu'un  tel  homme  ait  eu  en  Afrique  son  heure  de  célébrité, 
on  n'en  saurait  être  surpris.  On  s'étonnerait  plutôt  qu'il  ait  été 
si  complètement  oublié  des  générations  suivantes.  Eu  fait,  son 
nom  ne  nous  est  guère  parvenu  que  dans  les  réfutations  et  par 
les  témoignages  d'Augustin,  ou  dans  des  documents  contempo- 
rains. Petilianus  n'en  a  pas  moins  eu  de  la  réputation  dans 
l'Afrique  de  ces  temps-là  ;  et,  en  somme,  une  réputation 
méritée.  La  première  fois  qu'Augustin  nous  parle  de  lui,  c'est 
pour  nous  dire  que  l'évéque  schismatique  de  Gonstantine  avait 
une  grande  renommée,  qu'il  était  «  au  premier  rang  parmi  les 
siens  par  la  doctrine  et  l'éloquence  ^) ,  qu'on  admirait  «  l'élé- 
gance et  la  beauté  de  son  style  -».  Augustin  lui-même,  parlant 
en  son  nom  propre,  et  tout  en  critiquant  les  idées  du  Donatiste, 
a  rendu  pleine  justice  aux  mérites  de  l'écrivain'^.  En  411,  à  la 
Conférence  de  Carthage,  on  voit  tous  les  évêques  du  parti  de 
Donat  s'effacer  derrière  Petilianus,  et  ses  adversaires  eux- 
mêmes,  ainsi  que  le  président  de  l'assemblée,  lui  témoigner  une 
sorte  de  déférence^.  Tout  le  monde  alors,  en  Afrique,  s'inclinait 
plus  ou  moins  devant  le  talent  de  Petilianus  :  un  talent  com- 
plexe et  varié,  fait  de  science  et  d'habileté  polémique  autant  que 
d'éloquence. 

Mais  ce  docteur  des  schismatiques,  ce  polémiste,  cet  orateur, 
était  avant  tout  un  homme  d'action.  C'est  là  qu'on  doit  chercher 
l'unité  de  son  œuvre,  comme  de  sa  vie.  Voué  corps  et  âme  à 
son  parti,  intransigeant  et  fanatique,  hardi,  résolu,  entrepre- 
nant et  habile,  avec  une  vue  nette  des  choses  et  de  l'ascendant 
sur  les  hommes,  l'évéque  schismatique  de  Constantine  a  mis 
tous  ses  dons  et  tout  lui-même  au  service  de  son  Eglise.  C'est 
vers  l'action,  pour  la  défense  et  la  glorification  du  Donatisme, 
qu'est  tournée  l'œuvre  entière  de  l'écrivain,  du  polémiste,  de 
l'orateur. 

Avant  de  passer  à  l'étude  détaillée  des  ouvrages,  il  importe 
d'en  fixer  la  succession  chronologique,  et,  autant  que  possible, 
la  date. 

On  peut  déterminer  assez  exactement  l'époque  des  premières 
controverses  avec  Augustin.  Elles  sont  postérieures  à  la  publi- 


1)  «    lUius    homiuis...,    quem    solet  (Conira  litteras  Petiliani,  I,  1). 

fama   praedicare,    quod  inter  cos    doc-  3)   Contra    litteras  Petiliani,    I.  1  ;    II, 

trina  alque  facundia  maxime  excellât  »  23,  55  ;  98,  226. 

{Contra  lillera!;  Petiliani,  I,  1).  4)  Collât.    Carthag.,  1,  30  et  IJ4  ;  II,  3 

2)  c(   Sermonis  cullum  ornatumque  »  et  suiv.  ;  lll,  227  et  suiv. 


16  LITTÉRATURE    DONATISTE 

cation  des  Confessions  (397)  ',  à  la  mort  du  comte  Gildon  et  de 
son  compère    Optatus  de  Thamugadi   (398)  ~.  D'autre  part,  le 
livre  II  d  Ausfustin  contre  Petilianus  a  été  écrit  du  vivant  du 
pape  Anastase,  donc  entre  399  et  401^.  Or  ce  livre  II  est  con- 
temporain du  second  pamphlet  de  Petilianus,  puisque  ces  deux 
ouvrages  des  deux  adversaires  sont  indépendants  l'un  de  l'autre  ; 
et  ces  deux  ouvrages  sont  postérieurs  au  livre  I  d'Augustin, 
qui  lui-même  est  postérieur  au  premier  pamphlet  de  Petilianus^. 
On  doit  tenir  compte  des  intervalles  que  suppose  la  composition 
de  ces  longs  traités.  Par  suite,  on  ne  risque  guère  de  se  tromper, 
si  l'on  place  en  401  le  livre  II  d'Augustin  et  le  second  pamphlet 
de  Petilianus  ;  en  400,  le  premier  livre  d'Augustin  ;  au  début  de 
l'année  400  ou  à  la  fin  de  399,  le  premier  pamphlet  de  Petilianus. 
La   seconde  «  Lettre  à  Augustin   »   de   Petilianus  a  dû  être 
écrite  vers  402^,  au  moment  où  l'évêque  d'Hippone  était  occupé 
à  réfuter,  dans   le   livre  III  contre  Petilianus,  le  second  pam- 
phlet du  Donatiste.  On  doit  placer  aussi  vers  402  le  traité  «  Sur 
le    schisme    des    Maximianistes    »,   que   Petilianus    annonçait 
l'année  précédente  dans  son  grand  pamphlet  contre  Augustin  ''. 
La  lettre  de  Petilianus  sur  l'Eglise  donatiste  [De  ordine  epis- 
coporum),  que  vise  Augustin  dans  une  correspondance  de  ce 
temps-là,  a  été  composée  sans  doute  vers  400". 

Le  traité  de  Petilianus  «  Sur  le  baptême  unique  «  est  posté- 
rieur de  plusieurs  années  aux  ouvrages  mentionnés  jusqu'ici. 
La  réfutation  d'x'Yugustin,  d'après  les  Rétractations,  est  de  410 
environ^.  Le  livre  de  Petilianus,  dont  Augustin  n'avait  pas 
entendu  parler  jusque-là,  était  tout  récent-'.  Il  a  été  composé 
probablement  vers  409.  —  Rappelons  enfin,  pour  mémoire,  la 
série  des  discours  prononcés  à  la  Conférence  de  411  par  l'évêque 
donatiste  de  Constantine. 

En  résumé,  on  peut  dresser  ainsi  le  tableau  chrunologi({ue 
des  œuvres  de  Petilianus,  qui  se  sont  succédé  à  d'assez  courts 
intervalles,  pendant  une  période  d'une  douzaine  d'années  : 

c99  ou  400  :  Lettre  pastorale  ou  pamphlet  contre  l'Église  catholique  (f/n's- 
Lula  ad  prcsbytcrus  et  diaconos). 


1)  Augustin,   Cunlra  (itlcras  l'eliliaiii,  Ep'n^liila    contra  Donatislas,  1  ;    Hclract., 
III,  17,  20.  Il,  51. 

2)  Ibid.,   I,  y,  10  ;    24,  2(i,  olc.  ;   II,  'J2,  r,}   Aii^nisliii,  dintru  Caudciiliitiii,  I,  1. 
209.  C)  Contra  Ulleras  l'eliUani,  III,  :5G,  42  ; 

3)  «  Ciithedra  tibi  quid  fecit  Ecclcsiac  39,  45. 

roiii;iii;ie...,  iii  quii  hudic  Aniislasius  se-  7)  Episl.  53,  1  cl  suiv. 

dci:'  M  {ibid..  Il,  51,  118).  8)  Rclract.,  Il,  f;o.  Cf.  Il,  59. 

4)  Ibid.,    Il,   1  ;    111,  1  ;  Ad  Catholims  1»)  De  unico  baptisino,  1  ; /îc«rac(.,II,60. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  17 

Vers  400  :  Lettre  sur  l'Église  doiiatiste  (Epistaln  de  ordine  episcoporum). 
Ea     401  :  Pamphlet  contre  Augustin  {Epistala  I  ad  AïKjastinum). 
Vers  402  :  Nouvelle  lettre  à  Augustin  (Epistula  H  ad  Aiigustinuin). 
Vers  402  :  Traité  sur  le  schisme  des  Maximianistes  (De  schisinate  Maxi- 

mianistaram). 
Vers  409  :  Traité  sur  le  baptême  (De  iinico  baptismo). 
Juin  411  :  Nombreux  discours  à  la  Conférence  de  Carthage. 


II 

Pamphlet  de  Petilianus  contre  l'Église  catholique.  —  Comment  on  peut  le 
reconstituer  complètement.  —  Titre  probable.  —  Objet  et  cadre  de  l'ou- 
vrage. —  Instruction  pastorale  au  clergé  donatiste  contre  la  propagande 
catholique.  —  Contenu  et  plan.  —  Principales  questions  traitées  par 
Petilianus.  —  Le  baptême.  —  Indignité  des  Catholiques.  —  Nullité  de 
leurs  sacrements.  —  Le  schisme.  —  Pourquoi  les  Donatistes  ont  dû  se 
séparer  des  Catholiques. —  La  persécution.  —  Protestation  contre  l'inter- 
vention du  pouvoir  séculier.  —  Les  Catholiques  sont  responsables  des 
violences.  —  Exhortations  aux  chrétiens  et  malédictions  contre  les 
Catholiques.  —  Caractères  du  pamphlet.  —  Éléments  divers.  —  Discus- 
sions doctrinales.  —  Citations  bibliques!  —  Invectives.  —  Ton  de  la 
polémique.  —  Originalité  de  l'œuvre.  —  Grand  succès  de  l'ouvrage  et 
retentissement  des  controverses  auxquelles  il  donna  lieu. 

Dans  le  courant  de  l'année  400,  Augustin  se  trouvait  à  Gons- 
tantine,  en  compagnie  de  Fortunatus,  évêque  catholique  de 
cette  ville.  On  lui  parla  d'une  lettre  que  l'évêque  donatiste, 
Petilianus,  venait  d'adresser  aux  clercs  de  sa  secte  dans  son 
diocèse,  et  qui  était  un  violent  pamphlet  contre  les  Catholiques. 
On  ne  put  d'abord  procurer  à  l'évêque  d'Hippone  que  le  com- 
mencement de  l'ouvrage.  Néanmoins,  il  crut  devoir  y  répondre 
aussitôt  :  c'est  l'objet  d'un  premier  livre  Contra  litteras  Peti- 
liani  i.  Dans  ce  livre,  Augustin  réfute  seulement  un  cinquième 
du  pamphlet  donatiste-,  jusqu'au  chapitre  xiii  de  notre  édi- 
tion^. 

Aussitôt  qu'il  connut  la  réfutation  partielle  d'Augustin,  Peti- 
lianus y  répondit  ab  irato  par  un  autre  pamphlet,  encore  plus 
violent,  oîi  il  prenait  directement  à  partie  l'évêque  d'Hippone  ^. 
Dans  l'intervalle,  Augustin  avait  reçu  de  Gonstantine  le  texte 
complet  du  premier  pamphlet  de  Petilianus.  A  la  demande  de 
ses  correspondants,  il  entreprit  de  le  réfuter  d'un  bout  à  l'autre  ; 


1)  Augustin,  Conlra  litteras  Petiliani,  3)  Voyez  plus  haut,  t.  V,  Appendice  l. 
I,  1  ;  25,  27  ;  II,  1.  4)  Contra  litteras  Petiliani,  III,  1;  16, 

2)  Ihid.,  III,  50,  61.  —  Cf.  I,  25,  27.  19  et  suiv,  ;  50*  60  et  suiv. 


18  LITTÉRATURE    DOMATISTE 

dans  cette  intention,  il  composa  le  second  \i\yq  Contra  litteras 
PetlUani  '. 

A  l'aide  des  fragments  cités  par  l'évêqne  d'Hippone,  on  peut 
reconstituer  le  texte  intégral  du  pamphlet.  Dans  le  livre  I 
Contra  litteras  PetlUani^  Augustin  ne  réfute  qu'une  petite  par- 
tie de  l'ouvrage  -,  et  sans  s'astreindre  à  tout  discuter.  Mais, 
dans  le  livre  II,  il  suit  son  adversaire  d'un  bout  à  l'autre,  de 
phrase  en  phrase,  sans  rien  omettre  ;  et,  avant  de  réfuter,  il  re- 
produit toujours,  sans  jamais  changer  l'ordre,  le  texte  même  du 
pamphlet  •-.  Lui-même  nous  avertit  de  la  méthode  qu'il  a  adop- 
tée, et  nous  est  garant  de  l'exactitude  de  notre  restitution.  Il 
dit  au  début  de  son  livre  II  :  «  Pour  satisfaire  ceux  qui  me  for- 
cent de  répondre  à  tout  sans  exception,  je  donnerai  à  la  réfuta- 
tion la  forme  d'un  dialogue  où  nous  serions  réellement  en  pré- 
sence. A  la  lettre  de  Petilianus,  j'emprunterai  ses  propres 
paroles,  que  je  placerai  sous  son  nom  ;  et  j'y  joindrai,  sous  mon 
nom,  ma  réponse.  Ce  sera  comme  le  procès-verbal  d'une  confé- 
rence, où  toutes  les  paroles  ont  été  recueillies  par  des  greffiers. 
Ainsi,  nul  ne  pourra  se  plaindre  que  j'aie  omis  quelque  chose, 
ou  qu'on  ne  puisse  comprendre  par  suite  d'une  confusion  entre 
les  personnes  ''  ».  Augustin  insiste  encore  là-dessus,  trente 
ans  plus  tard,  dans  ses  Rétractations  :  «  J'ai  reproduit  d'abord 
par  fragments,  etsous  son  nom,  toutes  les  paroles  de  Petilianus  ; 
et,  pour  chaque  passage,  j'y  ai  joint  sous  mon  nom  ma  réponse  •'.  » 
On  lie  saurait  être  plus  net,  ni  plus  explicite  :  Augustin  nous 
a  conservé,  par  ce  scrupule  d'exactitude,  les  éléments  d'une 
restitution  absolument  complète  du  pamphlet  de  Petilianus. 
D'ailleurs,  la  lecture  seule  de  l'ouvrage  ainsi  restitué  suffirait 
à  prouver  que  la  reconstitution  est  certaine.  Les  développements 
y  naissent  l'un  de  l'autre,  sans  heurt  ni  lacune.  Rien  ne  manque, 
ni  le  préambule,  ni  les  citations  l)ibli([ues,  ni  la  conclusion,  ni 
Mne.  transition,  ni  un  mot  "J. 

Ce  pamphlet  est  appelé  quelquefois  par  Augustin  littcrae  "^ 
ou  scrij)ta'^ ,  mais  presque  toujours  epistula-'.  Il  était  adressé 
par  l'auteur  à  ses  clercs,  «  aux  prêtres  et  aux  diacres  —  ad 
preshyteros  et  diaconos  »  ou  «  aux  siens  —  ad  suos  "^  »,  et 

1)  Contra  liltcrus  Pelilitini,  11,1.  8)  Contra  litteras  Petiliani,  l\\,  ôO,  dl  ; 

2)  ]lnd.,  I,  25,  27;  III,  .50,  61.  52,  04. 

3)  Ihid.,   II,  1,  2' et  suiv.  9)  Ihid.:  1,  1,   1-2;    4,  5;    10,  17;    Ifl, 

4)  Ibid.,  H,  1.  21  ;  2.-),  27  ;  II,  1,  1-2  ;  92,  207  ;  99,  228; 
6)  Relract.,  II,  51.  105,  241  ;  108,  247  ;  III,  42,  51  ;  46,  56  ; 

6)  Voyez    notre    restitution    do    l'on-       50,  <>].;  52,  04;  Hetrart.,  II,  51. 
vragc,  tome  V,  Appendice  I.  10)  Cnnlrn   liltcrus  Pctiliaiii,  I,  1  ;   11, 

7)  Augustin,  lietracL,  II,  61.  1,  2;   III,  50,  61. 


PETILIANUS    D2    GONST.VNTINE  19 

dirigé  «  contre  l'Eglise  catholique  —  adversus  Catltolicain  '  ». 
Le   titre  parait  avoir  été  :  Epistala    ad  presbyteros  et  dia 
conos. 

Indiqué  déjà  par  ce  titre,  le  cadre  de  l'ouvrage  se  dessine 
nettement  dans  l'en-tête,  dont  voici  la  traduction  textuelle  : 
«  Petilianus,  évèque,  à  nos  très  chers  frères,  aux  prêtres  et  aux 
diacres,  aux  clercs  de  notre  diocèse,  fidèles  comme  nous  au 
saint  Évangile  :  que  la  grâce  et  la  paix  vous  soient  données 
par  Dieu  notre  Père  et  par  le  Seigneur  Jésus-Christ  -*.  «  Il 
s'agit  donc  d'une  Lettre  pastorale  au  clergé  schismatique  du 
diocèse  de  Constantine.  L'objet  de  cette  instruction  pastorale, 
où  l'invective  tient  plus  de  place  que  le  sermon,  apparaît  dès  les 
premiers  mots,  qui  visent  la  controverse  toujours  pendante  sur 
le  baptême  '^  :  l'évêque  se  propose  de  mettre  ses  clercs  en  garde 
contre  la  propagande  des  Gatlioliques. 

Le  contenu  de  cette  Lettre  pastorale,  sauf  les  différences  de 
proportions,  différences  qui  tiennent  soit  aux  circonstances  par- 
ticulières, soit  au  tour  d'esprit  de  l'auteur,  le  contenu  est  ici  le 
même  que  dans  la  plupart  des  œuvres  donatistes,  traités, 
sermons  ou  lettres.  Il  s'agit  toujours  des  trois  questions  prin- 
cipales qui  séparaient  les  deux  Eglises,  et  qui  fournissaient  un 
thème  inépuisable  à  leurs  controverses  ou  à  leurs  récrimina- 
tions réciproques  :  le  baptême,  le  schisme,  la  persécution.  Suc- 
cessivement, ces  trois  questions  sont  ici  examinées  et  discutées, 
à  grand  renfort  de  citations  bibliques,  d'arguments  ingénieux 
ou  d'affirmations  hautaines,  d'exhortations  aux  fidèles,  d'ana- 
thèmes  et  d'injures  contre  l'ennemi. 

L'ouvrage  est  assez  bien  ordonné,  du  moins  si  l'on  ne  consi- 
dère que  les  grandes  lignes  du  plan.  Abstraction  faite  des  di- 
gressions d'exégèse  et  des  violentes  récriminations  qui  se  mêlent 
à  tout,  on  y  distingue  trois  parties,  de  dimensions  sensiblement 
égales  :  théorie  du  baptême  ^,  justification  du  schisme  ■%  pro- 
testations contre  les  persécutions  et  l'appel  au  pouvoir  séculier  ''. 
Enfin,  une  assez  longue  péroraison,  où,  tour  à  tour,  Tévêque 
exhorte  et  maudit  ". 

Un  début  très  brusque  annonce  brutalement  l'objet  principal 
et  le  ton  de  l'instruction  pastorale.  Aussitôt  après  les  salutations 


1)  Relracl.,  H,  51-  (tome  V,  Appendice  1). 

2)  Contra  lilleras  Peliliani,  II,  1,  2.  5)  Ibid.,  chap.  28-43. 

3)  Ibid.,  II,  2,  4.  6)  Ibid.,  chap.  44-58. 
4}  PeUIianus,  Epistala   ad  presbyteros  7). /6id.,  chap.  59-G4. 

et  diaconos,  chap.  2-27  de  notre  édition 


20  .     LITTÉRATURE    DONATISTE 

d'usage,  Petilianus  pose  en  termes  agressifs  la  question  du 
baptême  :  «  Ils  nous  reprochent  de  baptiser  deux  fois,  ces  gens 
<[iii,  sous  prétexte  de  baptême,  ont  sali  leurs  âmes  par  un  bain 
coupable,  ces  gens  obscènes,  plus  impurs  que  toutes  les  ordures, 
ces  gens  qu'une  purification  à  rebours  souille  dans  leur  eau  pré- 
tendue baptismale  '.  »  Cette  bordée  d'injures  n'est  qu'une 
entrée  en  matière.  Suit  un  exposé  remarquable  de  la  théorie 
donatiste  du  baptême.  L'auteur  la  résume  en  quelques  formules 
énergiques,  qui  devinrent  célèbres  en  Afrique,  et  qui  donnèrent 
lieu  a  d'interminables  discussions  :  «  On  doit  considérer,  dit-il, 
la  conscience  de  celui  qui  confère  le  baptême  :  saintement,  pour 
purifier  celui  qui  le  reçoit.  En  effet,  celui  qui  sciemment  reçoit 
lu  foi  d'un  perfide,  reçoit  de  lui,  non  la  foi,  mais  le  péché. 
Toute  chose  dépend  de  son  origine  et  de  sa  racine  ;  si  la  source 
manque,  le  sacrement  est  nul  ;  et  la  régénération  ne  se  produit 
pas  sans  une  bonne  semence  propre  à  régénérer  ~.  »  A  l'appui 
de  sa  théorie,  Petilianus  cite  une  foule  de  textes  bibliques, 
qu'il  tire  à  lui  fort  habilement,  et  qu'il  ramène  imperturbable- 
ment au  même  principe,  avec  des  exclamations  de  triomphe  et  de 
haine  '. 

De  cette  théorie,  il  prétend  conclure  à  la  nullité  de  tous  les 
sacrements  conférés  par  les  Catholiques,  et,  par  suite,  au  bien- 
fondé  de  la  thèse  qui  leur  refuse  le  titre  même  de  chrétiens. 
D'après  les  Donatistes,  le  baptême  ne  peut  être  administré  parun 
indigne  '*;  or,  tous  les  soi-disant  Catholiques  sont  des  indignes, 
comme  héritiers  solidaires  des  traditears  du  temps  de  Dioclé- 
tien.  Leurs  prétendus  évèques  n'ont  aucun  pouvoir  sacerdotal, 
puisqu'ils  sont  en  réalité  des  païens  ^.  Ce  qui  trahit  bien  leurs 
accointances  avec  le  Diable,  c'est  qu'ils  persécutent  les  vrais 
chrétiens  ''.  Leurs  objections  contre  la  théorie  donatiste  du 
baptême  n'ont  aucun  fondement  ".  Eux-mêmes  ne  peuvent  con- 
férer le  sacrement,  puisqu'ils  n'en  ont  reçu  que  l'apparence  *^. 
Donc  tous  les  soi-disant  Catholiques  sont,  à  l'égard  du  bapt(''me, 
dans  la  môme  situation  que  les  païens.  Quand  ils  se  rallient  à 
I.i  véritable  Eglise,  celle  de  Donat,  on  doit  naturellement,  non 
pas,  comme  ils  disent  à  tort,  les  rebaptiser,  mais  les  baptiser  •'. 

1)  AiigiisUn,  Contra  lilteras  Peliliani,  4)  Petilianus,   Epislulu    nd  incsbyleros 

II,  2,  4.  cl  didcoiios,  2-4. 

2)  l'otilianus,  Epislula    ad  presbylcros  5)  Ibid.,  5-12. 

el  diaconos,  2.  —  Cf.    Augustin,   Contra  (i)  Ibid.,  8-10  ;  13-15. 

Uttcrai  l'eliliani,    11,  3,  6;  4,  8;    .">,  lu  ;  7)  Ibid.,  Ki-iy. 

III.  ir>,  18  ;  20,  23  ;  52,  W.  8)  Ibid.,  20  24. 
H)  l*otili;uius,  Epistula  ad  presbjleros  9)  Ibid,,  25-27. 

gl  diucimos.  3  et  suiv.  ~^  '■ 


PETILIANUS    DE    GONSTANTINE  21 

Après  le  baptême,  Li  question  du  schisme.  Ici,  Petilianus 
reprend  l'explication  traditionnelle,  déjà  vieille  d'un  siècle,  et 
reproduite  invariablement  par  tous  les  défenseurs  de  la  secte. 
Les  Catholiques,  parleurs  trahisons  au  temps  de  Dioclétienou 
par  leur  complicité  héréditaire  avec  les  traditeurs,  se  sont  mis 
eux-mêmes  hors  de  l'Eglise  '  :  désormais,  ils  ne  sont  plus 
chrétiens,  et  la  souillure  du  péché  ancien  rend  vaines  toutes  leurs 
cérémonies  '-.  Le  devoir  des  Donatistes,  c'est-à-dire  des  vrais, 
des  seuls  chrétiens,  était  de  rompre  avec  ces  apostats  et  ces 
traîtres,  comme  ils  doivent  se  tenir  à  l'écart  des  païens.  Il  n'y 
a  donc  pas  eu  schisme,  à  proprement  parler,  mais  simplement 
déchéance  et  mise  hors  la  loi  d'une  partie  des  anciens  membres 
de  l'Eglise.  Les  injustices  et  les  cruautés  des  pseudo-catholi([ues 
ont  pour  résultat  de  mettre  mieux  en  lumière  de  quel  côté  sont 
la  foi,  le  droit,  la  charité  chrétienne  •^.  Tout  cela  est  mainte- 
nant l'apanage  exclusif  des  fidèles  de  Donat,  qui  à  toutes  les 
violences  opposent  seulement  une  patience  héroïque  ^. 

Ces  considérations  sur  l'attitude  réciproque  des  deux  Eglises 
amènent  naturellement  l'auteur  à  la  question  la  plus  brûlante  de 
toutes  :  les  persécutions.  C'est  ici  que  triomphe  Petilianus.  A 
ses  adversaires,  dont  le  rôle  était  ingrat,  il  oppose  les  leçons  de 
l'Evangile  et  les  grands  principes  d'humanité.  Il  accumule  les 
textes  bibliques  pour  démontrer  que  Dieu  défend  de  persécuter, 
d'employer  la  force,  même  pour  le  bien,  et  qu'il  a  toujours  puni 
les  persécuteurs  -^ .  En  même  temps,  l'évêque  donatiste  invoque 
les  droits  de  la  conscience  ;  il  proteste  éloquemment  contre  les 
appels  au  pouvoir  séculier  o.  U  affirme  que  les  Catholiques  ont 
provoqué  l'intervention  des  empereurs,  et  que,  par  suite,  ils 
sont  responsables  de  toutes  les  persécutions  ''. 

En  terminant  sa  longue  instruction  pastorale,  Petilianus  tire 
de  ses  démonstrations  les  conclusions  pratiques.  Aux  vrais 
chrétiens  de  son  diocèse,  il  montre  l'ennemi  :ces  maudits  Catho- 
liques, contre  lesquels  il  fulmine  en  raillant  leur  aveuglement  et 
leur  inconséquence.  Il  cherche  à  sauver,  plaint  ou  écrase  de  son 
dédain,  leurs  victimes  :  les  malheureux  Donatistes  qui,  par 
crainte  des  coups,  passent  à  l'ennemi.  Enfin,  il  engage  tous  ses 
clercs  et  leurs  fidèles  à  se  tenir  en  garde  contre  la  propagande 
et  les  intrigues  de  l'Eglise  officielle,  qui  ne  recule  devant  aucun 

1)  Petilianus,   Epistula  ad  presbyteros  5)  Petilianus,   Epistula  ad  presbyleros 
et  diaconos,  28-32.                                                  et  diaconos,  44-50  ;  55-56. 

2)  Ihid.,  3:S-86.  6)  IbUL,  51-54. 

3)  Ibid.,  37-41.  7)  Ibid.,  57-58. 

4)  Ibid.,  42-43. 


97 


LITTERATURE    DON.VTISTE 


moyen  pour  grossir  le  nombre  de  ses  adeptes  aux  dépens  de  la 
vérité  '. 

Telle  est,  rapidement  esquissée,  cette  lettre  pastorale,  qui 
souleva  en  Afrique  tant  de  tempêtes.  Partout  s'y  mêlent  trois 
éléments  très  divers,  qui  passionnaient  également  les  chrétiens 
du  pays,  mais  qui  pour  nous  présentent  évidemment  un  intérêt 
très  inégal  :  la  discussion  doctrinale,  la  citation  biblique,  l'in- 
vective. 

La  discussion  doctrinale  ne  doit  guère  nous  arrêter  ici,  parce 
que  le  fond  n'appartient  pas  à  Petilianus.  En  ces  matières  de 
doctrine,  l'évèque  ne  pouvait  que  suivre  les  traditions  et  déve- 
lopper les  principes  de  soii  Eglise  :  principes  immuables  depuis 
l'origine,  traditions  fixées  depuis  plusieurs  générations  '-.  La 
personnalité  du  polémiste,  en  ce  domaine,  n'a  pu  laisser  son 
empreinte  que  dans  la  mise  en  œuA^'e.  Elle  apparaît,  en  effet, 
dans  le  tour  intransigeant  de  la  pensée,  dans  la  façon  hautaine 
et  autoritaire  dont  sont  posés  les  principes,  dans  l'habileté  un 
peu  chicanière  des  déductions,  dans  la  revendication  presque 
juridique  des  droits  de  l'individu,  enfin  dans  ces  formules  éner- 
giques où  se  condensent  les  théories  donatistes  •'. 

La  citation  biblique  tient  dans  l'ouvrage  une  place  considé- 
rable. Et  l'on  n'en  doit  pas  être  surpris  :  la  parole  divine  était 
l'argument  décisif  dans  ces  controverses  entre  Eglises.  Pour  les 
arguments  de  ce  genre,  comme  pour  les  autres,  Petilianus 
n'était  jamais  à  court.  Notons  en  passant  que  les  très  nombreux 
textes  bibliques  insérés  d^ns  sa  lettre  pastorale  constituent  un 
riche  ensemble  de  documents  pour  l'étude  de  la  Bible  africaine  : 
conformément  à  la  règle  immuable  des  Donatistes,  qui  en  toute 
chose  prétendaient  conserver  fidèlement  les  traditions,  l'évèque 
schismatique  de  Gonstantine  ne  reconnaît  et  ne  reproduit  que 
les  vieux  textes  latins  du  pays,  ceux  du  temps  de  Gyprien  ''. 
A  l'interprétation  des  livres  sacrés,  Petilianus  applique  ses  mé- 
thodes ordinaires  d'argumentation  et  de  déduction.  En  face  delà 
Bible,  il  procède  comme  en  face  des  lois  humaines,  en  juriste, 
ou  plutôt,  en  avocat,  qui  veut  atteindre  à  tout  prix  la  conclusion 
visée  :  c'est  dire  que  son  exégèse;  abonde  en  solutions  impréviu'S, 
en  petites  habiletés  suspectes,  même  en  sopliismes  et  en  chi- 


1)  l'oliliauiis,    I-Jiiisluld   ad  prcsiytrrus  siiiv.  ;    28    et    suiv.  ;  Sô  et  suiv.  ;    16   cl 
el  diacotios,  59-64.  suiv.  ;  51  et  suiv. 

2)  Voyez  plus   liaut,  lornc  IV,   p.  l.')!  4)  Sur  l,i   Hihie  l.itine  des    Donalistes, 
et  suiv.  ;  165  et  suiv.  voyez,    plus     haut,     tome     1,    p.    136   et 

3)  Petilianus,  Epislulu    ad   presbylero^  suiv.  ;  tome  IV,  p.  154  et  suiv. 
et  diaconos,  2  el  suiv.  ;  11  et  suiv.  ;  20  et 


PETILIANUS    DE    CONST.\NTI^'E  23 

canes.  Il  montre  une  adresse  plus  qu'ingénieuse  à  tourner 
contre  l'adversaire  les  textes  les  plus  étrangers  à  .la  question, 
les  plus  inoffensifs  en  apparence.  Il  torture  les  mots  et  les  syl- 
labes, pour  forcer  Dieu  à  maudire  les  siens,  le  Christ  à  renier 
son  Eglise  '. 

Souvent,  il  n'attend  pas  la  fin  de  la  citation  pour  écraser 
l'ennemi  sous  le  poids  de  son  commentaire.  Aux  paroles  divines, 
il  mêle  ses  propres  réflexions.  Alors  s'engage  un  dialogue 
étrange,  où  Dieu  et  le  sectaire  semblent  d'accord  pour  accabler 
les  Catholiques.  Voyez  cette  curieuse  paraphrase  àxxDécalogue  : 
«  Si  vous  croyez  vous-mêmes  suivre  exactement  la  Loi  de  Dieu, 
eh  bien  !  discutons  selon  la  Loi  sur  la  très  sainte  Loi...  Que  dit- 
elle  donc,  la  Loi  ?  —  «  Tu  ne  tueras  point.  »  —  Ce  qu'a  fait  une 
seule  fois  Cain  le  parricide,  vous  l'avez  fait  souvent,  en  tuant 
vos  frères...  —  Il  est  dit:  «  Tu  ne  rendras  pas  faux  témoignage.  » 
—  Quand  vous  vous  adressez  aux  rois  de  ce  monde,  et  que  vous 
mentez  en  prétendant  qfie  nous  détenons  vos  biens,  n'êtes-vous 
pas  de  faux  témoins  ?  —  Il  est  dit  :  «  Tu  ne  convoiteras  pas  la 
chose  de  ton  prochain.  »  —  Vous,  vous  pillez  nos  biens,  au 
point  de  les  considérer  comme  à  vous.  En  vertu  de  quelle  loi 
vous  prétendez-vous  donc  chrétiens,  vous  dont  les  actes  sont 
contraires  à  la  Loi  '  ?  »  Voilà,  sans  doute,  une  interprétation 
de  la  Loi,  qui  eût  surpris  Moïse. 

Entre  les  mains  de  ce  fanatique,  ce  n'est  pas  seulement  le 
livre  de  la  Loi,  qui  devient  un  manuel  d'invectives  et  d'ana- 
thèmes  ;  c'est  encore  le  livre  d'amour  et  de  charité.  Voici  com- 
ment cet  évêque  de  Constantine,  sur  le  dos  de  ses  adversaires, 
explique  à  ses  clercs  le  Sermon  sur  la  montagne  :  «  Quant  aux 
commandements  de  Dieu,  dit-il  aux  Catholiques,  comment  les 
reniplissez-vous  ?  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  Christ  :  «  Heu- 
reux ceux  qui  sont  pauvres  en  esprit,  parce  que  le  royaume  des 
cieux  leur  appartient  ^  »  —  Vous,  dans  votre  ardeur  malfai- 
sante à  persécuter,  vous  exhalez  le  fol  amour  des  richesses.  — 
«  Heureux  ceux  qui  sont  doux,  parce  qu'ils  posséderont  la 
terre.  »  —  Donc,  vous  qui  n'êtes  pas  doux,  vous  avez  égale- 
ment perdu  la  terre  et  le  ciel.  —  «  Heureux  ceux  qui  pleurent, 
parce  qu'ils  seront  consolés.  »  —  Vous,  nos  bourreaux,  vous 
faites  pleurer,  au  lieu  de  pleurer.  —  «  Heureux  ceux  qui  ont 
faim    et    soif   de    justice,  parce    qu'ils   seront   rassasiés.   »  — 


1)  Petilianus,  Episliila   ad  presbytères  2)  Petilianus,   Epistula   ad  prcshytcros 

et   diaconos,  3  ot   suiv.  ;  21   et  suiv.  ;  28       et  diaconos,  37. 
et  suiv.  ;  4-1  et  suiv.  .  3)  Matthieu,  Evang.,  5,  3  et  suiv. 


24  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Votre  justice  à  vous  consiste  à  avoir  soif  de  notre  sang.  — 
«  Heureux  les  miséricordieux,  parce  qu'ils  obtiendront  la  misé- 
ricorde. »  — Vous,  comment  vous  appeler  miséricordieux,  alors 
que  A'ous  frappe/  les  justes,  pour  les  amener  à  une  communion 
sacrilège  qui  souille  les  âmes  ?  —  «  Heureux  ceux  qui  ont  le 
cœur  pur,  parce  qu'ils  verront  Dieu.  »  — Vous,  quand  verrez- 
vous  Dieu,  vous  qu'aveugle  l'immonde  méchanceté  de  votre 
cœur  ?  —  «  Heureux  les  pacifiques,  parce  qu'ils  seront  appelés 
fils  de  Dieu.  »  —  Vous,  c'est  pour  le  crime  que  vous  dites  aimer 
la  paix,  et  c'est  par  la  guerre  que  vous  cherchez  à  rétablir 
l'unité  '.  ))  Dialogue  pittoresque  et  très  significatif,  où  chaque 
appel  à  la  charité  chrétienne  éveille  dans  l'àme  du  sectaire  un 
écho  de  malédictions. 

Ces  étranges  commentaires  montrent  bien  dans  quel  esprit 
Petilianus  lisait  la  Bible:  pour  y  chercher  des  armes,  ou  des 
raisons  nouvelle^  de  haïr  et  de  maudire.  Dans  cette  Lettre  pas- 
torale, qui  ressemble  fort  à  un  pamphlet,  l'invective  est  partout  : 
elle  envahit  tout,  l'exposé  doctrinal,  la  citation  biblique,  toutes 
les  parties  de  la  controverse.  Et  pour  nous,  on  doit  l'avouer, 
dans  ce  mandement  d'évèque,  c'est  l'élément  principal  de  vie  et 
d'intérêt.  En  dépit  des  leçons  de  la  charité  chrétienne,  c'est  cela 
surtout  qui  doit  nous  arrêter.  Car  c'est  là  que  se  donne  carrière 
la  personnalité  du  polémiste,  et  que  s'affirme  l'originalité  de 
l'écrivain,  pour  la  satisfaction  des  historiens  et  des  lettrés. 

Un  premier  tliènit?,  sur  lequel  Petilianus  exécute  bien  des 
variations,  c'est  l'indignité  fondamentale  des  pseudo-Catho- 
liques'. Ils  ont  leur  tare  originelle,  que  rien  ne  peut  effacer,  à 
moins  qu'ils  ne  renient  leur  Eglise  :  c'est  la  trahison  de  leurs 
ancêtres  au  temps  de  Dioclétien.  Jusqu'alors,  les  Doiiatistes 
n'avaient  guère  mis  en  cause  que  les  évé(jues  carthaginois  de 
ces  temps-là,  Mensurius  et  Ca^cilianus.  Mais  Petilianus  ne 
se  contente  pas  de  fulminer  contre  ces  Africains  ;  d'après  une 
tradition  tardive  et  suspecte,  dont  la  provenance  nous  échappe, 
il  incrimine  jusqu'aux  papes  des  premières  années  du  (|uati'ième 
siècle.  Il  dit,  à  propos  des  persécutions  de  Dioclétien  et  Maxi- 
mien  :  «  Quand  ces  empereurs  ordonnaient  de  brûler  de  l'en- 
cens et  de  détruire  par  le  feu  les  livres  du  Seigneur,  on  a  vu, 
le  premier  de  tous,  capituler  Marcellinus,  alors  évêque  de 
Rome;  puis,  à  Carthage,  Mensurius  et  Ciecilianus.  Au  milieu 


1)  Peliliaiius,  Epistula   ad  presbyteros  2)  Pcliliauns,   Kpisluld   nd  presbyleros 

et  diaconos,  39.  et  diaconos,  5  et  suiv.;  23  et  suiv.;  28  cl 

suiv. 


PKTILIANUS    DE    CONSTANTIN E  25 

de  ces  flammes  sacrilèo-es,  ils  sont  devenus  eux-mêmes  comme 
de  la  braise  ou  des  cendres.  Dans  l'offrande  de  cet  encens  cri- 
minel, vous  êtes  tous  impliqués,  vous  qui  vous  êtes  rendus  soli- 
daires de  Mensurius  '.  »  Ainsi,  dès  l'origine,  ce  n'est  pas  seule- 
ment l'Eglise  de  Carthage  qui  a  été  contaminée  ;  c'est  encore 
l'Eglise  de  Rome,  et  toutes  les  Eglises  en  communion  avec  elle. 

D'après  la  doctrine  donatiste,  tous  les  Catholiques  des  géné- 
rations suivantes  ont  hérité  du  péché  de  leurs  prédécesseurs, 
par  le  fait  seul  qu'ils  acceptent  la  solidarité  de  leurs  actes.  Rien 
ne  leur  sert  de  connaître  la  Loi.  Malgré  toutes  leurs  vertus 
d'apparence,  ils  ne  peuvent  prétendre  ni  à  la  sainteté  ni  à  l'in- 
nocence :  «  Ne  prétendez  pas  à  la  sainteté,  leur  crie  Petilianus, 
D'abord,  j'affirme  que,  si  l'on  n'est  innocent,  on  n'a  pas  la 
sainteté.  Vous  avez  beau  connaître  la  Loi,  perfides  :  je  puis  le 
dire  sans  faire  tort  à  la  Jjoi  elle-même,  le  Diable  aussi  la  con- 
naît... Si  vous  connaissez  la  Loi,  dis-]e,  c'est  comme  le  Diable, 
qui  n'en  est  pas  moins  vaincu  dans  ses  tentatives  et  voué  à  la 
honte  dans  ses  actes '-.  »  L'évêque  schismatique  prévient  chari- 
tablement les  fidèles  de  l'Église  officielle,  que  toutes  leurs 
prières  sont  vaines  :  «  Si  vous  invoquez  le  Seigneur  ou  lui 
adressez  une  prière,  cela  ne  vous  sert  de  rien.  Vos  prières  sans 
efficacité  sont  rendues  nulles  par  votre  conscience  ensanglantée  : 
le  Seigneur  Dieu  écoute  une  conscience  pure,  plutôt  que  des 
prières...  Vous  ne  faites  pas  la  volonté  de  Dieu,  parce  que  vous 
faites  chaque  jour  le  mal •^.  »  Aux  yeux  du  sectaire,  ces  pauvres 
gens,  qui  prient  Dieu  et  se  croient  chrétiens,  ne  sont  en  réalité 
que  des  païens. 

Parmi  ces  païens  du  Catholicisme  officiel,  il  en  est  que  Peti- 
lianus ne  se  contente  pas  de  plaindre,  mais  ([u'il  poursuit  de 
ses  malédictions  ou  de  ses  sarcasmes  :  ce  sont  les  évêques  ses 
collègues.  En  cherchant  à  leur  démontrer  qu'ils  ne  sont  pas  de 
véritables  évêques,  il  les  compare  au  traître  Judas  :  «  Comment, 
dit-il,  comment  peux-tu  revendiquer  l'épiscopat,  toi,  l'héritier  du 
plus  coupable  des  traîtres?  Judas  a  livré  le  Christ  dans  sa  chair  ; 
toi,  dans  ton  égarement  d'esprit,  tu  as  livré  le  saint  Evangile  aux 
flammes  sacrilèges.  Judas  alivré  aux  perfides  le  Législateur  ;  toi, 
ce  sont  ses  reliques,  pour  ainsi  dire,  c'est  la  Loi  de  Dieu  que  tu  as 
livrée  aux  hommes  pour  la  destruction. . .  Si  tu  avais  brûlé  le  testa- 
ment d'un  mort,  est-ce  qu'on  ne  te  punirait  pas  con^me  faussaire? 


1)  Petilianus,  Epislula   ad  presbyteros  3)  Petilianns,  Epislula   ad  presbyleros 
et  diaconos,  56.                                                       et  diaconos,  35. 

2)  Ibid.,  33. 


X 


26 


LITTERATURE    DONATISTE 


Quel  sort  t'attend  donc,  toi  qui  as  brûlé  la  très  sainte  Loi  du 
Dieu  juge?  Judas  s'est  repenti  de  son  crime,  du  moins  en  mou- 
rant ;  toi,  non  seulement  tu  ne  te  repens  pas,  mais  encore,  toi 
le  traitre  scélérat,  tu  te  fais  notre  persécuteur  et  notre  bourreau, 
à  nous  qui  gardons  la  Loi.  Avec  ce  cortège  de  crimes,  tu  ne 
peux  être  un  véritable  évêque  K  »  En  prenant  le  titre  d'évèque, 
les  chefs  des  communautés  catholiques  obéissent  aux  sugges- 
tions du  Diable  :  «  Rien  d'étonnant,  continue  le  pamphlétaire, 
rien  d'étonnant  à  ce  que  vous  preniez  illicitement  le  nom 
d'évèque.  C'est  bien  l'habitude  du  Diable  de  tromper  en  s'attri- 
buant  un  titre  de  sainteté...  Rien  d'étonnant  donc  à  ce  que  vous 
preniez  faussement  le  nom  d'évèque.  Eux  aussi,  les  anges 
déchus,  amoureux  des  vierges  de  ce  monde,  tombés  dans  la  cor- 
ruption en  corrompant  la  chair,  ont  beau  avoir  été  dépouillés 
des  vertus  divines  et  avoir  cessé  d'être  des  anges  :  ils  n'en  gar- 
dent pas  moins  le  nom  d'anges,  et  ils  se  croient  toujours  des 
anges,  eux  qui,  chassés  de  la  milice  céleste,  ont  passé  dans 
l'armée  du  Diable,  à  qui  ils  ressemblent-.  »  C'était,  chez  le 
schismatique  de  Gonstantine,  une  idée  fixe  :  pour  lui,  l'Eglise 
rivale  était  l'Église  du  Diable. 

Or  le  Diable  aime  à  tourmenter  les  bons  chrétiens  :  aussi 
pousse-t-il  aux  violences  ses  auxiliaires,  les  pseudo-Catholiques. 
Nouveau  grief  de  Petilianus,  et  le  plus  grave  de  tous,  celui  qui 
surtout  exaspère  sa  rancune  et  déchaîne  ses  fureurs  vengeresses. 
D'abord,  il  taxe  d'hypocrisie  ces  perfides  adversaires,  qui  ont 
toujours  à  la  bouche  des  paroles  de  paix,  et  qui  cependant 
apportent  la  guerre  :  «  Cruel  persécuteur,  s'écrie-t-il,  tuas  beau 
te  cachx^r  sous  un  voile  de  bonté,  tu  as  beau  protester  de  tes 
intentions  pacifiques  ])our  déchahierla  guerre  sous  tes  baisers  . 
de  paix,  tu  as  beau  invoquei'  l'unité  pour  séduire  les  hommes  : 
toujours  trompeur  et  imposteur,  tu  es  vraiment  le  fils  du 
Diable"'.  »  Toujours  le  Diable!  C'est  lui  qui  excite  contre  les 
chrétiens  de  la  véritable  l']glise  les  soi-disant  Catholiques,  aussi 
acharnés  que  lespaïens.  Oui,  ajoute  Petilianus,  «  en  vrais  })aïens 
que  vous  êtes,  vous  voulez  notre  perte.  Vous  faites  une  guerre 
injuste  à  des  gens  qui  n'ont  pas  le  droit  de  se  défendre.  X'ous, 
vous  désirez  vivre,  après  nous  avoir  tués;  notre  victoire  à  nous, 
c'est  de  fuir  ou  d'êti'e  tués '.  »  Ainsi  parlaient  les  premiei-s 
chrétiens,  au  temps  des  persécutions  païennes. 


1)   l'cliliaiius,    l':jiislulii   ud  jircsbYlcros  H)    l'i'lili;iiiiis,    Kjiislalu   <til  prchylcros 

cl  dincoiios,  (i.  et  diacoiios,  10. 

'2)  Ibld.,  11.  4)  Ibid.,   V2. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  27 

Ici  encore,  c'est  surtout  aux  évêques  que  s'en  prend  le  polé- 
miste. Il  les  traite  brutalement  de  bourreaux  :  «  Toi  qui  te  pré- 
tends chrétien,  tu  ne  dois  pas  imiter  les  atrocités  des  païens. 
Groyez-vous  servir  Dieu,  en  nous  tuant  de  a^os  propres  mains  ? 
Erreur,  erreur,  si  vous  croyez  cela,  misérables.  Dieu  n'a  pas 
des  bourreaux  pour  évêques  K  »  En  frappant  les  Donatistes,  ces 
bourreaux  frappent  le  Christ  lui-même  :  «  Comptez  tous  les 
attentats  contre  nos  Saints  :  autant  de  fois  vous  avez  tué  le 
Christ  toujours  vivant.  Quand  bien  même  tu  ne  serais  pas  sacri- 
lège, tu  ne  pourrais  être  un  Saint,  toi  un  homicide"-.  »  Ces 
évêques  homicides,  Petilianus  les  compare  aux  loups  dont  parle 
l'Evangile:  «  Nous,  dit-il,  nous  chrétiens,  vos  violences  ne  nous 
effraient  pas.  Le  mal  que  vous  deviez  nous  faire,  nous  le  savions 
par  le  commandement  du  Seigneur  Christ:  «  Je  vous  envoie, 
dit-il,  comme  des  brebis  au  milieu  des  loups.  »  Vous  avez  bien 
la  rage  du  loup,  vous  qui  dressez  ou  préparez  des  embûches 
aux  Eglises,  comme  les  loups  aux  bergeries  :  les  loups  à  la 
gueule  béante,  toujours  prêts  à  s'élancer  pour  le  meurtre,  les 
loups  au  gosier  teint  de  sang,  toujours  haletants  de  fureur.  0 
misérables  traîtres,  il  fallait  sans  doute  que  l'Ecriture  s'accom- 
plit ainsi  ;  mais  je  vous  plains  d'avoir  mérité  de  jouer  ce  rôle 
malfaisant^.  »  Jusque  dans  les  comparaisons  de  l'Evangile,  le 
charitable  évêque  cherche  des  injures  contre  ces  collègues 
détestés. 

Pour  justifier  ces  injures,  il  s'efforce  de  préciser  son  grief. 
Aux  évêques  catholiques,  il  reproche  principalement  de  pousser 
les  empereurs  aux  persécutions  :  «  Qu'avez- vous  à  faire,  leur 
dit-il,  avec  les  rois  de  ce  monde,  en  qui  le  christianisme  n'a 
jamais  trouvé  que  des  ennemis  ^  ?  »  Il  passe  en  revue  les  épi- 
sodes de  la  Bible,  où  l'on  voit  à  l'œuvre  les  rois  persécuteurs. 
Il  arrive  ensuite  aux  empereurs  :  «  Vous,  poursuit-il,  c'est  aux 
empereurs  de  ce  monde  que  vous  vous  adressez.  Ils  désirent  se 
montre j*  chrétiens  ;  mais  vous  ne  leur  permettez  pas  d'agir  en 
chrétiens.  Par  le  fard  et  les  nuages  de  vos  mensonges,  vous  sur- 
prenez leur  bonne -foi,  pour  faire  d'eux  les  instruments  de  votre 
iniquité.  Ces  armes,  qu'ils  ont  en  main  contre  les  ennemis  de 
l'Etat,  vous  les  tournez  contre  les  chrétiens.  Egarés  par  vos 
conseils,  ils  croient  faire  œuvre  agréable  à  Dieu  en  nous  tuant, 
nous  que  vous  haïssez...  Donc  peu  importe,  avec  des  maîtres 


1)  Petilianus,   Epistula  ad  presbyteros  3)   Petilianus,   Epislula   ad  presbylcros 
et  diaconos,  13.                                                        et  dlaconos,  42. 

2)  Ibid.,  U.  4)  Ibid.,bl. 


28  LITTÉRATURE    DON.VTISTE 

d'erreur  comme  vous,  peu  importe  que  les  rois  de  la  terre  soient 
païens  (à  Dieu  ne  plaise  !)  ou  désirent  être  chrétiens  :  car  vous 
ne  cessez  de  les  armer  contre  la  famille  du  Christ'.  »  En  con- 
séquence, les  évêques  catholiques  sont  responsables  des  per- 
sécutions qu'ordonnent  les  empereurs.  Et  les  plus  coupables 
sont  les  conseillers  des  princes:  «  Ne  savez-vous  pas,  ou  plu- 
tôt, n'avez-vous  pas  lu  dans  l'Ecriture,  qu'on  est  moins  crimi- 
nel en  commettant  un  meurtre  qu'en  le  conseillant-  ?  »  SuiA^ent 
les  exemples  classiques  :  Jézabel  poussant  son  mari  à  faire 
périr  un  pauvre  homme,  la  femme  et  la  fille  d'Flérode  obtenant 
de  ce  roi  la  tête  de  Jean-Baptiste,  les  Juifs  exigeant  de  Ponce 
Pilate  la  mort  du  Christ.  Et  l'accusateur  conclut:  «  Sur  vous 
de  même,  par  vos  crimes,  retombe  notre  sang.  En  effet,  si  c'est 
le  juge  qui  tient  le  glaive,  ce  sont  surtout  vos  calomnies  qui 
nous  frappent-^,  »  L'accusation  semble  formelle;  et  cependant, 
le  tour  ingénieux  du  grief  pourrait  bien  être  un  hommage  invo- 
lontaire à  la  modération  relative  des  évêques  catholiques  du 
temps,  qui  ne  frappaient  pas  eux-mêmes  leurs  victimes. 

A  la  violence  de  ses  adversaires,  le  bon  apôtre  oppose  la 
patience  évangélique  des  siens  :  «  A  nous,  dit-il,  contre  vos 
cruautés,  le  Seigneur  Christ  nous  a  ordonné  de  nous  armer 
seulement  de  patience  et  d'innocence...  Donc,  quand  a^ous  nous 
attaquez,  en  faux  frères  que  vous  êtes,  nous  imitons  dans  nos 
périls  la  patience  de  Paul,  notre  maître^.  »  De  là,  tous  les  mar- 
tyrs dont  s'enorgueillit  l'Eglise  de  Donat.  En  saluant  ces  héros 
de  la  secte,  à  propos  d'un  verset  du  Sermon  sur  la  montagne^ 
le  polémiste  ne  manque  pas  de  dire  leur  fait  aux  bourreaux: 
«  Bienheureux  ceux  qui  souffrent  la  persécution  pour  la  justice, 
parce  que  le  royaume  des  cieux  leur  appartient.  »  —  Vous, 
vous  n'êtes  pas  bienheureux,  mais  vous  faites  les  martyrs  bien- 
heureux dont  les  âmes  remplissent  le  ciel,  et  dont  les  corps 
fleurissent  la  terre.  Vous  donc,  vous  n'honorez  pas  les  martyrs, 
mais  vous  faites  les  martyrs  que  nous  honorons  ■''.  »  Le  seul 
mérite  que  le  sectaire  reconnaisse  k  l'Eglise  officielle,  c'est 
que  l'Eglise  de  Donat  lui  doit  ses  martyrs. 

Au  milieu  de  ses  âpres  récriminations  contre  la  violence  de 
ses  adversaires,  Petilianus  formule  d'éloquentes  protestations 
contre  le  principe  même  dos  p(n^sécutions.  Rien,  dit-il,  ne  justi- 
fie ni  n'excuse  l'emploi  de  la  force  en  matière  de  religion.  Aucun 

1)  Petilianus,    Ejnstula  ad  preshytvros       non  veslrae  nos  polius  calumniac  fcrio- 
el  dinconos,  52.  nuit  »  (ibid.,  .53). 

2)  Ihid.,  53.  4)  Ibid.,  4:^. 
8)  «  Non  enim,  ctsi   jtidcx  pcrculiat,  ô)  Ibid.,  40. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  29 

texte  de  l'Ecriture  n'autorise  la  contrainte,  et  l'exemple  du  Christ 
la  condamne  formellement  :  «  Quelle  raison  avez-vous  de  nous 
persécuter  ?  Je  vous  le  demande,  à  vous,  misérables.  Si  vous 
croyez  par  hasard  que  l'autorité  de  la  Loi  justifie  votre  crime, 
je  vous  réponds,  moi,  que  Jésus-Christ  n'a  persécuté  personne  '.  » 
Un  chrétien  ne  doit  tuer  sous  aucun  prétexte,  et  Dieu  ne 
lui  apprend  qu'à  mourir  :  «  Est-ce  que  Dieu  a  ordonné  de  mas- 
sacrer^, même  des  schismatiques  ?  En  tout  cas,  s'il  l'avait  com- 
mandé, c'est  vous  qui  auriez  dû  être  tués  :  par  des  Scythes  ou 
autres  barbares,  non  toutefois  par  des  chrétiens.  En  effet,  le 
Seigneur  Dieu  n'a  jamais  aimé  à  voir  couler  le  sang  humain  : 
il  a  condamné  Cain,  meurtrier  de  son  frère,  à  traîner  jusqu'au 
bout  une  vie  de  bourreau...  Le  Seigneur  Christ  a  appris  aux 
chrétiens,  non  pas  à  tuer,  mais  à  mourir  ~.  »  Il  est  fâcheux  que 
l'évêque  schismatique  de  Constantine  n'ait  pas  songé  d'abord, 
ou  n'ait  pas  réussi,  à  évangéliseren  ce  sens  ses  amis  les  Circon- 
cellions  de  Numidie. 

Il  affirme,  au  contraire,  que  les  Donatistes  ne  violentent  per- 
sonne pour  sa  foi.  Du  spectacle  des  faits  contemporains,  du 
prétendu  contraste  qu'offrait  la  conduite  des  deux  Églises,  il 
tire  le  même  enseignement  que  des  textes  de  l'Ecriture.  Et  il 
revendique  hautement  une  pleine  liberté  de  conscience  :  «  Si  la 
Loi,  dit-il,  permettait  de  contraindre  personne,  même  pour  le 
bien,  c'est  vous-mêmes,  misérables,  que  nous  aurions  dû  con- 
traindre pour  vous  amener  à  la  pureté  de  la  foi.  Mais  loin  de 
nous,  loin  de  notre  conscience,  la  pensée  de  forcer  quelqu'un  à 
adopter  notre  foi  !  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  Christ  :  «  Per- 
sonne ne  vient  à  moi,  si  ce  n'est  celui  qu'attire  le  Père.  »  Pour- 
quoi donc,  vous,  pourquoi  ne  permettez-vous  pas  à  chacun  de 
suivre  son  libre  arbitre  ?  C'est  le  Seigneur  Dieu  lui-même  qui 
a  donné  aux  hommes  le  libre  arbitre,  en  leur  montrant  toutefois 
la  voie  de  la  justice,  pour  éviter  qu'ils  n'aillent  à  la  mort  par 
ignorance  ■^.  »  Les  leçons  de  l'histoire  montrent  bien  que  le 
respect  des  consciences  est  de  droit  divin.  Depuis  un  siècle. 
Dieu  lui-même  a  frappé  tous  les  persécuteurs  des  Donatistes, 
comme  il  avait  antérieurement  frappé  les  païens  persécuteurs  : 
«  Pour  laisser  de  côté  l'histoire  ancienne,  voyez  par  votre 
propre  histoire  combien  d'empereurs,  combien  de  vos  juges  ont 
péri  en  nous   persécutant  '^  »  Après    une    rapide    énumération 


1)  Petili;mus,  Epislida  ad  presbyteros  3)  Petilianus,  Epistula  ad  presbyleros 
et  diaconos,  46.                                                       et  diaconos,  47. 

2)  Ibid.,  48.  4)  Ibid.,  56. 

VI  3 


30  LITTÉRATURE    DONATISTE 

des  persécuteurs  d'autrefois,  depuis  Néron  jusqu'à  Dioclétien 
et  Maximien,  le  justiciei'  des  scliismatiques  arrive  aux  bour- 
reaux des  Donatistes.  Alors  il  entonne  un  chant  de  triomphe  : 
«  Il  a  péri,  Macarius;  il  a  péri,  Ursacius;  et  tous  vos  Comtes, 
sous  la  vindicte  de  Dieu,  ont  également  péri.  Ursacius  notam- 
ment, vaincu  dans  un  combat  contre  les  Barbares,  a  été  mis  en 
pièces  par  les  serres  cruelles  des  oiseaux  de  proie  et  par  la 
dent  avide  des  chiens  '.  »  Gomme  on  le  voit,  l'avocat  des  Dona- 
tistes reprend  ici,  au  profit  de  sa  secte,  la  thèse  historique  des 
apologistes,  longuement  développée  naguère  dans  le  célùl)re 
pamphlet  de  Lactance  «  Sur  la  mort  des  persécuteurs  ». 

Jusqu'au  bout  de  sa  lettre  pastorale,  le  terrible  évéque  pour- 
suit ses  adversaires  de  ses  malédictions  ou  de  ses  sarcasmes. 
L'invective  éclate  encore  et  déborde  dans  les  exhortations 
finales  :  une  invective  souvent  indirecte,  cette  fois,  mais  non 
moins  violente,  ni  moins  si-gnificative  '-.  Dans  sa  péroraison, 
Petilianus  vise  surtout  la  propagande  ennemie,  qui,  d'ailleurs, 
était  l'objet  principal  de  son  mandement.  Il  taxe  d'inconséquence 
les  Catholiques,  qui  considèrent  les  Donatistes  comme  des  cou- 
pables ou  des  hérétiques,  et  qui  cependant  cherchent  aies  rame- 
ner dans  leur  Eglise,  même  par  la  force  :  «  Oii  est  la  Loi  de 
Dieu,  où  est  votre  christianisme,  si,  par  vos  actes  ou  vos  con- 
seils, vous  déchaînez  le  meurtre  et  la  mort  ?  Si  vous  désirez 
notre  amitié,  pourquoi  nous  attirer  à  vous  malgré  nous  ?  Si 
vous  croyez  à  notre  inimitié,  pounjuoi  tuer  vos  ennemis  ?  Et 
voyez  (juelle  déraison,  quelle  inconséquence  fiivole  !  \'ous  nous 
traitez,  bien  à  tort,  d'hérétiques  ;  et  cependant,  vous  désirez 
vivement  notre  communion  !  Choisissez  donc  entre  les  deux 
termes  de  cette  alternative.  Si  l'innocence  est  de  notre  côté, 
pour(juoi  nous  poursuivre  avec  le  fer  ?  ou  bien,  si  vous  })réten- 
dez  que  nous  sommes  coupal)les,  pourquoi  nous  rechercher, 
vous  les  innocents  ■^  ?  »  Par  ce  dilemme,  (pi'il  juge  triomphant, 
et  dans  lequel  ses  adversaii'es  devaient  démas(pier  un  vulgaire 
sophisme,  il  croit  avoir  sapé  par  la  base  le  princi})e  même  de 
la  propagande  catholiciue.  Alors,  il  se  tourne  vers  les  ralliés, 
les  traîtres,  les  Donatistes  hypocrites  ou  lâches,  qui,  pour  échap- 
per aux  persécutions,  se  laissent  séduire  par  l'i-^glise  rivale.  Il 
leur  fait  honte  do  leur  trahison  intéressée,  qui  les  transfoi'me  en 
complices  des  bourreaux  :  «  C'est  à  vous  (|ue  je  m'adresse,  à 


1)  «  Periit  Mac.iriiis,  jinriil  Urs;icius  ;  2)  Pcliliaiius.    Epistulu  ml  fircsbyleros 

ciinctifiiic    Comilcs    \fslrj,  Dei    p.irilcr        <■/  diaconos,  'tS-Gi. 
\  indiita,  pcrieruiil...  »  {ibid-,  ôG|.  3)  Ibid.,  58. 


PEÏILIANUS    l)K    COKSTAINTIISE  3l 

VOUS,  malheureux,  qui,  épouvantés  par  la  crainte  des  persécu- 
tions, songez  à  vos  richesses,  non  à  vos  âmes  :  ce  que  vous 
aimez,  ce  n'est  pas  la  foi  perfide  des  traditeurs,  c'est  la  méchan- 
ceté même  de  ces  gens  dont  vous  vous  assurez  la  protection. 
Vous  êtes  comme  ces  naufragés  qui,  au  milieu  des  flots,  se  pré- 
cipitent au-devant  des  vagues,  et  qui,  dans  ce  danger  mortel, 
recherchent  ce  qu'ils  craignent;  ou  encore,  comme  ces  tyrans 
insensés  qui,  pour  n'avoir  à  craindre  personne,  veulent  être 
craints,  même  au  péril  de  leur  vie.  De  même,  si  vous  vous 
réfugiez  dans  la  forteresse  de  la  méchanceté,  c'est  pour  \ 
contempler  les  malheurs  ou  les  supplices  des  innocents,  sans 
aA'oir  à  trembler  pour  vous-mêmes.  Mais  est-ce  éviter  le  péril, 
que  de  se  réfugier  sous  ce  qui  s'écroule  ?  En  tout  cas,  c'esl 
une  foi  condamnable,  que  la  foi  gardée  envers  un  brigand. 
Enfin,  c'est  un  trafic  de  déments,  que  de  perdre  vos  âmes  pour 
ne  pas  perdre  vos  richesses  '.  »  Aveux  caractéristiques,  où 
éclate  la  pensée  directrice  de  cette  lettre  pastorale,  et  où  trans- 
parait,  sous  le  voile  des  comparaisons  et  des  métaphores,  la 
rancune  mélancolique  d'un  évêque  qui  voit  lui  échapper  ses 
fidèles. 

En  terminant,  Petilianus  met  son  public  en  garde  contre  le 
baptême  des  Catholiques,  un  baptême  qui  souille  au  lieu  de  puri- 
fier :  «  Vous  donc,  dit-il,  vous  qui  voulez  vous  baigner  dans 
leur  faux  baptême  plut()t  que  de  naître,  non  seulement  vos  péchés 
ne  vous  sont  pas  remis  par  eux,  mais  encore  vous  chargez  vos 
âmes  du  poids  de  leurs  crimes.  En  effet,  si  l'eau  des  coupables 
est  vide  du  Saint-Esprit,  elle  est  pleine  des  crimes  des  tradi 
teurs.  Toi  donc,  malheureux,  qui  que  tu  sois,  toi  qui  es  baptise 
par  ces  gens-là,  si  tu  veux  éviter  le  mensonge,  tu  te  baignes 
dans  une  eau  de  mensonge.  Si  tu  voulais  rejeter  les  péchés  delà 
chair,  par  la  complicité  avec  les  pécheurs,  tu  gagneras  encore 
le  péché.  Si  tu  voulais  éteindre  la  flamme  de  la  cupidité,  tu 
prends  un  bain  de  fraude,  un  bain  de  crime,  même  un  bain  de 
folie.  Enfin,  si  tu  crois  que  la  foi  de  celui  qui  reçoit  le  sacre- 
ment est  celle  de  celui  qui  le  confère,  par  cet  homme,  qui  tue 
l'homme,  tu  es  couvert  du  sang  de  ton  frère.  Ainsi,  toi  qui 
t'étais  présenté  innocent  au  baptême,  du  baptême  tu  reviens 
parricide  ~.  »  Les  derniers  mots  sont  une  exhortation  à  fuir 
les  traditeurs,  C[ui  du  reste,  en  acceptant  comme  valable  le  bap- 
tême   donatiste,    en    reconnaissent    implicitement    la   valeur: 

1)  Petilianus,  Epislula  ad  pre'sbyleros  2)  Petilianvis,   Epistula  ad  presbyleros 

el  diaconos,  59.  et  diaconos,  61. 


32  LlïTKUATUUE    DONATISTE 

«  Venez  donc  à  l'Eglise,  peuples,  et  fuyez  les  traditeurs,  si  vous 
ne  voulez  pas  périr  avec  eux.  Vous  avez  un  moyen  facile  de 
constater  que,  tout  en  étant  pécheurs,  ils  jugent  fort  bien  de 
notre  foi  :  tandis  que,  moi,  je  baptise  ceux  qu'ils  ont  souillés 
de  leur  eau,  eux:,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise  !  ils  reçoivent  tels  quels 
mes  baptisés.  Ils  ne  le  feraient  pas,  s'ils  avaient  reconnu  quelque 
tare  dans  notre  "baptême,  \oyez  donc  combien  est  saint 
notre  sacrement  :  même  un  ennemi  sacrilège  redoute  de  l'ef- 
facer '.  » 

Sur  ce  triomphant  sophisme  s'arrête  le  polémiste,  hanté,  à  la 
fin  de  sa  Lettre  comme  au  début,  par  cette  question  du  baptême 
qui  depuis  l'origine  séparait  les  deux  Ji,glises  :  occasion  ou  pré- 
texte d'un  schisme  séculaire,  thème  toujours  prêt  pour  les  con- 
troverses, riche  en  malentendus,  en  accusations  réciproques,  en 
invectives. 

Ainsi,  dans  cet  ouvrage  de  Petilianus,  d'un  bout  à  l'autre,  à 
propos  de  tout,  éclate  l'invective.  Au  milieu  des  discussions  de 
doctrine  comme  autour  des  citations  bibliques,  elle- retentit  par- 
tout, comme  un  refrain  de  guerre.  Par  l'esprit  de  malice  et  de 
haine  qui  l'anime  tout  entière,  par  la  prépondérance  continue  de 
l'élément  satirique  sur  l'élément  doctrinal,  cette  étrange  lettre 
pastorale  déconcerte  un  peu  la  logique,  mais  au  profit  de  l'inté- 
rêt littéraire.  Là  où  l'on  s'attendait  à  trouver  un  sermon,  on 
trouve  un  pamphlet  :  l'un  des  plus  violents  qu'on  ait  jamais 
écrits  contre  l'Eglise. 

Violence  et  àpreté,  tel  y  est  bien,  comme  on  l'a  vu,  le  ton  oi'- 
dinaire  de  la  polémique.  Et  cependant,  sur  un  j)oint,  Petilianus 
a  fait  preuve  ici  d'une  modération  relative,  très  relative  évidem- 
ment, mais  que  pourtant  il  n'a  pas  observée  ailleurs,  et  qu'il 
abandonnera  par  exemple,  dès  qu'il  sera  directement  aux  prises 
avec  Augustin.  On  remarquera,  en  effet,  que  la  Lettre  pastorale 
ne  contient  pas  d'attaques  contre  les  personnes  :  pas  même 
contre  l'évêque  catholique  de  Gonstantine,  contre  ce  Fortunatus 
([ue  son  rival  donatiste  détestait  si  fort,  et  qu'ailleurs  il  n'a  pas 
ménagé  -.  Ici,  le  polémiste  s'en  prend  seulement  aux  doctrines, 
aux  choses,  au  bloc  de  l'Jî^glise  ennemie.  Mais,  contre  elle,  il 
s'est  vraiment  mis  en  frais  d'invectives,  même  d'esprit.  Car  il 
a  de  l'esprit,  jusque  dans  ses  éclats  de  haine.  Un  esprit  amer 
et  mauvais,  venu  de  l'enfer  pour  envenimer  les  blessures  faites 
par  la  haine  :  comme  chez  ces  fanatiques  qui  ne  peuvent  frapper 


1)  Petilianus,  Epistiiln  ud   prcshytcroi:  2)  Collnl.  lÀirlIinij.,   I,  (m  et  189  ;  Au- 

etdiaconos,Gi.  giisljri,  Dr  uiiicu  liaplisino,  16,  29. 


PETILIANLS    DE    CONSTANTINE  33 

leurs  victimes  sans  les  railler,  sans  inventer  des  raisons  drôles 
ou  nîème  spirituelles  de  les  frapper.  Ce  n'est  pas  en  vain  ([ue 
Petilianus  parlait  tant  du  Diable  '  :  ses  sarcasmes  ont  quelque 
chose  de  diabolique. 

Ce  qu'on  ne  peut  nier,  eu  tout  cas,  c'est  l'originalité  de  l'ou- 
vrage. Cette  lettre  pastorale  pourra  sans  doute  agacer  certains 
lecteurs  ;  elle  pourra  déplaire  franchement  à  d'autres,  notam- 
ment à  ceux  qui  aiment  l'onction  ;  mais,  assurément,  elle  n'est 
pas  banale  et  n'est  jamais  ennuyeuse.  Si  le  fond  n'est  pas  nou- 
veau, s'il  ne  pouvait,  et  même,  s'il  ne  devait  pas  l'être,  l'auteur 
y  a  mis  pourtant  sa  marque  personnelle.  11  renouvelle  les  argu- 
ments, les  «  thèses  »  de  son  ii,glise,  par  la  façon  dont  il  les 
présente  et  les  défend,  par  le  tour  juridique,  par  l'abondance  des 
preuves,  par  les  formules  énergiques  où  il  résume  la  doctrine  '-. 
Il  renouvelle  également  les  objections  contre  les  théories  ad- 
verses par  l'imprévu  des  chicanes  et  des  commentaires,  par  les 
ingénieuses  trouvailles  de  sa  rancune  et  de  sa  haine  •'.  Il  re- 
nouvelle  jusqu'à  l'arsenal  des  citations  bibliques,  d'abord  par  le 
nombre  même  des  textes  allégués,  ensuite  par  ses  méthodes 
d'interprétation,  par  son  incontestable  adresse  à  tourner  une 
difficulté,  à  arrêter  la  citation  au  moment  où  elle  deviendrait 
gênante,  à  la  morceler  au  cours  d'un  commentaire  agressif  ^. 
En  outre,  l'ouvrage  a  de  la  variété. Les  trois  éléments,  doctrine, 
textes  sacrés,  invectives,  s'y  mêlent  dans  d'assez  heureuses 
proportions;  et,  si  l'invective  empiète  souvent,  ce  n'est  pas  le 
lecteur  moderne  qui  s'en  plaindrait.  Tout  cela  se  fond  ou  se 
heurte  dans  de  courtes  périodes  ou  de  petites  phrases  à  relief, 
d'un  style  précis,  parfois  très  concis,  énergique  et  mordant, 
relevé  de  comparaisons  et  d'antithèses,  d'expressions  poétiques, 
de  métaphores  souvent  neuves  •'.  Dans  son  ensemble,  le  pam- 
phlet est  bien  vivant.  Il  y  a  delà  verve  et  du  mouvement,  jusque 
dans  les  citations  bibliques.  Malgré  la  banalité  du  fond  et  la 
violence  du  ton,  l'œuvre  est  bien  personnelle,  et,  par  là,  se 
détache  heureusement  sur  le  cadre  un  peu  monotone  de  la  litté- 
rature donatiste. 

Telle  fut  l'impression  des  contemporains.  Le  succès  fut  écla- 
tant, au  moins  dans  la  région.  Ce  qui  le  prouve,  indépendam- 
ment des  témoignages  du  temps,  c'est  la  série  des  ouvrages 

1)  Petilianus,  Epistula   ad  presbyteros        suiv.  ;  47  et  suiv. 

et  diaconos,  10-11  et  33.  4)   Petilianus,   Epistula    ad  presbyteros 

2)  Ibid.,  2  et  suiv.  ;  11  et  suiv.;  28  et        et  diaconos,  37-40. 

suiv.  ;  46  et  suiv.  ;  51  et  suiv.  5)  Ibid.,    2;  6  ;  10  ;    12-14  ;  18-19  ;  39- 

3)  Ibid.,  7  et  suiv.  ;  16  et  suiv.  ;  28  et        40  ;  etc. 


;H  littérature  donatiste 

(le  controverse,  toute  une  petite  bibliothèque,  qui  sortit  alors  de 
cette  lettre  pastorale  '.  D'abord,  il  va  sans  dire  que  le  mande- 
ment épiscopal  enthousiasma  le  monde  donatiste  de  Constan- 
tine.  On  s'en  inquiéta  bientôt  dans  le  monde  catholique  de  l'en- 
tlroit.  Sur  ces  entrefaites,  l'évèque  d'Hippone  arrivait  par  ha- 
sard à  Gonstantine  :  il  l'ut  vite  au  courant,  et  on  le  supplia  d'in- 
tervenir. Il  entreprit  aussitôt  la  réfutation  de  la  première  partie 
du  pamphlet,  la  seule  dont  on  put  alors  lui  procurer  une  copie 
exacte^.  Mais,  dès  qu'il  eut  en  mains  l'ouvrage  entier,  il  le 
réfuta  de  nouA-eau  :  cette  fois,  d'un  bout  à  l'autre,  phrase  par 
phrase  '.  Cet  empressement  montre  bien  quel  retentissement 
avait  eu  le  pamphlet,  et  quelle  émotion  il  avait  causée  dans  le 
[>ays.  Ces  premières  controverses  posèrent  Petilianus  en  ad- 
versaire d'Auo-ustin.  On  verra  bientôt  comment  elles  amenèrent 
les  deux  évoques  à  des  polémiques  plus  directes,  presque  per- 
sonaelles,  que  suivirent  d'autres  batailles  entre  les  deux  adver- 


saires '■*. 


Tout  ce  bruit  aug-mentait  encore  la  renommée  de  l'ouvraofe. 
Bientôt  l'on  en  parla  jusqu'à  l'autre  bout  de  la  Numidie.  Même 
à  Hippone,  dans  la  ville  d'Augustin,  et  dans  les  cercles  catho- 
liques, on  lisait  le  mandement  de  Petilianus,  on  en  savait  par 
cœur  certains  passages,  et  il  se  trouvait  des  gens  pour  déclarer 
<[u'il  y  avait,  après  tout,  du  vrai  dans  ce  mandement.  C'est 
Augustin  lui-même  qui  l'avoue.  Il  dit  à  ses  fidèles  d'Hippone  : 
«  Mes  frères,  nous  avons  appris  que  la  Lettre  de  Petilianus  est 
entre  les  mains  de  nombreuses  personnes,  qui  même  en  citent 
(le  mémoire  bien  des  passages,  croyant  que  Petilianus  y  a  dit 
quelque  chose  de  vrai  contre  nous  ''.  »  Augustin  dut  s'expli- 
<[uer  de  nouveau,  et  très  nettement,  et  spécialement  pour  les 
Catholiques  de  son  diocèse.  Il  le  fit  dans  une  sorte  de  mande- 
ment, ({ui  nous  est  parvenu.  C'est  l'ouvrage  ([u'on  appelle  or- 
dinairement traité  «  Sur  l'unité  de  l'Eglise  —  De  uniUite  Eccle- 
siœ  »  :  titre  aussi  impropre  que  conventionnel  ^. 

Cependant,  la  Lettre  ])astorale  de  Petilianus  continuait  à  faire 
son  chemin  en  Afrique.  Elle  arriva  entre  les  mains  d'un  certain 
Cresconius,   un   grammairien    donatiste,    «jui   vivait   dans  une 


1)  Aususlin,  Retracl.,  Il,  51-52  ;  60.  143  et  suiv.  ;  226  et  suiv. 

2)  Contra   lilteras    Petiliani,    I,    1;  2."),  5)    Aiiî^iisliii,    ,\<l   Catholicos    Fpistiila 
-7  ;    11,1;   III,  .00,  61.  ronira  Itonalislu'^,  1. 

3|  Ihid.,  Il,  1  (.'t  siiix.  61  Le  vcrilablc  tilre,uu    le  plus  vrai- 

4|  Ihid.,  III,  1  et  suiv.;    Dr  uiiico  bap-  semblable  et  le  plus  exact,  est  cerlaine- 

//smo,  1   et   suiv.  ;  Contra    Gauilenliiim,  nient    celui-ci  :   Ad  Calholicos   Episliila 

I,    1  :  Collai.  Carthag.,  III.  .5(1  et  suiv.;  contra  Donalistas. 


PETILIANUS    L)E    CONSTAXTINE  35 

région  assez  éloignée.  Ce  grammairien  accueillit  le  mandement 
épiscopal  de  Constantine  comme  un  nouvel  Evangile.  Quand  il 
eut  également  connaissance  de  la  première  réfutation  d'Augus- 
tin, il  fut  presque  suffoqué  d'indignation.  Il  ne  pouvait  admettre 
qu'un  téméraire,  fût-ce  un  Catholique,  manquât  ainsi  de  respect 
au  grand  homme  de  la  secte.  Il  résolut  du  moins  de  venger  le 
grand  homme  en  le  justifiant  sur  tous  les  points.  Il  s'y  efforça 
dans  un  ouvrage  de  proportions  considérables,  intitulé  «  Lettre 
à  Augustin,  Epistula  ad  Augustinum  »,  qui  lui  attira  une  fou- 
droyante réplique  de  l'évêque  d'iiippone  :  le  Contra  Cresco- 
niiun,  en  quatre  livres  •. 

Gomme  on  le  voit,  c'est  toute  une  littérature  polémique  qui 
est  sortie  du  pamphlet  de  Petilianus.  Ces  multiples  controverses 
qui,  directement  ou  non,  pendant  plusieurs  années,  le  mirent 
aux  prises  avec  Augustin,  jetèrent  son  nom  à  tous  les  vents  de 
la  renommée,  et  firent  peu  à  peu  de  lui  l'oracle  des  schisma- 
tiques.  Toute  sa  réputation,  et  le  rôle  actif  qui  en  fut  la  consé- 
quence, ont  donc  pour  origine  sa  Lettre  pastorale,  dont,  par 
suite,  on  ne  peut  exagérer  l'importance  dans  les  controverses  du 
temps  :  non  seulement  dans  l'œuvre  de  Petilianus,  mais  encore 
dans  l'histoire  du  Donatisme,  dans  l'histoire  même  de  l'Afrique 
chrétienne  au  début  du  cinquième  siècle. 


III 

Pamphlet  de  Petilianus  contre  Augustin.  —  Comment  Petilianus  fut  amené 
à  des  polémiques  directes  contre  lévèque  d'Hippone.  —  Forme  de  l'ou- 
vrage. —  Titre.  —  Nombreux  fragments  conservés.  —  Possilùlilé  d'une 
restitution  partielle.  —  Contenu  du  pamphlet.  —  Critique  de  la  méthode 
d'Augustin  dans  sa  réfutation.  —  Railleries  contre  ses  prétendus  sophismes 
et  contre  sa  dialectique.  —  Accusation  de  déloyauté.  —  La  question  du 
baptême.  —  Réponse  aux  objections,  et  justification  delà  thèse  donatiste. 
—  Questions  de  fait.  —  Invectives  contre  lévêque  d'Hippone.  —  Liberti- 
nage d'Augustin,  ses  sortilèges  et  ses  sacrilèges.  —  Augustin  manichéen, 
pi'ètre  manichéen,  condamné  comme  manichéen.  —  Exhortation  aux  Do- 
natistes.  —  Caractère  de  l'ouvrage.  —  Intérêt  historique  et  littéraire  de  ce 
pamphlet. 

On  se  souvient  que,  dans  l'année  400,  Augustin,  arrivant  à 
Constantine,  y  eut  connaissance  de  la  première  partie  du  man- 
dement —  pamphlet  de  Petilianus  (les  douze  premiers  chapitres 
de  notre  édition),  et  qu'il  la  réfuta  aussitôt  dans  le  livre  I  Contra 

1)  Aanjusthi,  Contra  Cresconiam,  I,  1  et  suiv.  ;  BelracL,  H,  52. 


36  LITTÉRATURE    DONATISTE 

litteras  Petiliani'^.  L'évêque  schismatique  de  Constantine  ré- 
pliqua par  un  second  pamphlet,  écrit  de  verve  et  très  violent, 
où  il  mêlait  à  la  discussion  des  invectives  passionnées  contre 
son  adversaire  en  qui  il  affectait  de  voir  un  Manichéen'.  Ce 
second  pamphlet,  contemporain  du  livre  II  Contra  litteras  Peti- 
liani,  doit  dater  également  de  l'année  4013. 

Cette  question  de  chronologie  a  ici  une  importance  particu- 
lière; car  elle  permet  de  préciser  les  circonstances  et  la  portée 
de  l'œuvre. 

Augustin  lui-même  nous  apprend  indirectement  que  son 
livre  II  est  exactement  contemporain  du  pamphlet  donatiste 
dirigé  contre  lui-même.  Vers  la  fin  de  401,  dans  une  instruction 
pastorale  aux  fidèles  d'IIippone,  il  leur  rappelait  sa  réfutation 
partielle  de  V Epistula  ad  presbytères,  leur  annonçait  qu'il 
venait  de  terminer  la  réfutation  complète  du  même  ouvrage 
(c'est-à-dire  le  livre  II  Contra  litteras  Petiliani),  et  invitait 
son  adversaire  à  lui  répondre.  «  Que  Petilianus,  disait-il,  dé- 
fende donc  les  termes  de  sa  Lettre  (pastorale)  ;  qu'il  montre, 
s'il  le  peut,  que  mes  réponses  ne  l'ont  pas  réfuté  victorieuse- 
ment. Ou  bien,  s'il  ne  veut  pas  (de  cette  discussion  directe), 
qu'il  fasse  lui-même  pour  ma  Lettre  ce  que  j'ai  fait  pour  la 
sienne,  à  laquelle  j'ai  déjà  répondu.  Sa  lettre,  il  l'a  adressée 
aux  siens,  comme  moi  j'adresse  la  mienne  à  vous:  qu'il  réponde 
à  celle-ci,  s'il  le  préfère^.  »  Au  moment  où  il  écrivait  ces 
lignes,  invitant  Petilianus  à  lui  répondre,  Augustin  ignorait 
évidemment  la  réponse  de  son  adversaire:  et  cependant,  comme 
le  prouve  le  contenu  du  pamphlet,  Petilianus  avait  déjà  terminé 
sa  réplique-'.  Les  deux  ouvrages  sont  donc  tout  à  fait  contem- 
porains, et  complètement  indépendants  l'un  de  l'autre.  On  doit 
s'en  souvenir  en  étudiant  le  pamphlet  de  Petilianus  contre  Au- 
gustin :  dans  ce  pamphlet,  le  Donatiste  répond  toujours,  non 
pas  à  la  réfutation  complète  d'Augustin,  ([u'il  ignorait  encore, 
mais  à  sa  précédente  réfutation  partielle,  c'est-à-dire  au  livre  l 
Contra  litteras  Petiliani. 

O  second  ouvrage  de  Petilianus,  (juc  l'évêque  d'IIippone; 
appelle  litterae^'  ou  voliunen'  ou  epistula^,  avait  la  forme  d'une 
lettre  à  Augustin,  et  devait  être  intitulé  Epistula  ad  Augiisti- 

1)  Contra  litteras  Pctiliuni,  I,  1  i-t  6)  Contra  litteras  Petiliani,  111,  50, 
suiv.  —Cf.  1,2.-),  27  ;  II,  1;  111.  ôO,  61.       (il. 

2)  Ibid.,  111,  1  ;  Kl,  19  et  suiv.  ;  50,  60-  »',)  Ibid.,  111,  1. 

61.  7)  Ilnd.,  111,40,  47. 

3)  Jbid.,  11,  r.l,  118  ;  III,  17,  20.  8)  Ilnd.,   111,    18,  21  ;    22,  2(1  ;  :^2,  'M  ; 

4)  Ad  Catliolicos  Epistula  contra  Du-  41,  4!).  —  Cf.  Possidius,  Indic.  oper. 
natislas,  1.  Augustini,'ii. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  37 

num.  Mais,  dans  le  cadre  d'une  lettre  à  l'évêque  d'Hippone, 
c'était  un  violent  pamplilet,  de  dimensions  considérables,  plein 
de  passion  et  de  polémiques  personnelles. 

Le  pamphlet  contre  Auc^ustin  est  perdu  ;  mais  nous  en  con- 
naissons les  parties  essentielles  par  les  citations  et  les  analyses 
de  l'évêque  d'Hippone.  En  effet,  Augustin  y  répondit  par  le 
livre  III  Contra  lit  feras  Pctiliani,  où  il  a  inséré  de  nombreux 
fragments,  avec  copieux  commentaires,  de  ce  pamphlet.  Malheu- 
reusement, il  n'a  pas  cru  devoir  procéder  ici  comme  dans  le 
livre  II,  où  il  avait  reproduit  phrase  par  phrase  le  texte  entier 
du  pamphlet  précédent.  Une  restitution  complète  est  donc  ici 
impossible.  Nous  pouvons  retrouver  cependant  le  contenu  de 
l'ouvrage  et  distinguer  les  éléments  divers  dont  il  se  composait: 
1°  critique  de  la  réfutation  d'Augustin  dans  le  livre  I  Contra 
litteras  Petiliani^  \  2*^  discussion  des  objections  sur  la  concep- 
tion donatiste  du  baptême  et  sur  des  questions  de  fait  -  ;  3°  in- 
vectives contre  Augustin  ^  ;  4°  exhortation  finale  aux  Donatistes^. 

Telle  était  la  structure  logif[ue  de  l'ouvrage  ;  sinon  le  plan 
réel,  car  l'invective  intervenait  partout.  C'est  sous  ces  quatre 
rubriques  que  l'on  peut  classer  les  nombreux  fragments  :  une 
cinquantaine  environ,  dont  beaucoup  assez  longs.  Ces  frag- 
ments sont  de  deux  sortes.  Tantôt,  ce  sont  des  extraits  textuels 
du  pamphlet  de  Petilianus^.  Tantôt,  ce  sont  des  analyses  et  des 
allusions  de  l'évêque  d'Hippone  :  analyses  où  l'on  dégage  bien 
les  arguments  du  Donatiste  et  les  faits  invoqués  par  lui,  sou- 
vent même  ses  expressions,  mais  où  Ton  ne  retrouve  que  par 
lambeaux  le  texte  orisfinal'^. 

La  première  partie  du  pamphlet  contenait  une  critique  très 
malveillante  et  très  injuste,  mais  très  curieuse,  de  la  méthode 
suivie  par  x\ugustin  dans  sa  réfutation.  L'évêque  schismatique, 
qui  avait  lu  les  Confessions' ,  tout  récemment  parues,  et  qui 
probablement  connaissait  aussi  les  premiers  ouvrages  philoso-- 
phiques  de  son  adversaire,  exploitait  contre  lui  ses  propres 
aveux.  Il  l'accusait  d'être  un  «  académicien  »  et  un  sophiste. 
Pour  affaiblir   la  portée  de  son  argumentation,   il  tournait  en 

1)  Augustin,  Conira  litteras  Petiliani,  4)  Augustin,  Contra  litteras  Petiliani, 
III,  15,  18  et  suiv.  ;  20,  23  et  suiv.  ;  24,        III,  41,  49. 

28;  31,  36  ;  40,  47.  5)  Ibid.,  III,  21,  24  et  suiv.  ;  22,   26  ; 

2)  Ibid.,  m,  14,  16  et  suiv.  ;  18,  21  et  24,  28  et  suiv.  ;  26,  31  et  suiv.  ;  31,  36  et 
suiv.  ;  22,  2C>  et  suiv.  ;  25,  29  et  suiv.  ;  suiv.  ;  33,  38  ;  35,  41  et  suiv.  ;  39,  45  et 
32,  37  et  suiv.  ;  36,  42  et  suiv.  ;    45,  54  suiv.  ;  51,  63  et  suiv. 

et    suiv.  ;     49,    59    et    suiv.  ;   57,    69   et  &)  Ibid.,  III,  1  et  suiv.  ;  8,9  et  suiv.  ; 

suiv.  16,  19  et  suiv.  ;   25,  30  ;   34,   39  ;  40,  47 

3)  Ibid.,  IIF,  1  et  suiv.  ;  10,  1 1  et  et  suiv.  ;  45,  54  et  suiv.  ;  49, ô9  et  suiv. 
suiv.;  16,  19  et  suiv.  ;  25,  30  ;  40,  48.  7)  Ibid.,   III,  17,  20. 


3S  LITTÉII  VTUIÎE    DONAÏISTE 

ddicule  la  dialectique  de  l'école  et  les  disciples  de  la  Nouvelle 
Académie. 

Suivant  Petiliauus,  la  dialectique  d'Augiistia  était  celle  des 
philosophes  de  l'Académie.  Or  ces  philosophes  excellaient  à  nier 
l'évidence  en  déformant  la  vérité.  Pour  eux,  dit-il,  «  la  neige  est 
noire,  quoique  hlanche;  l'argent  est  noir;  une  tour  est  ronde 
à  l'œil  ou  arrondie,  Lien  qu'elle  soit  à  angles  ;  une  rame  dans 
l'eau  est  brisée,  bien  qu'intacte  '  ».  Après  avoir  ridiculisé  les 
maîtres,  le  polémiste  se  tourne  vers  le  disciple,  et  lui  décoche 
ce  trait  :  «  Tu  as  le  génie  damné  du  Carnéade  de  l'Académie 2.  » 
L'évéque  de  Gonstantine  retardait,  évidemment.  L'observation 
-aurait  pu  être  vraie,  du  moins  dans  une  certaine  mesure,  quinze 
ans  plus  tôt,  au  temps  où  le  futur  évêque  d'Ilippone  cherchait 
-sa  voie  ;  mais  il  y  avait  quatorze  ans  qu'Augustin  tournait  le 
-dos  à  Carnéade. 

Petilianus  comparait  également  son  adversaire  aux  sophistes, 
-à  «  Pilus  et  Furius,  qui  défendaient  l'injustice  contre  la  jus- 
tice »,  à  «  l'athée  Diagoras,  qui  niait  l'existence  de  Dieu,  un 
homme  à  qui  semble  s'appliquer  la  prédiction  du  prophète  : 
«  Le  sot  a  dit  dans  son  cœur  :  Il  n'y  a  pas  de  Dieu'^  »  Augus- 
tin était  compai'é  encore  à  ce  Tertullus  qui  accusa  l'apôtre  Paul 
•dans  la  ville  de  Gésarée,  en  Palestine*.  Comme  l'orgueil  ne 
perd  jamais  ses  droits,  Petilianus  saisissait  l'occasion  de  rap- 
peler que  lui-même  avait  été  un  avocat  célèbre  ;  et,  jouant  sur 
le  double  sens  du  mot  Paracletos  qui  en  grec  désignait  égale- 
ment l'Esprit  et  le  métier  d'avocat,  il  se  félicitait  lourdement  de 
cette  parenté  d'honneur  avec  TEsprit-Saint  ■'. 

Persuadé  que,  parées  injurieuses  com})araisons,  il  avait  com- 
plètement déconsidéré  son  contradicteur,  l'évéque  schismatique 
écartait  dédaigneusement,  comme  de  simples  sophismes,  les 
objections  les  mieux  motivées.  Dès  le  début  de  la  controverse, 
il  était  si  sûr  de  vaincre,  qu'il  célébrait  à  l'avance  sa  victoire  : 
«  Tu  cherches  à  glisser  enti-e  mes  mains,  s'écriait-il;  mais  je 
te  tiens.  Tu  ne  détruis  pas  mon  argumentation,  tu  ne  prouves 
pas  tes  objections,  tu  prends  l'incertain  pour  le  certain;  tu  ne 
permets  pas  aux  lecteurs  de  croire  la  vérité,  mais  tu  les  amènes 
de  loin  à  conjecturer  le  douteux*^.  »  C'était  triompher  un   peu 

1)  Aiigiisliii,    Conlra  lilleraA   Pctiliaiti.  5)  «    Sibi  propter  advocalionem,    iii 
Jll,  21,  24.  (|ij:i    pntciilinin   quoiidnin    siiain  jactat, 

2)  «  Me   Acadcmifi    (laiiiiialiilc    iii^e-  l'ai'acleli  imiiicti  iiiipuiial,  at(niu  ob  hoc 
ninm  lial)erc('arn('adis  >)(i/j/(/..  Il  1,21,24).  so    cogiioiiiiiialom    Spiritus   saiirli  non 

S)  Ibid.,  III,  2I,2">.  osse    seil     fuisse   dclirct    »    (Anyiistiii, 

4)  Ibid.,    m,    1<),    il».  Cr.    Ad.  aposl.,       <:onlra  lilUras  Pclilmni,  III,  16,  19). 
24,  1.  C.)  //,/,/..   m,  21.  24. 


PETILIANUS    DK    CONSTANTIXK  39 

vite.  Prétention  amusante  chez  un  homme  qui  prenait  volon- 
tiers ses  affirmations  pour  des  vérités  d'Evangik',  et  qui  d'ail- 
leurs s'y  connaissait  en  sophismes. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  méthode  générale  d'argumentation, 
que  Petilianus  critiquait  chez  son  adversaire  ;  c'était  aussi  le 
détail.  Par  exemple,  il  relevait  ironiquement  certains  tours  de 
phrase  qu'Augustin  avait  employés  dans  sa  discussion  sur  la 
théorie  donatiste  du  baptême.  Il  lui  disait,  entre  autres  : 
«  Qu'est-ce  que  ton  quid  si?  Qu'est-ce  que  ton  Fortdssis? 
C'est  un  aveu  d'indécision  et  d'embarras.  C'est  l'hésitation  d'un 
homme  qui  doute.  C'est  l'hésitation  dont  parle  ton  poète  dans 
ce  vers  :  «  Et  si  je  reviens  à  ceux  qui  disent  :  Et  si  le  ciel 
maintenant  s'écroulait  '  ?  »  A  ces  chicanes,  on  reconnaît  l'ancien 
avocat,  devenu  le  champion  d'une  mauvaise  cause. 

Chose  plus  grave,  Petilianus  accusait  brutalement  Augustin 
de  mauvaise  foi.  Il  lui  reprochait  durement  d'avoir  à  dessein 
supprimé  deux  mots,  les  mots  sancte  et  sciens,  dans  le  texte 
d'une  formule  discutée  par  lui.,  et  d'en  avoir  par  là  faussé  le 
sens  2.  L'évéque  schismatique  avait  résumé  ainsi  sa  théorie  du 
baptême  :  «  On  doit  considérer  la  conscience  de  celui  qui  donne 
le  baptême,  qui  doit  le  donner  saintement  {sancte)  pour  purifier 
celui  qui  le  reçoit.  En  effet,  celui  qui  sciemment  (sciejis)  reçoit 
la  foi  d'un  perfide,  reçoit  de  lui,  non  la  foi,  mais  lepéché-^.  »  Dans 
l'exemplaire  qu'Augustin  avait  eu  sous  les  yeux,  manquaient 
les  mots  sancte  (saintement)  et  sciens  (sciemment)  ^.  Or  Peti- 
lianus tenait  beaucoup  à  ces  deux  mots,  qui,  suivant  lui,  modi- 
fiaient complètement  sa  théorie.  D'où  sa  colère  contre  Augustin, 
qu'il  accusait  d'avoir  volontairement  omis  les  deux  mots,  et 
qu'il  traitait  de  faussaire,  de  voleur'.  Il  prétendait  que  les  deux 
mots  supprimés  répondaient  d'avance,  victorieusement,  à  toutes 
les  objections,  et  que  par  suite  la  mauvaise  foi  de  l'évéque  catho- 
lique tournait  à  sa  confusion  :  «  Tu  as  beau  railler,  lui  disait- 
il,  je  t'amène  de  force  à  notre  foi,  et  t'empêche  de  t'égarer  da- 
vantage. Pourquoi,  par  des  arguments  de  folie,  compromettre  la 
vie  dans  l'erreur?  Pourquoi,  par  la  déraison,  troubler  la  raison  de 
la  foi?  Par  ce  seul  mot,  je  te  tiens  et  te  confonds^.  »  Petilianus 
découvrait  même  un  intérêt  personnel  dans  cette  perfide  omission 
duprétendu  faussaire.  II  disait  nettement  à  Augustin  :  «  Tuas 

1)  Augustin,  Conlra  liUevus'Peliliani,  4)   AiigListiii,  Conira  Ulleras  Petiliani, 
111,21,  25.                                                               111,  22,  26. 

2)  Ibid.,  111,  8,  9;  20.  23.  ô)  Ihid.,  111,   1.5,  18  ;    17,   20  ;  20,  23; 

3)  Petilianus,  EpisluLa  ad  presbyteros       40,  47. 

et  diaconos,2.  0)  Jbid.,  111,  22,  26. 


40  LITTÉRATURE    DONATISTE 

soustrait  ces  deux  mots,  dans  ton  argumentation,  pour  tranquil- 
liser ta  conscience  ;  car  tu  ignorais  l'état  sacrilège  de  la  con- 
science de  celui  qui  t'a  souillé  par  un  prétendu  baptême  '.  »  L'ac- 
cusateur jouait  ici  de  malheur  :  lui-même  ignorait,  évidemment, 
qu'Augustin  avait  reçu  le  baptême  à  Milan  des  mains  de  saint 
Ambroise'-. 

Après  cette  longue  et  vive  critique  de  la  méthode  d'Augustin, 
Petilianus  arrivait  à  la  question  du  baptême,  centre  de  la  contro- 
verse. Il  s'efforçait  de  répondre  aux  objections  de  son  contra- 
dicteur, et  cherchait  à  justifier  la  thèse  donatiste  en  alléguant 
et  commentant  divers  textes  de  l'Ecriture  ^ 

Tout  le  débat,  on  s'en  souvient,  portait  sur  le  point  de  savoir 
si  l'efficacité  du  sacrement  dépendait  des  mérites  du  «  bapti- 
seur  »,  de  la  personne  qui  conférait  le  baptême.  Pour  montrer  les 
inconvénients  et  l'absurdité  de  la  théorie  donatiste,  Augustin 
avait  invoqué  le  cas  où  le  baptiseur  serait  un  scélérat,  ({ue  le 
futur  baptisé  croirait  honnête  homme  ^.  Quand  on  leur  faisait 
une  objection  embarrassante,  les  schismatiques  avaient  coutume 
d'y  répondre  en  l'écartant  avec  dédain,  sauf  à  se  fâcher  contre 
l'importun  contradicteur.  Fidèle  sur  ce  point  aux  traditions  de 
la  secte,  Petilianus  le  prenait  de  haut  avec  son  adversaire.  Il  dé- 
clarait que  les  suppositions  d'Augustin  relevaient  de  la  fantaisie, 
et  prétendait  le  ramener  à  la  réalité  :  «  Revenons,  lui  disait-il, 
revenons  à  cet  argument  de  ta  fantaisie,  où  tu  as  cru  peindre 
par  des  mots  celui  ([ue  tu  baptises.  II  t'appartenait,  en  effet, 
d'imaginer  le  vraisemblable,  puisque  tu  ne  vois  pas  la  vérité. 
«  Voilà,  dis-tu,  devant  toi,  le  perfide  prêt  à  baptiser  ;  mais  celui 
qu'on  va  baptiser  ignore  sa  perfidie.  »  Mais  quel  est-il,  et  d'oii 
sort-il,  cet  intrus  que  tu  nous  amènes.^  Pourquoi  donc  crois-tu 
voir  celui  que  tu  imagines,  pour  ne  pas  voir  celui  que  tu 
devrais  voir  et  examiner  avec  soin  et  mettre  à  l'épreuve  ?  Mais 
je  m'aperçois  que  tu  ignores  l'ordre  du  sacrement,  et  je  te  le 
déclare  d'un  mot  :  Toi  aussi,  tu  aurais  dû  examiner  le  baptiseur 
et  être  examiné  par  lui"'.  »  Encore  un  coup  droit,  (jui  d'ailleurs, 
nous  l'avons  vu,  portait  à  faux. 

Gepcmdant,  le  Donatiste  consentait  à  discuter,  ou  en  avait 
l'air.  Il  citait  une  série  de  textes  bibliques,  d'où  il  prétendait 
conclure  à   la  nécessité  d'une  enquête  sur  le  baptiseur  comme 


1)  AiigiisUn,  Contra  Utleras  Peliliani,  21»,    34;    33,  38  et  suiv.  ;   Id,  47  ;  4"),  04 
III,  24,  2S.  elsuiv.  ;  4'J,  'AI  et  siii\. 

2)  Confess.,  IX,  G.  4)  Ibid.,  I,  2,  3. 

31  Conlra  lilleras  Petiliani,  III,  27,  32;  h)  Ihid.,  III,  27,  32. 


PEriLIAiNUS    DE    GONSTANTINE  41 

sur  le  baptisé  ;  puis  il  s'écriait  avec  emphase  :  «  Alors  que  les 
Prophètes  et  l'Apôtre  procédaient  avec  tant  de  circonspection, 
tu  as  l'impudence,  toi,  de  soutenir  que,  pour  les  vrais  croyants, 
est  saint  le  baptême  du  pécheur'.  »  Pour  écarter  la  véritable 
question,  il  insistait  avec  complaisance  sur  un  fait  trop  évident: 
«  Ce  n'est  pas,  disait-il,  le  Christ  qui  baptise  ;  mais  l'on  baptise 
en  son  nom,  et,  en  même  temps,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit"'  ».  Puis  il  affirmait,  ce  qui  n'était  pas  très  clair, 
que  «  le  Christ  tient  le  milieu  dans  la  Trinité,  médium  Trini- 
tatis'^  ».  11  s'efforçait  surtout  de  prouver  que  sa  doctrine  du 
baptême  était  conforme  à  celle  de  saint  Paul,  et  que  les  Dona- 
tistes,  dans  ce  sacrement,  considéraient  leurs  évéques  comme 
de  simples  ministres  du  Christ:  «  L'Apôtre  a  dit:  c  Moi,  j'ai 
«  planté  ;  Apollo  a  arrosé  ;  mais  c'est  Dieu  qui  a  fait  croître  ^.  » 
Est-ce  que  cela  ne  signifie  pas:  «  Moi,  au  nom  du  Christ,  j'ai 
«  fait  de  l'homme  un  catéchumène;  Apollo  l'a  baptisé  ;  Dieu  a 
«  confirmé  ce  que  nous  avons  fait?  »...  Revenons  sur  les  mots 
de  l'Apôtre  que  tu  nous  as  opposés.  Il  a  dit:  «  Qu'est-ce 
«  qu'ApoUo  ?  qu'est-ce  que  Paul  ?  Les  ministres  de  celui  en  qui 
«  vous  avez  cru^.  »  N'est-ce  pas  nous  dire  à  nous  tous,  par 
exemple  :  «  Qu'est-ce  que  Donat  de  Carthage,  et  Januarius,  et 
Petilianus,  sinon  les  ministres  de  celui  en  qui  vous  avez.cru'J?  » 
—  Evidemment;  mais  ce  n'était  pas  la  question. 

Faute  d'arguments  décisifs,  l'évêque  schismatique  injuriait 
son  adversaire.  Par  exemple,  dans  un  passage  où  il  prétendait 
réfuter  l'interprétation  qu'avait  donnée  Augustin  d'un  célèbre 
verset  de  saint  Paul',  et  la  conclusion  qu'en  avait  tirée  l'évêque 
d'Hippone  :  «  Si  ceux-là  s'égaraient  et  s'exposaient  à  périr,  qui 
voulaient  être  du  parti  de  Paul,  quelle  peut  être  l'espérance  de 
ceux  qui  ont  voulu  être  du  parti  de  Donat  '^  ?  »  A  cela,  Petilia- 
nus répondait  grossièrement:  «  Ton  observation  est  futile,  pré- 
tentieuse, puérile  et  sotte,  en  opposition  complète  avec  la  raison 
de  notre  foi.  Ta  remarque  serait  juste,  si  nous  disions:  «  Nous 
«avons  été  baptisés  au  nom  de  Donat  »  ;  ou  bien  :  «  Donat  a  été 
«  crucifié  pour  nous  »  ;  ou  bien  :  «  Nous  avons  été  baptisés  en  notre 
«  nom.  »  Mais  -rien  de  tout  cela  n'a  été  dit  ou  n'est  dit  par  nous, 
parce  que  nous  suivons  la  loi  de  la  divine  Trinité  :  et  toi,  qui 


1)  Contra  litteras  Petilinni,  IH,  35,  41.  5)  Paul,  T  Corinth,  3,  4-5. 

2)  Ibld.,  m,  40,  48.  6)  Aiiguslin,  Contra  litteras  Petiliani, 
3)«  De  qua  ipsaTriiiLtatedixitvelquod  III,  53,  65;  54,  60. 

voliiit   vel  quod   puliiit,    Ghristum   esse  7)  Paul,  I  Corinth.,  1,  13. 

médium  Triiiitatis  »  {ibid.,  III,  40,  48).  8}  Augustin,  Contra  litteras   Petiliani, 

4)  Paul,  I  Corinth.,  3,  6.  I,  4,  5. 


42  LITTÉRATURE    DONATISTE 

nous  adresses  ce  genre  de  reproches,  tu  es  assurément  fou.  Ou 
bien,  si  tu  penses  réellement  que  nous  avons  été  Jiaptisés  au 
nom  de  Donat  ou  en  notre  nom,  tu  te  trompes  incuraJDlement  ; 
et  tu  avoues  en  même  temps  que  vous  commettez  un  sacrilège 
en  vous  souillant,  vous  misérables,  au  nom  de  Ca;cilianus  '.  » 
Ailleurs,  le  Donatiste  interpellait  Augustin  avec  des  airs  de 
défi  :  «  Où  est  maintenant,  lui  criait-il,  où  est  cette  voix  flam- 
boyante, qui  crépitait  sans  trêve  en  menues  questions,  quand  tu 
lançais  tes  oracles  sur  le  Christ,  pour  le  Christ,  au  nom  du 
Christ,  en  t'élevant  avec  une  odieuse  emphase  contre  la  témé- 
rité et  la  superbe  des  hommes  ?  Eh  bien!  oui,  le  Christ  est  l'ori- 
gine du  chrétien,  le  Christ  est  sa  tête,  le  Christ  est  sa  racine'-.  » 
C'était  se  démener  beaucoup,  pour  crier  trop  haut  ce  que  per- 
sonne ne  contestait,  et  ce  qui,  d'ailleurs,  semblait  contredire  la 
thèse  donatiste. 

Injures  à  part,  Petilianus  montrait  dans  cette  discussion  une 
habileté  incontestable  :  mais  plus  d'habileté  que  de  scrupule. 
Ingénieusement,  il  tirait  à  lui  les  textes,  pour  contraindre  l'Ecri- 
ture à  justifier  ses  idées.  Il  employait  pour  cela  tous  les  moyens. 
Quoiqu'il  traitât  son  adversaire  de  sophiste,  lui-même  ne  recu- 
lait pas,  à  l'occasion,  devant  un  sophisme.  Il  trahissait  souvent, 
dans  son  argumentation,  sinon  de  la  mauvaise  foi,  du  moins 
un  parti  pris  évident  de  sectaire.  Il  morcelait  trop  adroitement 
une  citation,  l'arrêtant  juste  au  moment  où  elle  serait  devenue 
inquiétante'''.  Volontaii"ement  ou  non,  il  prêtait  à  son  contradic- 
teur de  singulières  allégations.  C'est  ainsi  qu'il  feignait  de 
prendre  â  la  lettre  tels_passages  oii  Augustin  avait  ironique- 
ment poussé  jusqu'à  ses  consé(|uences  extrêmes,  pour  en  mieux 
signaler  le  danger,  la  théorie  <lonatiste  '*.  Naturellement,  Peti- 
lianus n'avait  pas  de  peine  à  montrer  l'absurdité  de  ces  supposi- 
tions, qui  en  réalité  condamnaient  seulement  son  pi-opre  sys- 
tème :  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de  triompher  bruyamment,  non 
sans  imprudence. 

Ces  controverses  sur  le  baptême  ne  comj)ortaient  pas  seule- 
ment des  discussions  théori([ues.  Des  ([uestions  de  fait  s'y 
mêlaient  nécessairement,  puiscpie  le  prétexte  du  schisme  avait 
été  la  prétendue  indignité  des  Catholiques,  et  (pu*  cette  même 
indignité  était  la  i-aison  alléguée  par  les  schismatlcpics  pour 
contester  l^dïicacité  des  sacrennints  conférés  par  llCglise  offi- 

1)  Augustin,  Coiitni  lillera^  Peliliani,        5H,  (i.")  ;  T>i,  G(>. 

m,  r,l,  (J3.  4)   Ibul.,  m,  21,  24  ol  suiv.  -,  22,  26; 

2)  Jhiil.,  III,. "2,  C4.  S1,:^G;  34,  4U  ;    40,    48;   45,-54;    4(>, 
3    Ibid  ,   III,  24,   28  ;    27,  32  ;  4:.,  54  ;        55. 


PETILIANUS   DE    CONSTANTINE  43. 

cielle.  Sur  ces  questions  de  fait,  les  Donatistes  ne  pouvaient  ni 
n'osaient  se  dérober  complètement  ;  mais,  visiblement,  ils  se- 
sentaient  là  sur  un  terrain  peu  solide.  Faute  de  preuves  cer- 
taines et  de  documents,  ils  répétaient  à  satiété  les  vagues  accu- 
sations d'autrefois,  qu'ils  assaisonnaientseulement  de  calomnies- 
récentes  et  d'injures.  C'est  bien  l'impression  que  laisse,  d'après- 
les  fragments,  cette  partie  du  pamphlet  de  Petilianus'. 

L'indignité  des  Catholiques  était,  dans  l'Eglise  dissidente r 
un  article  de  foi;  on  y  croyait  si  ferme,  que  personne  ne  son- 
geait à  demander  les  preuves.  Là-dessus,  l'évêque  de  Cons- 
tantine  n'était  pas  plus  exigeant  pour  lui-même  que  le  dernier 
de  ses  fidèles.  Il  se  contentait  ici  de  rééditer  les  racontars  tra- 
ditionnels sur  les  trahisons  jamais  prouvées  du  temps  de  Dio- 
clétien.  Il  unissait  dans  ses  anathèmes  les  prétendus  traditeurs- 
et  les  persécuteurs  de  son  Eglise,  «  Mensurius,  Cîtcilianus,. 
Macarius,  Taurinus,  Romanus  »,  qu'il  accusait  également 
«  d'avoir  combattu  l'Eglise  de  Dieu  '  ».  11  fulminait  à  tout  pro- 
pos contre  les  traîtres,  qu'il  accablait  sous  le  poids  des  malé- 
dictions bibliques.  Mais,  sur  la  question  de  fait,  il  était  infini- 
ment plus  discret:  d'une  discrétion  qui  allait  jusqu'au  mutisme. 
Il  n'alléguait  aucun  fait  précis  et  certain,  aucun  document  d'ar- 
chives, qui  prouvât  la  culpabilité  des  prétendus  traditeurs.  Il  ne 
soufflait  mot  des  pièces  qu'Augustin  lui  avait  antérieurement 
opposées,  et  qui  démontraient  nettement  la  traditio  de  Sil va- 
nus,  prédécesseur  de  Petilianus  à  Constantine,  et  l'un  des  pre- 
miers chefs  de  l'Eglise  schismatique'^  Cette  méconnaissance 
des  faits  réels,  au  milieu  de  leurs  orgies  d'anathèmes,  ce  fut 
toujours  le  point  faible  de  la  controverse  des  Donatistes. 

Ils  n'en  étaient  que  plus  à  l'aise  pour  maudire.  Ici,  Petilianus 
comparait  l'Église  officielle  au  traître  Judas,  qui  avait  livré  le 
Christ^.  Pour  lui,  les  soi-disant  Catholiques,  dont  le  baptême 
était  nul,  étaient  de  véritables  païens.  Il  déclarait  hautement 
que  «  par  la  souillure  du  baptême  des  traditeurs,  le  baptême  du 
Christ  avait  disparu  dans  le  monde"'  »:  sauf,  naturellement,, 
dans  le  monde  donatiste. 

A  en  croire  l'évêque  de  Constantine,  si  Augustin  niait  l'indi- 
gnité des  Catholiques,  c'est  qu'il  ignorait  ou  feignait  d'ignorer 
les  méfaits  des  traditeurs.  Pour  mieux  mettre  en  relief  cette 
aimable  supposition,   Petilianus  imaginait  un    dialogue    entre 

1)  Augustin,  Contra  lUterus  PelUianu  3)  Augxistin,  Contra  littera.'^  Petiliani, 
\\\,  25,  29  ;  26,  31  ;  35,  41  ;  40,  4G  ;  57,  IH,  57,  69  ;  .58,  70-71.  —  Cf.  [,  21,  23. 
69  et  suiv.  4)  ibid.,  111,35,  41. 

2)  Ibid.,  III,  25,  29.  ô)lbid.,  111,  40,  46. 


44  LITTÉRATURE    DONATISTE 

lui-même  et  son  adversaire.  A  chaque  objection  du  Donatiste, 
Augustin  répondait  piteusement  par  un  «  Je  l'ignorais,  te  dis- 
je  —  Ignoravi,  iiiqaam  ».  Chaijue  fois,  Petilianus  reprenait 
sur  une  note  plus  haute,  et  lançait  une  objection  nouvelle,  pré- 
cédée de  cette  immuable  formule:  «  Mais,  si  tu  l'ignorais.  — 
Sed^  si  ignorares...  y>  Puis,  convaincu  qu'il  avait  pleinement 
déconcerté  son  adversaire  par  ce  jeu  de  refrains  et  d'objections, 
il  l'achevait,  ou  croyait  l'achever,  par  ce  coup  droit:  «  Tout 
cela,  tu  n'as  pu  l'ignorer,  puis({ue  tu  es  Africain,  et,  par  l'âge, 
déjà  presque  un  vieillard'.  »  Ici  encore,  Petilianus  exagérait: 
l'illustre  «  vieillard  »  d'tiippone,  évoque  depuis  cinq  ans  seule- 
ment, avait  alors  quarante-six  ans. 

Cette  indignité  fondamentale  des  Catholiques,  suivant  le 
Donatiste,  avait  pour  effet  naturel,  dans  leurs  communautés, 
un  affaissement  de  la  discipline,  même  du  sens  moral.  L'Eglise 
officielle  affichait  une  indulgence  coupable  pour  les  pires  de 
ses  fidèles,  même  pour  ses  évêques  indignes.  Petilianus  allé- 
guait le  cas  d'un  certain  Quodvultdeus,  un  ancien  évêque  dona- 
tiste, qui  avait  été  exclu  par  son  parti,  et  qui  était  devenu 
évêque  catholique  :  «  Quodvultdeus,  convaincu  de  deux  adultères 
et  exclu  par  nous,  n'en  a  pas  moins  été  reçu  par  vous-.  »  Puis, 
c'était  l'histoire  d'un  évêque  catholi(|uc,  qui,  chassé  pour  ses 
mauvaises  mœurs,  avait  ensuite  repris  ses  fonctions  sacerdo- 
tales: «  Exclu  par  vous  pour  crime  de  sodomie,  et  remplacé  par 
un  autre,  il  a  été  réintégré  dans  votre  collège'^  »  Soit  deux 
mauvais  bergers  dans  cette  Eglise  d'Afi'i([ue  qui  comptait  alors 
quatre  cents  évêchés.  De  ces  deux  faits,  le  Donatiste  croyait 
pouvoir  conclure  à  un  relâchement  général  de  la  discipline  dans 
l'Eglise  catholique.  Il  disait  brutalement  à  Augustin  :  «  Per- 
sonne, chez  vous,  n'est  innocent  ;  car  vous  ne  condamnez  aucun 
coupable \  »  Conclusion  logi([ue,  d'ailleurs,  pour  un  sectaire 
(|ui  croyait  à  la  contamination  d'une  Eglise  entière  par  la  tolé- 
rance accordée  au  péché  d'un  seul  de  ses  membres. 

Restait  une  autre  catégorie  de  faits  :  ceux  qu'Augufetin  avait 
empruntés  à  l'histoire  contemporaine  du  Donatisme,  pour  y 
marquer  la  contradiction  entre  la  théorie  et  la  réalité,  entre  les 
})rincipes  intransigeants  des  sectaires  et  les  accommodements 
de  leur  politique.  C'était,  d'abord,  le  cas  d'Optatus,  révê([ue  de 
Thamugadi,    ce  brigand  miti'é  ((ui  venait  de   mourir  en  prison 


1)  Aiigwsliii,  Contra  liileras   PeliUani,  3)  Augustin,  Conlra  Ulteras   PetUiani, 

m,  2:^,  2!);  2«,  :^i.  m,  :^7,  4:^. 

2)  Ibid.,  IIF,  32,  37.  4)  Jbid.,  III,  37,  43  ;  ;^8,  44. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  45 

après  avoir  terrorisé  lo  pays,  et  qui  pourtant  n'avait  été  ni  con- 
damné ni  désavoué  par  son  Eglise.  L'objection  était  embarras- 
sante, étant  donné  les  théories  donatistes  sur  la  contagion  fatale 
du  péché.  Aussi  Petilianus  esquivait-il  cette  question  délicate. 
Il  répondait,  en  termes  évasifs,  que  «  ni  lui  ni  les  siens 
n'avaient  pu  juger  Optatus  '  ».  Il  profitait  même  de  l'occasion 
pour  accuser  l'évéque  d'Hippone  de  se  prononcer  à  la  légère. 
Encore  plus  gênante  était  l'objection  tirée  de  l'indulgence  des 
Primianistes  pour  les  Maximianistes  ralliés,  dont  le  baptême, 
par  politique,  avait  été  déclaré  valable.  Quand  il  touchait  à  ce 
scandale  tout  récent,  Petilianus  trahissait  un  cruel  embarras. 
II  cherchait  à  déplacer  la  question,  à  retourner  l'argument 
contre  ses  adversaires,  en  dénaturant  d'ailleurs  la  pensée  et  les 
expressions  d'xVugustin  :  «  Tu  soutiens  avec  obstination,  lui 
disait-il,  que  le  baptême  des  pécheurs  doit  vous  être  utile,  puis- 
([ue  nous-mêmes,  dis-tu,  nous  tenons  pour  valable  le  baptême 
de  coupables  justement  condamnés  par  nous-.  »  Puis,  le  Dona- 
tiste  annonçait  qu'il  traiterait  la  question  dans  un  autre  ouAa^age  ; 
et,  en  attendant,  il  refusait  aux  Catholiques  le  droit  de  la  poser  : 
«  Je  démontrerai,  dans  un  second  livre,  quelle  différence  il  y  a 
entre  les  nôtres  et  vos  prétendus  innocents.  En  attendant, com- 
mencez par  vous  affranchir  des  crimes,  que  vous  connaissez 
bien,  de  vos  collègues  ;  et  vous  pourrez  ensuite  nous  demander 
des  comptes  au  sujet  de  ceux  (|ue  nous  rejetons'^.  »  Visible- 
ment, l'évéque  de  Gonstantine  aimait  mieux  discuter  sur  des 
textes  bibliques  que  sur  l'histoire  récente  de  son  Eglise. 

De  l'histoire  contemporaine,  il  reteruiit  surtout  l'histoire 
d'Augustin  :  non  pas  l'histoire  vraie  du  grand  évêque  d'Hippone, 
sa  vie  au  grand  jour  sous  les  yeux  de  toute  l'Afrique,  mais  une 
prétendue  histoire  secrète,  étrange,  anecdotique  et  scandaleuse, 
où  la  malveillance  mêlait  à  d'absurdes  racontars  une  interpréta- 
tion tendancieuse  de  quelques  faits  exacts.  Les  attaques  person- 
nelles contre  Augustin  tenaient  une  place  considérable  dans  le 
pamphlet  de  Petilianus.  C'était  la  partie  la  plus  violente  de 
l'ouvrage;  c'est  aussi,  pour  nous,  la  plus  curieuse  et  la  plus 
vivante. 

A  vrai  dire,  l'attaque  personnelle  était  partout  dans  le  pam- 
phlet. Nous  l'avons  vue  se  dessiner,  dès  le  début,  dans  la  cri- 
tique des  méthodes  de  discussion^.  Peu  à  peu,  elle  changeait  de 

1)  Augnsliii,    Conlra  Ulleras  Petiltain,  criminibiis  quae  nostis  eripite,  et  sic  do 
III,  40,  48.  iis  quos  abjicimus  exquiritc  rationem» 

2)  Ilnd.,  III,  H6,  42.  [ibid.,  III,  3(5,  42). 

3)  ((  Vos  prias  acollegarum  vestroruiu  4)  Ibid.,  111,  Ki,  19  ;  21,  24  et  suiv. 

VI  4 


46  LITTÉRATURE    DONATISTE 

caractère.  Elle  visait,  non  plus  le  dialecticien,  mais  la  personne, 
l'évêque  et  l'homme.  A  tout  propos,  l'invective  intervenait  dans 
l'argumentation,  ou  même  la  remplaçait.  Petilianus  attaquait 
Augustin  dans  sa  vie  privée,  dans  ses  mœurs,  dans  sa  carrière 
ecclésiastique,  dans  sa  doctrine,  dans  sa  dignité  d'homme,  de 
prêtre,  de  docteur i.  Cette  partie  du  pamphlet  n'est  malheureu- 
sement pas  celle  qui  s'est  le  mieux  conservée.  Par  dédain  ou 
par  humilité  chrétienne,  l'évêque  d'Hippone,  comme  il  nous  le 
dit  lui-même-,  n'a  pas  voulu  se  défendre  sur  tous  les  points. 
Par  suite,  il  n'a  pas  enregistré  en  détail  toutes  les  accusations 
ou  insinuations  de  son  adversaire.  Mais  nous  en  savons  assez 
pour  deviner  le  reste.  Et  ce  que  nous  savons  de  cette  chronique 
scandaleuse  ne  manque  ni  d'imprévu  ni  de  piquant.  D'ailleurs, 
tous  ces  racontars  sur  l'évêque  d'Hippone  trahissent,  chez  son 
collègue  schismatique  de  Constantine,  une  malveilhince  ou  une 
crédulité  sans  bornes. 

Le  polémi<5te  incriminait  d'abord  la  vie  d'Augustin  avant  sa 
conversion.  Pour  cela,  il  avait  la  partie  belle  :  il  n'avait  qu'à 
ouvrir  les  Confessions  \  Il  y  recueillait  perfidement,  pour  les 
exploiter  sans  vergogne,  les  aveux  de  son  adversaire.  Il  affec- 
tait de  voir  en  lui  un  homme  de  plaisir,  un  vulgaire  débauché, 
sans  retenue  ni  scrupule,  qui  par  sa  conduite  avait  scandalisé 
Garthage,  et  qui,  plus  tard,  devenu  évêque,  avait  poussé  le 
cynisme  jusqu'à  raconter,  dans  un  livre  d'apparence  dévote,  ses 
misérables  aventures  galantes,  même  ses  rendez-vous  dans  les 
églises^.  Mais  Petilianus  ne  s'en  tenait  pas  aux  récits  des 
Confessions.  Prenant  à  la  lettre  de  stupides  racontars,  tirés  on 
ne  sait  d'où,  il  prétendait  qu'à  la  débauciie  Augustin  avait  mêlé 
le  crime.  Il  l'accusait  notamment  d'avoir  usé  de  sortilèges, 
d'avoir  fait  prendre  à  une  femme,  avec  la  complicité  du  mari, 
des  philtres  amoureux,  cunalovid  nialeficia,  qui  avaient  cause 
la  mort  de  la  malheureuse''.  En  conséquence,  il  le  traitait  d'em- 
poisonneur et  de  sorcier.  Il  le  comparait  aux  magiciens  Simon 
et  Barjesu*"*. 

Il  arrivait  ensuite  à  la  vie  d'Augustin  depuis  son  boptême.  Il 
ne  ménageait  pas  davantage  le  prêtre  d'Hippone,  le  grand 
évêque  qu'honorait  toute  l'Eglise  d'Afrique.  Par  evenqjlo,  il  le 
taxait  audacicusement  de  sacrilège  :  comme  preuve,  il  citait  des 


s 


V)  Aufïusliii,  (Montra   litlcrus  Pcliliuni,  4)   AiiKusliii,  Coiilrtt  lilteras  Petilioni, 

III,    1    et  suiv.  ;    10,   11    et   suiv.  ;    16,  III,  10,  11;  16,  19  ;  17,  20. 

19  it  suiv.  ;  2.'),  30  ;   40,    48  ;  5»,  71.  5)  Ihid.,  III,  If.,   19^ 

2)  Ihid.,  III,  1  <-l  suiv.  6)  Ibid.,  III.  40.  48. 

•i)  Ibid.,   III,    17,  20. 


PETILIVNUS    DE    CONSÏANTINE  47 

lettres,  plus  ou  moins  interpolées,  où  Augustin  parlait  sur  un 
ton  plaisant  du  pain  béni,  ealogiae  panisK  11  reprochait  en- 
core, et  très  amèrement,  à  son  adversaire,  d'avoir  introduit  en 
Afrique  l'institution  monastique,  cette  forme  nouvelle  de  l'ascé- 
tisme, qui  avait  été  accueillie  avec  enthousiasme  par  les  Catho- 
liques de  la  contrée,  et  que  repoussèrent  toujours  les  Donatistes, 
systématiquement  hostiles  à  toutes  les  innovations.  A  ce  propos, 
il  déblatérait  contre  les  monastères  et  les  moines'^  :  c'était  en- 
core un  moj'en  d'accabler  leur  promoteur  et  patron. 

Pour  l'achever,  Petilianus   décochait  son  injure  suprême  :  il 
déclarait  le  tenir  pour  un  simple  Manichéen,  un  Manichéen  hon- 
teux. Ici  encore,  il  n'avait  qu'à  ouvrir  les  Confessions,  pour  y 
recueillir  en  maint  chapiti'e  les  aveux  formels  et  très  explicites 
du  coupable,  (]ui  reconnaissait  avoir  appartenu  neuf  ans   à  la 
religion  de  Manès  ^  Mais  ce  n'était  pas  tout.  A  en  croire  le  Do- 
natiste,  Augustin  n'avait  jamais  abandonné  la  secte.  11  avait  eu 
beau  devenir  prêtre,  puis  évèque  dans  l'Eglise  catholique  :  il 
était  resté    ^lanichéen,  il  l'était  encore '\  L'accusation,  qui   à 
première  vue  peut  surprendre,  n'avait  rien  d'absolument  invrai- 
semblable en  ces  temps-là  ;  nous  savons  en  effet,  par  bien  des 
témoignages,    que  tel  était  le   cas  de  certains  clercs  africains, 
catholiques  en  apparence,  autorisés  par  l'organisation   secrète 
de  la  secte  à  jouer  ce  rôle  en  partie  double.  Aussi  ce  genre  d'ac- 
cusation était-il  très  perfide  :  quand  on  était  incriminé  de  Ma- 
nichéisme, on  arrivait  difficilement  à  se  justifier  aux  yeux  dt' 
tous,  ou,  du  moins,  un  doute  pouvait  subsister.  Petilianus  le 
savait  bien.    Pour  cette  partie   du   pamphlet,  il  s'était  mis  eu 
frais  d'informations,  et  de  précisions  apparentes.  Sur  le  «  Mani- 
chéisme »  ancien  et  actuel,  avoué  ou  secret,  de  l'évêque  d'Hip- 
pone,  il  avait  mené  toute  une  enquête.  11  avait  ensuite  construit 
là-dessus  un   édifice    de  calomnies,   dont  les    Confessions  lui 
avaient  fourni  naturellement  les  premières  assises.  De  ce  dos- 
sier,  il   tirait  ici  une  accusation   en   règle,    tendant    à  établir 
qu'Augustin  depuis   sa  jeunesse  avait  toujours  été,  qu'il  était 
encore,  Manichéen. 

Il  commençait  par  tracer  un  effrayant  tableau  de  la  religion 
maudite.  Il  exprimait  et  motivait  l'horreur  qu'elle  lui  inspirait. 


1)  Augustin,  Contra  lilleras  Peliliani,  (Augustin,  Contra  liltcras  Pctiliani,   III, 
III,  16,  19.  W,  48). 

2)  ((  Deinccps  porrexit  ore  maledico  in  'S)  Confess.,    III,  6  et  sviiv.  ;    IN,   1  et 
vituperationem    monasteriorum  et  mo-  4  ;  V,  3  et  suiv. 

nachorum,  arguens  ctiam  me  quod  hoc  4)  Contra  lilleras  Peliliani,  III,  10,  11  ; 

genus  vitae  a    me    fuerit  instilutum  »  16,  19  ;  17,  20  ;  25,  30. 


48  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Il  décrivait  avee  complaisance  les  pratiques  impures  et  les 
orgies  sacrilèges  des  Manichéens  '.  A  ce  propos,  il  invoquait  les 
aveux  d'une  femme,  ancienne  religieuse  de  l'Eglise  catholique, 
qui  était  devenue  catéchumène  ou  «  auditrice  »  de  l'Eglise  ma- 
nichéenne. Il  partait  de  là  pour  fulminer  contre  ces  sectaires, 
et  racontait  en  détail,  avec  plus  d'emphase  que  d'exactitude,  les 
honteuses  cérémonies  de  leur  baptême-. 

Puis  il  montrait  Augustin,  dès  sa  première  jeunesse,  se  faisant 
initier  à  cette  secte  infâme,  s'y  complaisant  au  point  de  s'}' 
fixer  à  jamais,  y  devenant  un  personnage,  s'y  élevant  de  grade 
en  grade  :  jusf[u'aux  fonctions  de  prêtre,  affirmait  le  Donatiste^ 
En  quoi,  d'ailleurs,  le  polémiste  se  trompait  :  car  Augustin,  au 
temps  où  il  était  égaré  dans  la  secte,  n'y  avait  jamais  dépassé 
le  degré  inférieur  de  simple  «  auditeur  —  auditor  ».  Là-dessus, 
sans  doute,  l'accusateur  était  dupe  des  racontars;  mais  cette 
allusion  à  des  fonctions  de  «  prêtre  manichéen  »  donnait  plus 
de  force  au  réquisitoire. 

Méprise  bien  plus  grave  encore  :  Petilianus  prétendait  que 
son  adversaire  avait  été  compromis,  quinze  ans  auparavant, 
dans  le  célèbre  })rocès  des  Manichéens,  ouvert  à  Carthage 
devant  le  proconsul  Messianus '*.  Il  en  trouvait  la  preuve  dans 
le  dossier  {Gesta)  de  cette  affaire,  et  citait  un  fragment  d'une 
des  pièces.  De  ce  document,  il  résultait  que  l'un  des  accusés, 
au  cours  de  son  interrogatoire,  avait  prononcé  le  nom  d'Au- 
gustin en  se  recommandant  de  lui^\  Petilianus  allait  plus  loin. 
Perfidement,  il  établissait  un  rapport  arbitraire  entre  ce  procès 
de  Carthage  et  le  séjour  qu'Augustin  avait  fait  en  Italie  dans 
ces  temps-là.  Il  affirmait  qu'Augustin  «  avait  été  frappé  par 
une  sentence  du  j)roconsul  Messianus,  et  exilé  d'Africjue^  ». 
C'était  là  une  calomnie  ou  une  erreur.  Augustin  n'eut  pas  de 
pi'ine  à  le  prouver.  En  effet,  h' procès  des  Manichéens  de  Car- 
thiige  eut  lieu  pendant  le  proconsulat  de  Messianus,  en  380". 
Or,  Augustin  était  alors  à  Milan,  oîi  il  professait  la  rhéto- 
ricpie  :  il  y  prononra,  \o  pr  janvier  385,  le  panégyri(iue  du 
consul  Paulo.  il  sy  cituvei-tit  dans  l'été  de  38(i,  il  y  fut  baptisé 
pai-  sjiint  Ambroise  aii\  fêles  de  Pâques  de  l'année  387  ^.  Il  avait 

1,    c,,,,!,;,    i:n,;-<i<    l'rillioni.     111      ic.  .->)    Conlia    lin,-nis    Peliliditi,     III,     IG, 

!'■'  i;». 

L'i  Ji,ul..  III,  17.  L'U.  G)  Ihiil.,  III,  2.-),  3(1. 

H|    «    Me    cli.iiii     i)rfsl.jlcruin    liiissc  7)  Pallii    du    LoscmI,    Faslcs    des  pro- 

M.inicli.icoriiiii,     vd    faUiis  \.l  lallcns,  ninces  africaines,  iomc  l\,  t^.  98. 

'iiir.iiiili    lemcril.ilc    cunlfiid.it  ..  iihid..  8)  \upis[iii,  Confess.,  V,   1314;  VIII, 

III.  17.  201.  1.12;  |\,  (J. 

4)  Ihid.,  111.   ]i\,  19  ;   2ô,  30. 


PETILIANUS    DK    CONSTANTINE  49 

quitté  Carthag-e,  volontairement,  dès  383,  et  il  n'y  revint  qu'à 
la  fin  de  388'.  L'accusation  portée  si  légèrement  contre  son 
adversaire,  prouve  que  l'etilianus  était,  pour  le  moins,  mal 
renseigné. 

Il  ne  l'était  pas  mieux  sur  les  circonstances  de  l'ordination 
épiscopale  du  grand  évèque.  Pour  démontrer  qu'iVugustin  était 
resté  Manichéen  après  son  baptême,  même  au  temps  de  sa  prê- 
trise, il  alléguait  une  lettre  écrite  par  Megalius,  primat  catho- 
lique de  Numidie,  au  moment  où  Valerius,  le  vieil  évêque 
d'Hippone,  priait  son  chef  hiérarchique  de  venir  ordonner  le 
prêtre  Augustin  comme  évêque  coadjuLeur.  Megalius,  dans  cette 
lettre,  montrait  beaucoup  de  préventions  contre  iVugustin,  que, 
sur  la  foi  de  racontars,  il  soupçonnait  d'être  encore  Manichéen. 
En  produisant  cette  lettre,  Petilianus  triomphait  naturellement. 
Il  affectait  de  ne  tenir  aucun  compte  d'un  autre  témoignage, 
qui  annulait  le  précédent,  et  qui  justifiait  pleinement  Augustin. 
Un  peu  plus  tard,  mieux  renseigné,  Megalius  avait  fait  amende 
honorable,  et,  en  plein  concile,  reconnu  ses  torts'-.  Petilianus 
prétendait  que  cette  rétractation  était  sans  valeur,  qu'elle  attes- 
tait seulement,  avec  les  intrigues  du  suspect,  la  pusillanimité 
du  primat. 

Poussant  plus  loin  encore,  il  essayait  d'établir  par  des  textes 
que,  même  depuis  son  ordination  épiscopale,  le  pseudo-catho- 
lique évêque  d'Hippone  restait  Manichéen.  Il  alléguait  certains 
passages  des  Confessions^  ouvrage  publié  dans  les  années  pré- 
cédentes :  dans  ces  citations,  découpées  avec  art  et  perfidement 
isolées  du  contexte,  il  croyait  saisir  la  preuve  c{ue  l'auteur 
n'avait  pas  abandonné  ses  erreurs  d'autrefois''. 

On  voit  qu'il  s'agissait  d'un  réquisitoire  en  règle,  tendant  à 
inculper  de  Manichéisme,  jusque  dans  sa  chaire  épiscopale,  le 
grand  évêque  catholique  d'Hippone.  Dans  ce  réquisitoire,  sans 
doute,  les  prétendues  preuves  étaient  de  qualité  médiocre  : 
erreurs  de  fait,  témoignages  suspects,  affirmations  sans  fonde- 
ment, procès  de  tendance.  Mais,  nous  l'avons  dit,  ce  genre 
d'accusation  était  perfide  dans  l'Afrique  de  ce  temps-là;  et  l'opi- 
nion publique,  en  raison  du  mystère  dont  s'enveloppait  la  secte. 
inclinait  volontiers  du  côté  des  accusateurs.  Tout  en  repous- 
sant énergiquement  les  calomnies,  tout  en  produisant  les  faits  et 
les  dates  qui  prouvaient  la  mauvaise  foi  ou  la  légèreté  de  l'ac- 
cusateur,  Augustin  laisse  entendre   qu'il    n'espérait  pas   coji- 


1)    Contra    litteras   Petiliani,    III,    25,  2)  Contra  litterus  Petiliani,  111,  16,  IV. 

:^0.  3)  Ibid.,   III,   17,  20. 


50.  LITTÉRATURE    DONATISTE 

vaincre  tout  le  monde*.  Il  en  prenait  son  parti.  Mais  jusqu'au 
bout,  semble-t-il,  clans  les  cercles  schismatiques,  s'est  attaché 
à  son  nom  le  soupçon  de  Manichéisme. 

Après  tant  d'invectives,  un  peu  d'onction  :  une  onction  agres- 
sive encore,  à  la  façon  des  Donatistes.  Le  pamphlet  se  termi- 
nait par  une  exhortation  aux  fidèles  de  la  véritable  Eglise,  celle 
de  Donat.  Dans  cette  péroraison,  Petilianus  mettait  les  siens  en 
garde  contre  les  avances,  les  séductions,  ou  les  tromperies 
d'Augustin  et  de  ses  collègues.  Il  s'apitoyait  sur  le  sort  des  soi- 
disant  Catholiques,  ces  pauvres  idolâtres  qui  se  croyaient  chré- 
tiens, et,  plus  encore,  sur  la  misère  des  ralliés,  ces  traîtres 
dont  la  trahison  avait  entraîné  pour  eux  une  dégradation  de 
plus  en  plus  profonde  dans  l'Eglise  du  Diable'-. 

Tel  était  ce  curieux  pamphlet,  où  les  controverses  tradition- 
nelles sur  le  baptême  et  sur  l'histoire  du  schisme  tournaient  ré- 
gulièrement à  l'invective.  Sous  prétexte  de  répondre  à  Augustin, 
de  réfuter  sa  réfutation  de  la  Lettre  pastorale,  Petilianus  avait 
donné  libre  cours  à  sa  rancune  contre  l'évèque  d'Hippone.  D'un 
bout  à  l'autre,  à  propos  de  tout,  il  l'attaquait  personnellement, 
dans  sa  vie  passée  ou  présente,  dans  son  caractère,  dans  sa  foi  : 
toujours  avec  une  àpreté  singulière*,  une  passion  furieuse  de 
fanatique,  une  maîtrise  extraordinaire  dans  l'invective-^  Au- 
gustin lui-môme,  qui  pourtant,  dans  sa  carrière  de  polémiste, 
a  reçu  bien  des  coups,  et  qui  n'avait  pas  l'habitude  de  s'en 
émouvoir,  semble  avoir  été,  cette  fois,  un  peu  étourdi  d'abord 
par  ce  magistral  coup  de  massue '.  Il  n'en  prit,  d'ailleurs,  que 
mieux  sa  revanche. 

En  raison  même  du  tour  personnel  de  la  polémique  et  de  la 
passion  ({u'y  avait  apportée  l'auteur,  ce  pamphlet  de  Petilianus 
prés(!nte  un  vif  intérêt  historique  :  il  nous  apprend  avec  préci- 
sion ce  que  l'on  disait  d'Augustin  dans  le  camp  donaliste,  et 
nous  montre  en  même  temps  combien  on  l'y  redoutait. 

L'intérêt  littéraire  n'est  pas  moindre.  Sans  doute,  l'évèque 
d'Hippone  i-e})i-oche  à  Ptîtilianus  ses  personnalités,  ses  violences, 
.ses  exagérations,  ses  calomnies,  ses  erreurs  et  ses  feophismes''. 
Toutes  ces  critiques,  assurément,  sont  fondées.  Mais  elles  ne 
doivent  pas  nous  emjXM'hcr  de  reconnaître  les  qualités  du  polé- 
miste :  sa  vei've,  son  es[)rit  mordant  et  caustique,  le  tour  spiri- 
tuel   de   ses    invectives,   et   l'habileté   de    son    argumentation. 

1)  Coiilni  lillrnis  l'rliliiuii.  Ml,  10,  11;  suiv.  ;  IC,  1'.»  et  suiv.  ;  25,30;  40,  48. 
2.-),  30.  4)  Ibid.,  Wï,  1,  2;   Ki,  19;   17,  20. 

2)  Ihid.,   III,    II,    «!».  ô)  Ihid.,   III,   10,   11  ;   Ilî,  11)  cl  suiv.; 

3)  //-/./.,     III.     I     .1    vuiv.  ;   10,    11   ri        25.  30;  57,  «9;  .5!!,  71. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  51 

Habileté  parfois  suspecte  ou  perfide,  celle  d'un  avocat  sans 
scrupules,  qu'aveuglent  des  prétentions  de  sectaire  ;  mais  habi- 
leté réelle,  digne  d'une  meilleure  cause,  et  dont  témoigne  Au- 
gustin lui-même. 

IV 

Autres  ouvrages  de  Petiliauus  contre  les  Catlioliques.  —  Seconde  Lellre  à 
Augustin.  —  Traité  sur  le  schisme  des  Maximianistes  (De  schismale  Maxi- 
mianisiarum).  —  Ouvrage  sur  l'Église  donatiste  de  Gonstanimc  (Epistula 
de  ordiiie  partis  Donali).  — Traité  sur  le  baptême   (De  nnico   baplismo). 

—  Circonstances.  —  Titre.  —  Keconstitution  de  l'ouvrage.  —  Contenu 
et  plan.  — Principales  questions  traitées.  — Indiscrétion  des  Catholiques, 
qui  portent  devant  le  public  des  questions  de  théologie  ou  de  discipline. 

—  Le  baptême.  —  Les  Donatistes  conservent  la  vieille  tradition  africaine. 

—  Le  schisme.  —  Les  Catholiques  sont  les  héritiers  des  tradilores.  — 
Attaques  contre  deux  évêques  catholiques  de  Constanline.  —  Caractère 

.  du  traité. 

Outre  les  deux  grands  pamphlets  contre  l'Eglise  catholique 
et  contre  Augustin,  Petilianus  avait  composé  un  traité  Sur  le 
baptême  y  dont  nous  possédons  d'assez  nombreux  fragments  ^ 
et  trois  autres  ouvrages,  qui  étaient  également  dirigés  contre  les 
Catholiques,  mais  sur  lesquels  nous  n'avons  que  des  indications 
fort  incomplètes  : 

1»  Une  seconde  «  Lettre  à  Augustin  »  iEpistiila  II  ad  Augus- 
tiniun). 

On  lit  dans  le  traité  d'Augustin  Contre  Gaudentius,  écrit 
vers  420  :  «  Je  transcrirai  d'abord  les  paroles  de  Gaudentius, 
puis  j'y  joindrai  les  miennes  ;  mais  non  comme  je  l'ai  fait, 
quand  je  répondais  à  la  lettre  pastorale  de  Petilianus.  Alors, 
en  effet,  pour  chaque  passage,  quand  sont  reproduites  les  paroles 
de  Petilianus,  j'ai  mis  :  «  Petilianus  dit  —  Petilianus  dixit  »  ; 
quand  c'est  moi  qui  parle  :  «  Augustin  répondit  —  Augustinus 
respondit.  »  Gela  m'a  valu  une  accusation  de  mensonge,  mon 
adversaire  déclarant  que  jamais,  de  vive  voix,  il  n'avait  discuté 
avec  moi.  Gomme  si,  vraiment,  il  n'avait  pas  dit  ce  qu'il  a 
écrit,  parce  que  ces  mots,  au  lieu  de  les  lui  entendre  prononcer, 
je  les  ai  lus  dans  son  ouvrage  !  Ou  comme  si,  moi,  je  ne  lui 
avais  pas  répondu,  parce  que  je  n'ai  point  parlé  en  sa  présence 
et  que  j'ai  répondu  par  écrit  à  ses  écrits  !  Que  faire  avec  des 

1)  Augustin,  Z)e    unlco  baplismo,  \,  2  \        13,     21;      U,     23-24. 
2,    3  ;    7,   9-12  ;   8,  13  ;    9,  15  ;    11,   18; 


52  LITTÉRATURE    DOMATISTE 

gens  animés  d'un  tel  esprit,  ou  portés  à  attribuer  ces  mômes- 
dispositions  aux  personnes  à  qui  ils  désirent  faire  connaître 
leurs  ouvrap'es  '  ?  » 

Ainsi,  Petilianus  s'était  plaint  que  son  adversaire  eût  donné 
à  sa  réïutation  la  forme  d'un  dialogue  imaginaire  (Petilianus 
di.rit.  —  Augiistinus  respondit).  Cette  critique  visait  sûrement 
le  livre  II  Contra  litteras  Petiliani,  le  seul  ouvrage  d'Augus- 
tin où  se  lisent  ces  formules  '-.  Or,  nous  avons  vu  que  le  second 
pamphlet  de  Petilianus  [Epistula  ad  Augustinum),  réponse  au 
livre  I  Contra  litteras  Petiliani,  ne  contenait  pas  la  moindre 
allusion  au  livre  II,  dont  il  est  contemporain  et  indépendant  -^ 
Par  suite,  le  fragment  de  Petilianus,  qui  est  conservé  au  début 
du  Contra  Gaudentium^  n'appartenait  pas  au  grand  pamphlet 
contre  Augustin,  mais  à  un  ouvrage  postérieur,  sans  doute  une 
seconde  lettre,  où  Petilianus  répondait  au  liA're  II  d'Augustin. 
Cette  seconde  lettre  de  l'évêque  donatiste  de  Constantine  à 
l'évêque  catholique  d'Hippone  a  dû  être  écrite  vers  402,  au  mo- 
ment où  Augustin  était  occupé  à  réfuter  le  second  pamphlet 
dans  le  livre  III  Contra  litteras  Petiliani. 

2°  Tn  traité  «  Sur  le  schisme  des  Maximianistes  »  (Liber  de 
sc/tisnia/c  Maximianistariun). 

Petilianus  lui-même  annonçait  cet  ouvrage  dans  son  pamphlet 
contre  Augustin.  «  Après  cela,  dit  l'évêque  d'Hippone,  après 
cehi,  Petilianus  arrive  à  notre  objection,  tirée  de  ce  fait  que  les 
Donatistes  ont  déclaré  valable  le  baptême  des  ^Maximianistes  con- 
damnés par  eux...  :  «  Je  démontrerai  dans  un  second  livre,  an- 
nonce Petilianus,  quelle  différence  il  y  a  entre  les  nôtres  et  vos 
prétendus  innocents  ''.  »  Augustin,  d'ailleurs,  raillait  d'avance 
la  réplique  de  son  adversaire  :  «  Petilianus  a  beau  promettre 
qu'il  parlera,  dans  un  second  livre,  de  mon  objection  sur  les 
Maximianistes  :  il  a  trop  mauvaise  opinion  de  l'intelligence  des 
hommes,  s'il  se  figure  qu'ils  ne  comprendront  pas  (pi'il  n'a 
rien  à  dire  ■'.  » 

On  sait  que  les  Donatistes  prétendaient  être  seuls  assez  purs 
pour  conférer  le  baptême,  et  ([u'ils  rebaptisaient  les  Catholiques 
gagnés  par  eux  ;  cependant,  leur  secte  principale,  celle  des 
Primianistes,  avait  été  amenée  parpolitique  à  considérer  comme 
valable  le  ba[>têm(î  administré  par  ses  propres  schismatiques^ 

1)  Conira  Gaiulenliinn,   1,1.  H/iisliila    cmilra    Donnlislas,  1. 

2)  Contni  liltcni:;  Pelilinni.   Il,    1,  2  ri  4)  t:i,nliii  Ullcms  Petiliani,  l\\, 'M,  42. 

^uiv-  .-.i  //,(,/,  m.  :v.t,  ir,. 

3,    //-/■</.,    III,    50,    CI  ;     !</   lUillinlios 


PKTILIANUS    DE    CONSTANTINE  55 

les  Maximianistes.  Augustin  ne  s'était  pas  fait  faute  de  relever 
cette  contradiction,  d'où  il  tirait  l'un  de  ses  arouments  favoris- 
contre  le  Doiiatisme  de  son  temps  '  .  On  s'explique  donc  aisé- 
ment et  l'embarras  de  Petilianus,  et  le  désir  qu'il  avait  pour- 
tant de  justifier  sur  ce  point  son  Eglise.  En  401,  dans  son  se- 
cond pamphlet,  il  annonce  qu'il  parlera,  et  même  qa'il  parle,  des 
Maximianistes  «  dans  un  second  livre  »  [licet  hoc  secundo 
libro  (lemonstrem)  ~.  On  ne  peut  dire  au  juste  ce  qu'il  enten- 
dait par  là  :  sans  doute,  un  deuxième  livre  contre  Augustin,  une 
suite  au  pamphlet  contre  l'évèque  d'Hippone. 

Ce  «  second  livre  »,  où  le  Donatiste  parlait  du  schisme  maxi- 
mianiste,  doit-il  être  identifié  avec  l'ouvrage  précédent,  VEpis- 
tiila  II  ad  Aiigiistinum  ?  Ce  n'est  pas  absolument  impossible  \ 
mais  ce  ne  serait  qu'une  hypothèse  de  circonstance.  En  tout  cas ^ 
il  est  assez  vraisemblable  que  deux  ouvrages  perdus  d'Augustin, 
VAdinonitio  Donatistaram  de  Mariniianistis  .y^vers  406),  et 
le  De  Maxiinianistis  contra  Donatistas  (vers  410),  visaient 
plus  ou  moins  le  De  schismate  Maxiniianislanun  de  Petilia- 
nus "^ 

3**  Une  «  Lettre  sur  l'Eglise  donatiste  »  [Epistula  de  ordinç 
partis  Donati). 

Cet  ouvrage  est  mentionné  dans  une  lettre  adressée  par  Au- 
gustin à  Generosus,  un  Catholique  de  Constantine,  qu'un  prêtre 
donatiste  cherchait  à  gagner  en  se  disant  chargé  de  cette  mis- 
sion par  un  ange  ^.  En  cette  circonstance,  Augustin  s'efforce  de 
mettre  Generosus  en  garde  contre  les  séductions  des  schisma- 
tiques  ;  à  ce  propos,  il  cite  une  lettre  où  l'évèque  donatiste  d& 
Constantine,  c'est-à-dire  Petilianus,  invoquait  la  tradition  locale,, 
la  succession  régulière  des  évêques  de  Constantine  dans  le  parti 
de  Donat  (<^e  Constantinensi...  episcoporiun  ordine)  ■'. 

La  lettre  d'Augustin  a  été  écrite  sous  le  pontificat  du  pap& 
Anastase  (399-401),  vers  l'année  400  ^.  On  ne  relève,  dans  les 
deux  grands  pamphlets  de  Petilianus,  aucune  allusion  à  Vordo 
des  évêques  donatistes  de  Constantine.  Cette  mention  d'un  do- 
cument de  l'Eglise  locale  se  trouvait  donc  dans  un  autre  ouvrage 
de  Petilianus  :  sans  doute,  un  ouvrage  de  propagande  sous  forme 

1)  Contra  lilteras  Petiliani,  I,  10,  11  ponitur  in  Epistula  episcopi  tuac  clvi- 
et  suiv.  ;  27,  29  el    sui\ .  ;   II,  7,   IG.  tatis.  —    Ordo    episcoporum    sibi    succc- 

2)  Ibid.,  III,  36,  42.  deiiliuin.  —  De  Conslanlinensi,  hoc   est 

3)  Relrucl  ,   II,  55  et  61.  civitatis    vestrae,    episcoporum  ordine   »■ 

4)  Episl.  53,  1.  (Episl.  53,  1,  1-2  ;  2,  i). 
6)  «  Partis  Donati,  cujus  ordo  tihi  ex-  6)  Ibid.,  53,  1,  2-3. 


54  LITTÉRATUHK    DON.VTISTE 

"de  lettre,  écrit  vers  400,  où  l'évêque  schismatique  opposait  la 
tradition  donatiste  à  la  tradition  catholique. 

Sur  ces  trois  ouvrages  de  Petilianus,  dont  nous  venons  de 
parler,  nous  n'avons  que  des  données  assez  vagues.  Au  contraire, 
son  traité  sur  le  baptême  {De  iinico  baptismo)  nous  est  assez 
î)ien  connu,  et  peut  même  être  partiellement  reconstitué. 

Vers  l'année  410,  Augustin  se  trouvait  à  la  campagne,  pro- 
bablement aux  environs  d'Hippone,  avec  ou  chez  un  de  ses  amis, 
nommé  Constantin  us.  Celui-ci  lui  montra  un  traité  donatiste 
Sur  le  baptême,  qu'il  tenait  d'un  prêtre  de  la  secte,  et  qui,  sui- 
vant ce  prêtre,  était  l'œuvre  de  Petilianus,  évêque  schismatique 
•de  Constantine.  Pressé  de  réfuter  ce  traité,  Augustin  y  consentit  ; 
c'est  alors  qu'il  composa,  en  le  dédiant  à  son  ami"  Constantinus, 
le  livre  intitulé  De  luiivo  baptismo  contra  Petilianum  ad  Cons- 
tantinum  liber  '. 

Nous  pouvons  déterminer  la  date  approximative  des  deux 
traités.  Augustin  nous  apprend  lui-même  qu'il  écrivit  le  sien  en 
même  temps  que  ses  trois  livres  contre  les  Pélagiens,  De pecca- 
toriim  meritis  et  remissione  et  de  baptismo  parvuloram  ad 
Marcellinum  :  c'est-à-dire,  vers  410  -.  Or,  il  n'avait  eu  con- 
naissance du  traité  donatiste  que  peu  auparavant,  par  son  ami 
<]^onstantinus  '.  Etant  donné  la  réputation  de  Petilianus  et  ses 
polémiques  précédentes  avec  l'évêque  d'Hippone,  toujours  si 
bien  informé  des  choses  d'Afrique,  on  a  tout  lieu  de  croire  que 
ce  traité  donatiste  était  alors  assez  récent.  Il  est  évidemment 
postérieur  aux  grands  pamphlets  de  Petilianus,  qui  n'y  font 
aucune  allusion,  tout  en  discutant  les  mêmes  questions.  Il  a  été 
^•omposé  entre  402  et  410,  pi-obablemcnt  vers  409. 

Il  est  (jUiilifié  ])ar  Augustin  tantôt  de  liber  ',  tantôt  de  sr/v/zo  ■'. 
Comme  la  plupart  des  traités  polémiques  du  temps,  il  devait 
tenir,  à  la  fois,  du  traité  et  du  sermon.  Ainsi  que  la  réponse 
il'Augustin,  il  était  intitulé  De  iinico  baptismo  ''. 

Au  moment  où  il  composa  sa  réfutation,  Augustin  avait 
«juelques  doutes  surTorigine  de  l'ouvrage.  Il  y  désigne  l'auteur 
j)ar  des  termes  vagues  et   des   périphrases  ".  Plus  tard,  il  eut 

1)  De  iinico  haplismo,  1.  lui,  hoc  csl  hc  unicu  hniitisino  »  [lielracL, 

2)  nelrucl..  Il,  6y-r.O.  Il,  (iO). 

3)  //(((/.,    Il,  (io  ;  De  iinico  hdplismo,  1  ;            7)  «  Sltiiiuiiciii   De  iinicD  liapli^ino  ab 
16,  27.  cis  ci)iiii>()sitiiin,    ;i    (|iiil)iis     liupUsiiiiis 

4)  Uetract.,  M,  (Mt.  ileratur  »  (De  nnica  baptismo,  1).  — 
.''»)  De  iiniro  liaptismo,  1  ;  IG,  27  ;  IS,  M.  «  Ipse  sihi,  ciii  rcspDiulciiiiis.nppcsiiit  » 
('>)«  Lihnim  aiitomtliani  inciiin.iiKiiKj        [iliid.,  7,  Ht|.  —  «  Istc  coiil  la  ((uciu  dis- 

rcsi)uiidi,  «•iiiiuieiii   lilulum    liahero   \u-       .scriiini'<  ••  {ihid.,  7,  lli;  l'ic. 


PETILIANUS   DE    CONSTANTINE  55 

roccasion  de  constater  l'exactitude  du  renseignement  que  lui 
avait  fourni  son  ami  Gonstautinus  ;  et,  dans  ses  Ré Irac talions, 
il  ne  doute  pas  que  le  traité  soit  de  Petilianus  K  En  effet, 
dans  les  fragments  conservés,  on  reconnaît  les  idées  favorites, 
les  arguments  et  la  manière  de  Petilianus  ;  les  attaques  contre 
les  évèques  catholiques  de  Constantine,  et  le  caractère  très 
significatif  de  ces  attaques,  y  sont  encore  des  indices  d'authen- 
ticité 2.  Donc,  l'attribution  ne  semble  pas  douteuse. 

On  peut  se  faire  une  idée  nette  du  De  unico  baptismo  de 
l'évêque  donatiste,  d'après  les  analyses  et  les  fragments  assez 
nombreux  qu'Augustin  a  insérés  dans  sa  réfutation.  Au  début, 
Petilianus  reprochait  aux  Catholiques  de  porter  devant  le  public 
les  questions  qui  divisaient  les  deux  Églises  3,  Puis,  il  justifiait 
longuement  la  thèse  donatiste  sur  le  baptême  ^.  Il  montrait 
que  son  Eglise,  sur  ce  point,  restait  fidèle  à  la  vieille  tradition 
africaine,  aux  leçons  de  saint  Cyprien  \  Il  essayait  de  prou- 
ver que  les  Catholiques  de  son  temps  s'étaient  mis  eux-mêmes 
hors  la  loi,  en  acceptant  l'héritage  des  traditores  du  temps  de 
Dioclétien  ^.  Il  attaquait  enfin,  avec  une  violence  particulière, 
deux  de  ses  compatriotes,  Fortunatus,  alors  évoque  catholique 
de  Constantine,  et  le  prédécesseur  de  Fortunatus,  qu'il  accu- 
sait, tout  comme  Augustin,  d'être  des  Manichéens  '.  Tel  était 
le  contenu  de  l'ouvrage,  et  même,  à  peu  de  chose  près,  le  plan  ; 
car  Augustin,  dans  sa  réfutation,  parait  avoir  suivi  son  adver- 
saire. 

Entrons  maintenant  dans  le  détail.  Dans  son  préambule, 
Petilianus  reprochait  aux  Catholiques  d'initier  le  public  profane 
aux  controverses  des  gens  d'Eglise  sur  la  question  du  baptême  ; 
et,  comme  il  disait  dans  son  langage  imagé,  «  de  jeter  les  mys- 
tères au  vent  de  la  publicité  ^  ».  Le  trait  visait  probable- 
ment Augustin,  qui  justement  avait  pour  principe  de  soumettre 
au  public  ces  controverses  entre  Eglises  rivales.  En  ce  qui  con- 
cerne spécialement  le  malentendu  sur  le  baptême,  notons  que 
l'évêque  d'Hippone  avait  publié,  quelques  années  auparavant, 
un  gros  traité  en  sept  livres,  qui  nous  est  parvenu,  et  qui  est 
intitulé  «  Sur  le  baptême  contre  les  Donatistes  —  De  baptismo 
contra  Donatistas  ''  ».  On  peut  donc  supposer  avec  vraisem- 


1)  Retract.,  II,  60.  6)  De  unico   baptismo,    14,    23-24;  15, 

2)  De  unico  baptismo,  16,  29.  26  ;  16,  27-30  ;  17,  31. 

3)  Ibid.,  1,2.  7)  Ibid.,  16,  20. 

4)  Ibid.,    2,  3  ;  7,    9-12  ;    8,    13-14  ;  9,  8)  Ibid.,  1,  2. 

1.5-16;    10,     17;  11,  18;  12,  20;  13,21.  9)  De  baptismo  contra    Donatistas  libri 

5)  Ibid.,  13,  22  ;  14,  23.  VII  ;  Retract.,  II,  44. 


56  LITTÉRATURE    DONATISTE 

blance  que,  cette  fois  encore,  Tévèque  scliismatique  de  Cons- 
tantine  visait  son  éternel  ennemi  l'évèque  catholique  d'IIippone, 

Après  ces  récriminations  un  peu  naïves  contre  la  prétendue 
indiscrétion  de  ses  adversaires,  qui  avaient  surtout  le  tort 
d'aimer  les  controverses  au  grand  jour,  Petilianus  arrivait  à  la 
question  du  baptême.  Cette  question,  il  l'avait  traitée  déjà  deux 
fois,  à  notre  connaissahce  :  dans  ses  deux  pamphlets.  On  ne 
doit  donc  pas  s'attendre  à  trouver,  sur  ce  point,  beaucoup  de 
nouveau  dans  le  nouvel  ouvrage.  En  effet,  le  polémiste  ne  fai- 
sait guère  ici  ({ue  se  répéter.  Le  plus  souvent,  il  se  conten- 
tait de  reproduire  ses  arguments  déjà  connus,  peut-être  même 
avec  moins  de  vigueur  et  de  relief  :  c'est  le  destin  ordinaire  des 
écrivains  qui  se  copient  eux-mêmes. 

Il  lançait  d'abord  un  argument  préjudiciel,  qu'il  avait  déjà 
servi  dans  ses  ouvrages  antérieurs,  et  auquel  il  tenait  d'autant 
plus,  mais  ([ui,  au  fond,  était  un  sophisme.  A  l'en  croire,  la 
supériorité  du  baptême  donatiste  était  implicitement  reconnue 
par  les  ('.atholi([ues  eux-mêmes,  puisque  ceux-ci  ne  rebaptisaient 
pas  les  Donatistes  convertis  :  «  Où  est  le  vrai  baptême  ?  telle 
est  la  ({uestion,  s'écriait-il.  C'est  si  bien  le  mien,  que  ce  baptême 
uni<[ue  donné  par  moi,  les  sacrilèges  eux-mêmes  ne  le  redou- 
blent pas  '.  »  La  réponse  à  ce  sophisme  était  trop  facile,  et, 
plusieurs  fois  déjà,  avait  été  apportée  par  Augustin.  Aussi  le 
Donatiste  se  gardait-il  d'insister. 

Il  consentait  donc  à  discuter  la  question  en  elle-même.  Con- 
formément à  la  théorie  de  sa  secte,  il  soutenait  que,  seule,  la 
véritable  Eglise  catlîolique,  c'est-à-dire  l'Eglise  de  Donat,  pou- 
vait conférer  le  baptême.  Il  résumait  sa  thèse  dans  cette  for- 
mule :  «  Le  vrai  baptême  est  là  où  est  la  vraie  foi~.  >:  C'était, 
au  fond,  la  théorie  traditionnelle  des  Donatistes,  mais  renou- 
velée an  apparence,  et  transportée  du  domaine  des  faits  dans  le 
domaine  di;  l'orthtjdoxie. 

A  liippni  (le  son  affirmation,  l^etilianus  produisait  différents 
textes  bibli([U(.'s.  Il  alléguait  notamment  le  [>assage  des  Actes 
où  il  est  dit  que  saint  Paul,  à  Ephèse,  fit  reba|)tiser  au  nom  du 
Christ  les  gens  ([ui  déclaraient  avoir  reçu  le  baptême  de  Jean '. 
l'otillanns  en  tirait  cette  conclusion  :  «  Si  l'on  a  l)aptisé  après 
.le.in,  l'ami  de  rEpoiiv,à  plnsforte  raison  doit-on  ba[)tiser  après 
un  hérétique'.))  .Vrgnment  ([ui,  à  première  vue,  pouvait  paraître 
sans  réj)ii(|iie,  mais  qui,  en  réalité,  passait  à  côté  de  la  question. 


1)  De  unicu  biiplUmi),  2,  H.  3)  Ad.  apost.,  ]'.),  1-5. 

2)  Ihiil.,  II,  IS.  4)  Augiisliii,  De  unico  baptisnw,  7,    il. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  57 

C'était  l'avis  des  Catholiques  africains.  Ils  objectaient  que  ce 
texte  n'avait  que  faire  dans  la  présente  controverse,  puisque  les 
Epliésiens  rebaptisés  par  saint  Paul  avaient  reçu,  non  le  bap- 
tême du  Christ,  mais  le  baptême  de  Jean.  Petilianus  connaissait 
bien  cette  objection.  Il  la  reproduisait  ici,  et  y  répondait  en 
détail  :  «  On  nous  objecte  peut-être  :  «  Mais  ces"  gens,  que  Paul 
«  fit  rebaptiser,  avaient  été  baptisés  du  baptême  de  Jean,  non  du 
«  baptême  de  Jésus-Christ.  C'est  pourquoi  je  dis  qu'on  ne  doitpas 
«  rebaptiser  des  gens  qui  ont  été  certainement  baptisés,  par  des 
«  traditeurs  sans  doute,  mais  pourtant  au  nom  du  Christ.  »  — 
A  cette  objection,  répliquait  Petilianus,  le  Seigneur  Jésus- 
Christ  a  répondu  par  ces  mots  :  «  Celui  qui  n'assemble  point 
«  avec  moi,  disperse'  »  ;  et  une  seconde  fois  :  «  Tous  ceux  qui 
«  me  disent.  Seigneur,  Seigneur,  n'entreront  pas  dans  le  royaume 
«  des  cieux.  En  effet,  bien  des  gens  me  diront  ce  jour-là  :  Sei- 
«  gneur.  Seigneur,  n'avons-nous  pas  prophétisé  en  ton  nom  ? 
«  N'est-c,e  pas  en  ton  nom  que  nous  avons  chassé  les  démons  Pet 
«  en  ton  nom,  que  nous  avons  fait  plusieurs  miracles?  Et  alors  je 
«  leur  dirai  :  Je  ne  vous  connais  pas,  retirez-vous  de  moi,  arti- 
«  sans  d'iniquité'^.  »  En  conséquence,  il  n'est  pas  douteux  qu'ils 
ont  perdu  leur  peine,  les  faussaires  qui,  au  nom  de  Jésus-Christ 
sans  doute,  mais  en  commettant  un  sacrilège,  ont  osé  opérer. 
Qu'ils  le  veuillent  ou  non,  les  traditeurs,  par  leurs  sacrements 
sacrilèges,  ne  font  qu'offenser  le  Christ.  S'ils  osent  lui  dire  : 
«  Nous  avons  prophétisé  en  ton  nom  »,  il  leur  répondra  comme 
aux  autres  :  «  Retirez-vous  de  moi,  artisans  d'iniquité,  je  ne 
«  vous  connais  pas.  »  Et  la  réponse  sera  méritée,  parce  que  chez 
les  indignes  les  causes  sont  semblables,  qu'il  s'agisse  de  bap- 
tiser ou  de  chasser  les  démons  ou  de  faire  d'autres  miracles'^.  » 
Comme  on  le  voit,  le  schismatique  n'avait  pas  manqué  l'occa- 
sion de  retourner  contre  ses  adversaires  ces  anathèmes  de  l'Evan- 
gile, dont  les  Catholiques  avaient  souvent  accablé  le  parti  de 
Donat. 

Enchanté  de  sa  victorieuse  exégèse,  Petilianus  lançait  un  cri 
de  triomphe  :  «  J'ai  tranché  d'un  mot  la  question,  solvi  breviter 
quaeslionem'^ .  »  Puis  il  se  félicitait  hautement,  lui  et  son  Eglise, 
de  suivre  les  traces  de  saint  Paul  :  «  J'ai  baptisé  en  toute  sé- 
curité celui  que  tu  as  souillé,  toi  sacrilège.  J'ai  baptisé,  dis-je, 
j'ai  fait  ce  qu'a  fait  l'apôtre  PauH'.  »  On  reconnaît  ici  les  bra- 


1)  Matthieu,  Evang.,  12,  30.  —  Cf.  7,  11-12  ;  8,  13-H  ;  9,  15. 

2)  IbicL,  7,  21-23.  i)  Ibid.,  9,  1.5. 
3]  Augustin,  De  iinico  baptismo,  7,  10.            5)  Ibid.,  13,  21. 


58  LITTÉRATURE    DONATISTE 

vades  de  l'auteur  des  pamphlets,  et  sa  promptitude  amusante  à 
se  décerner  des  brevets  de  victoire. 

De  la  théorie,  il  passait  aux  questions  de  fait.  Et  d'abord, 
pour  justifier  la  pratique  des  Donatistes,  qui  reba])tisaient  les 
Catholiques  convertis,  il  rappelait  que  son  Eglise  conservait  sur 
ce  point  la  vieille  tradition  africaine,  celle  de  Cyprien  et  des 
prédécesseurs  de  Cyprien,  Agrippinus  de  Garthage  et  le  con- 
cile de  soixante-dix  évoques  qui  avaient  déclaré  non  valable  le 
baptême  des  hérétiques'.  Historiquement,  le  fait  était  exact; 
aussi  l'orgument  était-il  de  nature  à  causer  quelque  embarras 
aux  Catholiques  africains.  D'ailleurs,  l'évéque  d'Hippone  s'était 
déjà  longuement  expliqué  là-dessus  dans  son  grand  traité  «  Sur 
le  baptême  contre  les  Donatistes  »,  que  Petilianus  devait  con- 
naître-. 

Une  autre  question  de  fait,  de  toutes  la  plus  importante, 
c'était  le  schisme,  la  rupture  déjà  séculaire  entre  les  deux 
Eglises  locales.  Pour  les  Donatistes,  qui  se  prétendaient,  qui 
même  se  croyaient,  les  vrais  et  les  seuls  Catholiques,  la  res- 
ponsabilité du  schisme  incombait  tout  entière  aux  soi-disant 
Catholiques,  ([ui,  par  leurs  capitulations  d'autrefois,  s'étaient 
mis  eux-mêmes  hors  de  l'Eglise.  Petilianus  développait  avec 
complaisance  ce  vieux  thème,  toujours  fertile  en  récriminations 
et  en  injures.  Voici  comment  il  justifiait  théoriquement  le 
schisme  des  premiers  Donatistes  :  «  Dans  une  même  communion 
de  sacrements,  les  méchants  souillent  les  bons.  C'est  pourquoi 
l'on  doit  se  séparer  du  corps  de  la  communauté,  pour  écluippcr 
à  la  contagion  des  méchants,  et  pour  éviter  que  tous  périssent 
également  ^  »  Tel  était  le  ])rincipe  :  suivaient  les  nombreux 
textes  bibliques  qui  étaient  censés  le  confirmer''. 

De  ce  princii)e,  on  devait  encore  justifier  l'application,  en 
montrant  comment  les  soi-disant  Catholi'iues  étaient  devenus 
ces  «  méchants  »,  dont  on  avait  dû  se  séparer  «  pour  échap- 
per à  la  contagion  ».  Ici  intervenait  l'histoire,  ou  ce  qu'on  ap- 
pelait ainsi  dans  le  i)arti  di;  Donat.  Suivant  la  tradition  cons- 
tante de  son  Eglise,  tradition  antérieure  au  schisme  lui-même, 
dont  elle  avait  été  l'une  des  causes  ou  le  prétexte,  Petilianus 
incriminait  la  conduite  de  Meusurius,  évêquo  de  (^lartliage,  et 
de  son  arcliidiîicre  C^'cilianus,  au  temps  de  la  persécution  de 
Diocléticn.  Mais  il  n'apportait  contre  eux  aucune  preuve;  il  se 


1)  Ih-unico  l,iij,li<im<),  13,  22.  .S)  De  unico  haptismn,  14,  28. 

2)  l>i-   Itnptismo  contra    Don(flislu!<,   II,  4)  Ibid.,  14,  24. 
1  et  suiv. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  59 

contentait  d'affirmei-  leur  culpabilité,  devenue  comme  un  dogm& 
pour  son  Eglise'. 

Aux  traditeurs  de  Carthage,  Petilianus  joignait  ceux  de 
Rome.  On  se  souvient  que,  renchérissant  encore  sur  ses  devan- 
ciers, il  étendait  jusqu'en  Italie  le  champ  géographique  de  ses 
anathèmes  rétrospectifs.  Sur  la  foi  de  traditions  tardives,  plus- 
que  suspectes,  il  mettait  directement  en  cause  plusieurs  papes 
du  temps  de  Dioclétien  ou  de  Constantin  :  d'abord,  le  pape  Mar- 
celUnus,  puis  trois  de  ses  prêtres,  qui  après  lui  avaient  gou- 
verné tour  à  tour  l'Eglise  romaine,  Melchiade,  JMarcellus,  Sil- 
vester.  Petilianus  les  accusait  tous  les  quatre  d'avoir  remis  aux 
païens  des  livres  sacrés,  et  d'avoir  brûlé  de  l'encens  sur  les- 
autels  des  dieux.  Pour  ce  double  crime,  il  traitait  tous  ces  papes- 
de  «  scélérats  »  et  de  «  sacrilèges  »  [sceleratos  et  sacrilegos) ^ 
Mais,  ici  encore,  il  ne  donnait  aucune  preuve-. 

Pour  rendre  plus  odieuse  la  prétendue  traditio  des  papes  de 
ce  temps-là,  Petilianus  comparait  leur  conduite  à  celle  de  leurs 
prédécesseurs.  A  ce  propos,  il  énumérait  dans  l'ordre  chronolo- 
gique {perordinem)  tous  les  évêques  de  I\ome,  au  moins  depuis 
le  début  du  troisième  siècle  ;  il  prolongeait  son  catalogue  jus- 
qu'au temps  où  il  écrivait  'K  D'ailleurs,  ces  Fastes  épiscopaux. 
de  l'Eglise  romaine  ne  manquaient  point  de  piquant;  ils  étaient 
étrangement  bigarrés.  L'auteur  y  annexait  à  l'Eglise  de  Donat 
la  chaire  de  saint  Pierre.  Depuis  le  règne  de  Constantin,  il 
rejetait  systématiquement,  comme  héritiers  des  traditeurs,  tous 
les  papes  de  l'Eglise  officielle  ;  et  il  leur  substituait  les  évêques 
donatistes  de  Rome.  Il  énumérait  dans  l'ordre  de  succcssioa 
tous  ces  prétendus  papes,  chers  au  parti  de  Donat  :  depuis  les 
premiers  clercs  missionnaires,  évêques  intérimaires  {interven- 
tores  adventitii)^  que  le  parti  envoyait  de  Carthage  au  petit 
groupe  des  frères  établis  dans  la  capitale  de  l'Empire^,  jus- 
qu'aux évêques  régulièrement  investis  qui  plus  tard  gouver- 
nèrent la  misérable  communauté,  et  dont  le  dernier,  un 
certain  Félix,  devait  paraître  en  411  à  la  Conférence  de  Car- 
thage^. 

Quant  aux  soi-disant  Catholiques,  africains  ou  romains,  de 
son  temps,  Petilianus  faisait  leur  procès  d'un  mot  :  à  ces  héri- 
tiers des  traîtres,  il  ne  reconnaissait  même  pas  le  titre  de  chré- 
tiens^. S'il  ne  les  traitait  pas   de  païens,  c'était  pour  dénoncer 

1)  De  unko  haptismo,  16,  28-30;17,  31.  5)  Cf.  Optât,  II,  4;   CoUat.    Carthag.:, 

2)  Ihid.,  16,  27-28  et  30.  I,  149  ;  157-161. 

3)  Ibid.,  14,  23.  6)  Augustin,  De  unico  baptismo,  15,26; 

4)  Ibid.,  16,  28.  16,  27-30. 


60  LITTÉRATURE    DONATISTE 

•en  eux  des  Manichéens'.  On  sait  qu'il  n'y  avait  pas  pour  lui  de 
pire  injure.  Aussi  prodiguait-il  ce  traitement  de  faveur  à  ses 
adversaires  les  plus  gênants  "~  :  par  exemple,  aux  chel's  de 
l'Eglise  ennemie  dans  sa  ville  épiscopale. 

Vers  la  fin  de  son  ouvrage,  il  attaquait  spécialement  l'Eglise 
catiiolique  de  Constantine,  dont  il  passait  en  revue  les  évèques 
depuis  le  schisme.  A  tbus,  il  découvrait  des  tares,  ce  qui  l'au- 
torisait à  les  injurier  copieusement.  Quand  il  arrivait  aux  con- 
temporains, aux  deux  derniers  évèques,  ceux  qu'il  avait  connus 
personnellement  et  que  tout  le  monde  connaissait  autour  de  lui, 
il  parait  avoir  éprouvé  quelque  embarras  :  il  ne  pouvait  guère 
présenter  comme  des  coquins  deux  hommes  qui  étaient  évidem- 
ment de  très  honnêtes  gens,  et,  par  surcroît,  des  gens  distin- 
gués, des  lettrés.  Fortunatus,  l'éveque  actuel,  était  un  ami 
d'Augustin  3;  quant  à  Profuturus,  le  prédécesseur  de  Fortuna- 
tus, c'était  un  élève  du  même  Augustin,  sorti  du  couvent-sémi- 
naire d'Hippone''.  Aux yeuxd'un  Donatiste,  c'était  là,  pour  eux, 
une  médiocre  recommandation.  Par  là  même,  ils  devenaient 
suspects  à  une  farouche  orthodoxie.  On  se  rappelle  que  Petilia- 
nus,  dans  ses  ouvrages  antérieurs,  affectait  de  considérer 
l'éveque  d'ilippone  comme  un  simple  Manichéen''.  Cette  fois 
encore,  il  n'hésita  pas  :  il  affirma  <[ue  les  deux  derniers  évèques 
catholiques  de  Constantine,  ces  amis  d'Augustin,  étaient  comme 
lui  des  Manichéens  honteux'"'. 

Ces  invectives  contre  l'Eglise  catholi([ue  de  Constantine,  et 
le  catalogue  bariolé  des  papes,  étaient  les  parties  les  plus  origi- 
nales de  ce  traité  «  Sur  le  baptême  unique  »,  qui  sans  doute 
n'était  pas  sans  valeur,  mais  <[ui,  à  tous  les  points  de  vue,  ni 
pour  l'intérêt  du  sujet,  ni  pour  la  richesse  de  l'argumentation, 
ni  i)Our  l'imprévu  des  invectives,  ni  i)our  la  forme  et  les  trou- 
vailles d'expression,  ne  pouvait  soutenir  la  comparaison  avec  les 
deux  pamphlets  antérieurs  du  même  écrivain.  Polémiste  avant 
tout,  et  médiocre  docteur,  Petilianus  n'était  lui-même  que  dans 
l'ardeur  des  polémiques.  Le  docteur  est  bien  [làle,  en  face  du 
pamphlétaire  ou  de  1  orateui'. 


1)  Vii-ii-tiii,  De  un irohnittismn,  \H,  •>'.).  4)  Episl.  88;  71,  1,2;   72,   1. 

2)  Conlru  littiTus  l'elili,ini,  III,   lu,  11  ;  6)  Contra  lilLeras  Pctiliani.  III,   IC,  1'.» 
IG,  19  ;   17,  20.  cl  sui\.  ;  2.1,  30. 

ii)  Efiist.  53   et    !).">;    Cnnlra    liHcnis  ('>)  De  uiiiro  biii>UsiiK>,   1(1,2'.). 
Peliliaiii,   I,   1. 


PETILIÂNUS    DE    GONSTANTINE  61 


V 

Petilianus  orateur.  —  L'avocat.  —  L'orateur  de  concile.  —  Petiliaiius  à  la 
Coul'érence  de  Carthage  en  411.  —  11  est  un  des  adores  ou  avocats-man- 
dataires du  parti  donatiste.  —  Rôle  prépondérant  qu'il  joua  dans  cette 
assemblée.  —  Son  attitude  hautaine  et  intransigeante.  —  Ses  querelles. 

—  Ses  habiletés  d'avocat.  —  Ses  tentatives  d'obstruction.  —  Ses  innom- 
brables discours  et  ses  interruptions.  —  Première  séance.  —  Chicanes  de 
Petilianus.  —  Ses  obstructions.  -^  Ses  interventions  lors  de  la  vérifica- 
tion des  signatures.  —  Ses  discussions  avec  Aurelius  de  Carthage,  avec 
Alype  de  Thagaste.  —  Seconde  séance.  —  Nouvelles  obstructions  de 
Petilianus.  —  Troisième  séance.  —  Obstructions  et  discours  de  Petilianus. 

—  Nouvelles  discussions  avec  Alype.  —  Duel  oratoire  avec  Augustin.  — 
Caractère  de  cette  éloquence. 

Petilianus  n'a  pas  été  seulement  un  vigoureux  pamphlétaire  ; 
il  a  été,  de  plus,  un  véritable  orateur,  qui  partout  marquait  sa 
place  aux  premiers  rangs.  11  s'est  signalé,  tour  à  tour,  comme 
avocat  et  comme  orateur  de  concile. 

Avocat,  il  le  fut  d'abord  de  métier;  il  l'était  d'éducation,  et, 
probablement,  de  nature.  Ses  adversaires,  à  commencer  par 
Augustin,  lui  reconnaissaient  sans  hésiter  ce  genre  de  mérite. 
Comme  beaucoup  des  évêques  alricains  du  temps,  il  s'était 
formé  dans  les  écoles  de  rhéteurs,  où  il  avait  reçu,  très  com- 
plète, l'instruction  à  la  mode,  qui  préparait  directement  à  l'élo- 
quence du  barreau  '.  Aussitôt  sorti  des  écoles,  il  avait  exercé 
avec  un  grand  succès  la  profession  d'avocat-.  11  s'était  fixé  à 
Constantine,  sa  vilh;  natale,  où  il  fut  pendant  sa  jeunesse  le  roi 
du  barreau.  Il  serait  sans  doute  resté  avocat  toute  sa  vie,  et 
aurait  continué  de  vivre  en  paix  avec  l'Eglise  catholique  qui  le 
comptait  parmi  ses  catéchumènes,  si  les  Donatistes  de  l'endroit, 
par  un  coup  de  force,  ne  l'avaient  entraîné  dans  le  schisme  et 
les  luttes  d'Eglises 3.  Ce  qui  explique  le  coup  de  force  des  sec- 
taires, c'est  précisément  son  succès  au  barreau,  sa  réputation 
d'orateur.  Devenu  l'évêque  donatiste  de  Constantine,  l'ancien 
avocat  se  donna  tout  entier  à  sa  mission  nouvelle,  et  l'on  a  vu 
ce  qu'il  apporta  d'ardeur  ou  d'indomptable  ténacité  dans  les 
âpres  revendications  de  son  parti.  Mais,  dans  ces  fonctions  si 
différentes,  il  resta  toujours  avocat.  Dans  ses  discours  ou  dans 
ses  actes,   dans   ses  mandements  comme   dans  ses  pamphlets, 


1)  Contra  litleras  Peliliani,  I,  1  ;    II,  3)  Augustin,   Contra  litteras  Petiliani, 
23,  55;  98,  226  ;  101,  232.  II,  104,  239  ;  Sermo  ad  Caesareensis  Ec- 

2)  Ibid.,  III,  ]G,  19;  CoUat.  Carthag.,  clesiae  plebem,  8. 
III,  57. 

VI  5 


G2  LITTÉBATUHE    DONAÏISÏE 

c'est  également  en  avocat  qu'il  a  parlé  ou  agi,  combattu  ou 
discuté,  pi'éché  ou  maudit.  C'était  l'impression  d'Augustin,  qui 
no  se  fait  pas  faute  de  le  lui  reprocher'.  C'est  encore  aujour- 
d'hui rinipi-ession  très  vive  des  lecteurs  les  plus  compétents. 
Au  hnidemain  du  jour  où  nous  aA'ions  reconstitué  et  publié  la 
Lettre  jjastorale  adressée  par  Petilianus  à  son  clergé,  nous 
avons  entendu  des  avocats  du  barreau  parisien,  des  juristes, 
parler  avec  admiration  des  habiletés  oratoires  ou  juridiques  du 
vieil  évêf[ue  de  Constantine,  et  saluer  en  lui  un  lointain 
confrère. 

Avec  ces  dons  d'orateur,  joints  à  des  qualités  d'homme  d'ac- 
tion, Petilianus  était  tout  désigné  pour  jouer  un  rùle  i>répondé- 
raiit  romme  orateur  de  concile.  Malheureusement,  cette  partie 
de  son  œuvre  ne  nous  est  connue  que  d'une  façon  incomplète. 
Nous  ne  savons  rien  de  précis  sur  l'action  qu'il  a  pu  exercer 
dans  les  conciles  proprement  dits  de  son  parti.  Nous  constatons 
seulement  sa  présence  dans  un  synode  de  Numidie  en  4J8 
ou  41U';  mais  à  cette  date,  quand  son  Eglise  était  partout 
proscrite,  quand  lui-même  était  exilé  de  Constantine,  il  ne 
pouvait  ([n'enregistrer  la  débâcle  de  son  parti  et  maudire  les 
persécuteurs.  Nous  devons  donc  renoncer  à  suivre  l'évêque- 
avocat  dans  les  conciles  proprement  dits.  En  revanche,  nous 
le  voyons  à  l'œuvre  dans  une  assemblée  fameuse,  qui  est  bien 
encore  une  sorte  de  concile  contradictoire,  et  dont  le  procès- 
vtirbal  sténographié  nous  a  conservé  entièrement  tous  ses  dis- 
cours :  dans  la  célèbre  Conférence  de  Carthage.^  Grâce  à  cet 
énorme  dossier,  on  peut  se  faire  une  idée  nette  de  ce  que  fut 
l'orateiii-  :  un  orateur  qui  n'était  pas  muet  ces  trois  jours-là, 
puis([u  il  y  prit  la  parole  près  de  cent  cinquante  fois,  et  souvent 
p(mi'  |)rononcer  de  longs  discours. 

On  sait  que  Petilianus  fut,  en  411,  à  la  Conférence  de  Car- 
tilage, l'un  des  sept  adores  ou  avocats-mandataires  du  parti 
donatlste  '.  Tandis  <[ue  son  primat,  le  médiocre  et  lamentable 
Primianus  de  (iarthage,  s'effaçait  de  gré  ou  de  force  et  s'en- 
f(!rinait  dans  un  silence  [)rudent,  l'évèque  schismatique  de 
(Constantine,  hardi,  j)lein  de  ressources,  avisé,  toujours  jirèt 
])0ur  l'attaqufi  comme  pour  la  riposte,  prit  la  direction  du  parti, 
(;t  sontint  vaillamment  la  lutt(\  du  moins  jus([u'au  moment  où 
la   situati(jn   lui    j)ai'ut  dést^spéree.   Dans  cette  joute  solennelle 


1)  Cunlrn    lUlnaa    l'rtilinul.    III,    I    .1  W,  Cullul .  CiirlluK,!.,    I,   14!S  cl    'M^  ;   II, 
siiiv.  ;   !•;,  1'.'  <•!  siiix.  ;  jV.l,  71.                          2  cl  11'  :   111,  2  ;  ulc. 

2)  (Jouira  Gnudenliuin,  I,  :!7,   \7-\-<. 


PETJLIANUS    DE    CONSTANÏI^E  63 

entre  les  deux  Eglises  africaines,  il  eut  les  attitudes  et  les  ini- 
tiatives d'un  chef  :  en  face  d'Augustin,  qui  semblait  y  personni- 
fier le  Catholicisme,  il  y  représentait  vraiment  le  Donatisme. 
Avec  son  collègue  Emeritus,  évêque  de  Gaesarea,  il  organisa 
savamment  et  mena  patiemment  l'obstruction,  qui  était  dans  le 
plan  des  schismatiques.  Il  se  montra  le  plus  ferme  champion  de 
sa  secte  :  orateur  énergique,  hautain  et  intransigeant,  en  même 
temps  qu'avocat  retors.  Il  fut  constamment  sur  la  brèche, 
comme  l'atteste  le  procès-verbal  des  séances. 

A'oici  de  petites  scènes  ({ui  peignent  l'homme.  A  la  première 
séance,  le  président Marcellinus  invite  les  évoques  des  deux  partis 
à  siéger:  autrement  dit,  à  s'asseoira  Petilianus  déclare  qu'il 
s'y  refuse,  et,  avec  lui,  tous  les  Donatistes  "'.  Il  ne  daigne  pas 
alors  dire  pourquoi,  mais  les  assistants  connaissaient  la  raison 
ordinairement  alléguée  par  les  schismatiques  :  |les  saintes 
Ecritures  ne  permettaient  pas  aux  «  justes  »  de  siéger  avec  les 
«  impies  »,  c'est-à-dire  avec  les  Catholiques.  A  la  seconde 
séance,  la  scène  se  renouvelle  :  encore  plus- étrange,  par  l'ex- 
posé des  motifs.  Dès  l'entrée  des  évéques,  le  président  leur  dit: 
«  A  l'audience  précédente,  je  vous  ai  plusieurs  fois  offert  de 
vous  asseoir  :  le  fait  est  établi.  Maintenant  encore,  je  vous  prie 
instamment  de  daigner  vous  asseoir  -K  »  Tandis  que  les  évo- 
ques catholiques  gagnent  leurs  sièges,  Petilianus  refuse  de 
nouveau  :  «  Ce  que  nous  n'avons  pas  fait  à  l'audience  précé- 
dente, nous  n'osons  le  faire  aujourd'hui.  »  Comme  le  président 
insiste,  Petilianus  reprend  :  «  En  l'absence  de  nos  pères,  nous 
ne  pouvons  nous  asseoir;  d'autant  mieux  que  la  Loi  divine  nous 
défend  de  siéger  avec  des  adversaires  comme  ceux-ci  '.  »  En 
vain,  le  président  fait  observer  que  c'est  le  condamner  lui-même 
àrester  debout,  par  politesse.  Pendant  que  les  évéques  catho- 
liques se  lèvent  à  leur  tour  et  que  le  président  fait  emporter 
son  siège,  Petilianus  se  contente  d'ajouter  :  «  Qu'il  soit  bien 
établi  au  procès-verbal,  que  tu  fais  cela  par  ta  propre  volonté, 
non  par  la  nôtre  '^.  »  Et,  comme  le  président  observe  qu'il  ne 
peut  procéder  autrement,  le  farouche  sectaire  conclut  :  «  C'est 
un  honneur  que  tu  nous  rends  ^.  »  Le  résultat  le  plus  clair  de 
cette  fantaisie  d'intransigeance,  c'est  que  le  président  et  les 
évéques  des  deux  partis  durent  rester  debout  pendant  trois  jours. 

Ailleurs,  ce  sont  des  scènes  de  violence  :  mais  d'une  violence 


1.)  Collât.  Cavlhaq.,   I.    ]i4.  4)  Colhd.  Carllm,!.,   !l,   [. 

2)  Ibid.,  I,  145.   '  5)  Ihid.,  II,  6. 

3)  Ibid.,  Il,  d.  6)  Ibid.,  II,  7. 


64  LITTKRATURE    DONATISTE 

si  bien  mêlée  de  chicanes  imprévues,  qu'elles  tournent  parfois 
au  comi([ue.  Sous  tous  les  prétextes,  Petilianus  prend  à  partie 
tel  ou  tel  de  ses  adversaires.  Toutes  les  fois  que  l'occasion  s'en 
présente,  il  attaque,  injurie  ou  menace  celui  qui  était  Araiment 
sa  «  bête  noire  »,  son  collègue  et  rival  catholique  de  Constantine  : 
ce  Fortunatus,  que  naguère  il  traitait  de  Manichéen  ',  et  en 
qui  maintenant  il  croyait  devoir  maudire  le  persécuteur  de  son 
Eglise  '.  A  d'autres  moments,  ce  sont  des  querelles  avec  Au- 
relius  de  Garthage  •',  surtout  avec  Alype  de  Thagaste,  l'ami 
d'Augustin,  dont  la  charité  n'était  pas  toujours  patiente  '. 
Enfin,  pendant  la  dernière  séance,  Petilianus  tient  résolument 
tête  à  Augustin  lui-même,  qu'il  ne  ménage  pas  davantage,  e 
dont  il  rétorque  avec  insolence  les  arguments,  et  dont  il  con- 
teste même  l'ordination  ■'.  Petilianus  était  de  ces  orateurs  qui 
toujours  déchaînent  autour  d'eux  la  bataille  et  l'injure,  mais 
sans  jamais  perdre  de  vue  leur  objectif,  et  pour  qui  l'injure 
même  est  un  moyen  de  démonstration. 

En  effet,  dans  cette  Conférence  de  Garthage,  Petilianus  ne  se 
montre  pas  seulement  hautain,  intransigeant  et  querelleur  ;  il  se 
montre  aussi  un  habile  avocat. 

Sa  première  habileté,  ou,  si  l'on  veut,  le  secret  de  sa  force, 
c'est  son  évidente  et  ardente  conviction.  On  le  voit  bien  au  ton 
dont  il  parle  de  Donat,  le  prophète,  le  «  dieu  »  de  la  secte.  Au 
début  de  la  seconde  séance,  il  proteste  contre  les  passages  du 
procès- verbal  de  la  séance  antérieure,  où  les  évêques  de  son 
Église,  qui  avait  la  prétention  de  représenter  la  véritable  Eglise 
catholique,  étaient  désignés  comme  «  évêques  du  parti  de 
Donat  "•  ».  Mais,  tout  en  protestant  par  principe  contre  cette 
appellation,  il  ne  manque  pas  l'occasion  de  glorifier  son  grand 
Donat  :  k  Nous  sommes,  dit-il,  les  évê(jues  de  la  vérité  du 
Christ  notre  Seigneur  :  nous  le  déclarons,  et  cela  a  été  sou- 
vent reconnu  dans  les  actes  publics.  Quant  à  Donat,  un  homme 
de  sainte  mémoire,  d'une  gloire  de  martyr,  notre  prédécesseur, 
l'ornement  de  l'Eglise  de  cette  ville  (^Carthage),  nous  le  véné- 
rons selon  son  rang  et  son  mérite".  »  A  la  séance  suivante,  il 
recommence  le  panégyrique  de  son  grand  homme  :  «  Mainte- 
nant encore,  dit-il,  je  déclare  que  mon  premier  chef  est  et  a  été 
Donat,  un  homme  de  bienheureuse  et  sainte  mémoire,  évéquede 

1)  Aiif^u^lin, />(•  h;i(Vo /«i/)/is/;i().  l(i,  2;t.  '>)    c.oUitl.    l'.iiilhiuj..     III,    22(1-247.    — 

2/  Collai.  Cartiiwj.,   I,  tiô  cl  Kî'.i.  Cf.    III,   52-:)ô  ;  2(i:5-2(»7  ;    217-222. 
A)  Ihiil.,   I,  15S-16.S.  f.)  Ilnd.,  1,   1-2  ;   l-ô  ;  In  ;   14  ;  etc. 

4i    Ilnd.,     I,    ]22-)2.-.  ;    i:iC-i:{7  ;    ISl-  7)  /6k/.,  Il,  10. 

185  ;  207-208  ;  III,  2.V34. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTI.NE  G5 

cette  ville,  dont  les  mérites  ont  éclaté  en  une  telle  floraison  que 
le  temps  lui-même  n'effacera  point  la  gloire  de  ces  temps-là  '.  » 
Pour  révèque  de  Constantine,  comme  pour  la  plupart  des  gens 
de  sa  secte,  l'Eglise  du  Christ  était  surtout  l'Eglise  de  Donat 

Dans  la  défense  de  ses  idées  et  des  principes  de  son  parti, 
principes  ([ui  pour  lui  sont  au-dessus  de  toute  contestation,  Peti- 
lianus  apporte  des  habiletés  et  des  roueries  d'avocat.  C'est  un 
curieux  spectacle  que  celui  de  ses  tentatives  toujours  renou- 
velées d'obstruction.  Il  connaît  à  fond  les  règles,  les  ressources 
et  les  ruses  d'une  double  procédure,  dont  il  use  et  abuse  sans 
vergogne  :  procédure  du  barreau,  et  procédure  d'Eglise.  Mis  en 
échec  sur  un  point,  il  prend  aussitôt  l'offensive  sur  un  autre. 
Il  n'est  jamais  complètement  battu,  parce  que  jamais  il  ne 
s'avoue  vaincu.  Par  là,  il  déconcerte  le  président,  et  trouble 
parfois  jusqu'à  ses  adversaires.  Tantôt  par  des  discours  en  règle, 
tant(')t  par  de  brèves  et  tranchantes  observations,  tantôt  par  de 
vives  interruptions  ou  d'injurieuses  personnalités,  toujours  il 
trouve  moyen  d'eutravei'  la  marche  des  débats.  Par  moments,  le 
procès-verbal  des  séances  semble  le  procès-verbal  des  obstruc- 
tions imaginées  par  Petilianus,  de  ses  scrupules  juridiques  ou 
de  ses  chicanes  '-. 

Pour  se  rendre  compte  du  rôle  prédominant  que  joua  l'évéque 
de  Constantine  dans  cette  assemblée  de  Carthage,  et  pour 
saisir  sur  le  vif  les  ressources  multiples  de  son  éloquence,  il  faut 
le  suivre  dans  les  débats  confus  des  trois  séances,  et  noter  au 
moins  quelques-uns  des  discours  qu'il  prononça  au  cours  des 
principales  discussions. 

Dès  l'ouverture  de  la  première  séance,  le  1'='  juin,  il  est  sur 
la  brèche.  De  tous  les  évêques,  il  est  le  premier  qui  prenne  la 
parole.  Il  le  fait,  d'ailleurs,  avec  sa  mauvaise  grâce  et  son 
âpreté  ordinaire.  Après  la  lecture  d'un  de  ses  édits  de  convoca- 
tion, le  président  ^Nlarcellinus  insiste  sur  une  des  clauses  de  cet 
édit,  qui  lui  paraissait  de  nature  à  rassurer  complètement  les 
schismatiques  sur  son  entière  impartialité  :  «  Ledit  qu'on  vient 
de  lire,  dit-il,  sera  inséré  dans  le  procès-verbal  de  la  présente 
audience.  Il  établit  que  je  vous  ai  fait  nettement  cette  proposition  : 
si  vous  le  vouliez,  votre  parti  pourrait  élire  un  second  juge  en- 
quêteur (cognitor),  qui  siégerait  avec  moi.  Si  ce  juge  est  là, 
qu'il    veuille   bien  entrer  •'^.     »    Petilianus    intervient    aussitôt 


\)  CoUat.  Carthag.,  \\\,m.  75;    138    et    suiv.  ;    149;    etc. 

2)  Ibid.,  I,  29  ;  53  ;  61-70  ;  145  ;   165  ;  3)  Collât.  Carlhag.,   I,  6. 

II,  3-7  ;  10  ;    20-23  ;  35-43  ;    III,  30-34  ; 


66  LITTÉRATURE    DONATISTE 

pour  décliner  brutalement  cette  faveur  au  nom  de  son  parti  : 
«  Nous  n'avons  pas  à  élire  un  second  juge,  nous  qui  n'avons  pas 
demandé  le  premier  '.  »  On  n'est  pas  plus  discourtois. 

Cette  question  réglée,  l'évéque  de  Gonstantine  prend  l'offen- 
sive, tout  en  déclarant  qu'il  ne  veut  pas  la  prendre.  Il  déclare 
que  le  rôle  d'accusateurs  incombe  aux  Catholiques,  puistfa'ilsont 
sollicité  la  réunion  de 'la  conférence.  Il  a  soin,  d'ailleurs  de 
faire  à  l'avance  toutes  ses  réserves  sur  les  résultats  do  la  con- 
troverse :  «  Toutes  réserves  faites  pour  nos  droits,  en  ce  qui 
touche  aux  personnes  et  à  la  cause,  nous  attendons  que  nos  ad- 
versaires produisent  leurs  griefs,  eux  qui  ont  réussi  à  obtenir 
cette  conférence  ^.  »  .Vinsi,  avant  toute  discussion,  l'avocat  se 
ménage  une  échappatoire. 

Cependant,  avant  d'ouvrir  les  débats,  le  président  fait  ter- 
miner la  lecture  des  pièces  du  dossier.  Le  dernier  document  lu 
par  les  greffiers  était  un  second  édit  de  JMarcellinus  lui-même, 
où  le  commissaire  impérial  s'était  encore  efforcé  de  rassurer 
d'avance  et  d'amadouer  les  schismatiques  •'.  Obligé  d'en  con- 
venir, Petilianus  remercie  le  président  pour  ses  promesses  d'im- 
partialité. Mais,  bien  vite,  il  revient  à  la  charge.  Il  demande 
impérieusement  que  ses  adversaires  précisent  pourquoi  ils  ont 
réclamé  une  conférence  :  «  Tu  as  rempli  noblement  ton  rôle, 
en  promettant  d'être  juste  ])Our  les  parties,  et  plein  d'attentions 
pour  les  oreilles  du  public,  Mais  tout  cela  est  antérieur  à  la 
cause,  et  n'est  pas  de  la  cause.  Aussi,  nous  adressons  d'abord  à 
ta  puissance  cette  demande  :  ordonne  à  celui  qui  s'est  démené 
pour  me  faire  convoquer  par  des  édits,  pour  m'arracher  à  mon 
siège  épiscopal,  pour  ni'imposer  les  fatigues  de  la  route,  or- 
donne-lui de  produire  sa  requête.  Qu'il  dise  pourquoi  il  a  désiré 
ma  présence.  Alors  je  saurai  si  je  dois  ou  ce  (|ue  je  dois  ré- 
pondre '',  »  Ce  que  l'avocat  savait  bien,  c'est  qu'il  était  décidé 
à  ne  pas  répondre,  ou  à  répondre  à  côté. 

Bientôt,  en  effet,  commencent  les  obstructions,  qui  se  renou- 
velleront jus(}u'à  la  fin  de  la  séance.  Les  Catholiques,  prétend 
Petilianus,  sont  arrivés  en  retard,  ils  ont  laissé  passer  le  délai 
fixé  par  les  édits  ;  donc,  la  conférence  ne  peut  avoir  lieu,  et  le 
juge  doit  les  condamner  par  défaut  ■'.  En  outre,  la  désignation 
de  mandataires  est  contraire;  aux  usages  de  l'I-^glise  '',  Cepeai- 
dant,  l'avocat  n'insiste  pas  là-dessus.  C'est  (pi'il  entrevoit,  dans 


1)  Collai.  CurtluKj.,  1,  7.  4)  Collât.  Cnrthmi.,  1,  12. 

2)  Ihid.,  I,  y.  5)  Ibiil.,  I,  2<t. 

3)  IbUI.,  I,  10.  G)  //„,/.,  I,  .-,;{. 


PEÏILTANUS    DE    GO^'STANtI^'E 


67 


le  contrôle  de  la  nomination  do  ces  mandataires,  une  mine  presque 
inépuisable  d'obstructions  nouvelles.  Il  réclame  la  vérifica- 
tion de  toutes  les  signatures  du  mandatum  des  Catlioli(|ues  '. 
C'est,  pour  lui,  l'occasion  d'une  série  de  discours,  où  il  expose 
ses  raisons.  Les  Catholiques,  dit-il,  ne  sont  pas  si  nombreux 
qu'ils  le  prétendent  ;  beaucoup  de  leurs  évèques  étant  absents, 
il  peut  y  avoir  des  mandants  fictifs  '  ;  c'est  pourquoi  les  Dona- 
tistes  désirent  constater  par  eux-mêmes  la  présence  de  tous  les 
évèques  de  rÉglise  rivale  '.  De  plus,  les  Catholiques  ont  récem- 
ment augmenté  le  nombre  de  leurs  évêchés  ;  par  exemple,  ils  en 
ont  institué  deux  dans  le  diocèse  de  Constantine,  trois  dans  le 
diocèse  de  Milev  ^  ;  le  président  doit  donc  contrôler,  par  un 
appel  nominal,  la  présence  et  le  nombre  des  mandants  de  chaque 
parti  ■'.  Après  l'appel  interminable  de  tous  les  Catholiques, 
Petilianus  demande  qu'on  procède  de  même  pour  les  Donatistes  : 
on  pourra  constater  ainsi  ([ue  l  Eglise  de  Donat  l'emporte  en 
îSumidie  par  le  nombre  de  ses  évéchés  '\  Et,  de  nouveau, 
retentit  l'appel  nominal.  Et  les  heures  passent.  Et  le  président 
ne  réussit  pas  à  ouvrir  le  véritable  débat.  Et  Petilianus  triomphe. 

De  sa  triomphante  obstruction  sur  le  double  niandatum,  il 
sait  encore  faire  sortirincidemment  d'autres  obstructions.  Tandis 
que  se  poursuit  monotone  l'appel  nominal,  et  que  les  noms 
d'évéques  tombent  lentement,  un  à  un,  de  la  bouche  des  gref- 
fiers, il  écoute  avec  une  héroïque  attention,  prêt  à  rectifier,  à 
protester,  à  accuser.  Il  estime,  en  effet,  que  les  Donatistes  doi- 
vent contrôler  eux-mêmes,  publiquement,  toutes  les  signatures 
de  leurs  adversaires.  Aussi,  pendant  ces  longues  et  fastidieuses 
procédures  de  la  vérification,  le  procès-verbal  enregistre,  à  tout 
moment,  ses  interventions  autoritaires,  généralement  agressives. 

Par  exemple,  un  greffier  lance  le  nom  d'un  évêque  de  Liber- 
tiua,  en  Proconsulaire.  Aussitôt,  Petilianus  prend  la  parole 
pour  faire  remarquer  que,  là  comme  ailleurs,  les  Catholiques  ont 
arbitrairement  morcelé  le  diocèse  :  «  Dans  un  seul  diocèse, 
celui  de  notre  collègue  lanuarius  ici  présent,  oui,  dans  un  seul 
diocèse,  vous  avez  installé  contre  lui  quatre  évoques  :  simplement 
pour  augmenter  votre  nombre...  Oui,  vous  êtes  quatre  contre 
un  "' .  »  Ailleurs,  Petilianus  constate  que  l'évêque  catholique 
est  un  ancien  Donatiste,  récemment  converti  *^.  Ou  bien,  Tora- 


1)  Collai.  Carlhag.,  I,  59. 

2)  Ibld.,  I,  61. 

3)  Ibid.,  I,  (i3. 

4)  Ibid.,  I,  65. 


5)  CoUat.  Carlluuj.,  I,  70.  —  Cf.  I,  '.)2  ; 
%  ;  110. 

())  Ibid.,  I,  16."). 

7)  Ibid.,  I,  117  et  119. 

8)  Ibid.,  I,  121. 


68 


LITTERATURE    DONATISTE 


teur  s'étonne  (|Lie  Fortuuatianus  de  Sicca  et  Fortunatus  de  Gons- 
tantine  puissent  être  à  la  fois  mandants  et  mandataires  : 
«  Jamais  personne,  s'éerie-t-il,  ne  s'est  donné  à  soi-même  un  man- 
dat '.  ))  Singulière  chicane,  assurément,  puisque  Petilianus lui- 
même  était  exactement  dans  le  même  cas. 

A  d'autres  moments,  c'est  sur  ses  amis  les  Donatistes,  ou  sur 
leurs  diocèses,  qu'il  fournit  des  renseignements.  D'ordinaire, 
il  veut  simplement  expliquer  pourquoi  telle  ou  telle  localité  n'est 
pas  représentée  dans  le  mandatiun  de  son  parti  :  c'est  que 
l'évèque  est  mort,  ou  qu'il  est  malade,  ou  que  pour  une  raison 
quelconque  «  il  n'a  pu  v^enir,  il  a  envoyé  une  lettre  d'excuse-  ». 
l^irfois,  dans  cette  localité,  les  Donatistes  ont  seulement 
un  prêtre  :  l'orateur  l'avoue,  mais  l'aveu  lui  coûte  ^.  Certains 
cas  sont  vraiment  délicats  :  il  s'agit  d'expliquer  comment  un 
collègue  absent,  qui  n'a  pas  quitté  sa  ville  épiscopale,  a  pu 
signer  le  mandaium  à  Carthage  "*,  ou  même,  comment  un  autre 
collègue  a  pu  donner  sa  signature  après  sa  mort  ^.  Jusque 
diins  ces  cas-là,  Petilianus  essaie  de  justifier  ses  amis  :  on  ne 
s'étonne  pas  qu'il  s'empêtre  alors  dans  ses  habiletés. 

Comme  bien  l'on  pense,  durant  ces  orageuses  vérifications 
de  signatures,  les  Catlioli([ues  ne  restaient  pas  muets:  d'où, 
fréquemment,  de  vives  discussions,  qui  facilement  dégénéraient 
en  disputes.  Ici  encore,  Petilianus  était  au  premier  rang.  On 
connaît  ses  querelles  avec  son  collègue  catholique  de  Constan- 
tine'"'.  Le  voici,  maintenant,  aux  prises  avec  Aurelius  de  Car- 
tilage, })uis  avec  Alype  de  Thagaste. 

Avec  Aurelius  de  Carthage,  l'occasion  de  la  dispute  fut  l'ap- 
pel du  nom  de  Félix,  l'évèque  donatiste  de  Home".  Ce  Félix 
avait  fui,  comme;  beaucoup  de  Homains,  devant  l'invasion  des 
(iotlis.  Se  trouvant  à  Carthage,  il  s'était  mêlé  aux  assemblées 
de  son  parti,  dont  il  avait  signé  le  mandcilum  :  l'un  des  pre- 
miers, aussitôt  après  les  primats  de  Numidie  et  de  Carthage.  A 
l'appel  du  nom  de  Félix,  suivi  de  son  titre  d'évéque  de  Rome, 
Aurelius  de  Carthage,  comme  chef  officiel  de  l'Eglise  africaine, 
croit  devoir  protester:  «  Eh  bien  !  observe-t-il,  en  voilà  un  qui 
se  dit  évê([ue  de  la  ville  de  Home.  Pounjuoi  empiéter  sur  les 
droits  d'un  absent»  (c'est-à-diie  du  pape) '^  ?  Petilianus  inter- 
vient, pour  justifier  la  présence  de  cet  intrus  dans  une  assem- 


1)  Collai.  CditluKi.,  I.  1 10. 
•2)  Ihid.,  I,  12U-121. 

:})  //'/./.,  I,  12»;. 

I     ll'td.,    I,  2(11. 


ô)  Collai.  C<irlha<i.,   1,  207-208. 
6j  Ihiil.,  I,  i:{.s.r;j;). 

7)  Ibid.,  1,  l.-)7. 

8)  Ihid.,   I.  158. 


PETILIANUS    DK    CONSTANTINE 


69 


blée  d'évêques  africains  :  «  La  raison  qui  a  amené  ici  Félix, 
personne  ne  l'ignore.  Que  toute  la  noblesse  romaine  est  ici,  vous 
le  savez  bien.  Le  même  ouragan  et  la  même  nécessité  ont  amené 
ici  Félix.  Pour  ne  pas  avoir  l'air  de  se  séparer  de  nous,  il  a 
signé,  lui  aussi,  le  mandatiun  '.  »  Aurelius  ne  se  tient  pas  pour 
satisfait  :  «  Nous  aurions  pu,  nous  aussi,  faire  venir  des  évêques 
d'outre-mer,  pour  ajouter  leurs  noms  aux  signatures  de  notre 
mandatiun  '•.  »  Après  une  intervention  conciliante  du  président, 
Aurelius  reprend  :  «  Il  est  bien  établi  que  nous  n'avons  pas 
laissé  empiéter  sur  les  droits  d'un  absent'.  »  —  «  Eh  bien! 
réplique  Petilianus,  qu'en  toute  chose  ils  suivent  cette  règle  et 
s'y  tiennent  :  qu'ils  renoncent  à  parler  pour  des  absents  et  des 
gens  d'outre-mer.  »  —  «  Oui,  répond  Aurelius,  il  est  bien  éta- 
bli que  nous  l'avons  déclaré  :  c'est  Innocentius  qui  est  l'évêque 
de  la  ville  de  Rome  ''.  »  Il  avait  fallu  cet  incident  un  peu  extra- 
ordinaire, la  présence  inattendue  d'un  pape  donatiste,  pour  que 
le  primat  d'Afrique,  ordinairement  si  calme  dans  sa  fermeté,  se 
départit  un  instant  de  son  sang-froid. 

Alype  de  Thagaste,  l'élève  et  l'ami  d'Augustin,  était  plus 
prompt  à  partir  en  guerre  :  presque  autant  que  Petilianus,  il 
était  d'instinct  batailleur  et  d'esprit  mordant.  En  outre,  les  deux 
évêques  numides,  presque  voisins,  paraissent  avoir  eu  l'un 
contre  l'autre  une  animosité  particulière.  Entre  eux,  pendant 
les  vérifications  de  signatures,  les  querelles  furent  incessantes, 
renaissant  à  propos  de  tout. 

On  lit  le  nom  de  Victorianus,  évêque  catholique  de  Musti,  en 
Proconsulaire.  Celui-ci  se  présente  et  dit  :  «  J'ai  contre  moi 
Felicianus  de  Musti  et  Donatus  de  Turris  -^  »  Il  s'agit  de  ce 
Felicianus  le  Maximianiste,  contre  qui  les  Primianistes  mon- 
trèrent tant  d'acharnement.  Alype  ne  manque  pas  l'occasion 
d'évoquer  le  souvenir,  qu'il  sait  être  désagréable  à  ses  adver- 
saires, de  ces  querelles  entre  schismatiques  :  «  A  propos  du  nom 
de  Felicianus,  est-ce  que  celui-ci  est  dans  la  communion  de  Pri- 
mianus^?  »  Mais,  déjà,  gronde  Petilianus  :  «  Qui  t'a  donné  ce 
genre  de  mandat,  et  aunom  de  qui  exiges-tu  cette  explication  ? 
Veux-tu  donc  prendre  le  masque  de  ceux  qui  sont  dehors"  ?  » 
Alype  répond  tranquillement  :  «  Soit,  qu'il  réponde  à  ma  ques- 
tion^. »  —  «  Cela  relève  du  fond  de  l'affaire^'  »,  réplique  assez 


1)  Collât.  Curlhaij. 

2)  Ibid.,  I,   IGO. 

3)  Ihid.,   I,  162. 

4)  Ibid.,   I,  168. 

5)  Jbid.,  1,  121. 


[,  1.59. 


6)  Collai.  CailluK/.,  \,  122. 

7)  Ibid.,  I,  )23.  ' 

8)  fbid.,  I,  124. 

9)  Ibid.,   I,  125. 


70  LITTÉRATURE    DONATISTE 

piteusement  Petilianus.  Le  coup  a  porté  juste,  puisque  le  terrible 
sectaire  bat  en  retraite. 

Il  essaie  bientôt  de  prendre  sa  revanche.  Cette  fois,  c'est 
Alype  lui-même  qui  est  en  cause,  pour  s'être  félicité  tout  haut 
de  la  déroute  du  parti  de  Donat  dans  sa  ville  épiscopale  de  Tha- 
gaste,  la  patrie  d'Augustin.  A  l'appel  de  son  nom,  Alype  pro- 
clame la  victoire  des  Catholiques  dans  son  diocèse  :  «  Thagaste 
a  la  joie  de  voir  rétablie  l'antique  unité.  Plaise  à  Dieu  que  la 
même  joie  nous  soit  donnée  pour  toutes  les  autres  localités  '  !  » 
—  «  Funeste  unité,  s'écrie  Petilianus, funeste  unité,  qui  à  l'inno- 
cence unit  le  crime.  Pas  de  mélange  possible  entre  les  deux 
choses -.  »  Alype  ne  s'émeut  guère  de  ce  coup  de  boutoir. 

Un  peu  plus  tard,  la  querelle  reprend  à  propos  de  tous  ces 
nouveaux  diocèses  qu'avaient  l'écemment  créés  les  deux  partis. 
Le  greffier  vient  de  lire  les  noms  d'une  série  d'évêques  dona- 
tistes,  qui  gouvernaient  d'insignifiantes  communautés  dans  de 
misérables  bourgs,  inconnus  même  de  la  plupart  des  Africains. 
Alype  prend  la  parole  pour  constater  le  fait  :  «  Consignez  au 
procès-A^erbal  que  tous  ces  gens-là  ont  été  ordonnés  évêques 
dans  des  propriétés  rurales  (villae)  ou  dans  des  domaines 
{fundi.,  non  dans  des  cités  3.  »  Petilianus  n'est  pas  long  à  re- 
tourner l'accusation  :  «  Toi  aussi,  tu  as  beaucoup  d'évêques 
dispersés  dans  toutes  les  campagnes.  Bien  mieux,  là  où  tu  as 
des  évêques  en  foule,  tu  as  bien  là  des  évêques,  oui,  mais  sans 
fidèles^  ».  En  fait,  sur  ce  point,  les  deux  adversaires  avaient 
également  raison. 

Tous  deux  encore  avaient  raison,  quand  ils  se  reprochaient 
mutuellement  les  moyens  employés  par  l'autre  parti  j)Our  gros- 
sir artiHciellement  le  nombre  de  ses  adhérents.  «  Qu'il  soit  bien 
attesté,  dit  AlyjJC,  que  nos  adversaires  veulent  insérer  même 
les  noms  des  absents.  Nous  avons  donc  le  droit,  nous  aussi, 
d'insérer  dans  le  procès-verbal  les  noms  de  tous  les  évêques 
catholiques  (jiii,  pour  cause  de  maladie  ou  pour  une  raison  quel- 
conque, n'ont  pu  se  présenter^.  »  A  quoi  Petilianus  réplique: 
«  Puisque  la  j)artie  adverse  a  notifié  et  attesté  qu'elle  a  des 
absents,  nous  faisons,  nous  aussi,  une  déclaration  analogue. 
Beaucoiq)  des  niHres,  em[)êcliês  par  des  nécessités  diverses  ou 
par  hjur  mauvaist;  santé,  ne  sont  pas  venus.  En  outre,  beaucoup 
de    nos   sièges,   maintenant,  sont    vacants    :  il    n'a   pu  encore 


1)  Collai.  Cinih'ig.,   I,   13C.  4)  Callul.  Citriluuj.,  I,  182. 

2)  Ibid.,  I,  137.  5)  Ibid.,  1,   184.  " 
.S)    //)/(/.,  1,    isi. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  71 

y  être  pourvu  par  l'ordination  d'évêques.  Que  cela,  aussi,  soit 
consigné  au  procès-verbal  K  »  Satisfaction  fut  donnée  aux 
deux  orateurs,  puisque  leurs  déclarations  figurent  au  procès- 
verbal. 

Mais  où  la  querelle  s'envenime  surtout,  c'est  quand  Petilia- 
nus  cherche  à  expliquer  comment  la  signature  d'un  de  ses  col- 
lègues, mort  en  route,  pouvait  se  trouver  sur  le  mandatum 
signé  à  Carthage.  Après  constatation  du  fait,  Alype  dit  d'un 
air  de  dédain  :  u  II  suffit  qu'on  les  ait  pris  sur  le  fait.  Conti- 
nuons. »  Petilianus  réplique  brutalement:  «  Tu  n'as  rien  pris 
du  tout.  Tu  argumentes  contre  la  vérité.  »  —  «  C'est  toi  qui 
l'as  dit  »,  répond  Alype-.  Le  président  lui-même  s'étonne  del'ef- 
front&rie  du  Donatiste.  Avec  son  ferme  bon  sens,  il  lui  pose  ce 
dilemme  embarrassant:  «  S'il  est  vrai,  comme  vous  l'affirmez, 
que  cet  évêque  est  mort  en  route,  sa  signature  est  évidemment 
fausse;  si  au  contraire  il  a  signé  lui-même,  il  n'a  pu  mourir  en 
route.  »  Décontenancé  un  instant,  Petilianus  balbutie  :  «  N'est- 
ce  pas  le  fait  d'un  homme,  de  mourir?  Est-ce  qu'on  ne  voit  pas 
des  mourants  signer  leur  testament  ?»  —  «  Oui,  lui  crie  Alype, 
c'est  le  fait  d'un  homme,  de  mourir  ;  mais  ce  n'est  pas  le  fait 
d'un  galant  homme,  de  tromper.  »  Pourtant,  dans  l'intervalle, 
le  Donatiste  a  trouvé  son  explication  :  «  Ce  n'est  pas  tromper  : 
il  a  pu  mourir  en  route  au  retour  \  »  Et  Petilianus,  cette  fois 
encore,  fut  convaincu  qu'il  avait  eu  le  dernier  mot. 

En  tout  cas,  ce  jour-là,  il  avait  atteint  son  objectif.  Toutes 
ces  chicanes  et  ces  querelles  avaient  rempli  bien  des  heures  ; 
la  nuit  arrivait.  Le  président  dut  ajourner  les  débats. 

La  seconde  séance,  qui  eut  lieu  le  surlendemain,  fut  encore 
toute  en  obstructions  et  en  chicanes.  C'est  dire  qu'on  y  enten- 
dit souyent  la  voix  de  Petilianus.  Successivement,  il  déclare  que 
les  vi'ais  chrétiens,  comme  lui  et  ses  amis,  ne  peuvent  s'asseoir 
dans  la  même  salle  que  des  impies  comme  les  pseudo-Catho- 
liques '*  ;  il  proteste  contre  le  nom  d'  «  évêques  du  parti  de  Do- 
uât —  episcopi  partis  Donati  »,  donné  aux  évêques  de  son 
Eglise  dans  le  procès-verbal  de  la  première  séance'';  il  proteste 
encore  contre  l'article  du  règlement  de  la  Conférence,  qui  obli- 
geait tout  orateur  à  signer  toutes  les  paroles  prononcées  par 
lui'';  au  reproche  qu'on  lui  adresse  de  ne  pas  observer  ce 
règlement,  il  réplique   que   ses  adversaires  ont    contrevenu   à 


1)  CoUat.  Carlhmj.,  I,   185.  4)  CoUat.  CarUuuj.,  II,  3-7. 

2)  Ibid.,  I,  207.  5)  Ibid.,  II,  10.  ' 

3)  Ibid.,  I,  208.  6)  Ibid.,  II,  16. 


72  LITTÉRATURE    DONATISTE. 

l'édit  de  Marcellinus  en  ne  rendant  pas  la  plupart  des  églises  ^  ; 
enfin,  avant  toute  discussion  sur  le  fond,  il  exige  communica- 
tion du  procès-verbal  complet  de  la  séance  précédente-.  Il 
triomphe  une  fois  déplus,  puisqu'il  obtient  encore  l'ajournement 
de  la  Conférence^. 

Cependant,  la  fortune  devait  le  trahir,  le  8  juin,  à  la  fin  de 
la  troisième  séance.  Jamais,  pourtant,  son  éloquence  n'avait  eu 
plus  de  ressources  et  de  vigueur.  Il  n'en  fut  pas  moins  vaincu, 
mais  par  Augustin. 

Pendant  la  plus  grande  partie  de  cette  troisième  séance,  Peti- 
lianus  organise  de  nouveau  ses  savantes  obstructions.  Pour 
éviter  qu'on  en  arrive  à  parler  sérieusement,  à  traiter  la  véri- 
table question,  il  prononce  discours  sur  discours.  Il  proteste 
contre  le  nom  de  «  Donatistes  »  donné  à  son  parti,  et  contre  la 
prétention  qu'ont  ses  adversaires  de  représenter  l'Eglise  catho- 
lique''.  D'accord  avec  Emeritus  de  Ciesarea,  il  demande  com- 
munication du  texte  de  la  re([uéte  adressée  par  les  Catholiques 
à  l'empereur  pour  solliciter  la  réunion  de  la  Conférence':  les 
solliciteurs,  dit-il,  y  ont  calomnié  l'Eglise  de  Donat,  et,  pour 
cette  raison,  refusent  de  produire  leur  requête''.  En  outre,  il 
accuse  ses  adversaires  de  chercher,  par  ce  refus,  à  éviter  le 
déi)at".  Puis,  de  nouveau,  à  propos  d'une  observation  du  pré- 
sident, il  proteste  contre  le  nom  de  «  Catholiques  »  donné  aux 
représentants  de  l'Eglise  rivale''^.  Cependant,  il  suit  son  idée, 
qui  lui  parait  féconde  en  obstructions;  à  mainte  reprise,  il  insiste 
pour  obtenir  communication  de  la  requête  susdite'-'.  11  reproche 
au  président  son  peu  d'empressement  à  ordonner  lecture  de  la 
pièce;  pour  l'y  contraindre,  il  demande  qu'on  lise,  dans  l'ordre 
des  tem[)S,  tous  les  documents  relatifs- aux  députations  des  con- 
ciles catholi([ues  '".  Déçu  da  ce  côté,  il  change  de  tacti([ue.  11 
somme  ses  adversaires  de  choisir  définitivement  entre  deux  mé- 
thodes de  discussion  :  méthode  juridique  ou  textes  de  l'Ecri- 
ture ".Il  soutient  que  les  Catholiques  sont  les  demandeurs  :  ce 
sont  toujours  eux  qui  ont  attaqué  '-^,  et  les  Donatisles  ne  peuvent 
renoncer  à  leur  rôle  de  défendeurs  '•'.  Chemin  faisant,  Petilianus 
malmène  à  tout  propos  l'ICglise  rivale,  héritière  de  Caîcilianus 

1)  Collai.  Carihuii.,   II.    18.  H)  Collai.  CurlUit,/.,  III. '.Il  ;  '.Ki  ;  'Jô. 

2)  Jbid.,   II.  21»;  h  ;  85  ;  H7  ;  :5'.»  ;  C?  ;  9)  Ibid.,  III.  102  ':  :04-10Ô  ;   112  ;  118  ; 
48-49  ;  5.-.  ;  .",8.                                                          125  ;   127  ;  12!»  ;    LU  :  183  ;   ISÔ  ;  IHS. 

3)  Ihi'L,    II.  Cl  72.  10)  Ibid.,  III.  140-141  ;   143  ;  146. 

i)  Ihid.,   III,  22;  30;  32;  34.  11)    Jbid.,     III,    149;    1.Ô3  ;    l').-)  ;   181; 

ô)  Ibid.,   III.4r,-47;  fi2  ;  (•,9;74.  183;   185;   190-191;    195;  209. 

Cl)  Ibid.,   m,   75.  12)  Ibid.,  lit,    1(15;   175. 

7)  /6ùi.,    III,  t*.  13)  Ibi'L,    III,   VXi. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  73 

et  de  son  indignité  '.  Toutes  ces  accusations  ou  ces  chicanes  lui 
fournissent  l'occasion  de  discours  sans  fin. 

De  ces  discours  agressifs  naissent  souvent  dos  disputes. 
Naturellement,  la  querelle  recommence  avec  Alype  de  Tha- 
gaste.  D'abord,  à  propos  des  persécutions.  Petilianus  proteste 
contre  les  violences  que  l'on  commet  en  Afrique  au  nom  de 
l'empereur,  mais  sans  ses  ordres  :  «  L'empereur,  dit-il,  a  voulu 
me  faire  peur,  non  me  faire  tuer,  ni  persécuter,  ni  traîner  en 
justice,  ni  dépouiller^.  »  —  «  Par-dessus  le  marché,  lui  crie 
Alype,  on  ne  t'a  même  pns  fait  peur '^  »  —  «  C'est  louer  notre 
fermeté,  réplique  Petilianus,  la  fermeté  de  notre  foi  orthodoxe 
et  de  notre  discipline  vraiment  catholique^.»  —  «  Eh  bien  ! 
poursuit  Alype,  on  ne  t'a  pas  faitpeur,  ni  inspiréaucune  crainte'.» 
Un  peu  plus  tard,  la  dispute  reprend  au  sujet  du  nom  de  «  Do- 
natistes  ».  Petilianus  repousse  cette  appellation:  «  Nos  adver- 
saires croient  devoir  nous  appeler  Donatistes.  Eh  bien  !  si  l'on 
se  reporte  aux  noms  de  nos  pères,  je  puis  leur  donner, moi  aussi, 
un  nom  analogue  :  oui,  je  les  désigne  publiquement,  ouverte- 
ment, comme  étant  des  Mensuristes  et  des  Cécilianistes,  des 
traditeurs  et  nos  persécuteurs''.  »  Après  cette  déclaration,  Peti- 
lianus n'en  commence  pas  moins  le  panégyrique  de  Donat  le 
Grand".  Mais  Alype  l'interrompt  :  «  Qu'ils  condamnent  le  nom 
de  Donat,  et,  à  l'avenir,  nous  ne  les  appellerons  plus  Dona- 
tistes'^. »  —  «  Toi,  réplique  Petilianus.  condamne  le  nom  de 
Mensurius  et  celui  de  Gaecilianus,  et  l'on  ne  t'appellera  plus 
Mensuriste  ou  Cécilianiste'K  »  Rarement  l'on  montra  moins  de 
charité  chrétienne,  que  dans  cette  lutte  entre  évèques  pour  le 
droit  de  se  dire  catholique. 

Le  moment  le  plus  dramatique  de  la  séance  est  le  duel  ora- 
toire de  Petilianus  avec  Augustin.  Bien  que  l'évéque  d'Hippone, 
par  principe,  se  réservât  pour  la  controverse  de  fond,  il  avait 
pris  plusieurs  fois  la  parole  au  sujet  des  chicanes  donatistes  : 
notamment,  sur  la  requête  des  Catholiques  à  l'empereur  '",  ou 
sur  la  méthode  de  discussion".  Ces  interventions  de  son  vieil 
adversaire  avaient  irrité  Petilianus,  qui,  sans  ironie,  lui  avait 
recommandé  la  patience  '-.  Tout  à  coup,  la  discussion  entre  les 


1)  CoUal.    Carihiuj.,  III,    227;     229;  1)  CoUat.  Cartluuj.,  lU,   32. 
231-232  ;  236.                                                              8)  Ibid.,  III,  33. 

2)  Ibid.,  III,  25.  9)  Ibid.,  III,  34. 

3)  Ibid.,  m,  26.  10)  Ibid.,  III,  53  ;  55  ;  59. 

4)  Ibid.,  III,  27.  11)  Ibid.,  III,  1S7. 

5)  Ibid.,  III,  28.  12)  Ibid.,  III,  50. 


6)  Ibid.,  111,30. 


74 


LITTEUATUHE    DONATISTE 


deux  évêqiies  prend  l'allure  d'une  àprè  querelle,  très  violente, 
puis  personnelle.  Augustin  vient  de  protester  contre  la  préten- 
tion des  Donatistes,  qui   veulent   rendre   les  Catholiques   soli- 
daires  de  G;ecilianus '.  Petilianus,  alors,  se  dresse  menaçant: 
«  Toi,  qui  es-tu?  Es-tu  le  fils  de  Ctecilianus,  oui  ou  non?  As- 
tïi  hérité,  oui  ou  non,  du  crime  de  Cœcilianus-  ?»   —  «  Moi, 
répond  Augustin,  je  suis'  dans  l'Eglise  où  était  Gœcilianus^.  » 
—  «  D'où  viens-tu?  crie  Petilianus.  Qui  as-tu  pour  père?  x4u 
surplus,  si  tu  condamnes  ton  père,  tu  avoues  être  hérétique,  toi 
qui  ne  veux  avoir   ni   origine   orthodoxe  ni  père^.  »  Sur  cette 
mise  en  demeure,  l'évêque   d'Hippone  s'explique  avec  quelque 
détail.  Mais  Petilianus  revient  à  la  charge  :  «  Câ'cilianus  est- 
il  ton   père?    As-tu  une  mère,  comme  tu  l'as  dit'^?  »  Suivent 
■diverses   répliques,  puis  un  discours  d'Augustin,  un  autre  de 
Petilianus  ".  La  controverse  prend  un  tour  de  plus  en  plus  per- 
soiuiel  :  «  Qui  t'a  ordonné  et  t'a  l'ait  évêque  '  ?  »  demande  Peti- 
lianus, visant  les  vieilles  calomnies  sur  l'ordination  d'iVugus- 
tin.  A  ce  moment,  l'on  s'agite  et  l'on  murmure  dans  les  rangs 
des  Donatistes.  Alype   de  Thagaste  s'impatiente,   et,  se  tour- 
nant vers  les  sténographes  :  «  Qu'on  note  ce  tumulte  ^.  »  Impas- 
sible, Augustin  continue   de  disserter    sur   les    caractères   de 
l'Eglise-'.   Mais  Petilianus   le  ramène  à   la  réalité   brutale,  en 
répétant  sa  question  perfide  :  «  Comment  s'appelle  celui  qui  l'a 
oi'donné  ?  Qu'il  dise  le  nom  de  son  consécrateur  "•.  »  Dans  toute 
l'assemblée,  l'émotion  est  à  son  comble.   Pour  ou  contre  Peti- 
lianus interviennent  plusieurs  orateurs  :  le  Donatiste   Adeoda- 
tus  de  Milcv,  les  Catholiques  Possidius  de  Calama,  Alype  de 
Thagaste,  Fortunatianusde  Sicca  ".  Longtemps,  Augustin  refuse 
de  répondi-e  aux  calomnies  :  «  Questions  superflues,  je  le  vois 
bien  », dit-il  '-^.  Cependant,  à  la  demande  du  président  '•',  il  consent 
à  s'expliquer  :  il  le  fait  dans  un  discours  très  m-t,  où  il  ('xpose 
les  circonstances   de  son   ordination   par  Megalius,  primat   de 
Numidie''.  Cette  réponse  si  explicite  met  fin  à  la  ([uerelle  per- 
sonnelle, à  cet  étrange  et  dramatique  duel  oratoire   entre   les 
deux  ])rineipaux  orateurs  des  deux  partis  en  présence. 

Est-ce  l'effet  de  cette  querelle  avec  Augustin,  du  trouble;  que 


1)  Collai.  Carlhwi.,    111, 

220. 

8)  Colldl.  Carlkag.,  111, 

240 

2)   //'-</.,    111.  227. 

'.))  Ihid.,  111,  242. 

3)  //<»;/..   m,  22S. 

ni)   Jhiil.,    111,  2-IH. 

A)   Ihiil.,   111,  22'J. 

11)  //<;•</.,  111.  2i:<-2l.-). 

t))  ll„.l.,   111,  2:u. 

12)   //././.,  111,  21.-.. 

li;   IIjuL,    Ml.  2H2-2:îi;. 

IH    ll>i<l.,   111,  24C.. 

1]  Ihid.,  IJI,  23S. 

h;  Ibid.,   111,  247. 

PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  75 

ces  scènes  violentes  avaient  apporté  dans  les  esprits  ?  Toujours 
est-il  que  Petilianus  et  ses  amis,  aussitôt  après,  commirent  une 
insigne  maladresse.  Ils  exigèrent  impérieusement  la  lecture 
immédiate  et  intégrale  de  la  longue  lettre  synodale  qu'ils  avaient 
rédigée  la  veille  en  réponse  au  jnandatiun  de  leurs  adver- 
saires'. Sur  un  mot  d'ordre  d'Augustin,  les  Catholiques  y 
consentirent;  et  le  président  ordonna  la  lecture-.  Le  docu- 
ment lu3,  on  se  mit  à  le  discuter,  Augustin  en  tête^.  Il  se 
trouva  que  les  schismatiques  s'étaient  pris  à  leur  propre  piège. 
Par  cette  lettre  synodale,  ils  avaient  introduit  eux-mêmes,  sans 
y  songer,  la  discussion  sur  les  questions  fondamentales  :  cette 
discussion  que  depuis  si  longtemps,  par  leurs  obstructions, 
ils  s'évertuaient  à  éluder.  Dès  lors,  leur  destin  était  fixé.  En 
vain,  Petilianus  s'efforça  de  lutter  encore  ;  en  vain,  il  contesta 
l'interprétation,  donnée  par  Augustin,  de  certains  textes  relatifs 
à  l'Église^.  Par  suite  d'une  erreur  de  tactique,  son  éloquence 
était  vaincue. 

Il  avait  tant  parlé  ce  jour-là  que,  vers  la  fin  de  la  séance, 
comme  les  Catholiques  venaient  de  produire  des  documents  em- 
barrassants pour  les  Donatistes,  il  dut  renoncer  à  la  discussion 
pour  cause  d'enrouement '^.  Était-ce  un  prétexte  pour  se  tirer 
d'affaire,  comme  on  l'insinua  dans  le  camp  ennemi  "  ?  Ce  n'est 
pas  sûr.  A  en  juger  par  le  procès-verbal,  l'enrouement  n'a  rien 
d'invraisemblable.  Et  Petilianus,  qui  était  habile,  ingénieux, 
tiHu,  n'était  pas  homme  à  rester  muet  devant  un  argument,  ni 
à  se  dérober  devant  un  document,  ni  à  lâcher  pied  avant  la  fin 
de  la  lutte. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  dénouement  et  de  l'enrouement,  Peti- 
lianus, au  cours  des  trois  séances,  avait  pris  la  parole  près  de 
cent  cinquante  fois.  Tous  ses  discours,  ses  ripostes  et  ses  moin- 
dres mots,  nous  ont  été  conservés  par  le  procès-verbal  sténo- 
graphié, où  se  dessine  nettement  sa  physionomie  d'orateur. 

Orateur,  il  l'était  assurément,  dans  toute  la  force  du  terme  : 
et  de  nature,  et  d'éducation,  et  par  le  plaisir  instinctif  qu'il  pre- 
nait au  jeu  de  la  parole,  et  par  l'obsession  d'une  idée  fixe,  sous 
la  pression    d'une    volonté  toujours  tendue  vers   l'action.    Là- 


1)  Collât.  CarlhcKj.,  Ul,  249  vl  sui\.  se  non  posse  tostatur  )>  [Capilula  Gcslo- 

2)  Ibid.,  m,  256-257.  •  niin  Collai.   Cartling.,   111,541). 

S)  Ibid.,  lïl,  258.  7)   «  CaUioiici   testaiitiir  ideo  so  Peli- 

4)  Ibid.,   lU,  261  et  suiv.  liaiiniu  cxciisatiuiii  siiblrahere  voluisso, 

5)  Ibid.,  m,  263  ;  274  ;  276.  <|m)(l    ci    Donal.us    Cascnsis    ex     Gestis 
<i)  ((  Petilianus,    cpiscopiis   parlis  Do-  evidunlcr    osteasus     est  »     {ibid.,     111, 

nati,    impediincuto      raucediais     agerc  542). 


76  LITTÉRATURE    DONATISTE 

dessus,  il  n'y  avait  qu'une  voix  dans  toute  l'Afrique,  et  dans 
tous  les  partis.  C'est  par  le  prestige  et  par  l'ascendant  de  son 
éloquence,  que  l'évêque  de  Constantine,  égal  en  principe  à  ses 
quatre  cents  collègues  sous  la  suprématie  des  primats  schisma- 
tiques  de  Numidie  et  de  Cartilage,  était  devenu  peu  à  peu  le  vrai 
chef  du  Donatisme.  Les  Catholiques  eux-mêmes  rendaient  hom- 
mage à  son  talent  oratoire.  Augustin  le  qualifie  souvent  d'homme 
«  éloquent,  disert  »  [eloquens^  disertus)  '  :  parfois  avec  une 
pointe  d'ironie,  mais  où  l'ironie  vise  l'excès  de  virtuosité  plutôt 
que  le  talent  lui-mêvue. 

D'ailleurs,  l'action  très  réelle  de  cette  éloquence  est  attestée 
par  le  rôle  tout  à  fait  prédominant  de  Petilianus  dans  cette  as- 
semblée solennelle  de  Carthage,  qui  réunit  près  de  six  cents 
évéqùes,  et,  parmi  eux,  beaucoup  d'orateurs.  Pendant  toute  la 
durée  des  trois  séances,  qui  se  prolongeaient  des  journées 
entières,  on  voit  tous  les  schismatiques  se  rallier  derrière 
révè([ue  de  Constantine,  qui  toujours  parle  le  premier,  donne 
le  mot  d'ordre,  ouvre  le  feu,  conduit  l'offensive  ou  couvre  la 
retraite  '  :  et  cela,  sans  titre  spécial,  sans  aucune  de  ces  pré- 
rogatives que  confère  une  supériorité  hiérarchique,  mais,  sim- 
plement, du  droit  de  son  talent,  par  l'effet  de  la  confiance  en- 
thousiaste que  son  éloquence  inspirait  à  tous  les  siens.  Les 
Catholiques  s'en  rendaient  bien  compte,  et  même,  dans  une  cer- 
taine mesure,  subissaient  l'ascendant  de  leur  hautain  et  farouche 
adversaire.  Au  cours  des  débats,  c'est  ordinairement  vers  Peti- 
lianus ({u'ils  se  tournent;  c'est  lui  (ju'ils  interrogent,  c'est  avec 
lui  surtout  qu'ils  discutent.  L'évêque  de  Constantine,  premier 
champion  du  Donatisme,  semble  traiter  d'égal  à  égal,  non  seu- 
lement avec  les  primats  ou  avec  Augustin,  mais  avec  le  com- 
missaire impérial,  président  de  l'assemblée-'. 

Il  était  orateui-  de  naissance,  de  tempérament.  Et,  semble-t-il, 
orateur  de  carrefour,  plutôt  que  d'académie.  Comme  beaucoup 
d'évêques  et  de  clercs  donatistes  '',  il  avait  une  nature  de  tri- 
bun. Toujours  il  a  aimé  les  grandes  phrases,  les  grands  gestes, 
les  grands  mots  :  quand  ce  n'étaient  pas  les  gros  mots. 

Seulement,  ce  tribun  était  passé  par  les  écoles  des  rhéteurs. 
11  y  avait  reçu,  aussi  complète  que  possible,  l'éducation  oratoire 


\)  h\\\i\\si\n.  Ci, nlra  lilU-ms  Pi'liliani,  7:    \:,-l\\:    17-49;    III,    89-%;    117-120; 

1,   1  ;   II,  23,  r,.-|  ;  its,  22(1  ;  101.  2H2.  125-141)  ;  olc. 

2)  Cnllnl.  <:,irlhii(j..  I,  7  :  '.I;  12,  etc.  ;  4)  l'.ir  cxciiiplo,  Optalus  de  Thamu- 
11,3-7;  1(1;  IC,  clc  ;  I  II,  22  ;  25  ;  27  ;  -a.li.  (lualilic  de  trihiiii  par  rôvèqni; 
3'l,  l'ic.  il'Ilippoiio  :  «  Oplali    illiiis    Iribuni  \os- 

3)  Ibid.,  I,  r,-lt  ;    11-12;   28-;!0;   II,  ii-  tri   »   (Aii-u-.lin,   Hpi^l.  51,8). 


petihanus  de  constantine  77 

qui  se  donnait  partout  alors,  et  qui  était  entièrement  orientée 
vers  le  barreau'.  Le  tribun  y  était  devenu  aussi  un  avocat, 
comme  cela  s'est  vu  en  d'autres  temps  :  un  avocat  très  expert, 
très  ingénieux,  retors,  jamais  à  court,  rompu  à  tous  les  secrets 
du  métier,  familier  avec  toutes  les  procédures,  avec  toutes  les 
chicanes,  et,  par  son  habileté  même,  Facilement  entraîné  à  ne 
pas  s'embarrasser  de  scrupules,  à  placer  au-dessus  de  toute 
autre  chose  ce  qu'il  considérait  comme  le  devoir  professionnel, 
le  devoir  de  gagner  son  procès.  Et  c'est  déjà  une  physionomie 
assez  curieuse,  que  cet  évéque-tribun  doublé  d'un  avocat  homme 
d'affaires. 

Mais  cette  figure  d'orateur  est  bien  plus  complexe  encore.  A 
l'action  de  l'école  et  du  métier  d'avocat,  s'est  ajoutée  l'influence 
de  la  secte,  puis  celle  de  la  carrière  épiscopale,  des  querelles 
d'Eglises  où  fut  entraîné  l'évêque,  des  controverses  qu'il  eut  à 
soutenir-.  Vivant  au  milieu  des  sectaires  du  Donatisme,  l'ora- 
teur y  a  exaspéré  son  intransigeance  naturelle,  sa  raideur  hau- 
taine, son  àpreté  :  c'est  l'homme  des  pamphlets,  l'homme  des 
invectives  contre  Augustin,  l'homme  ({ui  refuse  de  s'asseoir  à 
côté  ou  en  face  d'un  Catholique  ■''.  Gomme  évoque  schisraa- 
tique,  cet  orateur  a  dû  défendre  sa  communauté,  c'est-à-dire 
attaquer  l'Eglise  officielle,  menacer  ou  injurier  son  collègue 
orthodoxe,  assaisonner  d'invectives  ses  mandements  ou  ses  livres 
de  controverse''.  Au  cours  de  cette  carrière  épiscopale,  l'élo- 
quence du  tribun-avocat  s'est  chargée  de  nouveaux  traits  :  elle 
est  devenue  en  même  temps  plus  âpre  et  plus  chicanière,  avec 
des  tons  plus  heurtés,  des  allures  de  théologie  querelleuse  et 
d'exégèse  agressive,  l'habitude  et  bientôt  le  goût  des  personna- 
lités. 

Voilà  donc  bien  des  éléments  hétérogènes  dans  la  formation 
de  cette  éloquence,  où  l'on  surprend  la  collaboration  d'unévêque 
avec  un  tribun,  d'un  sectaire  avec  un  avocat,  d'un  pamphlétaire 
avec  un  prédicateur,  d'un  théologien  avec  un  homme  d'affaires. 
De  tout  cela  résulte  une  physionomie  complexe,  peu  sympa- 
thique sans  doute,  mais  originale. 

Dans  une  éloquence  de  ce  genre,  où  se  rencontrent  tantd'élé- 

1)  Contra    Utteras  Petiliani,  I,    1  ;  H,  III,    227    et    siiiv.  ;    Augustin,    Contra 

23,  55;  98,  22(;;  101,  232;   111,   1(1,  Ht.  liUenis    Petiliani,     1,  1  ;   11,   1  t-t  suiv.  ; 

2)Ibid.,  1,1  ;ll,  1;104,239  ;IH,  1  ;  De  III.   1   cl  suiv.  ;   l(i,  VJ  et  suiv. 

unico  baptifiniu,   1  ;  Sermo  ad  Cacsareen-  4)  Augustin,   Cnntra  liltenis  Petiliani, 

i/s  Ëcclesiae  pleljem,  S  ;    Retract.,  U,   51  II,  2,  4  ;  8,  17  ;   17,  38,  etc.  ;   III,  1  c;t 

et    OU;  Collât.     Cnrlhurj.,  I,   65  et    131»;  suiv.;    1(),    19  et    suiv.;  De    unico  bap- 

II,  10;  III,  32.  tismo,  16,  29;    Collai.   Cnrlhag.,  I,  139; 

3)  Colha.  CiirUuuj.,    1,     145;    II,  3-7;  III,  227-244. 

VI  (5 


78  LITTÉRATURE    DONATISTE 

ments  divers,  et  où  manque  naturellement  l'harmonie,  les  défauts 
sautent  aux  yeux.  D'abord,  un  peu  d'iuQohérence  :  trop  de  chi- 
canes autour  des  faits,  trop  de  mots  autour  des  principes,  trop 
d'injures  autour  des  citations  bibliques  '.  Puis  on  relève  des 
exagérations  de  toute  sorte  :  de  la  déclamation,  de  l'emphase, 
des  violences  superflues,  une  âpreté  vraiment  extraordinaire. 
Voyez,  à  la  troisième  s'éance  de  la  Conférence,  cette  charge  de 
Pelilianus  contre  deux  malheureux  évêques  catholiques,  Evodius 
d'Uzali  et  Theasius  de  ]\fembrone,  dont  le  seul  tort  était  d'être 
allés  en  ambassade  auprès  de  l'empereur  comme  légats  de  leur 
parti  :  «  Theasius  et  Evodius,  ces  éclaireurs  des  Catholiques, 
leurs  navigateurs  en  titre,  ces  légats  de  leur  furie,  toujours 
prêts  à  réclamer  du  sang,  à  réclamer  des  proscriptions,  à 
répandre  la  terreur,  à  déchaîner  les  périls,  à  massacrer  dans  les 
diverses  provinces  -,  »  Se  douterait-on  qu'il  s'agit  ici  du  doux 
et  modeste  Evodius,  l'élève  et  l'ami  d'Augustin,  l'interlocuteur 
si  conciliant  de  ses  dialogues,  le  rêveur  et  mystique  évéque 
d'Uzali ^^  ? 

Ces  défauts  de  Petilianus,  si  choquants  qu'ils  soient,  ne  sont 
qu'une  ombre  aux  mérites  très  réels  de  son  éloquence.  Il  a  de 
l'énergie,  de  la  précision,  du  mouvement,  une  logique  passion- 
née, du  relief  et  de  la  couleur.  A  l'occasion,  il  sait  concentrer 
et  résumer  son  idée  dans  des  formules  expressives,  comme 
celle-ci  :  «  Chez  nous  est  la  véritable  Eglise  catholique,  celle 
qui  subit  la  persécution,  non  celle  qui  persécute  '.  »  Avec  tous 
ses  défauts,  qui  viennent  surtout  de  l'excès  ou  de  l'abus  de  qua- 
lités solides  ou  brillantes,  à  moins  qu'ils  ne  viennent  simplement 
de  son  mauvais  caractère-'  ou  de  sa  mauvaise  cause ^,  Peti- 
lianus reste  un  orateur  original,  aussi  plein  de  ressources  que 
convaincu,  aussi  vigoureux  qu'ardent,  aussi  habile  que  mordant. 


I;    l'cliliuiius,  Epistula   ud  prcsbylcru^  f[u;u'  facit.   »  (CoUal.   Cdrlluuj.,   III,  2'2. 

et  diaconos,  2;  <)  et  siiiv.  ;  11  et  siii\.  ;  —  VA'.   III,  258).  —  Les  foriiiules  de  ce 

2H  et   siii».  ;    85  et  siiiv.  ;  3!1   et   suiv.  ;  gciin;  sont  iKniibrciiscs  tinns  l'ICpislula 

4<>    et    siii\.  ;    Colbit.    Carlhag.,   I,   20  ;  ad  presbylero^  et  diaconos  de  l'utiliaiius. 

58;    (.1  :     II,     H;    il    48;    III,    30;  75;  5)  «  Malt'dictu    Icfiistis,  quae    iii    me 

8'J  ;  i-tc.  iratidr    quam   cotisideratior    Pcliliainis 

2)  f^idlal.  ('.(irlhaii..   Ili.    111.  e\<»inuit    »    iAiijj;iisliii,    Cunira    lilleras 

H)  Aiigu>-liii,    Confess.,    1\,  S    et  12;  J'ctiliani,     III,  2,    3).  —    «   Lcgilc  miiic 

De    qiianlilitic    unintac,    1     cl   suiv.  ;    De  ejiis  (Peliliani)  copiosissima  inalcîdicta, 

lihcro  urlnlrio,   I,  1  et  sui\.;  Kpist.  83,  quae  in   me  iiillaliis   et  iralus    efl'iidit  » 

2  ;  MO.   1  ;   158-1G4  ;  ICI».  {ibid.,    III,   15,   17). 

4)   <"   Apiid   nos  r>.l  eiiiiii   xcra  ("allio-  6)  ((  Quia   iiiala  causa  est  »  (ibid..   Il, 

liia,  fjuae    pcrseculioiirni    palilur,   iinn  9S,  22(>). 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  79 

VI 

Petilianus  écrivain.  —  En  quoi  l'écrivain  ressemble  à  l'orateur.  —  En  quoi 
et  pourquoi  il  en  diffère.  —  Influence  plus  marquée  de  l'école  et  du 
stylisme  à  la  mode.  —  L'art  de  la  composition.  —La  langue.  —  Le  style. 
—  Défauts  signalés  par  Augustin.  —  Qualités  de  l'écrivain.  —  Petilianus 
a  été  un  adversaire  digne  d'Augustin. 

L'écrivain,  cela  va  sans  dire,  est  étroitement  apparenté  à 
l'orateur.  Cependant,  il  s'en  distingue  par  quelques  traits  inté- 
ressants, assez  marqués  pour  que  l'on  doive  noter  ces  diffé- 
rences. 

Ce  qui  frappe  tout  d'abord,  ce  sont  naturellement  les  analo- 
gies. Dans  tous  les  ouvrages  que  nous  connaissons  de  lui, 
Petilianus  fait  œuvre  de  polémiste.  Or  la  polémique,  surtout 
la  polémique  personnelle,  ressemble  fort  à  l'éloquence  :  un  pam- 
phlet est  encore  une  façon  de  discours.  Auteur  de  pamphlets 
très  agressifs  et  très  violents,  Petilianus  y  apporte  le  ton,  les 
allures  et  les  procédés  de  l'éloquence.  Son  style  est  donc,  le 
plus  souvent,  un  style  d'orateur  i.  On  y  retrouve  son  tempé- 
rament de  tribun  avec  ses  subtilités  d'avocat,  sa  raideur  et  son 
âpreté  de  sectaire,  son  instinct  batailleur  et  son  humeur  que- 
relleuse, ses  airs  provocateurs,  son  goût  des  personnalités  et  de 
l'invective,  ses  tendances  aux  exagérations  oratoires,  mais  aussi 
les  mêmes  qualités,  la  logique  passionnée,  l'énergie,  le  relief,  le 
mouvement,  la  vie.  Tous  ces  traits  caractéristiques  de  ses  dis- 
cours sont  aussi  les  traits  dominants  de  ses  controverses  écrites, 
et  sont  partout  visibles  jusque  dans  le  détail  du  style. 

Mais  un  pamphlet,  même  écrit  de  verve,  à  la  hâte,  dans  une 
fièvre  de  rancune,  n'est  jamais  complètement  improvisé,  comme 
l'est  un  discours  né  soudain  dans  le  tumulte  d'une  assemblée 
orageuse,  et  fidèlement  recueilli  par  des  sténographes,  et  publié 
tel  quel.  Or  tous  les  discours  de  Petilianus  nous  sont  parvenus 
dans  le  procès-verbal  sténographié  des  séances  de  Carthage, 
sans  que  l'orateur  y  ait  pu  changer  un  mot"-;   ses  pamphlets. 


\]  C'est  ce   que  remarquait  Augustin  prononcer  {Collât.  Carthag.,  I,  10).   Pe- 

(Conlra  Utteras  Petilianl,  II,  23,  55  ;  98,  tiljanus  avait  eu  beau  protester  contre 

226;  101,  232;  III,  16,  19).  ^cette   exigence    {ihid.,  II,    16);  il    avait 

2)    On    sait    que    le  règlement  de  la  dû  s'y  soumettre  comme  tout  le  monde. 

Conférence  obligeait  chaque   orateur  à  Nous  lisons  encore,  à  chaque    page   du 

signer  aussitôt,  sur  la  minute    du  pro-  long   document,  la   copie   de  sa  signa- 

cès-verbal     sténographié,    les    discours  ture.  Dans    ces    conditions,  aucune  re- 

ou  les  moindres  paroles  qu'il  venait  de  touclie  n'était  possible. 


8)  LITTÉH.VTURE    DONATISTE 

au  contrairo,  ont  été  composés  à  loisir,  reviiSj  corrigés,  polis  et 
limés  par  l'auteur.  Et  de  là  viennent,  dans  l'ordonnance  géné- 
rale et  dans  le  style,,  toutes  les  dil'férences. 

En  même  temps  qu'un  tribun  et  un  sectaire,  l'évéque  de  Cons- 
tantine  était  un  homme  d'école,  initié  chez  les  rhéteurs  aux 
secrets  du  beau  langage,  aux  traditions  cicéroniennes  complé- 
tées ou  modifiées  par  Timitation  de  Salhiste  ou  de  Sénèque,  à 
l'art  de  la  composition,  aux  raffinements  du  stylisme  africain. 
Pendant  les  séances  de  Orthage,  l'orateur  oubliait  tout  cela 
dans  l'ardeur  de  la  bataille,  dans  le  feu  des  attaques  ou  des 
ripostes.  Mais,  dans  ses  pamphlets  ou  ses  autres  ouvrages 
de  controverse,  l'écrivain,  qu'il  y  songeât  ou  non,  redevenait 
plus  ou  moins  un  homme  d'école  '. 

D'où  une  première  différence,  entre  ses  traités  et  ses  dis- 
cours, en  ce  qui  concerne  la  composition.  Dans  les  discours, 
qui  ont  été  improvisés  au  milieu  d'ardentes  discussions,  l'agen- 
cement des  matières,  idées  ou  faits,  arguments  ou  citations, 
récriminations  ou  invectives,  est  naturellement  assez  capricieux, 
spontané  et  comme  instinctif  ;  il  a  été  improvisé,  lui  aussi,  au 
hasard  des  incidents  de  séance,  sous  le  coup  des  questions 
posées,  des  objections  ou  des  brusques  interruptions'-.  Au  con- 
traire, les  traités  de  Petilianus  témoignent  d'un  art  assez  savant 
dans  la  disposition  des  divers  éléments  de  la  démonstration. 
Nous  [)Ouvons  en  juger  par  la  grande  Lettre  pastoi*ale,  que  nous 
possédons  tout  entière -^  On  y  constate  la  métliode  rigoureuse 
de  l'auteur  :  netteté  dans  la  conception  d'ensemble,  proportions 
justes  dans  l'oi-donnance  des  parties,  avec  je  ne  sais  quoi  de 
tranchantqui,  chez  l'homme  du  métier,  traliit  le  sectaire.  Théorie 
et  faits,  idées,  arguments,  citations  bibliques,  exhortations  ou 
reproches,  injures  même  et  digressions  apparentes,  tout  y  est 
à  sa  ])lace.  Tout  y  est  calculé,  et  disposé  dans  une  gradation 
savante,  de  façon  à  produire  le  maximum  d'effet,  à  insj)ii"or 
riiorrcur  pour  l'Eglise  officielle  et  la  confiance  dans  l'Église  de 
Donat  '.  C'est  d'un  écrivain  qui  sait  son  métier,  et  (|ui,  dans 
ses  pires  em[)orlements,  songe  encore  à  appliquer  les  règles  de 
r.irt. 

Pour  la  langue,  le  contraste  est  beaucoup  moins  accusé  entre 


1)  Aii^:iisliii,  (jinhii  lillpras  l'cliliani,  cl  (liocono^  (reslituéc  plus  li.iiil,  l.imc  V, 

111,   1'"'.    I'.».  Appendice   I). 

:.'     l'.ir  iixiMiiplo  :   l'.ulInL  rarlluni..    I,  ||   ^ur    le    plan   et    rii-^ciKcmeiil   do 

1H.<  ol  2n7--2(H;   II.  ;(.;  ;  III,  3t)-:{4  ;  i;27-  l' Hpistiila     ad     prexhyleros    et    diacom)^, 

214:  '2H->li\.  ^oy(.•z  plus  liant,  |  2  ,   p.,  1'.)  ol  siii\. 

:^)   l»rliii;mtis,   Efiistula  iid  preshylerns 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  61 

les  traitée  et  les  discours.  Elle  est  seulement  plus  châtiée, 
moins  heurtée,  chez  l'écrivain  que  chez  l'Orateur.  D'ailleurs,  le 
fond  est  le  même,  et  ne  présente  rien  de  très  significatif.  Ni 
dans  le  vocabulaire  ni  dans  la  syntaxe,  on  ne  relève  rien  de 
particulier.  C'est  la  langue  ordinaire  des  Africains  instruits  de 
ce  temps-là,  mais  adroitement  maniée  par  un  lettré  rompu  aux 
exercices  de  l'école,  familier  aussi  avec  les  termes  plus  crus 
et  les  tours  plus  vifs  du   langage  populaire'. 

Quant  au  style,  c'est  autre  chose  :  c'est  ici  que  se  dessinent, 
non  seulement  l'originalité  de  l'écrivain,  mais  les  principales 
différences  avec  Torateur.  Ici  apparaît  nettement  linfluence  de 
l'école  et  du  milieu  littéraire.  En  matière  de  style,  la  plupart 
des  Africains  étaient  des  raffinés,  qui  auraient  peu  goûté  la 
simplicité  grecque,  et  qui  à  Cicéron  préféraient  Séuèque  ou 
Salluste.  Depuis  trois  siècles,  le  stylisme  était  à  la  mode  dans 
les  écoles  et  dans  la  littérature  de  la  région-.  Pour  les  païens 
'du  pays,  les  grands  maîtres  du  langage  étaient  Apulée  et 
Fronton;  pour  les  chrétiens,  c'était  Tertullieu'^.  Gomme  beau- 
coup de  ses  compatriotes,  Petilianus  était,  d'éducation  et  de 
goûts,  un  styliste.  Il  ne  se  contentait  pas  de  trouver  à  sa  pensée 
l'expression  adéquate,  la  plus  simple  et  la  plus  sobre  :  cette 
expression,  il  la  voulait  neuve,  renforcée,  éclatante,  haute 
en  relief  et  en  couleur,  savoureuse  et  piquante,  pimentée  au 
besoin. 

Or  les  expressions  de  ce  genre  ne  s'improvisent  guère  ;  ce  sont 
des  raffinements  d'homme  de  loisir,  qui  supposent  la  recherche 
et  l'effort.  De  ces  raffinements,  on  relève  à  peine  quelques 
traces  dans  les  discours  improvisés  de  Petilianus;  ils  abondent, 
au  contraire,  dans  ses  traités.  C'est  par  là  surtout  que  se  dis- 
tinguent, pour  la  forme,  les  deux  catégories  d'ouvrages.  Dans 
les  pamphlets  de  Petilianus,  le  style  n'est  pas  seulement  un 
style  d'orateur;  c'est  aussi  un  style  de  styliste. 

L'antithèse  sous  toutes  ses  formes,  avec  ses  oppositions  de 
mots  et  ses  cliquetis  de  sons,  avec  ses  rapprochements  artificiels 
ou  équivoques  qui  vont  parfois  jusqu'à  l'allitération  ou  au 
calembour,    l'antithèse  est   le  cadre   ordinaire  de  la  pensée  de 


1)  Pulilianus,  Epistula  ad  presbyteros  flucnce  des  écoles,  cf.  noire  Milume 
et  diaconos,  2  ;  8  ;  18  et  suiv.  ;  28  ;  35  ;  sur  Les  Africains  (Paris,  1894). 

39  ;  etc.  3)  Comme  écrivain,  TertiiHien  a  été 

2)  La  persistance  du  stylisme,  depuis  ^longtemps  un  véritable  classique  pour 
le  11'  siècle,  est  un  des  traits  les  plus  es  chrétiens  du  pays.  Voyez  plus  haut, 
marqués  dans  la  littérature  de  l'Afrique  tome  1,  p.  139  et  sui\ . 

romaine.  Pour  les  iiaïens  et  pour  l'in- 


82  LITTÉRATURE    DONATISTE 

l'écrivain  ^  Il  ne  se  contente  pas  du  relief;  il  cherche  aussi  à 
colorer  l'expression  de  son  idée.  Comme  il  avait  de  l'imagina- 
tion, il  trouve  des  métaphores  neuves,  des  tours  poétiques,  des 
comparaisons  inattendues. 

Il  aime  surtout  les  comparaisons.  Il  en  a  d'ingénieuses  et  de 
spirituelles,  même  à  propos  du  baptême.  En  voici  une,  qui  est 
vraiment  curieuse.  Le  prétendu  baptême  des  Catholiques  étant 
nul,  il  est  absurde  d'accuser  les  Donatistes  de  redoubler  le 
sacrement;  les  gens  qui  produisent  cette  accusation*  sont  comme 
ces  fous  qui  croient  voir  deux  soleils  :  «  Nous  n'admettons 
qu'un  seul  baptême.  iVssurément,  ceux  qui  en  voient  deux  sont 
fous.  Prenons  une  comparaison.  Le  soleil  parait  double  à  cer- 
tains fous  :  c'est  que  souvent  se  présente  un  nuage  sombre,  dont 
la  face  noire,  frap})ée  par  la  lumière,  renvoie  les  rayons  du 
soleil  et  semble  émettre  des  rayons  propres.  Ainsi,  dans  la  foi 
du  baptême,  autre  chose  est  de  chercher  des  images,  autre  chose 
de  reconnaître  hi  vérité''.  »  Quelquefois  l'écrivain,  pour  rendre 
plus  sensible  son  idée,  procède  par  comparaisons  accumulées. 
En  voici  un  exemple,  toujours  à  propos  du  baptême  :  «  Cou- 
pable comme  tu  l'es,  dit  le  Donatiste  à  son  adversaire  catho- 
li(iue,  tu  ne  peux  conférer  qu'un  faux  sacrement.  Donc,  je  ne 
redouble  pas  le  baptême  ;  mais,  toi,  tu  ne  le  confères  même  pas 
une  fois.  Eu  effet,  si  tu  veux  mêler  au  vrai  le  faux,  souvent  le 
faux  suit  les  traces  <lu  vrai  pour  l'imiter.  C'est  ainsi  que  la  pein- 
ture contrefait  l'iiomnie  vrai,  riiomme  de  la  nature,  en  présen- 
tant par  des  couleurs  de  faux  aspects  de  la  vérité.  Ainsi,  le 
poli  d'un  miroir  reproduit  un  visage,  au  point  de  retenir  les 
yeux  de  qui  le  regarde  ;  il  offre  à  tout  venant  son  proj)re 
visage,  au  point  que  chacun  croit  venir  au-devant  de  sa  })ropre 
figure  ;  et  telle  est  la  puissance  de  l'illusion,  que  les  yeux  mêmes 
de  celui  (jui  regarde  se  reconnaissent,  comme  s'il  s'agissait 
d'une  autre  personne.  De  même,  l'ombre,  quand  elle  appa- 
raît, double  ])ar  une  image  l'aspect  des  choses,  dont  elle  brise 
en  grande  partie  l'unité  par  un  mensonge.  Dans  tout  cela,  faut- 
il  voir  la  vérité,  parce  (jue  la  figure  ment'?  »  On  remarquera 
que  toutes  ces  comparaisons  s'adressent  à  l'œil  :  comme  écri- 
vain ai'tiste,  révêtpu'  de  Constantine  était  un  visuel. 

D'autres    procédés     d'«ixpression    s'observent    chez   l'orateur 


1)   l'ililijiinis,   Hpislulii    nd  prcsbyteros  sui\.  ;  51   cl    siii\.;    5.")   et  siii\, 

el    diaconos,  2  cl  siii\.  ;    fi  cl  suiv.  ;   ]'2  2)  Ihid.,   lit. 

el  suiv.  ;   1/i  cl  suiv.  ;   18  il  suiv.  ;  23  el  H)  /6k/.,   18. 
suiv.  ;   28  el  suiv.  ;  37   cl  suiv.  ;    46   cl 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  83 

comme  chez  l'écrivain  ;  mais,  en  raison  de  l'effort  et  de  la  re- 
cherche qu'ils  impliquent,  ils  sont  d'un  emploi  beaucoup  plus  fré- 
quent chez  l'écrivain.  Tel  est  le  cas  des  «  traits  »,  des  senten- 
tiae  à  la  Sénèque.  Petilianus  en  a  émaillé  ses  pamphlets.  Ou 
plutôt,  hérissé  :  car,  chez  lui,  tous  les  arguments  ont  des 
pointes,  toutes  les  fleurs  ont  des  épines.  Beaucoup  de  ces  sen- 
tentiae  contiennent  des  formules  énergiques  et  concises,  où  se 
concentre  une  idée,  une  démonstration,  une  théorie.  Tout  cela 
forçait  l'attention  du  lecteur.  Plusieurs  de  ces  formules  sont 
devenues  célèbres  dans  l'Afrique  de  ces  temps-là.  et  ont  suscité 
des  controverses  à  l'infini  ^ 

Enfin,  l'écrivain  sait  varier  l'allure  de  sa  prose  et  ménager 
ses  effets,  par  l'alternance  du  style  périodique  et  du  style 
coupé.  Tantôt,  des  périodes  solennelles,  bien  équilibrées,  qui 
se  déroulent  en  ondulations  assez  harmonieuses.  Tantôt,  des 
phrases  courtes  et  vives,  hachées,  incisives,  armées  de  pointes 
et  d'antithèses  menaçantes.  Le  résultat  est  souvent  assez  heu- 
reux, et  fécond  en  surprises  :  derrière  la  période  démonstrative, 
qui  semble  annoncer  une  pensée  grave  et  profonde,  accourt  la 
petite  phrase  alerte  et  piquante,  barbelée  de  traits  mordants, 
d'interrogations  sarcastiques,  d'invectives  et  d'injures. 

On  voit  que,  comme  écrivain,  Petilianus  n'était  pas  le  pre- 
mier venu.  Sans  doute,  les  défauts  abondent.  Augustin,  qui  s'y 
connaissait  en  style,  et  qui  connaissait  bien  son  adversaire,  pre- 
nait un  malin  plaisir  à  les  signaler.  Voici  quelques  spécimens 
de  ces  critiques.  A  propos  du  pamphlet  oùl'évêque  de  Constan- 
tine  l'avait  si  fort  malmené,  l'évêque  d'Hippone  disait  ironi- 
quement du  pamphlétaire  :  «  Qu'il  continue  maintenant;  avec 
ses  poumons  essoufflés  et  sa  gorge  gonflée,  qu'il  me  dénonce 
comme  dialecticien;  qu'il  accuse  à  grand  fracas  la  dialec- 
tique elle-même,  enflant  pour  cela  sa  voix  d'avocat  du  forum;... 
qu'il  entasse  à  plaisir  les  immondices  des  Manichéens,  et  qu'il 
s'efforce  de  les  détourner  sur  ma  personne,  en  aboyant  contre 
moi-.  »  Et  plus  loin  :  «  Il  a  déchaîné  sa  langue  avec  une  jac- 
tance prodigieusement  emphatique...  Mais  moi,  au  milieu  de  ce 
tapage,  ou  après  ce  grand  tapage,  si  terrible,  à  ce  qu'il  croit,  je 
répète  ma  question^...  »  Ou  encore  :  «  Le  voilà  maintenant  qui, 
pris  au  piège  dans  cette  affaire,  lance  de  nouveau  sur  moi  ses 
tourbillons  de  nuages  et  de  vent,  pour  obscurcir  la  sérénité  lu- 


1)  Surtout    les    formules   où   Petilia-  2)  Augustin,   Contra  litteras  Peliliani, 

nus    avait  résumé  la    théorie   donatiste        III,  16,   19. 
du  baplème  [ibid.,  2).  «)  Ibid.,  III,  18,  21. 


84  LITTÉRATURE    DONATISTE 

mineuse  de  la  vérité.  La  disette  de  preuves  rend  son  langage 
abondant...  Prenez  garde  que  son  souffle  ne  vous  arrache  des 
mains  la  question,  et  ne  vous  emporte  dans  la  sombre  tempête 
de  son  lanoras-eoraîïeux  '.  »  Ailleurs,  Au^rustin  traite  Petilianus 
de  «-  bavard  »  {garriiliis''),  d'écrivain  «  riche  en  mots,  mais  en 
mots  vides  »  [vaniloqiius'^),  d'  «  insulteur  éloquent  »  [disertus 
conviciator'*).  Il  raille  ses  «  déclamations  puériles  »  (puerilis 
declamatio'").  Il  lui  reproche  de  «  tout  troubler  par  son  tapage 
querelleur  »  (litigioso  strepitu^'  .  Il  accuse  ce  beau  parleur  de 
s'écouter  parler  avec  trop  de  complaisance  :  «  Comme  tes  pa- 
roles résonnent  acfréablement  à  tes  oreilles!  »  lui  dit-il  avec 
une  malice  souriante^. 

Bref,  Auguslin  critique,  chez  Petilianus,  la  violence  des  in- 
vectives, l'humeur  querelleuse,  l'abus  des  procédés  d'avocat,  les 
exag»'*rations  de  toute  sorte,  les  déclamations,  l'emphase,  le  ba- 
vardage, les  recherches  de  style,  les  comparaisons  affectées,  les 
antithèses  forcées  ou  forcenées,  les  prétentieuses  répétitions  de 
mots.  Le  dossier  du  coupable  est  donc  très  chargé  ;  et  l'on  doit 
reconnaître  ([ue  la  plupart  des  critiques  sont  parfaitement  ]us- 
tifié(?s. 

On  le  remarquera,  pourtant  :  sauf  les  excès  du  stylisme,  les 
critifjues  d'Augustin  visent  le  fond  plutôt  que  la  forme,  le  carac- 
tère de  l'homTne  plut(H  que  son  talent.  Les  termes  mêmes  dont 
se  sert  Tévéque  d'ilippone  montrent  que,  malgré  tout,  il  accor- 
dait à  son  adversaire  des  «pialités  d'écrivain.  En  effet,  sous  ce 
rap[)ort,  il  lui  a  souvent  rendu  justice.  La  première  fois  ([u'il 
nous  parle  de  Petilianus,  c'est  pour  nous  dire  que  les  Donatistes 
du  diocèse  admiraient,  chez  leur  évêque,  «  l'élégance  et  la 
beauté  du  slyle^  ».  Ce  ne  sont  pas,  d'ailleurs,  les  qualités  qui 
nous  fr;ippont  aujourd'hui  chez  l'évèque  de  ("onstantine. 

l']ii  tout  cas,  on  ue  peut  refuser  à  Petilianus  de  solides  et 
brilliiiilus  (pu»lités  d'écrivain.  II  a  de  l'énergie,  une  précision 
vigourciise  ([ui  va  souvent  jusqu'à  la  concision  pittoresque,  du 
relief,  de  la  couleur,  des  traits  hardis,  des  formules  heureuses. 
Avec  cel.i,  du  inouvL'menI,  de  la  verve,  le  don  satiri(jue,  un 
esprit  mordant.  Enfin,  le  don  su})rême  :  la  vie.  Ce  .stvle  âpre  et 
vigourciiv  peut  iniler  ou  déplaire  :  il  n'ennuie  jamais.  Au  fond. 


1)  \ii^'iistiii,   ('.(inini  liUrrns  l'eliliuni,  .")|  Aii;.rn>tiii,  Coulnt   lilleras   PelUiani. 
111.21.   2\.                                                                 11.  21,48. 

2)  M/</..   III.  27.  S2.  «)  Ihid.,   III.  41,  ÔO. 
Si  Ihid..   III.   17,  2U.  7,  /fc,rf.,  i|_   i(,i^  233. 
4)  Ibid.,   III.   i:<,  II.                                              »)  /6(./..   I.    1. 


PETILIANUS    DE    CONSTANTINE  85 

c'était  bien  l'avis  d'Augustin,  qui  disait  un  jour  à  l'évêque  de 
Constantine  :  «  Ce  n'est  pas  que  le  génie  te  manque,  mais  ta 
cause  est  mauvaise'.  »  En  fait,  parmi  tous  les  Donatistes  de 
son  temps,  Petilianus  a  été  le  seul  adversaire  digne  d'Augus- 
tin. 


1)  Augustin,  Conlra  liHeras  Petiliani,   II,  98,  226. 


CHAPITRE  II 

CRESCONIUS  LE  GRAMMAIRIEN 


I 

Ce  que  nous  savons  du  donatiste  Cresconius.  —  11  était  contemporain  d'Au- 
gustin, et  Africain  de  naissance.  —  11  était  laïque,  et  grammairien  de  pro- 
fession. —  Son  talent  et  son  éloquence.  —  Caractère  et  tour  d'esprit.  — 
Comment  Cresconius  fut  amené  à  intervenir  dans  la  controverse  entre 
Augustin  et  Petilianus.  —  Sa  Lettre  à  Augustin.  —  Date  de  cet  ouvrage. 

Le  jour  où  il  est  parti  en  guerre  contre  l'évêque  d'Hippone, 
le  grammairien  Cresconius  a  sauvé  son  nom  de  l'oubli.  S'il 
n'avait  pas  eu  l'impertinence  d'intervenir  alors  dans  une  discus- 
sion qui  ne  le  regardait  en  rien,  nous  ne  saunons  pas  même 
qu'il  a  existé  :  son  futur  adversaire,  avant  sa  provocation, 
n'avait  jamais  entendu  parler  de  lui  •.  Au  milieu  des  polémiques 
entre  l'évêque  catholique  d'Hippone  et  l'évêque  schismatique 
de  Constantine,  le  grammairien,  Donatiste  convaincu,  crut 
devoir  prendre  la  défense  de  Petilianus,  qui  d'ailleurs  savait  se 
défendre  tout  seul,  ayant  bec  et  ongles.  Par  là,  Cresconius 
attira  sur  lui  les  foudres  d'Augustin,  sous  la  forme  d'un  gros 
ouvrage  en  quatre  livres,  bourré  de  faits,  de  textes  et  d'argu- 
ments. Ce  fut  un  vrai  coup  de  fortune  pour  le  modeste  gram- 
mairien, qui  désormais  fut  associé  à  la  gloire  de  son  adver- 
saire. Le  Contra  Cresconiiim,  qui  avait  révélé  à  toute  l'Afrique 
le  nom  de  Cresconius,  nous  a  conservé  par  surcroit  une  bonne 
partie  de  son  pamphlet,  avec  quelques  renseignements  sur  sa 
personne. 

Des  circonstances  mêmes  de  la  controverse,  il  résulte  natu- 
rellement que  le  Donatiste  Cresconius  était  contemporain 
d'Augustin.  Il  devait  être  à  peu  près  du  même  âge.  Vers 
l'année  401,  comme  son  adversaire,  il  était  en  pleine  maturité 
d'âge  et  de  talent  :  il  avait  dû  naître  vers  350. 

Il  était  Africain,  et  aimait  à  le  rappeler  :  il  avait  l'orgueil  de 

1)    Augustin,    Contra    Cresconium,    I,  1. 


88  LITTÉUATUKE    DONATISTE 

son  pavs,  comme  tous  ses  compatriotes.  C'était,  nous  dit-on, 
«  un  Africain  vivant  en  Afrique,  Afer  in  Africci^  ».  Ces  mots 
avaient  alors,  en  ces  régions,  un  sens  précis  :  Cresconius  était 
de  l'une  des  provinces  qui  correspondaient  à  l'ancienne  Africa 
procoiisularis,  soit  de  Byzacène  ou  de  Tripolitaine,  soit,  plutôt, 
de  la  Zeugitane  ou  Proconsulaire  proprement  dite,  aux  environs 
de  Cartilage.  En  tout  cas, -il  demeurait  loin  d'Hippone,  dans  un 
pavs  dont  les  relations  avec  cette  ville  étaient  rares  :  son  pam- 
phlet et  son  nom  n'arrivèrent  à  Augustin  qu'au  bout  de  plusieurs 
années'-. 

On  nous  dit  encore  que  Cresconius  «  n'était  attaché  à  la  clé- 
ricature  par  le  lien  d'aucune  fonction ^  ».  Il  était  simple 
«  laïque*  ».  Pour  un  polémiste,  c'était  une  originalité  dans 
cette  Eglise  de  Donot,  que  le  primat  gouvernait  en  despote 
avec  l'assentiment  du  concile  général,  et  oi^i  les  fidèles  n'avaient 
guère  qu'un  droit, celui  d'attendre  le  mot  d'ordre  des  évêques. 
Mais  c'était  aussi  un  danger,  et  une  cause  de  faiblesse  :  on  se 
souvient  de  la  mésaventure  de  Tycdnius,  frappé  d'autant  plus 
vite  et  d'autant  plus  durement  par  son  primat,  qu'il  n'était  pas 
d'Eglise.  Rien  ne  fait  supposer  que  Cresconius  ait  eu  des  diffi- 
cultés avec  son  parti,  dont  il  prenait  la  défense  et  suivait  aveu- 
glément les  traditions.  Mais  il  le  défendait  aA'ec  une  autorité 
médiocre,  par  le  fait  seul  qu'il  était  simple  laïque.  C'est  ce 
qu'indique  spirituellement  Augustin,  dans  un  petit  intermède 
comique  où  il  met  en  scène  les  éA'êques  donatistes,  tout  prêts  à 
renier  leur  champion,  dès  qu'il  dcAient  compromettant  :  «  Quel 
est,  s'écrient  les  prélats,  quel  est  cet  homme  de  notre  parti, 
dont  tu  nous  apportes  la  lettre  ?  O  n'est  qu'un  de  nos  laïques. 
N'ainrpieur,  nous  aurions  triomphé  de  sa  victoire.  Vaincu,  sa 
défait(^  ne  regarde  que  lui-'.  » 

Même  dans  la  hiérarciiie  mondaine  de  sa  ville,  le  Douatiste 
Cresconius  n'était  qu'un  ])ersonnage  de  second  rang.  C'était  un 
grammairien  de  métier,  graminalicus  '"'.  Sans  doute,  aA'ec  la 
grammaire,  il  enseignait  la  littérature  et  bien  d'autres  choses. 
Mais  il  ne  pouvait  rien  contre  les  barrières  de  la  hiérarchie 
traditionnelle  :  suivant  les  préjugés  du  monde  des  écoles,  le 
titre  modeste  de  sa  fonction  ne  lui  ])ermetlait  pas  de  rivaliser 
avec  la  gloire  d'un  philosophe  ou  d'un  rhéteur.  Augustin,   qui 

\)    .\u;.'iisliii.    (Jnntni    Crrar  }iiiiiiii .  \\,  3)   Conlnt   Crvscoiilum,   I,   1. 

r>«,  8:H.    —    Cf.     III,     26,    2«;     IN,  43,  4)  Ihid.,   IT,  .5,  7;    l\,  34,  41. 

'">!.  :.)  Ihid.,  M,  .-),  7. 

2    //<(./.,     1,     1.    —    Cf.    Kelracl.,  II.  *>)  HcIrarL,  \\,  52  ;  CoiHra  Ciesconiutn, 

52.  Il,  G,  8  ;  f ,   10. 


CIIESCONIUS    LE    GRA MMAIRIKN  89 

pourtant,  dans  sa  jeunesse,  avait  lui  aussi  professé  la  gram- 
maire à  Thagaste,  mais  <[ui  l'avait  promptement  délaissée  pour 
la  rhétorique,  Augustin  ne  se  l'ait  pas  laute  de  railler,  son 
humble  conïrère  donatiste,  et,  avec  lui,  les  minuties  ou  les  arti- 
fices de  la  grammaire.  Ironiquement,  il  appelle  Cresconius  «  un 
habile  mesureur  et  peseur  de  mots  '  ».  Il  le  renvoie  à  ses  éco- 
liers. L'ancien  rhéteur,  devenu  évéque,  se  plaît  à  évoquer  ses 
vieux  souvenirs  et  ses  préjugés  d'école,  pour  en  accabler  le 
grammairien. 

Cependant,  de  l'aveu  de  son  adversaire  lui-même,  Cresco- 
nius n'était  pas  le  premier  venu.  Tout  en  le  raillant  à  l'occasion, 
Augustin  lui  rend  justice'-.  Il  lui  reconnaît  d'abord  les  qualités 
proTessionnelles  :  la  conscience  et  l'honnêteté,  une  instruction 
solide,  s'étendant  à  plusieurs  arts  libéraux,  l'intelligence  de  son 
métier,  une  réelle  compétence  dans  les  questions  de  grammaire. 
Des  dons  naturels  :  un  esprit  assez  vif,  de  l'ingéniosité,  une  cer- 
taine finesse  dans  la  déduction.  Des  qualités  d'écrivain  :  la 
correction,  la  clarté,  l'abondance  et  l'élégance  du  style.  Avec 
cela,  du  bon  sens;  excepté  dans  les  controverses  religieuses,  si 
l'on  en  croit  l'évêque  d'Hippone  :  «  Comment  donc,  dit-il  au 
grammairien,  comment  une  cause  si  mauvaise  a-t-elle  pu 
égarer  un  bon  esprit  comme  le  tien,  toi  un  homme  sensé,  un 
lettré'^?»  A  certains  moments,  Augustin  découvre  chez  son 
contradicteur  jusqu'à  du  talent  et  de  l'élofjuence.  «  Homme 
très  disert,  vir  disertissime  »,  c'est  ainsi  qu'il  l'interpelle  sou- 
vent, avec  une  pointe  de  malice  ''.  Ailleurs,  il  lui  dit  :  «  Dans  tout 
ce  ([ue  tu  as  écrit,  tu  as  déployé^  ton  éloquence  pour  persuader; 
même  quand  tu  as  voulu  accuser  l'éloquence,  tu  t'es  montré  en- 
core éloquent  '■'.  »  Dans  ces  compliments,  sans  doute,  on  doit 
faire  largement  la  part  de  l'ironie  du  polémiste.  Mais  il  reste 
une  part  de  louange  ;  et  de  louange  méritée. 

D'après  ce  qu'on  entrevoit  du  caractère  de  Cresconius,  c'était 
un  brave  homme  un  peu  naïf  :  d'intentions  droites  et  de  vie 
simple,  consciencieux  et  ponctuel  dans  ses  fonctions,  respec- 
tueux des  traditions  et  des  autorités,  mais  d'esprit  étroit,  et, 
d'ailleurs,  content  de  lui.  Il  aimait  tant  son  métier,  et  il  était 
si  fier  de  son  art,  qu'il  y  ramenait  tout  :  il  s'exagérait  évidem- 
ment l'importance   de  la  grammaire  dans  l'histoire  du  monde. 

1)  Contra  Cresconkun.  HT,  73,  85.  4)  Conlru  Cresconium,   111,  55,  Cl;  71, 

2)  Ibid.,   I,  1  ;   13,   li;  ;    22,  27  ;   II,  8,        88  ;    IV,   11,  13. 

Il)  ;   12,  15  ;   17,  21  ;   III,  73,  85  ;    1\  ,  2,  5)   Ibid.,  1,  2,  3.  —  Cf.    I,  13,   1(5  ;  IV, 

2  ;  3,  3  ;  31,  38  ;  44,  52  ;  45,  54.  2,  2, 

3)  Ibid.,   IV,  31,  38. 


90  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Très  sur  de  sa  science,  très  convaincu  de  son  talent  et  pressé 
d'en  faire  les  honneurs,  il  cherchait  les  occasions  de  se  mettre 
en  scène.  Il  disait  son  mot  sur  les  choses  du  jour,  et  tranchait 
toutes  les  questions  sur  un  ton  de  pédagogue  infaillible,  sans 
faire  exactement  le  départ  entre  ce  qu'il  savait  bien  et  ce  qu'il 
savait  moins  bien.  Homme  d'école  avant  tout,  et  dans  le  sens 
le  plus  étroit  du  terme,  il  'ne  craignait  pas  de  juger  tout  haut 
ce  qui  se  passait  hors  de  l'école  :  même  dans  l'Eglise. 

Car  il  était  dévot  et  sectaire.  Donatiste  de  tradition,  d'habi- 
tudes, probablement  de  naissance,  il  était  d'autant  plus  attaché 
à  son  Eglise,  qu'il  no  savait  pas  exactement  en  quoi  consistait 
le  Donatisme.  Il  ne  s'était  jamais  posé  sérieusement  la  question. 
En  vrai  grammairien,  il  s'était  plus  arrêté  aux  mots  qu'aux 
choses.  C'est  ce  qu'Augustin  lui  dit  assez  méchamment  :  «  Toi 
qui  es  si  bien  instruit  des  arts  libéraux,  toi  qui  es  si  savant 
dans  l'art  des  mots,  tu  discernes  mal  la  portée  de  tes  paroles  '.  » 
Cresconius  avouait  lui-même  qu'il  était  peu  familier  avec  la 
Bible  et  la  théologie;  ce  qui  lui  valait  cette  amusante  réplique 
de  l'évêque  d'Hippone  :  v  Tu  dis  que  tu  es  inférieur  à  nous  dans 
l'art  de  la  parole,  et  que  tu  n'es  guère  au  courant  de  la  Loi 
chrétienne.  A  quoi  tend  cet  aveu,  je  te  prie  ?  Est-ce  que  je  t'ai 
forcé  de  réfuter  mes  écrits  ?  As-tu  à  te  récuser  et  à  t'excuser? 
Si  donc  tu  n'es  pas  au  courant,  tu  ferais  mieux  de  te  taire,  ou 
de  parler  seulement  pour  demander  qu'on  t'instruise  2.  >>  Le 
constîil  était  bon  ;  mais  Cresconius  n'était  résigné  ni  à  se  taire, 
ni  à  redevenir  écolier.  D'ailleurs,  il  était  maintenant  trop  tard: 
dans  un  accès  de  dévotion  belliqueuse,  le  grammairien  s'était 
improvisé  controversiste,  exégète,  théologien.  Bravement  ou 
étourdiment,  il  avait  lancé  un  pamphlet,  où,  pour  son  coup  d'es- 
sai, il  s'atta([uait  directement  au  plus  redoutable  des  polémistes 
du  temps. 

C'était  au  milieu  des  premières  controverses  entre  Augustin 
et  Petilianus.  L'évoque  donatiste  de  Constantine  avait  adressé 
aux  clercs  de  son  diocèse  une  Lettre  pastorale,  qui  contenait 
un  violent  réquisitoire  contre  les  Catholifjues.  Augustin,  pen- 
dant un  séjour  ([u'il  lil  alors  à  Constantine,  entendit  parler  d(^ 
cet  ouvrage  ;  par  ses  conversations  avec  son  ami  Fortunatus, 
révê({ue  catholi(jue  de  la  ville,  il  put  juger  de  l'effet  produit. 
Non  sans  j)eine,  on  lui  |)i-ocuia  une  copie  de  la  première  partie 
dupani])hlet.  Il  en  entrej)iit  la  réfutation,  qu'il  publia  peu  après  : 


1)  ('.unira  Cresconium.   Il,   12,  l.j.  2)  Conini  Cresconium,   I,  3,  4. 

\ 


GRESCONIUS    LE    GRAMMAIRIEN  91 

c'est  le  premier  livre  Contra  litteras  Petiliani^.  Cette  réponse 
eut  encore  plus  de  retentissement  que  la  Lettre  pastorale  du 
Donatiste.  Petilianus  se  mit  aussitôt  à  élaborer  un  nouveau 
pamphlet,  où  il  mettait  en  cause  son  contradicteur.  De  son  côté, 
l'évêque  d'Hippone  préparait  un  second  livre  Contra  litteras 
Petiliani^  où  il  se  proposait  de  réfuter  d'un  bout  à  l'autre  la 
Lettre  pastorale,  dont  il  avait  enfin  reçu  un  exemplaire  com- 
plet 2.  Dans  l'intervalle,  le  premier  réquisitoire  de  Petilianus  et 
la  première  réponse  d'Augustin  avaient  fait  le  tour  de  l'Afrique 
chrétienne.  Cresconius  en  eut  connaissance.  Homme  de  foi 
simple,  hostile  à  toute  réconciliation,  naïvement  convaincu  que 
les  évèques  de  son  parti  avaient  toujours  raison,  le  grammai- 
rien admira  sans  réserve  la  Lettre  pastorale,  et  s'indigna  qu'un 
trouble-féte  eût  osé  la  critiquer.  De  l'indignation,  il  passa  vite 
aux  actes.  Oubliant  écoliers  et  grammaire,  il  jura  de  venger 
Petilianus  en  le  justifiant,  en  discutant  point  par  point  les  allé- 
gations de  l'arrogant  Catholique.  C'était  l'objet  de  sa  longue 
«  Lettre  à  Augustin ^  ». 

De  cette  Epistiila  ad  Augustinum,  on  peut  déterminer  ap- 
proximativement la  date.  La  lettre  pastorale  de  Petilianus  est 
de  l'année  399  ou  du  début  de  l'année  suivante  ;  le  premier 
livre  d'Augustin  a  été  publié  quelques  mois  plus  tard.  Dans  le 
courant  de  l'année  401 ,  coup  sur  coup,  ont  paru  trois  ouvrages 
tout  à  fait  contemporains,  complètement  indépendants  l'un  de 
l'autre,  bien  que  relatifs  à  la  même  controverse,  et  traitant  le 
même  sujet  à  des  points  de  vue  différents  :  le  second  livre  d'Au- 
gustin, le  second  réquisitoire  de  Petilianus,  et  le  pamphlet  de 
Cresconius  ''*. 

II 

L'Epistuln  ad  Augnsliniim  de  Cresconius.  —  Titre  et  forme  de  l'ouvrage.  — 
Comment  il  peut  être  reconstitué  en  grande  partie.  —  Plan  et  contenu. 
—  Préambule.  —  Critique  de  la  méthode  suivie  par  Augustin  dans  sa 
réfutation  de  Petilianus.  —  Arrogance  et  provocations  de  l'évêque  d'Hip- 
pone. —  Railleries  sur  l'éloquence  et  la  dialectique.  —  La  question  du 
baptême.  —  La  véritable  Eglise.  —  Les  Donatistes  ne  sont  pas  des  héré- 
tiques. —  Inconséquence  des  Catholiques.  —  La  tradition  de  Cyprien.  — 
Légitimité  du  schisme.  —  Réponse  aux  objections  sur  Optatus  de  Tha- 
mugadi  et  les  Maximianistes.  —  Indignité  des  Catholiques,  héritiers  des 


1)  Betract.,  II,  51;   Contra  litteras  Pe-  3)    Contra    Cresconiuni,    I,   I;    IV,  1  ; 
tUiani,  I,  1  ;  2r,..  27  ;     I,  1  ;   III,  50,;  (il.  Betract.,  II,  52. 

2)  Contra  litteras  Petiliani,  II,  1  ;  III,  4)   Voyez  plus  haut,  p.  16-17,  la  chro- 
!•  —  Cf.  Betract.,  II,  51.  nologie  des  œuvres  de  Petilianus. 


92  LITTÉRATURE    DO>'.\TISTE 

Iradilores.  —  La  prrsi'culioii.  —  Martyrs  donatistcs.  —  Revemlicalion  de 
la  liberlô  de  couscu'Dcc.  —  Primiaabtes  et  Maximiauistes.  —  Los  Dona- 
tistes  constituent  la  véritablo  Eglise.  —  Attaques  personnelles  contre 
Augustin.  —  Conclusion  de  l'ouvrage. 

Selon  l'usage  des  polémistes  africains  du  temps,  Cresconius 
avait  donné  à  son  pamphlet  la  forme  d'une  lettre.  Cet  ouvrage, 
qualifié  parfois  opus  ou  sennoKesl  appelé  ordinairement  epis- 
iula-  ou  litterae''.  Augustin  dit  expressément,  à  plusieurs 
reprises,  que  la  lettre  lui  était  adressée,  à  lui  personnellement 
{iiomlnaliin  ad  me  '').  D'après  ces  diverses  indications,  le  pam- 
phlet devait  être  intitulé  Epistiila  (ou  litterae)  ad  Augusti- 
nuni . 

On  peut  le  reconstituer  en  grande  partie  :  et  cela,  à  l'aide  du 
Contra  Cresconiuiii,  où  Ton  retrouve  non  seulement  les  grandes 
lignes  du  développement,  mais  encore,  pour  bien  des  passages, 
le  texte  original.  En  effet,  Augustin,  par  ses  citations,  nous  en 
a  conservé  d'innombrables  fragments,  (|uelquefois  des  pages 
entières.  Là  où  manquent  les  phrases  mômes  du  Donatiste, 
nous  avons  du  moins  les  résumés  ou  les  analyses  du  Catho- 
lique. En  outre,  l'évêque  d'Hippone  déclare  formellement  qu'il 
a  réfuté  son  adversaire  en  suivant  le  même  ordre,  eodem  or- 
dine  ^  :  ce  que  confirme  la  succession  logique  des  fragments  et 
des  idées.  Bien  mieux,  pour  nous  guider  dans  la  restitution  de 
l'ensemble,  nous  possédons  un  moyen  de  contrôle.  C'est  Augus- 
tin lui-môme  qui  nous  le  fournit.  Dans  le  Contra  Crescofiium, 
il  s'est  donné  le  luxe  de  réfuter  deux  fois  le  pamphlet,  et  chaque 
fois  il'un  bout  à  l'autre,  intégralement,  chapitre  par  chapitre. 
Les  trois  premiers  livres  contiennent  une  réfutation  directe, 
méthodique  et  détaillée,  de  toutes  les  assertions  de  Cresconius  ; 
le.  livre  IV  renferme  une  réfutation  indirecte,  non  moins  com- 
]>léte  et  systématique,  faite  uniijuement  au  point  de  vue  des 
<{uerelles  entre  l'iimianistes  et  Maximianistes''.  Si  l'on  compare 
les  doux  démonstrations,  on  constate  une  parfaite  concordance 
entre  les  deux  séries  d'arguments  et  de  fragments.  Le  parallé- 
lisme constant  des  dévelojipcments  et   des  citations  prouve  la 


1     Aii-usUii,   fletracl.,    II,  .52;    Contra  4)  Ctnilni  Crfscoiiiiun.     I,   I.  —    Cf.   I, 

Crcsrmiitiiii,    I.    1  :    IS,   U\.  i:i,   K;  ;    [{clract..   II.  :>1. 

2]  Ciilra  Crcsconuim,  II,  1,  2:  II,   }  ;  .-,)   Cmlra  Crescuiiiain,    IV,  Od.  8:$.  — 

.-..  7  :   III.   1,    l  ;  12.   lôf  11,    17  ;    l\,  1,  Cf.    I\  ,  2:^,  30  ;  21,  31. 

1  :  2,  2  ;   11,   i:{,  rie.  ijl  nflnicL,   II.. ".2  :  Cuntra  Crcsconium, 

:ii    //'«/..    I.    1    ;    II,   s.    Kl;   :^2,   Hl;|||,  |\,   1-2. 
II,    \ô;  77,  8H;   1\  ,  12,  11:41,  4s. 


CUESCONIUS    LE    GRAMMAIRIEN  93 

scrupuleuse  et  minutieuse  exactitude  d'Augustin,  qui, dans  les 
deux  cas,  sans  omissions  ni  interversions,  a  suivi  d'un  bout  à 
l'autre  la  marche  de  son  adversaire.  D'après  ces  données  tou- 
jours concordantes  des  deux  réfutations  successives,  on  peut 
restituer  jusque  dans  le  détail  le  plan  et  le  contenu  du  pam- 
phlet de  Cresconius. 

Ce  plan,  c'était  tout  simplement,  au  moins  pour  la  contro- 
verse proprement  dite,  celui  qu'avait  naguère  adopté  Petilianus 
dans  sa  Lettre  pastorale.  Et  l'on  s'explique  aisément  pourquoi. 
Cresconius  se  proposait  de  justifier  cette  Lettre  pastorale,  en 
réfutant  point  par  point  la  réfutation  qu'en  avait  faite  Augus- 
tin. Or  l'évéque  d'Hippone  avait  reproduit  et  critiqué,  phrase 
par  phrase,  le  réquisitoire  de  l'évéque  donatiste  '  ;  ce  c[ui  l'avait 
amené  lui-même  à  traiter  dans  le  même  ordre  les  mêmes  ques- 
tions :  baptême,  schisme,  persécution.  Cresconius,  naturelle- 
ment, devait  procéder  de  façon  analogue  dans  sa  contre-réfu- 
tation. Seulement,  comme  il  en  voulait  personnellement  à  l'évéque 
d'Hippone  pour  son  intervention,  il  mêlait  souvent  l'invective  à 
la  controverse  ;  et  cet  élément  satirique  occupait  même  une 
place  prépondérante  au  début  comme  à  la  fin  de  l'ouvrage. 
Bref,  le  contenu  du  pamphlet  se  résume  ainsi  :  une  apologie  de 
Petilianus  et  du  Donatisme,  entre  deux  charges  contre  Augus- 
tin. 

Voici  donc  quel  était  le  plan  de  VEpistula  ad  Augustimuu . 
D'abord,  le  préambule  d'usage,  où  l'auteur  donnait  les  raisons 
de  son  intervention^.  Puis  une  longue  et  acerbe  critique  du 
caractère  d'Augustin,  et  de  la  méthode  qu'il  avait  appliquée 
dans  sa  réfutation  de  Petilianus  3.  Après  ce  premier  flot  d'in- 
vectives, commençait  la  controverse  sérieuse.  Elle  se  divisait 
en  trois  parties,  qui  correspondaient  aux  trois  thèmes  princi- 
paux des  polémiques  soulevées  par  la  Lettre  pastorale  de  Cons- 
tantine  :  question  du  baptême  4,  légitimité  du  schisme^,  ini- 
quité des  persécutions  contre  l'Eglise  deDonat^.  Sur  chacun 
de  ces  points,  le  grammairien  s'efforçait  de  justifier  les  affir- 
mations de  l'évéque  donatiste,  et  de  convaincre  d'erreur  ou  de 
parti-pris  l'évéque  catholique.  Chemin  faisant,  il  traitait  des 
questions  accessoires,  ou  répondait  à  des  objections.  Une  fois 


1)  Contra  litleras  Peliliani,   I,  ],  2  et        suiv.  ;    IV,    4    et    suiv. 

suiv.  —  Cf.  Retract.,  II,  51.  5)  IbUl.,  lîl,   12,  15  et   suiv.  ;  IV,  24, 

2)  Contra  Cresconhun,  l,   1.  31  et  suiv. 

3)  Ibid.,    I,  2,    3    et  suiv.  ;    IV,  2  et  6)  Ibid.,  III,  41,  45  et  suiv.  ;  IV,  46.65 
suiv.                                                                          et  suiv. 

4)  Contra    Cresconiuni,     I,    21,    26    et 

V!.  7 


94  LITTÉRATURE    DONATISTE 

a  démonstration  achevée,  il  se  tournait  de  nouveau  contre  Au- 
gustin, qu'il  accusait  de  violence,  et  dont  il  incriminait  la  vie'. 
Le  pamphlet  se  terminait  sur  un  résumé  triomphant  de  toute  la 
discussion-. 

Pour  chacune  des  parties  de  l'ouvrage,  les  deux  réfutations 
d'Augustin,  ses  citations  et  ses  analyses,  nous  permettent  de 
suivre  encore,  dans  leur  -développement  logique  ou  leurs  capri- 
cieux détours,  souvent  même  dans  le  détail  de  l'expression,  les 
démonstrations  ou  les  récriminations  de  Gresconius.  Et  d'eux- 
mêmes  s'y  encadrent,  sans  erreur  possible,  à  la  place  qu'ils 
occupaient  dans  le  pamphlet  et  qu'ils  occupent  encore  dans  les 
analyses  du  Contra  Cresconiam,  la  plupart  des  fragments  qui 
nous  sont  parvenus  du  texte  original. 

Le  préambule  est  malheureusement  perdu.  Nous  en  connais- 
sons seulement  le  contenu.  L'auteur  y  exprimait  la  surprise  et 
l'indignation  que  lui  avaient  causées  les  critiques  dirigées  contre 
la  Lettre  pastorale  du  saint  évêque  Petilianus,  et  les  hautaines 
provocations  du  soi-disant  évêque  catholique  d'Hippone.  Bien 
que  simple  laïque,  il  croyait  devoir  relever  le  défi,  en  défendant 
Petilianus  et  la  véritable  Eglise.  Cette  justification,  il  l'adres- 
sait à  Augustin  lui-même,  avec  qui  il  allait  discuter  point  par 
pointa 

Avant  d'engager  la  controverse,  il  attaquait  personnellement 
l'évêque  d'Hippone,  qu'il  accusait  de  troubler  la  jiaix  par  les 
manifestations  incessantes  d'un  esprit  inquiet  et  batailleur.  Il 
lui  reprochait  aussi  d'apporter,  dans  sa  querelle  avec  Petilia- 
nus, l'habileté  suspecte  d'un  avocat  et  la  mauvaise  foi  d'un 
sophiste.  C'était  là  pour  le  grammairien,  jaloux  peut-être  des 
rhéteurs  et  des  philosophes,  une  belle  occasion  de  déclamer  sur 
les  dangers  de  l'éloquence  et  de  la  dialectique. 

Tout  d'abord,  Cresconius  louait  le  talent  d'Augustin,  et  se 
reconnaissait  «  inférieur  à  lui  dans  l'art  de  la  parole  '  )>.  Com- 
pliments perfides,  qui  tournaient  vite  à  l'aigre.  Sans  doute,  ob- 
servait le  grammairien,  l'éloquence  a  du  brilhint  et  l'apparence 
de  l'utilité;  mais  elle  a  fait  dans  le  monde  plus  de  mal  que  de 
bien.  Quand  elle  n'est  pas  au  service  de  la  vérité,  ce  qui  est 
r;ue,  elle  devient  un  art  dangereux,  malfaisant,  qui  égare  et 
trompe  les  liouinu^s.  Elle  est  alors  «  l'ennemie  de  la  vérité,  la 
patronne  du    mensonge...,  une    instigatrice   de   désordres,    \\n 


1)    Contra   Crescoaium,    III,    7^,  '.'U   <jI  H)  Coiitru  Ciescntiiiiu,  1,  1. 

Miiv.  ;   IV,  »;4,  7S  cl  sui\.  -i)  IbiiL,  I,  3,  4.  —  Cf.   I,   1.  2. 

•2)  Ibid.,  IV,  (iô,  80  et  siii\. 


GRESCOMUS    LE    GKAMMAIRIEN  95 

instrument  de  fourberie  ».  Les  lionnêtes  gens  «  doivent  la  mau- 
dire et  l'éviter'  ».  Platon  et  d'autres  sages  «  ont  jugé  avec- 
raison  qu'on  devait  la  bannir  de  la  cité  et  de  la  société  du  genre 
humain-  ».  Même  conseil  dans  les  saintes  Ecritures,  où  il  est 
dit:  «  Si  tu  parles  beaucoup,  tu  n'éviteras  pas  le  péché  »  [Pro- 
verb.,  10,  19)  5.  Enfin,  l'éloquence  est  l'arme  des  hérétiques.  — 
Conclusion  :  Augustin  étant  très  éloquent,  on  doit  «  prendre 
garde  à  lui  et  le  fuir^  ». 

D'ailleurs,  disait  Cresconius  à  Augustin  lui-môme,  tu  es  un 
homme  arrogant,  ambitieux  et  querelleur,  convaincu  de  ta  supé- 
riorité, toujours  prêt  à  provo([uer  les  autres,   à   soulever  des 
discussions,  à  troubler  la  paix,  sous  prétexte  de  travailler  à  la 
réconciliation  des   deux  Eglises  africaines.  Ton  prétendu   zèle 
pour  la  vérité  n'est  que  l'instinct  batailleur  d'une  nature  que- 
relleuse et  violente.  Dans  ton  orgueil,  tu  te  crois  capable  de 
résoudre  des  questions  insolubles.  «  Tu  veux  terminer,  après 
tant  d'années,  après   tant   de   jugements  et   d'arbitrages,  une 
affaire   qui,   portée   devant    les   empereurs,  discutée    par    tant 
d'hommes  instruits,  n'a  pu  être   terminée  par  les  évéques  des 
deux  partis...  Avec  une  arrogance  intolérable,  tu  crois  pouvoir 
trancher,  à  toi  seul,  un  différend  qui  a  paru  aux  autres  inextri- 
cable,   et   que  l'on  a  dû  abandonner  au  jugement  de  Dieu  \  » 
L'honnête  et  pacifique  grammairien  invitait  le  remuant  évêque 
d'Iiippone  à  se  tenir  enfin  tranquille  :  «  Si  tu  sais  que  l'affaire 
en  question  ne   peut  être  finie  par  toi,  pourquoi  prendre   une 
peine  inutile  ?  Pourquoi  te  démener  en  vain  ?  Pourquoi  batailler 
hors  de  propos  et  sans  résultat  ?  N'est-ce  pas  une  grande  erreur, 
de  vouloir  ce  que  tu  ne  saurais  faire  .^  La  Loi  nous  avertit  par 
ces  mots  :   «  Ne  cherche  pas  à  atteindre  plus  haut  que  toi,  ni 
à  scruter  plus  fort  que  toi  »  {Ecclesiastic.^  3,  22).  Ou  encore  : 
«    L'homme   violent   provoque  les  querelles,  et  l'homme  colère 
accumule  les  péchés  »   iibid.,  28,  11)  ^K  —  Décidément,  à  ces 
schismatiques,   le   futur   Père    de    l'Eglise    faisait    l'effet  d'un 
diable. 

A  l'agitation  et  aux  perpétuelles  provocations  d'Augustin, 
Cresconius  opposait  le  calme  angélique  des  vénérables  évêques 
du  parti  de  Donat,  qui  dédaignaient  les  vaines  controverses 
et  se  contentaient  d'instruire  leurs  fidèles  :  «  Tu  presses,  tu  pro- 
voques toujours,  disait  encore  le  grammairien  ;  tu  veux  amener 

1)  Conlni  Cresconium,  IV,  2,  2.  Cf.    I,   13,    16. 

2)  Ibid.,  1,  2,  3.  -  5)  Ibid.,  I,  3,  5. 
3)/6id.,  I,  1,  2.  6)  Ibid.,  1,  8,  11. 
4)   Contra    Cresconium,   IV,    2,  2.    — 


06  LITTÉRATURE    DONATISTE 

nos  évêques  à  discuter  avec  toi  pour  établir  la  A^érlté,  Mais  nos 
évêques  ont  plus  de  sagesse  et,  de  patience;  ils  restent  dans 
leurs  églises,  où  ils  enseignent  seulement  aux  peuples  les  com- 
mandements de  la  Loi  et  ne  se  soucient  pas  de  vous  répondre. 
Ils  savent  bien  que,  si  la  Loi  divine  et  tant  de  textes  des  saintes 
Ecritures  ne  peuvent  vous  convaincre  du  bon  droit  et  de  la 
vérité,  jamais  une  autorité  humaine  ne  saurait  dissiper  vos 
erreurs,  et  vous  ramener  à  la  règle  de  la  A'érité^.  »  Gresconius 
posait  donc  comme  principe,  qu'un  évéque  n'avait  pas  à  s'occu- 
per de  ce  qui  se  passait  hors  de  son  Eglise.  Il  alléguait  l'exemple 
des  Prophètes  :  «  Quand  Ezéchiel  lui-même  et  les  autres  pro- 
phètes allaient  porter  les  paroles  de  Dieu,  c'était  au  peuple  de 
Dieu.  C'étaient  des  Israélites  qui  s'adressaient  à  des  Israélites*.  » 
De  même,  un  évéque  ne  devait  pas  se  compromettre  dans  des 
controverses  avec  des  gens  d'une  autre  Eglise. 

A  plus  forte  raison  les  prélats  donatistes  devaient-ils  se 
refuser  à  toute  discussion  avec  un  dialecticien  :  un  de  ces  dan- 
gereux ergoteurs  «  qui, par  leurs  coupables  artifices  de  langage, 
rendent  vrai  ce  qui  est  faux,  et  faux  ce  qui  est  vi'ai  ^  ».  Tel 
était  Augustin  aux  yeux  de  Gresconius,  qui  lui  reprochait  de 
raisonner  en  philosophe  :  «  La  dialectique, disait  le  Donatiste,  est 
contraire  à  la  vérité  chrétienne.  Aussi  nos  docteurs,  te  sachant 
dialecticien,  ont  pensé  avec  raison  dcA^oir  te  fuir  et  se  garder 
de  toi,  plutôt  que  de  chercher  à  te  réfuter  et  à  te  confondre^.  » 
—  Orateur  et  philosophe, l'évêque  d'Hippone  avait  l'imperlinence 
de  trop  bien  raisonner  comme  de  trop  bien  parler  :  double  crime, 
ou  double  tare,  aux  yeux  du  grammairien  donatiste. 

Logiquement,  Gresconius  aurait  dû  s'en  tenir  là.  Gomme  les 
prudents  docteurs  de  son  Eglise,  il  aurait  dû  éviter  de  se  com- 
promettre dans  un  duel  avec  le  dialecticien  d'Ilipponc.  Par  une 
singulière  inconséquence,  c'est  immédiatement  après  cette  con- 
damnation formelle  de  la  dialectique,  qu'il  commençait  à  argu- 
menter. Non  sans  quehjue  témérité,  à  la  suite  d'Augustin  et  de 
Petilianus,  il  s'engageait  dans  l'épineuse  controverse  sur  le  bap- 
tême. 

Il  débutait  par  une  observation  assez  piquante  :  dans  le 
doute,  disait-il,  mieux  valait  se  faire  baj)tis(;r  parles  Donatistes 
que  par  les  Gatholi({ues,  jjuisque  les  Galholiques  admettaient 
l'efficacité  tlu  baptême  donatiste,  tandis  que  les  Donatistes  dé- 


1)  Contra     Cresconium,  I,    ^^,     4. -Cf.  3)  Conlm  Cresconhiin,  11.   18,23. 
III,   77,    8S;    IV,   3.  3.  ijibid..  I,   13,  16.   —  Cf.  I,  14,  17. 

2)  Ibid.,  1,  10,  13. 


CRESCONIUS    LE    GR.VMMAIRIKN  97 

ciaraient  nul  le  baptême  catholique'.  D'ailleurs,  poursuivait 
Gresconius,  c'est  à  tort  que  l'on  accuse  les  Donatistes  de  rebap- 
tiser. En  réalité,  ils  croient  à  un  seul  baptême,  comme  à  une 
seule  Eglise  ;  mais  ce  baptême  n'est  valable  que  s'il  est  conleré 
par  la  véritable  Eg-lise.  A  l'appui  de  sa  thèse,  le  grammairien 
alignait  une  longue  série  de  textes  relatifs  au  baptême  et  aux 
caractères  de  l'Eglise  du  Christ 2. 

Cette  Eglise,  la  vraie,  la  seule,  c'est  celle  que  ses  persécu- 
teurs appellent  à  tort  l'Eglise  de  Donat,  et  que  ses  fidèles  con- 
sidèrent avec  raison  comme  la  véritable  Eglise  catholique. 
«  Donat,  disait  Cresconius,  n'est  pas  le  fondateur  et  l'organi- 
sateur d'une  Eglise  qui  n'aurait  pas  existé  auparavant  ;  il  a  été 
simplement  l'un  des  évêques  de  l'Eglise  antique  fondée  par  le 
Christ^.  »  En  passant,  le  grammairien  ne  résistait  pas  à  la 
tentation  de  donner  à  ses  ignorants  contradicteurs  une  leçon  de 
grammaire.  Pourquoi  les  soi-disant  Catholiques  appellent-ils 
leurs  iidversaires  Donatistae,  à  la  mode  grecque  ?  S'ils  savaient 
mieux  le  latin,  ils  les  appelleraient  du  moins  Domitiani  ^.  En 
tout  cas,  les  fidèles  de  Donat,  même  du  point  de  vue  des  soi- 
disant  Catholiques,  ne  sont  nullement  des  hérétiques.  Cresconius 
disait  à  iVugustin  :  «  Que  signifient  tes  paroles  sur  l'erreur 
sacrilège  des  hérétiques  ?  Il  n'y  a  hérésie  que  là  où  il  y  a  diver- 
gence de  doctrine.  L'hérétique  est  l'adepte  d'une  religion  con-' 
traire  ou  autrement  interprétée  :  par  exemple,  les  Manichéens, 
les  Ariens,  les  Marcionites,  les  Novatiens,  et  tous  ceux  dont 
les  doctrines  contradictoires  sont  en  opposition  avec  la  foi 
chrétienne.  Mais  entre  nous,  qui  croyons  au  même  Christ,  né, 
mort  et  ressuscité  ;  entre  nous,  qui  avons  une  même  religion, 
les  mêmes  sacrements,  il  n'y  a  aucune  divergence  dans  la  pra- 
tique du  christianisme  :  il  y  a  eu  schisme,  mais  on  n'appelle 
pas  cela  une  hérésie.  En  effet,  l'hérésie  est  une  secte  composée 
de  gens  dont  la  doctrine  est  différente  ;  le  schisme  est  une  rup- 
ture entre  gens  qui  ont  la  même  doctrine.  Tu  vois  donc  dans 
quelle  erreur  tu  es  tombé,  ici  encore,  pour  le  plaisir  d'incri- 
miner :  ce  qui  est  schisme,  tu  l'appelles  hérésie  =>.  »  On  remar- 
quera la  netteté  de  ces  définitions  :  Augustin  lui-même  n'a 
jamais  formulé  aussi  clairement  la  distinction. 

A  propos  de  la  confusion  plus  ou  moins  volontaire  entre  le 

1)  Contra  Cresconium,    1,  21,   20;    IV,  4)  Contra  Cresconium,  II,  1,  2;  IV,  6, 
4,  4.  7;  9,  11. 

2)  Ibid.,  I,  28,  33  ;  31,  37  ;  34,  40  ;  II,  5)  Ibid.,  II,   3,   4.  --  Cf.  II,  4,  5-6  et 
14,  17  et  suiv.  ;  IV,  63,  77.  suiv.  ;  IV,  10,  12  et  siiiv. 

3)  Ibid.,  IV,  6,  7. 


98  LITTÉUA.TURE    DONATISTE 

schisme  et  l'hérésie,  Cresconius  signalait  rinconséquenee  de  la 
conduite  des  Catholiques  envers  les  Donatistes  convertis. 
L'Eglise  officielle  traitait  ses  adversaires  d'hérétiques  ;  et  pour- 
tant, elle  les  accueillait  sans  conditions,  «  comme  des  scélérats 
dans  un  asyle  de  Romulus'  ».  Bien  mieux,  on  laissait  leur  titre 
et  leur  dignité  aux  clercs  ralliés,  même  aux  évêques,  comme  on 
l'avait  fait  naguère  pour  Candidus  de  Villa  Regia  et  Donatus  de 
Macomades  "^. 

Après  cette  digression  sur  l'Eglise,  Oesconius  revenait  à  la 
question  du  baptême.  Là-dessus,  il  reprenait  simplement,  et  dé- 
veloppait avec  de  copieux  commentaires,  la  thèse  de  Petilianus, 
combattue  par  Augustin  :  l'efficacité  du  sacrement  dépendait 
de  la  personne  qui  le  conférait.  Nous  ne  suivrons  pas  le  gram- 
mairien dans  les  interminables  développements  où  il  cherchait 
à  justifier  sur  ce  point  la  théorie  donatiste  '.  Nous  connaissons 
en  détail  tous  les  éléments  de  son  argumentation,  avec  de  nom- 
breux et  longs  fragments,  avec  l'indication  des  textes  bibliques 
allégués  ;  mais,  dans  cette  démonstration  aride,  on  ne  relève 
rien  de  nouveau,  rien  qui  n'eût  été  déjà  dit,  et  plus  fortement, 
par  Petilianus  ou  autres  dissidents.  A  la  fin  de  son  argumenta- 
tion, Cresconius  insistait  sur  ce  fait,  que  son  Eglise,  en  rebap- 
tisant hérétiques  et  schismatiques,  suivait  la  tradition  africaine 
et  l'exemple  de  saint  Cyprien.  Il  citait  le  concile  de  256  De 
haereticis  baptizandis,  la  lettre  à  Jubaianus,  la  lettre  de  Firmi- 
lien,  et  autres  documents  ^.  11  constatait  que,  sur  ce  point,  les 
Catholiques  avaient  changé  d'opinion,  tandis  que  l'Eglise  de 
Donat  était  restée  fidèle  au  principe  et  à  la  pratique  de  Cyprien. 
Ce  qui  était  vrai,  historiquement. 

Fort  de  l'appui  de  Cyprien,  le  Donatiste  tournait  en  ridicule 
la  nouvelle  conception  catholique  du  baptême.  L'évêque  d'ilip- 
pone  ayant  déclaré  que  le  sacrement  était  valable,  même  admi- 
nistré par  un  indigne,  le  grammairien  s'écriait:  «  Oh  !  la  belle 
proclamation  d'un  impérieux  évêque  !  Oh  !  les  admirables  pré- 
ceptes de  justice,  que  promulgue  ce  bon  l'ère!  —  Ne  distin- 
guons pas,  dit-il,  entre  le  fidèle  et  le  perfide,  entre  l'homme 
pieux  et  l'impie  ;  rien  ne  sert  de  vivre  en  honnête  homme,  puisque 
le  juste  et  le  méchant  ont  les  mêmes  préi'ogatives.  —  Y  a-t-il 
rien  de  plus  inique   qu'un  tel  précepte?   On  verra  le  catéchu- 


1)  Conlra   Crcsconhim,    II,    i:},   K").    —  et  siiiv.  ;  :?2,  Sf.  ;  77,  SS  ;    IV,   12,    14  et 
Cf.  Il,  H,    10;  12,  15  ;  III,  IS,  21.  suiv. 

2)  Ibid.,  Il,  10,  12.  4)  Ibid.,  I,  :^2,  38  ;  11,  31,  39  el  suiv.  ; 

3)  Ibid.,  Il,  17,  21    et  suiv.  ;    111,  4,  4  III,   1,  2  cl  suiv.  ;   IV,  17,  20. 


CRESCOMUS    LE    GKAMMAIlUE.X  99 

mène  purifié  par  un  impur,  lavé  par  un  homme  souillé,  émondé 
par  un  immonde;  on  verra  l'infidèle  donner  la  foi,  et  le  crimi- 
nel l'innocence  '.  »  A  cette  doctrine  suspecte,  Cresconius  oppo- 
sait la  noble  doctrine  de  son  Eglise.  Et  il  terminait  la  discussion 
par  cette  constatation  triomphante  :  «  Donc,  pour  toutes  les 
assertions  du  saint  Petilianus,  je  puis  conclure  qu'elles  sont 
exactes  en  tout  '".  »  Il  se  trouva  des  lecteurs  assez  malinten- 
tionnés pour  insinuer  que  la  conclusion  dépassait  les  prémisses. 

De  la  question  du  baptême,  Cresconius  passait  à  celle  du 
schisme.  Ici  encore,  il  ne  faisait  guère  que  reproduire,  en  la 
paraphrasant,  l'argumentation  de  Petilianus.  Il  reprenait  un  à 
un  les  textes  allégués  de  part  et  d'autre,  en  s'efforçant  de  prou- 
ver que  révêc[ue  d'Hippone  en  avait  dénaturé  le  sens.  Nous  lais- 
serons de  côté  les  citations  bibliques  et  la  plupart  des  fragments 
du  Commentaire,  pour  nous  arrêter  seulement  à  ce  qui  présente 
un  intérêt  historique  ou  psychologique. 

On  sait  que  l'un  des  principes  du  Donatisme  était  la  légiti- 
mité, et  même,  en  certains  cas,  l'obligation  du  schisme  :  d'après 
cette  étrange  conception  de  la  charité  chrétienne,  c'était  non 
seulement  un  droit,  mais  un  devoir,  que  de  rompre  entièrement 
avec  les  pécheurs.  Cresconius  s'efforçait  naturellement  de  jus- 
tifier cette  thèse,  à  coups  de  textes  ou  de  sophismes.  Mais  il 
se  heurtait  ici  à  deux  objections  très  fortes,  tirées  par  Augus- 
tin de  riiistoire  contemporaine  :  l'extraordinaire  indulgence  des 
Primianistes  pour  un  de  leurs  évêques,  le  sanguinaire  Optatus 
de  ïhamugadi,  avec  qui  ils  étaient  restés  en  communion,  et 
leur  conduite  à  l'ég-ard  des  Maximianistes  ralliés  3. 

A  la  première  objection,  le  grammairien  répondait  qu'il 
ignorait  complètement  les  faits  et  gestes  du  prélat  de  Thamu- 
gadi.  N'étant  pas  au  courant,  il  ne  pouvait  se  prononcer  ni  dans 
un  sens  ni  dans  l'autre  :  «  Pour  moi,  disait-il,  je  n'absous  ni  ne 
condamne  Optatus  ^.  »  D'ailleurs,  ajoutait-il,  la  question  ne 
s'était  jamais  posée  pour  l'Eglise  de  Donat,  puisque  personne 
n'avait  accusé  l'évêque  de  Thamugadi  devant  le  primat  ou  le 
concile  du  parti  ■'. 

Quant  à  l'affaire  du  Maximianisme,  Cresconius  déclarait  qu'il 
avait  fait  là-dessus  une  enquête.  Il  avouait  avoir  été  d'abord 
«  très  ému  »,  en  lisant  dans  l'ouvrage  d'Augustin  que  les  évêques 


1)   Contra    Cresconiuin,  IV    18,  21.    —  3)  Contra  Cresconium,  lU,    12,   15.   — 

€f.  111,  4,  4et  suiv.  Cf.    IV,    24,    31. 

2)Ibid.,  111,  11,  12.—  Cf.  111,  11,  14  ;  4)  Ibid.,  111,  13,  IG. 

IV,  23,  30.  5)  Ibid.,  III,  4.5,  49. 


o 


100  LITTÉRATURE    DONATISTE 

maximianistes  avaient  été  successivement  excommuniés  et  réin- 
tégrés dans  leurs  fonctions  épiscopales  par  le  concile  des  Pri- 
mianistes.  Il  était  donc  allé  aux  renseignements  :  «  J'ignorais 
encore  la  vérité,  disait-il.  Aussitôt,  j'ai  fait  une  enquête  appro- 
fondie auprès  de  nos  évêques.  Instruit  par  eux-mêmes,  j'ai  Iule 
décret  du  concile,  et  la  sentence  prononcée  contre  ceux  (jui  ont 
été  condamnés  ;  ainsi,  j'ai  pu  me  rendre  compte  de  toute  la  suite 
des  événements  '.  »  Et,  charitablement,  pour  l'édification  d'Au- 
gustin, qu'il  croyait  ignorant  de  l'affaire,  il  racontait  à  sa 
façon  ce  qui  s'était  passé  :  «  Pour  arrêter  la  propagande  cou- 
pable de  Maximianus  auprès  de  nombreux  évêques,  nos  chets 
réunirent  le  concile.  Contre  tous  ceux  qui  s'entêteraient  dans 
ce  schisme,  fut  lancée  une  sentence  de  condamnation.  Tu  l'as 
lue  toi-même,  comme  tu  en  témoignes.  La  sentence  fut  votée  à 
l'unanimité.  Cependant  l'on  décida,  par  le  décret  du  concile, 
d'accorder  un  délai  :  quiconque  rentrerait  dans  le  droit  chemin 
avant  la  date  fixée,  serait  tenu  pour  innocent.  C'est  ainsi  que 
bien  des  Maximianistes,  non  seulement  les  deux  que  tu  cites, 
mais  beaucoup  d'autres,  ont  été  absous,  déclarés  innocents,  et 
sont  rentrés  dans  l'Eglise.  En  conséquence,  tout  baptême  con- 
féré par  eux  était  valable,  puisqu'ils  avaient  été  réintégrés  avant 
le  jour  fixé  et  ne  tombaient  pas  sous  le  coup  de  la  sentence 
définitive.  Alors  qu'ils  baptisaient,  ils  n'étaient  pas  hors  de 
l'Eglise,  puisque,  le  délai  n'étant  pas  écoulé,  ils  n'en  avaient 
pas  été  séparés  par  la  barrière  marquant  la  limite.  Au  contraire, 
ceux  qui,  après  le  jour  fixé,  se  sont  entêtés  à  rester  dans  le 
parti  de  Maximianus,  ceux-là  ont  été  atteints  par  la  sentence  de 
condamnation  :  du  môme  coup,  ils  ont  perdu  et  le  droit  de  bap- 
tiser et  leur  place  dans  l'Eglise  -.  »  Page  fort  curieuse,  où  Ton 
trouve  la  version  officielle,  accréditée  chez  les  sciiismaticjues, 
des  démêlés  entre  Primianistes  et  Maximianistes.  Cette  version, 
assurément,  ne  s'accordait  guère  avec  les  faits  réels  ni  avec  les 
dates  ;  nous  le  constatons  dans  les  documents  authentiques.  Pour- 
tant, Oesconius  acceptait  sans  contrôle  tout  ce  récit.  11  on 
tirait  cette  conséquence,  que  l'évêque  d'Hippone  avait  menti. 
Brutalement,  il  lui  jetait  à  la  face  celte  injui-e  :  a  Témoin  menteur 
ne  sera  pas  impuni  •'.  »  Et  voilà  comment  l'on  écrivait  l'histoire 
dans  les  cercles  donatistes. 

Ces  objections  écartées,  et  l'obligation  de  rompre  avec  les 
pécheurs  établie  par  les  textes  bibliques,  Cresconius  ariivait  à 


1)  Contra  CresconUim,  111,  14,  17.  l'.i  ;  19,  22  ;  IV,  28,  »5  et  suiv. 

2)  Ihid..    III,  U,    18.  —    Cf.     III,    H;.  3)  liid.,  IV,  42,  49. 


GHESCONIUS    I,E    GRAMMAllUK.N  101 

la  question  de  fait  :  de  quel  côté  étaient  les  pécheurs  ?  et,  par 
suite,  lai[aelle  des  deux  Eglises  était  l'Eglise  scliismatique  ? 

Là-dessus,  le  grammairien  commençait  par  chicaner  l'ancien 
rhéteur.  Il  lui  reprochait  d'avoir  tenté  de  jeter  de  la  poudre  aux 
yeux,  en  usant  d'un  artifice  de  rhétorique  qui  consistait  à 
retourner  contre  son  adversaire  l'accusation  portée  :  «  A  propos 
de  la  traditio,  disait-il,  tu  as  joué  de  VanticcUegoria  ;  tu  as  voulu 
rétorquer  l'argument,  en  imputant  à  nos  ancêtres  le  crime  com- 
mis par  vos  ancêtres.  Tu  t'es  cru  dans  l'école,  discutant  sur  les 
genres  et  les  questions  de  la  cause,  non  dans  l'Eglise,  où  l'on 
cherche  la  vérité  '.  »  x\ugustin,  sans  doute,  ne  s'attendait  pas  à 
ce  coup  droit. 

Cependant,  Cresconius  cherchait  à  disculper  les  fondateurs 
de  son  Eglise,  les  premiers  auteurs  du  schisme  :  notamment, 
le  trop  célèbre  Silvanus  de  Gonstantine.  A  en  croire  le  gram- 
mairien, l'innocence  de  Silvanus  était  démontrée  par  le  fait  seul 
de  sa  participation  au  concile  de  Garthage,  en  312,  et  à  la  con- 
damnation de  Géecilianus  :  «  11  n'a  pu  être  un  traditeur,  celui 
qui  s'est  montré  un  vengeur  si  sévère  de  \^  traditio'^-.  »  Silvanus, 
au  contraire,  méritait  l'admiration  des  siens  par  son  héroïque 
fidélité  à  la  cause  ;  en  effet,  «  c'était  pour  refus  de  communiquer 
avec  ses  persécuteurs  Ursacius  et  Zenophilus,  qu'il  avait  été 
exilé  3.  »  —  Encore  une  légende  donatiste,  qui  ne  s'accordait 
guère  avec  la  réalité  historique. 

Malgré  tout,  le  grammairien  trahissait  quelque  embarras  dans 
la  défense  des  siens.  Aussi  reprenait-il  bientôt  l'offensive  contre 
les  Catholiques,  dont  il  accusait  les  ancêtres  d'avoir  faibli  dans 
la  persécution  de  Dioclétien.  Il  affirmait  que  Ciecilianus  de  Gar- 
thage avait  commis  le  crime  inexpiable  dont  parle  l'Evangile  : 
le  crime  contre  l'Esprit-Saint  ^.  Il  prétendait  que  bien  d'autres 
évoques  du  même  parti  avaient  livré  les  Ecritures  aux  païens, 
et  que  leurs  capitulations  étaient  prouvées  par  de  nombreux 
témoins,  par  des  documents  authentiques  :  «  Décela,  s'écriait-il, 
de  cela  témoigne  la  conscience  du  monde  presque  entier.  Nos 
anciens  l'ont  entendu  raconter  à  leurs  pères.  11  n.'y  a  pas  long- 
temps qu'ils  sont  morts,  les  témoins  de  ces  trahisons  :  ils 
savaient  par  qui  et  en  quels  lieux  le  crime  avait  été  commis. 
Nous  avons  encore  les  livres  où  a  été  fidèlement  et  soigneuse- 
ment consigné  le  récit  des  faits  ;  nous  avons  des  procès- ver- 
baux, nous  avons  des  lettres.  Poui^  beaucoup,  même,  nous  avons 


1)  ConU-a  C'resconium,  III,  26,  29.  3)  Contra  Cresconiuin,  111,  30,  34. 

2)  IhicL,  IV,  56,  66.  —  Cf.    III,  27,  31.  4)  IbicL,  IV,  8,  10. 


102  LLTTÉKATURE    DONATISTE 

leur  franche  confession  ^  »  Ces  crimes  des  traditeurs  africains 
étaient  connus  des  Eglises  d'Orient,  qui  longtemps  étaient 
restées  en  communion  avec  le  parti  de  Donat.  C'est  ce  que 
montrait  bien  la  lettre  adressée  à  Donat  lui-même  par  le  con- 
cile de  Sardique.  Et  si,  depuis,  les  Orientaux  avaient  changé  de 
camp,  c'est  qu'ils  s'étaient  compromis  à  leur  tour  par  leur  in- 
dulgence envers  les  coupables  "-.  —  Nouvelle  erreur  historique, 
puisque  la  lettre  du  concile  de  Sardique  émanait  d'hérétiques. 

Or  tous  ces  crimes  pesaient  encore  sur  les  soi-disant  Catho- 
liques africains,  héritiers  et  solidaires  des  ^/r^c/^^o/'es  .•  c  Ce  tra- 
diteur,  c'est  ton  père,  disait  Cresconius  k  Augustin.  De  la  source 
vient  la  rivière,  et  la  tête  domine  les  membres.  Quand  la  tête 
est  saine,  tout  le  corps  est  sain;  si  la  tête  est  malade  ou  dif- 
forme, tous  les  membres  sont  affaiblis.  La  racine  nourrit  tout 
ce  c{ui  pousse  sur  le  tronc.  On  ne  saurait  être  innocent,  quand 
on  n'est  pas  de  la  secte  d'un  innocent  3.  »  C'était  la  thèse  dona- 
tiste  dans  toute  sa  rigueur,  avec  les  comparaisons  d'usage. 

A  cette  thèse,  déjà  développée  par  Petilianus,  l'évêque  d'Hip- 
pone  avait  fait  deux  objections.  Quand  bien  même,  disait  Au- 
gustin, l'on  nous  démontrerait  aujourd'hui  que  des  Catholiques 
d'autrefois  ont  livré  les  Ecritures,  eh  bien  !  nous  en  serions 
quittes  pour  condamner  leurs  fautes,  nous  n'en  serions  nulle- 
ment souillés  ;  d'ailleurs,  les  coupables,  si  coupables  il  y  a,  sont 
morts  depuis  si  longtemps  que  nous  ne  pouvons  les  juger.  — 
Sur  le  premier  point,  le  grammairien  répliquait  insolemment  : 
«  Ta  déclaration  est  ridicule,  et  ne  convient  guère  à  ta  sagesse. 
Je  ne  vois  pas  comment  vous  désapprouvez  et  blâmez  la  conduite 
<te  ces  gens-là  :  vous  avez  eu  beau  connaître  leur  erreur,  vous 
ne  l'avez  jamais  condamnée,  et  vous  persévérez  dans  leur 
schisme.  Si  tu  les  Ijlàmes,  eh  bien  !  renie  donc,  fuis,  abandonne 
l'Eglise  des  traditeurs  ;  ne  suis  pas,  dans  leurs  erreurs,  les 
traces  de  tes  ancêtres  '.  »  A  la  seconde  objection,  Cresconius 
opposait  ce  principe,  qu'il  n'y  avait  jamais  prescription  pour  le 
péché:  «  Même  aujourd'hui,  tu  peux  juger  tes  ancêtres;  on 
peut  juger,  non  seulement  les  vivants,  mais  les  morts.  Le  pécheur 
a  pu  mourir,  son  péché  ne  meurt  jamais  ■"'.  »  Ainsi  les  Catholiques, 
bon  gré  malgré,  restaient  solidaires  des  traditeurs.  Toute 
réconciliation   avec    eux    était    impossible,    s'ils     ne    faisaient 


• 


1)  Cunlra  Crcacunium,  111,38,  H7.  4)  Contra  Cresconium,   III.  35,  39. 

2)  Ihul.,  III,  34,  38.  —  Cf.   IV,  43,  :.l  Cf.  IV,  45,  53. 

«l  suiv.  .5)  Ibld.,  III,  3!t,  43. 

3)  Ibid.,    m.  37,   41.  —  Cf.  I\  ,  l.',  .",4. 


CRESCOMUS    LE    GRAMMAIRIEN  103 

amende  honorable  dans  la  seule  Eglise  restée  pure,  l'Eglise  de 
Donat. 

Ces  conclusions  sur  l'hérédité  de  la  faute  et  la  légitimité  du 
schisme  amenaient  Gresconius  au  point  le  plus  délicat  des  con- 
troverses entre  les  deux  partis  :  l'intervention  du  pouvoir  sécu- 
lier dans  la  querelle  religieuse,  la  responsabilité  des  Catholiques 
dans  les  persécutions  contre  les  dissidents. 

Pour  les  sectaires  du  Donatisme,  la  question  était  simple  : 
elle  se  résumait  en  un  fait,  le  fait  brutal  de  la  persécution. 
Ainsi  raisonnait  Gresconius.  Il  ne  se  demandait  pas  un  instant 
si  les  violences  et  les  attentats,  si  l'anarchie  née  du  schisme 
n'avaient  pas  été  les  causes  déterminantes  des  interventions  de 
la  police  et  du  gouvernement.  Il  accusait  nettement  les  Catho- 
liques, et  Augustin  lui-même,  de  provoquer  les  mesures  de  ré- 
pression. Il  montrait  que  depuis  un  siècle,  presque  sans  trêve, 
on  avait  traqué  les  fidèles  de  Donat  '.  Il  prétendait  que  ses  amis 
pouvaient  se  glorifier  de  ces  persécutions,  dès  longtemps  pré- 
dites par  le  Christ,  toujours  réservées  aux  vrais  .Justes,  et  pa- 
tiemment supportées  par  eux  comme  autant  d'épreuves  2.  Il  évo- 
quait le  souvenir  de  Marculus  et  d'autres  mart3'rs  de  la  secte, 
tombés  sous  les  coups  des  Catholiques'^.  D'ailleurs,  il  niait 
toutes  les  violences  et  les  aberrations  qu'on  reprochait  aux  gens 
de  son  parti,  et  dont  avait  parlé  Augustin.  II  niait  «  leurs  usur- 
pations tyranniques  des  propriétés  d'autrui,  leurs  orgies  de 
bacchants  ivres,  les  folies  des  Circoncellions,  leurs  sauts  volon- 
taires dans  les  précipices,  le  culte  sacrilège  et  profane  rendu  à 
des  cadavres  de  suicidés^.  »  Il  contestait  la  réalité  de  ce  culte 
idolàtrique,  en  alléguant  plusieurs  conciles  où  les  évêques  de 
son  parti  avaient  interdit  et  fléti-i  le  martyre  volontaire^.  De  ces 
prétendus  suicides,  qui  avaient  été  des  meurtres,  il  rejetait 
toute  la  responsabilité  sur  les  Catholiques  africains. 

Aux  excuses  invoquées  par  les  persécuteurs,  il  opposait  les 
droits  imprescriptibles  de  la  conscience  :  le  droit  qu'avait,  sinon 
tout  homme,  du  moins  tout  chrétien,  de  pratiquer  librement  sa 
religion.  Gomme  Petilianus,  il  revendiquait  hautement  une  en- 
tière liberté  de  conscience  et  de  culte  :  «  Qu'on  respecte  mon 
libre  arbitre,  s'écriait-il.  Quiconque  persécute  un  chrétien,  est 
l'ennemi  du  Christ*-".  »  Augustin  avait  objecté,  il  est  vrai,  l'his- 
toire du  schisme  de  Maximianus,  les  poursuites  et  les  violences 

])   Contra  Cresconium,  III,   41,   4.5  et  4)  Contra  Cresconium,  IV,  63,77. 

suiv.  ;  49,  54  ;  69,  80  ;  IV,  46,  55  ;  .52,  62.  5)  Ibid.,  III,  49,  54. 

2)Ièid.,  IV,  46,  55.  6)  Ibid.,  III,  51,  57. 
3)  Ibid.,    III,  49,  54.  —  Cf.  III,  42,  46. 


104  LITTÉRATURE    DONATISTE 

des   Primianistes   contre  les   Maximianistes.  ]Mais  Gresconius 
contestait  les  faits,  s'en  tenant  là-dessus  à  la  version  officielle 
de   son  Eglise.   Dans  les  attentats  commis  alors,  il  niait  toute 
participation  des   évèques  donatistes.    Il   disait,  par  exemple  : 
«  Si  la  basilique  ou  la  caverne  de  Maximianus  a  été  détruite  par 
la  foule,  aucun  des  nôtres  n  y  est  pour  rien.  Nous  n'avons  rien 
fait,  nous  n'avons  lancé  pe.rsonne  :  quels  étaient  les  coupables, 
nous  l'ignorons'.  »  Reprenant  le  parallèle  entre  les  Catholiques, 
toujours  prêts  pour  le  métier  de  bourreaux,  et  les  Donatistes, 
toujours  victimes  :  «  Aucune  persécution  n'est  juste,  s'écriait- 
il.  Lequel  des  deux  se  conforme  à  la  Loi  divine,  le  persécuté  ou 
le  persécuteur'^.  »  Annoncées  par  les  Livres  saints,  les  persé- 
cutions africaines  témoignaient  en  faveur  de  l'Eglise  de  Donat. 
Ce  qui,    suivant  Cresconius,   rendait  encore  plus  odieuse  la 
conduite  des  Catholiques,  c'est  que,  dans  leurs  appels  au  pouvoir 
séculier  et  à  la  force,  ils  n'étaient  même  pas  fondés  à  alléguer 
l'intérêt  de  l'Eglise,  ni  à  parler  en  champions  de  la  vérité.  Ils 
étaient  d'autant  plus  coupables  de  persécuter,  que  leur  cause 
était    plus    mauvaise.    Ils    avaient  commencé,   jadis,  par    cor- 
rompre leurs  juges;  et,  d'ailleurs,  ils  n'en  avaient  pas  moins  été 
condamnés  finalement  par  l'empereur  Constantin-^.  En  vain,  ils 
prétendaient  c[ue  leur  Eglise  était  l'Eglise  universelle,  annoncée 
et  promise  dans  l'Evangile  :  malgré  tous  les  progrès  du  chris- 
tianisme, cette  Eglise  laissait  en   dehors  d'elle  la  plus  grande 
partie  du  monde,    les  nations  barbares,  et  même,  presque  tout 
l'Orient,    maintenant  peuplé   d'hérétiques.   «    L'Orient,    disait 
Cresconius,  n'est  pas  en  communion  avec  l'Afrique,  ni  l'Afrique 
avec    l'Orient^.    »    L'Eglise   de    Donat,   qui   dominait  dans  les 
provinces    africaines,    et  qui    comptait    des  communautés    en 
d'autres  régions,   avait   autant  de  titres  à   représenter  l'Eglise 
universelle^    D'ailleurs,   peu  importait  le  nombre  des  fidèles  : 
«  Souvent,  c'est  en  peu  de  personnes  qu'est  la  vérité,  tandis  que 
l'erreur  attire  la  foule.  J'en  atteste  l'Evangile,  oîi  il  est  dit  que 
peu  de  gens  sont  sauvés  •^.  »  Ainsi,  malgré  leur  petit  nombre 
relatif,  les  fidèles  de  Donat  constituaient  la  véritabhî  Eglise. 
Les  schismati({ues,  c'étaient  les  soi-disant  (Catholiques  :  «  Si  la 
séparation  s'est  faite,  déclarait  le  granunaii-ien  à  l'évêque  d'ilip- 


1)  Coiilra   Crescuniuin,    111,   .59,  05.  —  4)    Contra    Cresconium,     III,    07,    77. 
Cf.  IV,  46,  55.  —  Cf.   m,  03,  70  et  suiv.  ;  IV,  60,  73  et 

2)  rbid.,  IV,  50,  00.  —  Cf.  1l,22,  27;  suiv. 

m,  71,  83,  5)  Ibid.,  III,  (".:<,  70. 

3)  Ibid.,  III,  61,  67;  09,  80;    71,   83;  6)  Ibid..     III.    60,    75.  —   Cf.    IV,   53, 
IV,  54,  04  ;  50,  67.  fi3. 


CRESCONIUS    LE    GRAMMAIRIEN  105 

pone,  c'est  que  vous  avez  été  mis  à  la  porte.  Quant  aux  nôtres, 
ils  sont  restés  dans  l'Eglise  universelle  et  catholique'.  »  Argu- 
ment connu,  que  d'un  camp  à  l'autre,  depuis  un  siècle,  se  ren- 
voyaient les  chrétiens  d'Afrique,  et  qui  déchaînait  ordinairement 
un  flot  d'injures. 

Cresconius  était  trop  bon  Donatiste  pour  laisser  échapper 
l'occasion.  Croyant  avoir  tranché  toutes  les  questions  contro- 
versées, il  arrêtait  là,  comme  sur  une  apothéose  de  son  Eglise, 
son  argumentation  proprement  dite.  Mais,  s'il  était  à  bout  d'ar- 
guments, il  n'en  avait  pas  fini  avec  les  récriminations.  De  nou- 
veau, comme  au  début  du  pamphlet,  il  attaquait  personnelle- 
ment Augustin.  Il  critiquait  d'abord,  en  grammairien  de  métier, 
plusieurs  expressions  employées  par  son  adversaire  2.  Puis,  il  lui 
reprochait  durement  d'avoir  manqué  de  mesure  dans  sa  réfuta- 
tion :  par  exemple,  d'avoir  comparé  Petilianus  k  Satan  3.  Enfin,  il 
multipliait  les  allusions  malignes  au  passé  de  l'évêque  d'Hip- 
pone,  naguère  Manichéen,  resté  suspect  à  bien  des  gens,  même 
au  primat  catholique  de  Numidie,  qui,  pour  cette  raison,  avait 
refusé  de  le  consacrer  évêque  :  «  On  connaît,  insinuait  le  gram- 
mairien, on  connaît  la  lettre  de  votre  primat,  cette  lettre  où  il  a 
écrit  sur  ton  compte  je  ne  sais  quoi,  en  refusant  de  venir  t'or- 
donner.  Oui,  cette  lettre,  beaucoup  des  nôtres  en  possèdent  une 
copie^.  »  Insinuation  perfide,  très  répandue  dans  les  cercles 
donatistes,  où  l'on  se  représentait  volontiers  l'évêque  catholique 
d'Hippone  comme  un  hérétique  déguisé,  un  Manichéen  honteux. 

L'ouvrage  de  Cresconius  se  terminait  par  un  résumé  de  l'en- 
semble. L'auteur  y  reprenait  brièvement,  dans  le  même  ordre, 
les  principaux  points  de  son  argumentation:  sur  tous  les  points, 
il  se  vantait  d'avoir  justifié  Petilianus  et  confondu    Augustin  ^. 

Tel  était  ce  curieux  et  copieux  ouvrage,  qui  tenait  à  la  fois 
de  la  controverse  religieuse  et  du  pamphlet.  Les  deux  éléments 
y  avaient  à  peu  près  une  égale  importance.  Deux  longues  dia- 
tribes contre  Augustin,  l'une  après  le  préambule,  l'autre  avant 
la  conclusion,  encadraient  la  controverse  proprement  dite  sur 
les  trois  questions  essentielles,  baptême,  schisme,  persécution. 
Partout,  d'ailleurs,  grondait  l'invective  :  à  tous  les  tournants  de 
la  démonstration  ou  de  la  réfutation,  jusque  dans  le  commen- 


1)  Contra  Cresconium,  IV,  58,    70.    —  3)  Contra  Cresconium,  III,  78,  i*0  ;  IV, 
Cf.    m,   «7,   77   et  suiv.  ;   IV,    59,  71  et  64,78. 

suiv.  4)  Ibid.,  III,  80,  92.—  Cf.  111,79,  91; 

2)  Ibid.,  II,  1,  2  ;    III,  7.S,  85;   77,   88  IV,  fi4,  79. 

et  suiv.  ;  IV,  C,  7  ;  9,  11  ;  55,  (J5  ;   65,  81.  5)  Ibid.,  IV,  65,  80  ;  66,  82-83. 


lOG  LITTÉRATURE    DONATISTE 

taire  des  versets  bibliques  ou  des  mots  les  plus  inoffensifs  en 
apparence,  le  grammairien  donatiste  décochait  quelques  traits  à 
son  ancien  confrère  Aug'ustin,  un  confrère  détesté  doublement 
et  comme  rhéteur  et  comme  avocat  des  Catholiques. 


III 


Snccès  dn  pamphlet  deCresconius.  —  Double  réplique  d'Augustin.  —  Cres- 
conius  polémiste.  —  Défaut  de  compétence.  —  I^aiblesse  de  la  réfutation. 
—  Verve  satirique.  —  Chicanes  et  plaisanteries  de  grammairien.  —  L'écri- 
vain. —  Ses  qualités.  —  Abus  des  procédés  d'école.  —  Comparaison  avec 
le  pamphlet  de  Petilianus  contre  Augustin.  — Intérêt  historique  de  l'œuvre 
de  Cresconius. 


Quel  a  été,  en  son  temps,  le  succès  du  pamphlet  de  Cresco- 
nius ?  Là-dessus,  nous  n'aA'ons  pas  de  renseignements  précis. 
Tout  porte  à  croii'eque  l'ouvrage,  accessible  à  tous  et  imprégné 
d'esprit  sectaire,  eut  du  retentissement  dans  le  monde  donatiste, 
où  il  circtda  de  communauté  en  communauté.  Il  semble  être 
resté  d'abord  inconnu  des  Catholiques  africains  :  ce  qui  n'a 
rien  de  surprenant,  étant  donné  la  méfiance  des  schismatiques 
et  le  soin  qu'ils  prenaient  de  cacher  à  leurs  adversaires  les 
œuvres  de  leurs  écrivains.  Ainsi  s'explique  un  fait  d'apparence 
paradoxale,  mais  très  certain  :  ce  pamphlet,  qui  avait  la  forme 
d'une  lettre  personnellement  adressée  à  l'évéque  d'Hippone,  lui 
est  parvenu  seulement  au  bout  de  trois  ou  quatre  ans,  et  par 
hasard'. 

(Test  vers  le  début  de  405,  ([u'un  exemplaire  du  livre  arriva, 
on  ne  sait  comment,  entre  les  mains  d'Augustin.  Dans  l'inter- 
valle, les  circonstances  avaient  changé.  A  la  suite  de  divers 
attentats,  l'empereur  Monorius  avait  promulgué  plusieurs  lois 
sévères  et  lancé  finalement  un  édit  d'union,  qui  ortlonnait  la 
fusion  des  deux  Eglises  africaines^  :  ce  qui  équivalait  à  une 
proscription  du  Donatisme.  L'ouvrage  de  Cresconius,  de  par 
ces  faits  nouveaux,  perdait  une  partie  de  sa  raison  d'être.  Ce- 
pendant, l'évéque  d'Hippone  le  jugea  assez  important  pour  mo- 
tiver une  réponse  méthodi([ue  et  détaillée.  D'où  son  grand 
traité  Contra  Cresconiiini,  en  quatre  livres,  qu'il  écrivit,  dit- 
il,  après  les  lois  d'lk)norius  contre  les  Donatistes,  donc  après  le 

1)  Aufîn^liii,  Contra  (^leAconiuin,   I,  1.        11,  2.  —  Cf.  Codex  canon.  [Certes,  afrir., 
—  Cf.  fielracl..  Il,  :>-2.  c;in.  '.H  ;  'M  ;  117  ;  1 1!»  ;  Au^ruslin,  kpisl. 

2)  Cod.  Theod.,  \Vi,  ô,   3S  ;   i\,    :^-5  ;       88,  .".-lO;  93,  5,   IG  I'.);  18.-),  7,  2(i-29. 


CKESCONIUS    LE    GRAMMAIRIEN  107 

12  février  405,  et   qu'il  dut  publier  vers  la   fin    de  cette  même 
année  '. 

Pour  réfuter  ce  confrère,  un  homme  d'école,  un  lettré  comme 
lui,  Augustin  s'est  mis  particulièrement  en  frais.  C'est  ce  qu'in- 
diquent, tout  d'abord,  les  dimensions  du  traité,  le  nombre  des. 
livres  et  la  longueur  anormale  de  chacun  d'eux,  la  précision  mi- 
nutieuse de  la  réplique,  le  ferme  dessein  de  ne  négliger  aucun 
détail.  Mais,  de  plus,  l'auteur  du  Contra  Cresconiiim  a 
cru  devoir  ici' modifier  quelque  peu  son  système  ordinaire  de 
controverse.  Il  a  adopté,  cette  fois,  une  méthode  de  discussion 
plus  concrète,  plus  historique,  plus  accessible  aux  laïques  : 
moins  de  textes  bibliques,  mais,  en  revanche,  beaucoup  de  do- 
cuments. Il  a  voulu  prouver  la  force  irrésistible  de  son  argu- 
mentation :  par  une  sorte  de  coquetterie  de  polémiste,  et  comme 
pour  justifier  l'opinion  de  ceux  qui  voyaient  en  lui  un  virtuose 
de  la  dialectique,  il  a  opposé  à  son  adversaire  deux  réfutations 
successives,  la  seconde  tirée  tout  entière  de  l'histoire  contempo- 
raine du  Donatisme"-.  On  doit  remarquer  encore,  ici,  le  tour  plus 
personnel  de  la  polémique.  Accusé  d'être  arrogant  et  querelleur, 
traité  de  Manichéen  honteux  et  de  sophiste,  l'évêque  d'Hippone 
a  saisi  cette  occasion  de  s'expliquer  franchement  sur  tous  les 
points,  et,  d'ailleurs,  aux  dépens  de  Cresconius  ou  des  gram- 
mairiens. Visiblement,  il  s'est  plu  à  discuter  avec  un  confrère, 
comme  à  montrer  que  lui-même  n'avait  rien  perdu  de  ses  talents 
profanes. 

Mais   revenons  à  Cresconius,  pour  essayer   de  caractériser 
brièvement  la  valeur  de  l'œuvre  et  de  l'écrivain. 

Comme  polémiste,  Cresconius  est  fort  inégal  ;  très  inférieur 
à  d'autres  Donatistes  dont  nous  possédons  des  ouvrages  ana- 
logues. D'abord,  chose  grave  dans  un  livre  de  controverse, 
l'auteur  manc[uaitde  compétence.  Il  l'avouait  lui-même,  non  sans 
quelque  naïveté,  quand  il  se  déclarait  peu  familier  avec  la 
Bible  3.  Il  ne  connaissait  pas  davantage  l'histoire  du  Donatisme. 
En  théologie,  comme  en  exégèse,  il  trahit  des  maladresses  et 
des  ignorances  de  conscrit.  De  tout  cela,  il  n'était  pas  plus  ins- 
truit que  le  commun  des  laïques.  Homme  d'école,  tout  à  son 
métier,  il  était  resté  longtemps  étranger  à  ces  questions.  Sans 
doute,  quand  il  s'improvisa  polémiste,   il  se  renseigna  de   son 

1)  Augustin,   Relract.,    II,  52  ;    Coiilru  du    Contra   Cresconium,  qui  a  la  forme 

Cri'sconium,  III,  43,  -17  et  suiv.  —  Pos-  d'une  lettre. 

sidiiis    {Indiculus  operum     Augustiiii,  3)  2)  Augustin,    Contra   Cresconium,  IV, 

mentionne  une  lettre  d'Augustin  Cres-  1  et  suiv.  ;  Retrucl.,  II,  52. 

cortf'o  jrammaiico.  Il  s'agit  probablement  3)  Conlra  Cresconium,  I,  3,  4. 


108  LITTÉnATURE    DONATISTE 

mieux,  feuilleta  les  Livres  saints,  interrogea  des  évêques  ^;  mais 
il  était  hors  d'état  de  contrôler  ce  qu'il  lisait  ou  ce  qu'on  lui 
racontait.  D'autant  plus  qu'il  manquait  de  sens  critique.  Il  s'est 
donc  contenté  .de  reproduire  ce  qu'il  entendait  :  pour  les  textes 
bibliques,  les  interprétations  traditionnelles  des  dissidents  afri- 
cains, et,  pour  les  faits,  la  version  plus  ou  moins  officiellement 
accréditée  dans  son  Eglise.  Par  là,  même  inexacts,  ses  récits 
offrent  un  intérêt  historique.  Mais,  si  l'on  apprécie  l'œuvre  en 
elle-même,  on  ne  peut  que  constater  le  défaut  de  compétence, 
l'insuffisance  de  l'information,  la  faiblesse  de  l'argumentation. 
Les  erreurs  grossières  sont  innombrables  :  erreurs  dans  l'in- 
terprétation des  textes,  erreurs  sur  les  faits,  notamment  pour 
l'histoire  des  origines  du  schisme  ou  pour  l'histoire  du  ^laxi- 
mianisme-.  Là-dessus,  en  toute  impartialité,  et  documents  en 
main,  on  ne  peut  que  souscrire  au  jugement  sévère  d'Augustin. 

Mal  à  l'aise  dans  la  controverse  doctrinale,  Cresconius  se 
rejette  volontiers  sur  la  polémique  personnelle.  C'est  ce  qu'il  y  a 
chez  lui  de  plus  vivant,  et,  pour  nous,  de  plus  intéressant^. 
Sans  doute,  il  est  fort  injuste  pour  les  Catholiques,  en  général, 
et  spécialement  pour  l'évêque  d'Ilippone.  Mais,  dans  ses 
attaques  si  })assionnées,  il  montre  de  la  verve,  parfois  de  l'esprit. 
Verve  un  peu  lourde,  esprit  un  peu  gros  pour  notre  goût,  mais 
qui,  enfin,  piquent  la  curiosité  et  dédommagent  le  lecteur.  Les 
invectives  sont  souvent  amusantes,  par  le  mouvement  et  la 
vivacité  du  tour,  surtout  par  l'imprévu.  Elles  nous  montrent  un 
Augustin  très  différent  de  celui  qu'a  consacré  la  tradition  : 
pour  ces  Donatistes,  notre  grand  évêque  d'Hippone,  futur  Père 
de  l'Eglise  et  maître  de  la  pensée  chrétienne,  n'était  qu'un 
sophiste  arrogant  et  grincheux,  un  trouble-fète,  un  pseudo- 
évéque  encore  suspect  de  Manichéisme. 

Un  trait  distinctif  et  amusant  de  Cresconius  comme  polé- 
miste, c'est  la  marque  du,  métier  :  chicanes  et  plaisanteries  de 
pédant,  manie  de  ramener  une  grande  controverse  religieuse 
aux  proportions  mesquines  d'une  querelle  d'école.  Le  grammai- 
rien s'acharne  d'autant  ])lus  contre  l'évêque  d'Hippone,  qu'il 
pourchasse  en  lui  un  rhéteur  et  un  ])hilosophe.  Il  ne  manque 
pas  une  occasion  de  lui  faire  la  leçon,  de  le  rappelei-  au  respect 
de  la  grammaire,  des  règles  qui  président  à  la  formation  et  à 
l'emploi  des  mots.  Par  exemple,  il  lui  reproche  de  désigner  ses 


1)  Citniru  (!resc<jiiiiiin ,  III,   14,   17.  H)   Coiilra  Crcitcoiiium,  1,2,  .^  et  suiv.  ; 

2)  Ibid.,  111,  2f.,  29  ot  suiv.  ;  52,  ",8  et        111,    78,  90  et    suiv.;  lV,2etsuiv.  ;  64, 
suiv.  78   et  suiv. 


CKESCONIUS    LE    GRAMMAIRIEN  lOD 

îidversaires  sous  le  nom  de  Donatistae,  alors  qu'on  devrait  dire 
DonatianiK  Ailleurs,  il  l'accuse  d'ignorer  la  valeur  du  compa- 
ratif, et  lui  inflige  là-dessus  toute  une  dissertation  ~.  Ou  encore, 
il  raille  certaines  métaphores  de  son  contradicteur  :  «  Ton  arme 
de  Neptune,  s'écrie-t-il,  à  cause  du  trident,  ne  convient  pas  à 
un  évoque  3.  »  Tout  cela  sent  le  pédant  ou  le  bouffon,  et  ce  n'est 
pas  toujours  d'x\ugustin  que  l'on  rit.  Mais  ces  plaisanteries, 
même  grosses  ou  grasses,  jettent  une  note  gaie  sur  l'austérité 
de  la  controverse. 

L'écrivain,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  vaut  mieux  que  le 
polémiste.  S'il  n'est  pas  original,  il  n'est  pas  sans  mérites;  Au- 
gustin est  le  premier  à  le  reconnaître^.  Les  qualités  sont  sur- 
tout des  qualités  d'homme  d'école  :  une  certaine  entente  de  la 
composition,  au  moins  pour  le  plan  d'ensemble  ;  une  langue  à 
peu  près  correcte,  sans  rien  de  bien  saillant,  sauf  la  redondance 
verbale  qui  est  commune  à  tant  d'Africains;  un  style  assez 
élégant,  le  sens  de  l'harmonie  et  du  relief.  Avec  cela,  nombre  de 
défauts  :  des  redites  et  des  négligences;  du  laisser-aller  dans 
l'ordonnance  intérieure  d'un  développement;  l'abus  des  procédés, 
des  lieux  communs  et  des  figures  de  style,  antithèses  forcées  ou 
métaphores  tapageuses  ;  de  la  déclamation  et  du  mauvais  goût; 
le  ton  violent  d'un  énergumène,  toujours  sous  pression. 

Pour  juger  Touvrage  de  Gresiconius,  il  n'est  pas  inutile  de  le 
comparer  au  pamphlet  dePetilianus  contre  Augustin  :  pamphlet 
qui  est  exactement  contemporain,  et  qui  traite  le  même  sujet-'. 
On  constate  aussitôt  de  grandes  analogies  entre  les  réfutations 
que  les  deux  Donatistes  ont  faites  du  premier  livre  d'Augustin 
Contra  litteras  PetUiani  :  c'est  le  môme  système  de  défense, 
avec  les  mêmes  attaques  contre  la  dialectique  et  l'éloquence, 
contre  le  caractère  et  la  vie  de  l'évêque  catholique.  Ces  analo- 
gies sont  d'autant  plus  frappantes,  que  les  deux  réfutations  do- 
natistes,  écrites  en  même  temps,  sont  complètement  indépen- 
dantes l'une  de  l'autre.  On  s'explique,  d'ailleurs,  ces  concor- 
dances. Pour  le  plan,  les  deux  pamphlétaires  ont  sim})lement 
suivi,  en  le  combattant,  l'évêque  d'Hippone.  Pour  l'argumenta- 
tion, ils  ont  développé  la  thèse  donatiste.  Pour  l'invective,  ils 
nous  ont  transmis  l'écho  des  récriminations  de  leur  parti.  Mais 
là,  s'arrête  la  ressemblance  entre  les  deux  auteurs.  Crescomus 


1)  Conira  CrcsconiLini,  II,  1,  2  ;  IV,  li,  4)  Contra  Cresconium,  I,  13,  16. 

7  ;  9,  11.  5)  Augustin,  Conira  litteras  PetUiani, 

2)  IbicL,  III,   73,  85;  77,  88  ;    IV,  rS,  III,    1  et  saiv.  Voyez  plus  haut,    p.  35 
65.  et  suiv. 

3)  Ibid.,  III,  78,  89.  —  Gf.  [V,  65,81. 

VI.  8 


110  LITTÉRATURE    DONATISTE 

reste  fort  au-dessous  de  Petilianus  pour  la  compétence,  l'infor- 
mation, l'exégèse,  la  rigueur  du  raisonnement.  Au  commentaire 
des  textes  bibliques  et  aux  discussions  doctrinales,  il  substitue 
volontiers  les  faits  historiques,  les  preuves  rationnelles,  ou  les 
chicanes  de  grammairien.  Quant  à  la  forme,  il  y  a  entre  Cres- 
conius  et  Petilianus  toute  la  différence  qui  sépare  un  rédacteur 
consciencieux  d'un  écriA'ain  de  race,  orateur  incisif  et  mordant. 
Considéré  en  lui-môme,  et  malgré  certains  mérites  de  mise 
en  œuvre,  le  pamphlet  de  Gresconius  est  donc  assez  médiocre. 
Faute  de  compétence  et  de  personnalité,  l'auteur  n'a  pu  que 
répéter  ce  qui  se  disait  autour  de  lui'.  Mais,  par  là-même,  son 
ouvrage  acquiert  une  grande  valeur  historique  :  il  nous  aide  à 
voir  les  choses  en  nous  plaçant  au  point  de  vue  des  schisma- 
tiques.  Homme  d'école,  et  simple  fidèle,  Gresconius  représente 
pour  nous  toute  une  catégorie  sociale  des  adeptes  du  Dona- 
tisme.  Généralement,  les  polémistes  de  l'Eglise  dissidente  étaient 
des  évoques,  des  chefs  du  parti.  Gresconius  est  un  laïque  ;  non 
pas  un  laïque  d'exception,  un  esprit  original  et  indépendant, 
comme  Tyconius  :  mais  un  laïque  quelconque  du  monde  des 
écoles.  Avec  lui,  nous  pénétrons  dans  ce  monde-là,  où  sans 
doute  bien  des  g'ens  étaient  Donatistes  et  s'intéressaient  aux 
controverses,  mais  où  la  plupart  se  taisaient,  conscients  de  leur 
incompétence.  Gresconius  n'a  pas  eu  le  même  scrupule.  Il  s'est 
lancé  assez  étourdiment  entre  les  champions  autorisés  des  deux 
l'^glises,  s'exposant  des  deux  côtés  à  recevoir  les  coups.  Il  s'est 
lait  railler  par  Augustin,  et,  peut-être  aussi,  par  quelques 
schismatiques  de  ses  amis.  Mais  il  n'a  pas  perdu  sa  peine, 
puisqu'il  nous  renseigne  encore  aujourd'hui  sur  les  idées,  les 
sentiments  et  les  préjugés  des  gens  de  sa  secte  et  de  son  monde  : 
.sans  compter  ({ue  du  même  coup  il  a  sauvé  de  l'oubli,  avec  son 
nom,  Tun  de  ses  livres. 


l)  Gresconius  l'avuiic  luiiiiùinc,  non       coniuni,  111,  14,  17  et  suiv.  ;    1\',  28,  35 
sans  naïvetéi  à  propos  de  l'histoire  du        et  suiv.). 
Maximianisnie  (Augustin,  Contra  Cres- 


CHAPITRE  III 

PRIIVIIANUS  DE  CARTHAGE 


I 

Vie  et  rôle  de  Primiauus.  —  Il  remplace  Parmenianus  comme  évêque  de 
Cartilage  et  primat  donatiste., —  Date  de  son  élection.  —  Mécontentement 
causé  par  ses  premiers  actes.  —  Excommunication  de  Maximianus  et  de 
trois  autres  diacres.  —  Protestations  des  seniores  de  Cartilage.  —  Entête- 
ment et  nouvelles  violences  du  primat.  —  Sa  condamnation  parle  concile 
de  Cartilage.  —  Son  procès  contre  Maximianus.  —  Sa  déposition  par  le 
concile  de  Cabarsussa.  —  Sa  revanche  au  concile  de  Bagaï.  —  Nouveau 
procès  contre  Maximianus,  pour  la  revendication  d'une  basilique.  — 
Primianus  au  concile  de  ïhamugadi.  —  Son  alliance  avec  Optatus  de 
ïhamugadi  et  le  parti  de  Gildon.  —  Conséquences  fâcheuses  de  cette 
alliance.  —  Multiplication  des  sectes  donatistes.  —  L'édit  d'union 
de  403  et  la  persécution  à  Carthage.  —  Politique  incohérente  de  Primia- 
nus. —  Il  repousse  en  403  le  projet  de  conférence  avec  les  Catholiques, 
et  reprend  lui-même  ce  projet  en  406.  —  Son  rôle  à  la  Conférence  de 
Carthage  en  411.  —  Résultats  lamentables  de  son  gouvernement.  —  Dé- 
route du  Donatisme  à  Carthage.  —  Dernières  années  de  Primianus.  — 
Son  caractère  et  sa  politique. 

Bien  que  tous  les  évêques  donatistes  fussent,  par  grâce  d'état, 
des  sectaires  intransigeants,  ils  se  ressemblaient  moins  qu'on 
ne  l'a  dit  et  qu'on  ne  pourrait  le  croire  à  première  vue.  Sans 
parler  de  bien  d'autres  différences,  il  y  avait  en  Afrique  deux 
catégories  au  moins  de  clercs  schismatiques,  parce  qu'il  y  a  au 
moins  deux  façons  d'être  intransigeant  et  d'être  sectaire  :  la 
manière  intelligente,  et  l'autre.  La  première  n'était  pas  celle  de 
Primianus.  De  là  vient  que  ce  primat  du  Donatisme  fut  invo- 
lontairement le  meilleur  auxiliaire  des  adversaires  de  son 
Eglise. 

Sur  sa  jeunesse,  sur  toute  la  période  de  sa  vie  qui  précéda 
son  épiscopat,  on  ne  sait  rien  de  précis.  Il  a  dû  naître  à  Car- 
thage, vers  l'année    350  ^  Il   devait  appartenir  à  une  famille 

1)  Primianus,  élu  évêque  de  Car-  plus  âgé  qu'Augustin,  né  en  354,  évêque 
ttiage    en    391-392,  devait    être  un  peu        d'ttippone  depuis  395-396. 


112  LITTÉRATURE    DONATISTE 

donatiste,  puisque  jamais,  au  cours  des  polémiques  les  plus  per- 
sonnelles, aucune  allusion  n'est  faite  à  une  conversion  quel- 
conque. 11  devait  être  d'une  origine  assez  humble,  à  en  juger 
par  ses  façons  d'agir  et  de  parler,  qui  trahissaient  un  rustre  '. 
Il  reçut  certainement  une  instruction  assez  élémentaire,  qu'il 
u'a  jamais  eu  le  souci  de  compléter.  Il  n'a  pas  dû  passer  par 
les  écoles  des  rhéteurs,  ni  même  par  celles  des  grammairiens  : 
en  fait  de  littérature,  il  ne  connaissait  guère  que  les  anathèmes 
bibliques.  Selon  toute  apparence,  il  fut  élevé  dans  un  milieu 
tout  populaire,  très  fanatique,  où  l'on  admirait  surtout  les  Cir- 
concellions.  Il  dut  entrer  de  bonne  heure  dans  la  carrière  ecclé- 
siastique, et  débuter  par  les  plus  modestes  fonctions  des  clercs 
inférieurs.  Il  s'éleva  peu  à  peu,  sinon  par  son  mérite,  du  moins 
par  un  effort  persévérant  dont  la  fortune  fut  com[)lice  :  parce 
qu'il  était  ambitieux,  têtu,  sans  scrupule,  et  qu'il  j)laisait  au 
peuple,  et  que  personne  n'avait  aucun  motif  d'être  jaloux  de  lui. 
Il  était  diacre  en  391,  à  la  veille  de  cette  élection  inattendue, 
qui  fit  de  ce  clerc  médiocre  et  borné  l'évêque  schismatif[ue  de 
Carthage  et  le  chef  du  parti  de  Donat'-. 

La  date  de  cette  élection  peut  être  déterminée  d'une  façon 
approximative.  Primianus  remplaça  Parmenianus,  qui  mourut 
presque  sûrement  en  391  '^.  D'autre  part,  le  mouvement  maximia- 
niste  commença  dès  392,  peu  de  temps  après  l'ordination  du 
uouveau  primat^.  Qn  en  peut  conclure  f[ue  Primianus  fut  élu  et 
consacré  en  391  ou  392. 

Il  ne  fut  pas  long  à  prouver  que  ses  électeurs  n'avaient  pas  eu 
la  main  heureuse,  que  les  suffrages  des  fidèles  et  du  clergé  de 
Carthage,  acceptés  probablement  sans  enthousiasme  et  confir- 
més avec  résignation  par  les  évêques  du  parti,  s'étaient  égarés 
sur  un  incapable.  Eu  (pielques  mois,  il  mécontenta  tout  le  monde 
par  les  incohérences  et  les  brutalités  de  sa  politique,  l'aile  de 
violence  ou  de  partialité,  d'arbitraire  ou  de  tyrannie,  f  t  toujours 
de  maladresse. 

D'abord,  il  scandalisa  les  clercs  et  tous  les  honnêtes  gens 
pai-  son  indulgence  inattendue  pour  tous  les  pécheurs  notoires, 
pour  les  intrigants  et  les  coquins,  surtout  pour  les  Claudia-: 
nistes,  ces  turi^ulcuts  scliismali(|ues  de  TEglise  schisinatique. 
(  )n  se  rappelle  l'histoire  de  ce  Clalidianus,  ancien  évê([ue  dona- 


1)  Aiii;iislin,  Senno    II    in  Psalin.   'M'>.  '^]  Voyez    plus   limit,  tome  IV,  p.  54. 
20,  p.  378-379  Mip:nn.  4)  «  Scamiala  igiliir    Priiiiiaiii....  qui 

2)  Ihid.,  l!)-2(),  [).  375  cl  siiiv.  ;  l\f)isl.  rcceiis  oriliniilus...  »   ( Au^nislin,   Scrmo 
43,  'J,  2()  ;  Contra  Cresconium,  IV,  6,  7.  //  in  Psalm.  30,20,  p.  378). 


PlUMIANUS    DE    CAKTIIAGE  113 

tiste  de  Rome  ',  qui,  banni  de  la  capitale  à  lu  suite  d'émeutes 
suscitées  par  ses  querelles  avec  le  pape  Damase  ',  s'était  réfugie 
à  Garthage,  où  il  n'avait  pas  tardé  à  se  quereller  avec  ses  amis, 
où  il  avait  fini  par  rompre  avec  Parmenianus,  en  fondant  une 
communauté  rivale.  Dès  le  début  de  son  épiscopat,  on  vit  Pri- 
mianus  se  réconcilier  avec  les  Claudianistes,  leur  faire  les  con- 
cessions les  plus  imprévues,  et,  contrairement  à  la  règle,  les 
admettre  sans  pénitence  à  la  communion  3.  Des  prêtres  et  des 
diacres  ne  cachèrent  pas  leur  surprise,  ainsi  que  les  senioi-es  du 
conseil  de  fabrique. 

Le  primat,  très  jaloux  de  son  autorité,  et  peu  scrupuleux  sur 
les  moyens  d'imposer  l'obéissance,  répondit  aussitôt  par  des 
coups.  Un  jour,  dans  une  basilique,  comme  des  Claudianistes 
s'approchaient  pour  la  communion,  des  seniores  manifestèrent 
leur  indignation  :  le  primat  les  fit  expulser  par  des  gens  à  sa 
dévotion,  qui  les  frappèrent  sans  pitié  ^.  Les  clercs  mêmes  ne 
furent  pas  mieux  traités.  Primianus  refusa  la  communion  au 
prêtre  Demetrius,  pour  le  contraindre  à  désavouer  et  à  dé- 
shériter son  fils  ^  Il  fit  enfermer  dans  un  égout  le  prêtre  For- 
tunatus,  coupable  d'avoir,  sans  autorisation,  baptisé  des  ma- 
lades '\ 

Ces  procédés  de  gouvernement  révoltèrent  tous  ceux  qui 
n'étaient  pas  complices  du  primat,  ou  qui  ne  tremblaient  pas 
devant  lui.  Un  parti  d'opposition  se  forma  autour  du  diacre 
Maximianus  :  un  diacre  que  l'évêque  ne  pouvait  souffrir,  et  qui 
parait  avoir  été  son  concurrent  lors  de  l'élection  épiscopale.  Ce 
Maximianus  était  un  personnage  dans  la  communauté.  C'était 
un  honnête  homme,  fort  distingué  :  instruit,  éloquent,  estimé  de 
tous,  chéri  des  dévotes,  très  populaire,  parent  du  grand  Donat". 
Primianus  voulut  en  finir.  Il  convoqua  le  conseil  des  prêtres, 
lui  dénonça  l'attitude  de  Maximianus  et  de  trois  autres  diacres, 
dévoués  au  rebelle  ;  séance  tenante,  il  somma  le  conseil  de  con- 
damner les  téméraires,  en  les  frappant  sur  l'heure  de  quelque 
peine  disciplinaire  *^.  Les  prêtres  refusant  ou  se  dérobant,  il 
passa   outre.    Brusquement,  sans   observer  aucune  des  formes 

1)  Optât,  II,  4.  5)  ((    Communionem    Demetrio  pre?- 

2)  Aoellana  Collectio,  ËpisL.  13,  8,  p.  5()  bytero  pernegaiit,  ut  cogeret  fiiium  alj 
Gùnlher  ;  M:insi,  Concil.,  t.  III,  p.  628.  dicare  »   {ibid.). 

3)  Augustin,    Sermo  II  in   Psalm.  36,  6)    «     Fortunatum     presbylerum     in 
20,  p.  37^  ;  Contra  Cresco  nia  m, lY,  9,11.  cloncam    fecerit    initti,  cuni     aegrotaii- 

4)  ((  In    basilioa    caesi    sint   seniores,  tibus  baj^lismo  succurrisset  »  {ibid.). 
quod    indigne    ferrent    ad    communiu-  7)  Epist.    43,  9,  26;   Enarr.  in  Psalm. 
nem    Claudianistas  admitti  »   (Sernio  II  124,  5  ;  Gesla  cum  Emerilo,  9. 

in  Psalm.  36,  20,  p.  379).  8)  Sernio  II  in  Psalm.  36,  20,  p.  37t-.' 


114 


LITTERATURE    DO>'ATISTE 


prescrites,  sans  jugement  régulier,  sans  enquête,  sans  entendre 
ni  convoquer  Maximianus,  qui  d'ailleurs  était  alors  malade  et 
alité,  il  lança  une  sentence  d'excommunication  contre  les  quatre 
diacres  '. 

L'orage  grondait  dans  la  communauté.  Même  les  plus  timo- 
rés, même  les  adversaires  de  INIaximianus,  ne  pouvaient  excuser 
ce  mépris  cynique  des  règks  disciplinaires  et  de  la  procédure. 
Les  clercs  n'osant  protester  ouvertement,  les  plus  notables  parmi 
les  laïques  se  firent  les  interprètes  de  l'opinion  publique.  Le 
conseil  des  seniores  adressa  une  lettre  de  protestations  à  Pri- 
mianus  :  protestations  qui  portaient  sur  deux  points,  oubli 
des  règles  de  la  discipline  dans  l'affaire  des  Glaudianistes,  oubli 
des  formes  de  la  procédure  dans  l'affaire  de  Maximianus -. 

De  l'émotion  des  notables,  Primiaims  ne  s'émut  guère:  s'il 
répondit  à  leur  lettre,  ce  fut  encore  par  des  coups.  Mais  les 
seniores  étaient  gens  de  résolution  ;  ils  voulurent  avoir  le  der- 
nier mot.  Ne  pouvant  obtenir  satisfaction  de  leur  évéque,  ils  en 
appelèrent  au  concile.  Par  une  lettre  circulaire,  adressée  à  tous 
les  évêques  donatistes,  ils  demandèrent  une  enquête  sur  les 
actes  du  primat  ^. 

Bientôt,  vers  la  fin  de  392,  arrivèrent  à  Garthage  quarante- 
trois  évê([ues  des  régions  voisines,  surtout  de  Byzacène^.  Pri- 
miaims les  attendait  de  pied  ferme.  Quand  ils  voulurent  s'as- 
sembler dans  une  basilique,  il  lança  sur  eux  une  bande  d'éner- 
gumènes,  qui  les  assiégea  dans  l'église,  les  lapida,  les  jeta 
dehors^.  Puis,  fort  de  ses  droits  épiscopaux,  il  leur  fit  inter- 
dire par  la  police  l'accès  de  tous  les  sanctuaires  ou  autres  im- 
meubles de  la  communauté^.  Les  malheureux  évêques,  tout 
décontenancés  et  meurtris,  durent  se  réfugier  dans  uae  maison 
particulière  des  faubourgs  de  la  ville.  De  là,  ils  invitèrent  le 
primat  à  Avenir  s'expli([U('r,  poussant  rhéroïsme  ou  la  témérité 


1)  i<  Pcr  se  cugilatuni  scelus  non  ilii- 
bitavit  inii)lorc',  usqiio  adco  iit  in  Maxi- 
inianuiu  diacoiiuni,  viruin  sicut  omni- 
bus noturn  est  innocentem,  sine  causa, 
sine  accMisalorc,  sine  ti'stc,  absenleni  ac 
lecto  cubaiitcrn,  sentcMliani  piilaiel 
esse  promendam  »  (ibid.). 

2)  «  Ciim,  ohsistentc  niaxinia  parli' 
piebis,  eliani  seniorinn  noliilissinioruni 
litlcris  convenireliir  ut  per  se  corrijïc- 
ret  (piod  admiseral,  sua  temerilate  pos- 
sessus,  einendare  conletnpsil  »  {ibid.). 

H)  H  Ilis  ila(|uc  pennuli  seniores  Kc- 
clesiae  sii[)i°adii'lae  ad  uniNersuni  clio- 
ruin  (episcoporuni)  iitleras    legaloscpic 


niisernnt,  quibus  non  sine  lacrymis 
deprecali  sunt  ut  ad  se  fervcntius  ve- 
niremus...  »  {ibid.). 

4)  Conlra  Cresconium,  IV,  6,  7. 

T))  «  Couducta  nuillitudinc  perditu- 
ruui...,  obsessi  sunt  cpistopi  siniul  cl 
clerici,  et  j)ostea  ab  ejus  satellitibus 
lapidali  »  {Scimn  II  in  Paulin.  80,  20, 
p.  37'J). 

6)  «  liupetratis  oflicialibus... ,  (jui  in- 
fjrediendi  uubis  atque  ageudi  solemnia 
inlerdicerenl  l'at  iiltalein...  ;  cuni  b.isi- 
licaruni  fores,' ne  inj-Tedercniur.  inul- 
tiludinc  et  (jriicio  intercbiseril  »  [ibid.]. 


PHIMIAiNUS    DE    CARTHAGE  115 

jusqu'à  lui  offrir  de  se  transporter  en  corps  auprès  de  lui.  Par 
trois  fois,  Primianus  refusa  de  comparaître,  faisant  ou  laissant 
maltraiter  les  députés  du  concile.  On  dut  instruire  sans  lui  son 
procès.  A  l'unanimité,  on  le  blâma  pour  ses  actes  illégaux  et 
ses  violences.  Cependant,  l'assemblée  procéda  avec  une  modéra- 
tion et  une  prudence  très  méritoires.  On  ne  déposa  pas  le  pri- 
mat ;  on  prononça  seulement  contre  lui  une  condamnation  de 
principe,  conditionnelle  et  provisoire.  On  lui  accordait  un  délai 
pour  s'amender  ou  se  justifier.  On  réservait  à  un  concile  posté- 
rieur la  solution  définitive.  Telles  sont  les  décisions  qui,  par 
une  lettre  synodale,  furent  notifiéesdans  toute  l'Afrique  à  toutes 
les  communautés  donatistes  '. 

Des  décisions  du  concile  de  Carthage,  le  primat  ne  s'in- 
quiéta pas  plus  que  naguère  de  la  protestation  des  notables. 
Ou  plutôt,  il  ne  s'en^inquiéta  que  pour  se  venger.  Il  redoubla  de 
violence  et  d'arbitraire.  Il  outragea  le  prêtre  Demetrius,  qui 
avait  donné  l'hospitalité  à  des  évêques^.  Il  fit  saccager  par  ses 
bandes,  sans  doute  sous  le  même  prétexte,  les  maisons  de  plu- 
sieurs fidèles  3.  Il  fit  élire  des  évêques  en  remplacement  de  ceux 
qui  l'avaient  condamné^.  Enfin,  il  résolut  de  faire  jeter  Maxi- 
mianus  hors  de  son  propre  logis.  Cette  fois,  il  procéda  dans 
les  règles,  il  s'adressa  aux  tribunaux.  Il  revendiqua  la  maison 
qu'habitait  le  rebelle  :  une  maison  qui  probablement  avait  été 
donnée  ou  léguée  au  diacre,  et  dont  celui-ci,  de  très  bonne  foi, 
se  considérait  comme  le  légitime  propriétaire.  Primianus  pré- 
tendit que  l'immeuble  appartenait  à  la  communauté,  et  que  son 
clergé  en  avait  besoin  pour  les  exorcismes.  L'affaire  fut  plaidée 
devant  le  légat  du  proconsul  d'Afrique.  Le  primat  donna  pro- 
curation à  un  avocat;  la  faveur  aidant,  à  ce  qu'on  rapporte,  il 
gagna  son  procès.  Aussitôt,  il  mit  en  mouvement  la  police,  fit 
expulser  le  diacre  et  saisir  limmeuble ''. 

Cependant,  comme  il  avait  été  convenu,  le  parti  de  Maximianus 
préparait  la  réunion  d'un  nouveau  concile.  Une  centaine  d'évê- 
ques,  le  24  juin  393,  s'assemblèrent  à  Cabarsussa,  en  Byzacène, 
sous  la  présidence  de  leur  doyen,  Victorinus  de  Munaciana*''. 


)) 


1)  Ëpist.  43,  9,26  ;  Sermo  If  in  Psalm.  quae   christianoruui  domos  evertéret 
.36,    19-20,    p.    375   et    378-379  ;    ConLra  [ibid.). 

Cresconium,  IV,  6,  7  et  suiv.  ;  Gesta  cum  4)  «  Super  \ivos  episcopos  alios  sub- 

Emirito,  9.  rogaril  »  (ibid.). 

2)  «  Idem  presbyter  (Demetrius)  ob-  5)  Conlra  Cresconium,  IV,  47,  57  ; 
jurgalus  sit  quod  episcopos  hospilio  Sermo  II  in  Psalm.  36,  18-19,  p.  374-375. 
suscepisset  »  [Sermo  II  in  Psalm.  36,  20,  6)  Epist.  141,  6  ;  185,  4,  17  ;  Sermo  H 
P-  379).  in   Psalm.    36,    20,   p.    376-382;    Contra 

3)  ((  Primianus  multitudinem  miseril,  Cresconium,  IV,  6,  7  ;  De  haeres. ,i)9. 


116  LITTÉRATUBE    DONATISTE 

Oq  instruisit  de  nouveau  le  procès  du  primat.  On  releva  contre 
lui  des  charges  de  tout  genre.  En  voici  le  résumé  officiel,  d'après 
l'enquête  du  concile  :  «  Primianus  a  fait  élire  des  évoques  en 
remplacement  d'évêques  encore  vivants.  Il  a  admis  des  sacri- 
lèges à  la  communion  des  saints.  11  a  tenté  de  contraindre  des 
prêtres  à  former  un  complot.  Il  a  fait  jeter  le  prêtre  Fortunatus 
dans  un  cloaque,  pour  avoir  Laptisé  des  malades.  Il  a  refusé  la 
communion  au  prêtre  Demetrius,  pour  le  forcer  à  déshériter  son 
fils.  11  a  outragé  le  même  prêtre,  pour  avoir  donné  l'hospitalité 
à  des  évêques.  Le  susdit  Primianus  a  encore  envoyé  une  foule 
de  scélérats  renverser  des  maisons  de  chrétiens.  Des  évêques 
et  des  clercs  ont  été  assiégés  ensemble,  puis  lapidés  par  ses 
satellites.  Dans  une  basilique  ont  été  frappés  des  seniores,  qui 
s'indiçî'naient  de  voir  les  Claudianistes  admis  à  la  communion. 
Primianus  a  cru  devoir  condamner  des  clercs  innocents.  11  n'a  pas 
voulu  se  présenter  à  nous  pour  se  justifier  ;  il  nous  a  empêchés 
d'entrer  dans  les  basiliques,  dont  il  nous  a  fait  fermer  les  portes 
par  la  foule  et  par  la  police.  Il  a  repoussé  avec  des  outrages 
les  députés  envoyés  par  nous.  Il  a  usurpé  beaucoup  d'immeubles, 
d'abord  par  la  force,  puis  en  vertu  de  décisions  judiciaires. 
Enfin,  il  s'est  rendu  coupable  d'autres  actes  illicites,  que,  par 
bienséance  de  style,  nous  avons  passés  sous  silence'.  »  Pré"- 
cieux  document  sur  la  mentalité  de  Primianus,  et  sur  ses  mé- 
thodes de  gouvernement. 

A  l'unanimité,  le  concile  confirma  la  condamnation  du  primai  : 
«  Nous  avons  décrété,  dit  la  sentence,  nous  avons  décrété,  nous 
tous,  évoques  de  Dieu,  en  présence  de  l'Esprit-Saint,  que  Pri- 
mianus... était  condamné  à  perpétuité  par  le  chœur  des  évêques  : 
il  ne  faut  pas  que  son  contact  puisse  souiller  TEglise  de  Dieu 
par  la  contagion  du  crime-...  »  On  prononça  donc  la  déposition 
de  Primianus,  et  l'on  menaça  d'excommunication  tous  ceux  qui 
ne  se  sépareraient  pas  de  lui  dans  des  délais  fixés. 

Par  une  lettre  sjmodale,  on  notifia  ces  décisions  à  toutes  les 
communautés  donatistes.  Dans  cette  circulaire,  les  cent  évêques 
déclaraient  que,  sur  la  requête  des  sent  ores  de  Cartiuige,  ils 
avaient  dû  instruire  le  procès  du  primat.  Ils  espéraient  d'abord, 
ils  souhaitaient,  pouvoir  constater  son  innocence.  Mais  «  les 
.scandales  de  Primianus,  son  extraordinaire  scélératesse,  avaient 
attiré  sur  lui  le  jugement  du  ciel;  on  avait   dû  retrancher  (.hi 

1)  Sermo  II  in  Psalm.  30,  20,    p.    371).        cliorn  perpcliio  esse  darnnatuin,  ne,  eo 

2)  «  Decrevimus  oiiiiies  sarertlnlcs  p;ilp;ilo,  l.)ei  Kcclesia  aiil  rdiilagioue 
Dei,  pracseiile  Spirilii  saiicto,  Imiic  aiil  ali(piu  crirniiie  niaciiletiir...  » 
eumdum     l'riiiiianuiii...     a     sacurdolali        {ihid.). 


l'RIMlA>US  DE  GARTHAGE  117 

corps  de  l'Eglise  l'iiuteur  de  ces  forfaits  '.  »  Suivait  réiiuméra- 
tioii  des  crimes  du  primat,  tels  que  les  avait  révélés  l'en- 
quête ;  puis  la  sentence  rendue  contre  Primianus  et  tous  ses 
complices  ou  partisans.  En  terminant,  le  concile  invitait  tous 
les  fidèles  à  se  séparer  aussitôt  du  primat  indigne  :  «  Pour  assu- 
i-er  la  pureté  de  l'Eglise,  nous  avons  jugé  utile  d'avertir,  par 
la  présente  traclatoria^  tous  les  saints  évéques  et  tous  les  clercs 
et  tous  les  peuples  qui  se  souviennent  d'être  chrétiens  :  tous 
doivent  éviter  avec  soin  et  prendre  en  horreur  la  communion 
de  Primianus,  désormais  condamné.  Il  devra  lui-même  rendre 
compte  de  sa  mortelle  déchéance,  celui  qui  sera  resté  sourd  à 
notre  décret  et  aura  tenté  de  le  violer'.  »  Tandis  que  la  lettre 
synodale  se  répandait  dans  toute  l'Afrique,  les  évéques  se  trans- 
portèrent à  Garthage,  où  Maximianus  fut  élu  comme  évêque- 
primat.  Séance  tenante,  ils  le  firent  ordonner  par  douze  d'entre 
eux^. 

Primianus  semblait  perdu.  Déjà,  pourtant,  la  fortune  travail- 
lait pour  lui.  Surpris  d'abord  et  déconcertés,  ses  partisans  se 
préparaient  à  reprendre  l'offensive.  Sauf  en  Byzacène,  la  majo- 
rité des  Donatistes  lui  restaient  fidèles,  par  esprit  de  disci- 
pline; toute  la  Numidie  faisait  bloc  autour  de  lui.  Trois  cent 
dix  évéques  répondirent  à  son  appel,  et,  le  24  avril  394,  se 
réunirent  à  Bagai,  en  Numidie,  sous  la  présidence  de  Primia- 
nus lui  même.  On  fit  de  nouveau  l'instruction  de  toute  l'affaire. 
Naturellement,  le  président  de  l'assemblée  eut  gain  de  cause. 
Par  une  sentence  déclamatoire,  d'une  violence  apocalyptique, 
le  concile  excommunia  Maximianus,  avec  ses  douze  consécra- 
teurs,  et  les  clercs  rebelles  de  Garthage  ;  il  menaça  du  même 
châtiment  les  autres  Maximianistes  qui  ne  seraient  pas  venus  a 
résipiscence  dans  un  délai  fixé.  Gomme  toujours,  une  lettre 
synodale  avisa  de  ces  anathèmes  toutes  les  communautés  afri- 
caines du  parti  de  Donat''.  Primianus  triomphait,  mais  aux  dé- 
pens de  son  Eglise,  définitivement  amputée,  qui,  dans  toute  la 
moitié  orientale  de  l'Afrique  latine,  voyait  se  dresser  contre  elle 
une  Eglise  maximianiste. 

Vindicatif  comme  nous   le  connaissons,  on   devine  que  Pri- 

1)  ((    Scaiidala     igitiir     Priuiiani,    cl        cam    Emerito,  9  ;  Epist.   108,  2,  5  ;    ]85, 
ipsius  nequitia  singularis,  sic  in  se  cae-       4,  17. 

leste    judicium    proxocavit,   ut   huriini  4)    Contra    Epistulaiii    Parmeniani,  II, 

criinimiiii  au.ctorem  necesse  esset  poui-  3,  7  ;  Contra    Cresconiuni,  lll,   53,  59  et 

tus  amputare  »  {ihid.,  p.  378).  suiv.  ;    IV,   31,  38    et  suiv.  ;    37,  44    el 

2)  Ibid.,  p.  380.  suiv.  ;  Gesla  cum    Emerito,  9-11  ;   Episl. 

3)  Contra    Cresconhim,   III,    52,   58  et  51,  2;  53,3,0;  108,  2,  4  et  suiv.  ;  141,6. 
suiv.  ;  IV,  0,  7  ;  31,  38  et  suiv.  ;    Gesta 


118  LITTÉIIATURK    DONATISTE 

mianus  songeait  surtout  à  se  venger.  Aussitôt  après  sa  vic- 
toire de  Bagai,  il  donna  le  mot  d'ordre  à  ses  partisans,  qui  par- 
tout entrèrent  en  campagne  et  assiégèrent  les  tribunaux,  pour 
forcer  "leurs  adversaires  à  restituer  les  basiliques  et  autres  im- 
meubles '.  Lui-même  prêcha  d'exemple.  Devant  le  proconsul, 
il  intenta  un  nouveau  procès  à  Maximianus,  en  revendication 
d'une  basilique  :  sans  doute,  l'église  quu  Maximianus  avait  jadis 
administrée  comme  diacre,  et  qu'il  avait  gardée  jusque-là.  Cette 
fois  encore,  Primianus  eut  gain  de  cause.  Mais  l'affaire  avait 
surexcité  les  passions  populaires.  Une  émeute  éclata.  La  basi- 
lique de  Maximianus,  que  les  Primianistes  appelaient  v  la  ca- 
A^erne  des  brigands,  spelunca  »,  fut  saccagée,  brûlée,  rasée  jus- 
qu'aux fondements"-.  On  ne  dit  pas  que  Primianus  ait  été  com- 
plice des  émeutiers  ;  mais  on  ne  dit  pas  non  pkis  ([u'il  ait  rien 
fait  pour  les  arrêter. 

Au  cours  de  ce  procès,  il  eut  une  petite  mésaventure,  attestée 
par  une  pièce  officielle,  un  fragment  de  l'interrogatoire.  Sui- 
vant la  tactique  de  son  parti,  il  se  présentait  comme  évêque  de 
la  véritable  Eglise,  comme  évêque  catholique  ;  et  c'est  en  cette 
qualité  ([u'il  invoquait  contre  le^  ^laximianistes  les  lois  portées 
contre  les  hérétiques.  A  l'audience,  le  proconsul,  qui  connais- 
sait Aurelius,  fut  surpris  d'entendre  Primianus  se  donner  comme 
l'évêque  catholique  de  Carthage  :  «  Alors,  dit  le  procès-verbal, 
alors  le  juge  demanda:  Quel  est  donc  ce  second  évêque  ?  Est-il 
du  parti  de  Donat  ?  —  Le  représentant*  de  VOfficiiun  répondit  : 
Nous  ne  connaissons  ici  qu'un  seul  évêque  catholique,  Aure- 
lius-^. »  Primianus  eut  beau  gagner  sa  cause:  il  fut  mortifié 
publiquement,  ce  jour-là,  dans  son  orgueil  et  ses  prétentions 
de  chef  d'Eglise. 

Une  autre  humiliation  l'attendait:  à  laquelle  il  se  résigna, 
d'ailleurs,  avec  un  empressement  inattendu.  Pour  triompher  de 
la  résistance  des  Maximianistes,  il  dut  solliciter  ou  accepter 
l'alliance  du  farouche  et  sanguinaire  Optatus,  l'évêque-brigand 
de  Thamugadi,  le  tyran  de  la  Numidie,  l'homme  de  confiance  du 
comte  Gildon. 

Optatus  ne  se  fit  pas  pi'iei-  pour  intervenir.  11  procéda  natu- 
icllement  à  sa  façon  ordinaii-c;,  par  la  terreui'.  Une  campagne 
lui  suffit  pour  imposiM-  aux  récalcitrants  la  paix  primianiste. 
Avec  ses  bandes  sauvages  de  Circoncellions,  dressées  au  pillage 


1)  Contra  Crcsconiiim,  III,  ^2,  .')8  :  ")(;,  21  Epist.  44,  4,  7  ;  Contra  Crcsconium, 

62;  IV,  S   etsiiiv.;  Brevic.  Collai..  III.        III..".!»,  (,;'  ;  IV.  4(5,  5.5. 
11,  22  ;  Kpist.  10f<,  2,  .5.  :$,  Enarr.   Il  in  Psnlm.  21.  1^1. 


PRIMIANUS    DE    GARTHAGE  119 

et  au  massacre,  il  entra  en  Proconsulaire,  et  marcha  sur  les 
villes  qui  étaient  les  forteresses  du  Maximianisme.  A  son  ap- 
proche, tout  le  monde  trembla  ;  les  plus  intransigeants  se 
déclarèrent  prêts  à  signer  la  paix.  La  diplomatie  armée  d'Op- 
tatus  triompha  du  scrupule  des  plus  obstinés,  Felicianus  d.; 
Musti,  Praetextatus  d'Assuras,  qui  renièrent  enfin  l'Eglise  de 
Maximianus.  En  même  temps,  l'évêque  de  Thamugadi  négociait 
avec  Primianus,  qu'il  amenait  à  des  concessions  surprenantes  '. 

A  ce  moment,  l'autoritaire  primat  de  Garthage  semblait  n'être 
plus  que  le  lieutenant  d'Optatus.  Gomme'tous  ses  collègues,  il 
dut  se  résigner  à  lui  rendre  publiquement  hommage.  Il  assis- 
tait en  397  aux  fêtes  données  à  Thamugadi  en  riionneur  de 
l'évêque  tyran,  pour  l'anniversaire  de  sa  consécration  épiscopale 
[Optati  natalilia)  '.  Il  présida  dans  cette  ville  un  concile,  oii 
l'on  régla  définitivement  la  question  du  Maximianisme  :  ou- 
bliant leurs  principes  et  les  anathèmes  de  Bagai,  les  Primia- 
nistes  se  prêtèrent  à  toutes  les  concessions,  laissant  aux  évêques 
ralliés  leurs  fonctions  épiscopales,  reconnaissant  comme  valable 
le  baptême  administré  par  eux  pendant  leur  schisme  3. 

Les  Primianistes  paraissaient  triompher.  En  réalité,  le  seul 
vainqueur  était  l'évêque  de  Thamugadi.  Sa  victoire  avait  été 
d'abord,  pour  son  primat,  une  humiliation.  Puis,  elle  imposait 
à  Primianus  une  politique  inconséquente  et  dangereuse,  dont 
les  résultats  fâcheux  se  manifestèrent  promptement.  Entraînés 
par  leur  alliance  avec  Optatus,  les  Primianistes  avaient  pris 
parti,  plus  ou  moins  ouvertement,  pour  le  comte  (iildon,  alors 
en  pleine  révolte^.  Par  là,  ils  s'étaient  exposés,  pour  un  avenir 
prochain,  à  des  persécutions  d'autant  plus  dures  que  la  politique 
s'en  mêlait.  On  le  vit  bien  après  la  défaite  de  Gildon,  défaite 
qui  ne  tarda  guère  :  beaucoup  de  Donatistes  furent  atteints  par 
les  constitutions  impériales  qui  visaient  les  complices  du  rebelle  '. 
En  outre,  dans  leurs  négociations  avec  les  Maximianistes  qui  se 
ralliaient,  les  Primianistes  avaient  poussé  leurs  concessions,  dic- 
tées par  l'intérêt  du  moment  ou  par  la  crainte,  jusqu'à  l'aban- 


1)  Contra  litteras  Petiliani,  I,  10,  11  ;  i)  Contra  Epistulam  Parmeniani,U, '^, 
13,  H  ;  II,  83,  184  ;  Contra  Cresconium,  4  ;  Contra  litteras  Petiliani,  I,  24,  2(')  : 
m,  m,  66  ;  IV,  25,  32  ;  Gesta  cam  Enie-  IF,  23,  53  ;  28,  65  ;  83,  184  ;  103,  237  ; 
rito,  0;  Epist.  53,  3,  6.  Contra    Cresconium,    III,  60,  66;    Gesia 

2)  Epist.    108,    2,  5  ;    Contra    litteras  cum  Emerito,9  ;  Epist.  53,  3,  (î. 
Pe(i;(an(,  II,  23,  53.  ô)  Cod.    Theod.,    VII,    8,    7  et  9  ;   IX, 

3)  Contra  Epistulam  ParmenianI,  I,  4,  39,  3  ;  40,  19  ;  42,  16-19.  —  Cf.  Augus- 
9  ;  il,  3,  7  ;  Contra  Cresconium,  Kl,  15,  tin,  Epist.  44,  5,  11  ;  Contra  litteras  Pc- 
18  et  siiiv.  ;  IV,  25,  32  ;  51,  61  ;  Contra  tiliani,  II,  92,  209. 

Gaudentium,  I,  39,.  54;  Episl.  108,  2,   5. 


120 


LITTERATURE    DONATISTE 


don  complet  de  leurs  principes.  Par  la,  ils  s'étaient  d'avance 
réfutés  pour  leurs  controverses  futures  ;  ils  avaient  fourni 
contre  eux-mêmes,  aux  Catholiques  comme  aux  j)lus  intransi- 
geants des  Donatistes,  le  meilleur  des  arguments  '.  Primianus, 
s'il  eût  été  plus  clairvoyant,  en  397,  eût  redouté  ce  triomphe 
éphémère  qu'il  devait  à  la  brutale  intervention  d'Optatus.  En 
fait,  cette  victoire  apparente  eut  pour  son  Eglise  plusieurs  con- 
séquences également  fâcheuses  :  l'alliance  avec  un  rebelle  com- 
promettait les  Primianistes  aux  yeux  du  gouvernement,  tandis 
que  l'abandon  des  principes  de  la  secte  les  affaiblissait  pour 
l'avenir  en  face  des  Catholiques,  même  en  face  des  Donatistes 
fidèles  à  leurs  traditions. 

Pour  le  moment,  Primianus  était  tout  à  la  joie  du  triomphe. 
Tandis  que  son  Eglise  se  retîonstituait  et  grandissait  par  le 
retour  des  enfants  prodigues  antérieurement  égarés  dans  le 
Maximianisme,  il  pouvait  se  croire  revenu  aux  temps  de  Par- 
menianus  ou  de  Donat  le  Grand.  La  secte  dont  il  était  le  chef 
comptait  autant  d'évêques  que  le  Catholicisme  africain  -.  Elle 
restait  par  excellence  le  «  parti  de  Donat  — pars  Donali  ».ou 
Donatisme  proprement  dit  'K  Mais,  pour  la  distinguer  des  autres 
sectes  qui  se  réclamaient  aussi  de  Douât,  on  l'appelait  souvent 
le  «  parti  de  Primianus  — pars  P /•'un  ta  ni''  »  ;  et  le  primat, 
dont  elle  portait  maintenant  le  nom,  n'était  pas  loin  de  se  con- 
sidérer comme  un  autre  Donat.  ♦ 

L'Eglise  de  Primianus  paraissait  donc  alors  aussi  puissante 
que  jamais.  Et  cependant,  elle  ne  cessa  de  perdre  du  terrain, 
par  l'effet  d'une  politique  imprudente,  maladroite  et  incohérente, 
dont,  pour  une  bonne  part,  fut  responsable  son  primat.  Plus  que 
jamais,  elle  eut  à  souffrir  de  l'émiettement,  de  la  persécution, 
des  erreurs  de  tactique. 

Non  seulement  Primianus  ne  sut  pas  rallier  toutes  les  petites 
sectes  donatistes  qui  dès  longtemps  s'étaient  séparées  de  son 
Eglise  ;  mais  encore  il  dut  assister,  impuissant,  aux  progrès 
d'une  inquiétante  désagrégation  qui  multipliait  autour  de  lui  les 
schismes  ••.  Devant  les  impérieuses  exigences  d'0[)tatus  deTha- 


1)  Aiigiislin,    lipisl.  ôl,    4;   .53,    8,  tJ  ;  f>,  7  ;  Geala  cam  Eincrito.  5  cl  9. 

103,  2,  ()  ;    18").    4,  17;    Coiilra    Cirsco-  4}  Epist.  4;},'.»,  2(">  ;  Coiilra    Epistulani 

nJum,  III,  ](j,  i;i  ot  siiiv.  ;  IV,  1  et  siiiv.  Parmeniani,    I,    lu,    Kl;    111,  4,  21  ;  D<' 

2)  Contra  (Irrsconium,  IV,  58,  (■)9-70  ;  hiiplisino  r.onlra  iJniialislit:;,  1,  6,  8  ;  Con- 
Episl.  129,  (1  ;  Urevic.  CuUal.-,  1,  14  ;  Col-  lia  Crci^contum,  111,  (JO,  (itj  ;  IV,  3  ;  4,  5  ; 
lai.  Carlliag.,  I,  16:)  cl  213-217.  48,  .58  ;  58,  70. 

3)  Augustin,  Episl.  8S,  1  ;  93,  8,  24-  .'>)  Epist.  ^i,  8,  20;  Cuiilra  Epiitalani 
25;  Conira  Epistiilam  Purmeni<ini,  III,  l'urmrniani,  111,  4,  24  ;  lie  baplisino 
4,  24;  (lonlrn  Crcsciiiiiiiii,    II.    I,  2;   l\,  raitliu  Donati^tas,  I,  tj,  8;  II,   11,  16. 


PRIMIANUS    DE    CARTHAGE  121 

mugadi,  il  avait  laissé  fléchir,  en  faveur  des  Maximianistes, 
les  principes  qui  étaient  la  raison  d'être  du  Donatisme  :  mainte- 
nant, de  toutes  parts,  il  voyait  se  dresser  contre  lui  les  prin- 
cipes et  leurs  défenseurs.  Indignés  de  ces  concessions  où  ils 
voyaient  une  capitulation,  presque  une  trahison,  les  intransi- 
geants reniaient  à  leur  tour  l'Eglise  de  Primianus.  De  tous  les 
coins  de  l'Afrique  sortaient  des  sectes  nouvelles,  qui  toutes  se 
réclamaient  des  pures  traditions  de  Donat.  a  Le  parti  de  Donat, 
dit  Augustin,  s'est  brisé  en  une  multitude  de  menues  parcelles  ; 
et  toutes  ces  parcelles  d'Eglise  blâment  l'Eglise  beaucoup  plus 
grande  de  Primianus  d'avoir  déclaré  valable  le  baptême  des 
Maximianistes  ;  chacune  d'elles  s'efforce  de  démontrer  que  la 
tradition  du  vrai  baptême  s'est  conservée  seulement  chez  elle, 
et  nulle  part  ailleurs  ^  »  C'est  surtout  à  Carthage,  que  pullu- 
laient les  petites  sectes  donatistes,  toutes  ennemies  entre  elles, 
mais  toutes  d'accord  poiu'  renier  l'Eglise  de  Primianus  ~. 

Eu  même  temps,  la  persécution  redevenait  menaçante.  Par 
son  alliance  avec  Gildon,  Primianus  s'était  rendu  suspect  en 
haut  lieu.  Les  violences  de  ses  partisans,  surtout  les  attentats 
contre  Possidius  de  Calamà,  contre  Maximianus  de  Bagaï, 
contre  des  prêtres  du  diocèse  d'Hippone,  achevèrent  d'indis- 
poser ou  d'éclairer  l'empereur  et  ses  ministres^.  Poussés  à 
bout,  les  Catholiques,  dans  leur  concile  du  16  juin  404,  décidè- 
rent de  solliciter  l'intervention  du  pouvoir  civil  et  d'envoyer  à 
cet  effet  une  députation  à  l'empereur  4.  Le  gouvernement  réso- 
lut de  supprimer  le  schisme  africain. 

D'où  l'édit  d'union  du  12  février  405^,  qui  fut  appliqué  à  Car- 
thage le  26  iuin^  Les  Donatistes  de  la  ville  durent  opposer 
quelque  résistance  ;  car  ils  plaçaient  à  cette  date  le  commence- 
ment d'une  persécution".  L'unité  religieuse  fut  rétablie,  au 
moins  pour  quelque  temps,  comme  l'atteste  la  lettre  de  remer- 
ciements adressée  à  l'empereur  par  le  concile  catholique  siégeant 
à  Carthage  le  23  août  405  s. 

Primianus  fut  donc  alors  dépossédé,  et  probablement  exilé. 
Mais  ce  ne  fut  pas  pour  longtemps.  Il  quitta  Carthage  vers  cette 
époque,  pour  se  rendre  en  Italie  ;  six  mois  plus  tard,  on  le  ren- 

1)  He  baplismo  contra  Donatistas,  I,  6,  H,  2;  Codex  canon.  Eccles.  afric,  can. 
8.  94    et    99;    Augustin,   Epist.' S8,   5-10; 

2)  Ibid.,  U,  11,  16.  185,  7,  26. 

3)  Contra  Cresconiiim,  IFI,  43,  47  ;  46,  6)  Liber  genealogus,  c.  627  ;  éd.  Momm- 
50  ;  48,  53.  sen,  Chronica  minora,  tome  I,  p.  I!t6. 

4)  Codex  canon.  Eccles.  afric,  can.  93;  7)  Ibid. 

Augustin,  Epist.   88,   7;   185.  7,  25.  8)  Codex  canon.  Eccles.  afric.  can.  94. 

5)  Cad.   Theod.,  XVI,  .5,  33  ;    6,   3-5  ; 


122  LITTÉRATURE    DONATISTE 

contre  à  Ravennes'.  Mais  il  regagna  bientôt  sa  ville  épisco- 
pale,  réussit  à  rentrer  en  possession  de  son  siège,  et  recons- 
titua sa  communauté.  L'autorité  dut  fermer  les  yeux.  L'édit  de 
405  devint  lettre  morte,  au  moins  à  Cartilage.  Pendant  les 
ahnées  qui  précédèrent  la  Conférence  de  411,  on  trouve  Primia- 
nus  à  son  poste,  maître  de  sa  cathédrale,  gouvernant  comme 
jadis  son  diocèse  et  dirigeant  par  toute  l'Afrique  les  évèques  de 
son  parti.  Mais  les  choses  ne  s'étaient  point  passées  de  même 
dans  toutes  les  cités  africaines.  L'Eglise  de  Primianus  aA^ait  été 
'  certainement  affaiblie  par  la  persécution  qui  avait  suivi  l'édit 
d'union '^. 

Elle  s'affaiblit  encore  par  la  politique  incohérente  de  son  pri- 
mat. Cette  incohérence  éclate,  notamment,  dans  ses  décisions 
relatives  aux  projets  de  conférence  entre  les  deux  partis.  Le 
concile  catliolique  de  Carthage,  du  25  août  403,  avait  tracé  tout 
un  programme  d'action.  Dans  toute  ville  où  les  deux  Eglises 
étaient  en  présence,  l'éA'èque  catholique  devait  négocier  avec 
son  collègue  donatiste,  pour  préparer  une  conférence  générale  ; 
l'évêque  de  Carthage  prierait  les  gouverneurs  africains  de  facf- 
îiter  par  tous  les  moyens  ces  négociations  et  d'en  faire  dresser 
le  procès-verbal  dans  chaque  localité  \  Convoqué  sur  la  demande 
d'Aurelius  devant  les  magistrats  municipaux  de  Carthage, 
l^rimianus  repoussa  sans  discussion  le  projet  ;  il  refusa  même  de 
conférer  personnellement  avec  Aurelius.  Le  jour  de  l'audience, 
il  apporta  ou  envoya  une  réponse  écrite,  que  lut  un  diacre  ^  : 
c'était;  une  fin  de  non-recevoir,  hautaine  et  injurieuse.  Après 
cette  belle  réponse,  il  adressa  une  lettre  circulaire  aux  évèques 
donatistes  pour  les  aviser  de  son  refus  ^.  Puis,  il  convoqua  un 
concile,  qui,  vers  la  fin  de  403,  rejeta  définitivement  Jes  propo- 
sitions des  Catholiques  ^. 

Trois  ans  plus  tard,  mais  c'était  quelques  mois  après  l'édit 
d'union,  Primianus  reprit  lui-même  le  projet.  Le  30  janvier  406, 
à  Ravennes,  une  députation  d'évèques  donatistes,  que  condui- 
sait le  primat  en  personne  ',  se  présenta  devant  le  préfet  du 
j)rétoire,  et  lui  remit  une  i-equête.  On  demandait  la  convocatioii 
d'une  conférence  publique  t.'t  contradictoire  entre  représentants 
des  deux  Eglises.  En  attendant,  pour  faire  cesser  la  })ersécu- 

1)  Aupustiii,  fi;cu(c.  Collai.,  III,  4.  il ,  r>7  ;  Brevic.  Collât.,  III.  4  ;  8,  lï  ;  Ad 

2)  \'uyuz  plus  luiul,  loine    l\,   \).   74-  Donutislas  posl   Collai.,   1  ;    10,   20;  31, 
78.  53.  . 

3)  Codex  canon.  Eccles.afric,  can.  91-  5)  Sermo  II  in  Psalni.  36,  18. 

92;    Augustin,  Contra   Cresconium,   III,  6)  Epist.  76,  4;    88,  7;  Contra    Cres- 

45,  49  ;  Epist.  88,  7.  conium,  III,  45,  49  el  suiv. 

4)  Augustin,  Contra    Cresconium,    l\  ,  7)  Brevic.  Collât.,  III,  4. 


PRIMIANUS    DE    GA,RTHAGE  123 

tion,  les  députés  donatistes  prétendaient  plaider  immédiatement 
leur  cause  devant  le  préfet  ;  en  conséquence,  ils  le  priaient  de 
convoquer  avec  eux  des  évêques  catholiques  africains  qui  se 
trouvaient  égalerhent  à  Kavennes.  Le  préfet  refusa,  en  alléguant 
d'abord  que,  seul,  l'empereur  pouvait  ordonner  la  conférence 
générale;  ensuite,  que  les  évêques  catholiques  présents  n'étaient 
pas  mandataires  de  leur  Eglise;  enfin,  que  lui-même,  comme 
fonctionnaire,  devait  simplement  faire  appliquer  l'édit  d'union^. 

Donc,  Primianus  sollicita  sans  succès  du  pouvoir  civil,  en 
406,  cette  conférence  qu'il  avait  dédaigneusement  repoussée 
trois  ans  plus  tôt.  Cette  conférence,  tour  à  tour  refusée  et 
sollicitée,ilallait  enfin  l'accepter,  maisdemauvaisegràce,en41i. 

Au  printemps  de  cette  année  411,  Primianus  fut  convoqué 
devant  les  magistrats  municipaux  de  Carthage.  On  lui  notifia 
officiellement  Fédit  de  Marcellinus,  du  19  janvier,  qui  convo- 
quait la  conférence  pour  le  1«"'  juin -,  Cette  fois,  le  primat  parut 
accommodant.  Il  accepta  la  conférence  3;  non  sans  quelques 
arrière-pensées,  comme  nous  le  verrons.  Par  une  lettre  circu- 
laire, adressée  à  tous  les  évêques  donatistes,  il  invita  ses  col- 
lègues à  suivre  son  exemple^. 

Avant  et  pendant  la  Conférence,  il  eut  ])ien  des  satisfactions 
de  vanité.  Un  grand  jour,  pour  lui,  ce  fut  le  18  mai  :  jour  de 
l'entrée  solennelle  des  Donatistes.  Sur  un  mot  d'ordre  de  leur 
primat,  les  évêques  schismatiques  s'étaient  réunis  aux  portes  de 
Carthage.  Ils  entrèrent  en  corps,  parcoururent  les  principales 
rues  «  avec  toute  la  pompe  d'un  cortège  solennel,  propre  à  atti- 
rer sur  eux  les  regards  et  l'attention  d'une  si  grande  ville  ^  ». 
Naturellement,  l'homme  qui  attirait  le  plus  les  regards  était  le 
primat,  qui,  dans  cette  procession  théâtrale  de  trois  cents  évêques, 
occupait  la  place  d'honneur. 

Puis  il  présida  le  concile  donatiste  qui,  du  25  mai  au  7  juin, 
avant  la  Conférence  et  entre  les  séances,  siégea  plusieurs  fois 
dans  la  Theoprepia,  cathédrale  des  schismatiques  de  la  ville  s. 
Avec  son  collègue  lanuarianus,  primat  de  Numidie,  il  signa 
la  notariaàw.  25  mai  ".  II  signa  seul  la  notaria  du  2  juin,  rédigée 
au  nom  des  «  évêques  et  défenseurs  de  l'Eglise  de  vérité   ». 

1)  Collai.  Carthag.,  111,141;  Augus-  4)  Augustin,  Ad  Donatistas  post  Col- 
Vin,  Brevic.  Collai.,  III,  4  et  suiv.  ;   Ad       lat.,  24,  41. 

Donutislus  post  Collai.,  25,  U;  Epist.SS,  5)    Ibid.,   25,43.—    Cf.    Collai.   Car- 

10.  Ihag.,   I,  14  et  29  ;  III,  204. 

2)  Collai.  Carihag.,  I,  5  ;  Augustin,  6)  Collai.  Carlhug.,  III,  5.  —  Cf.  I, 
BrevLc.  Collai.,  I,  2.  14  ;  II,  12. 

3)  Collât.  Carihag.,  II,  50;  Augustin,  7)  /6k/.,  1,14;  Augustin,  Bceuic.  Col- 
Brevic.  Collât.,  Il,  3.  lat.,  I,  4. 


124  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Voici  cette  dernière  signature  :  «  ^loi,  Primiamis,  évêque,  ]'ai 
signé  la  présente  notaria,  le  4  des  nones  dejuin,  à  Cartilage  '.  » 
Le  jour  où  il  signa  cette  pièce,  Primianus  semblait  personnifier 
son  parti. 

Mais  ce  n'était  là  qu'un  rôle  d'apparat,  qui  ne  doit  pas  donner 
le  change  sur  le  rôle  réel  joué  par  le  personnage  dans  le  drame 
de  411  :  rôle  déconcertant,  piteux,  lamentable.  Dans  les  séances 
de  la  Conférence,  ce  primat  si  autoritaire  ne  fit  rien,  ne  dit  rien  ; 
ou  peu  s'en  faut.  Les  Donatistes  avaient  si  peu  de  con- 
fiance en  lui,  ils  doutaient  si  bien  de  son  habileté  ou  de  ses 
facultés  oratoires,  que  d'abord  ils  ne  lui  avaient  pas  même 
réservé  une  place  parmi  les  mandataires  élus  du  parti.  Après 
coup,  cependant,  ils  comprirent  ce  qu'il  y  avait  de  ])izarre  à 
écarter  des  débats  le  chef  de  leur  Eglise.  L'un  des  mandataires 
qu'on  venait  de  désigner,  Victor  de  Tabora,  prit  l'héroïque  déci- 
sion de  démissionner  en  faveur  de  son  primat,  de  celui  qu'il  ap- 
pelait, non  sans  emphase,  «  notre  bienheureux  père,  notre 
prince,  Primianus  '-  » . 

Grâce  au  dévouement  d'un  collègue,  Primianus  put  donc 
figurer  parmi  les  sept  avocats-mandataires  de  son  Eglise -^ 
Mais  ce  fut  presque  comme  un  simple  figurant.  En  ce  pays 
d'avocats  bavards,  il  donna  le  spectacle  rare  d'un  avocat  à  peu 
près  muet.  Dans  la  première  séance,  il  prononça  quelques  mots, 
de  loin  en  loin*.  Ensuite,  il  se  tut  complètement,  laissant  la 
parole  à  des  collègues  plus  experts,  même  à  ses  diacres.  Si  l'on 
ne  connaissait  l'homme,  on  pourrait  croire  que  ce  chef  de  parti 
se  désintéressait  du  grand  débat  dont  dépendaient  l'existence 
de  son  Eglise  et  sa  propre  destinée. 

Malgré  le^jrudent  mutisme  du  primat,  mutisme  qui  lui  épargna 
sans  doute  bien  des  maladresses,  les  événements  suivaient  leui- 
cours.  Les  débats  de  la  Conférence  aboutirent  à  une  catastroplu' 
pour  le  parti  de  Douât.  Les  premières  victimes  furent  le  primat 
lui-môme  et  sa  communauté  de  Carthage.  Pendant  tout  ce  mois 
de  juin,  les  schismaliques  un  peu  clairvoyants  virent  se  suc- 
céder, sur  les  murs  de  la  ville,  des  présages  de  plus  en  plus 
fâcheux.  Le  6  juin,  on  afficha  les  s^es/((  ou  procès-verbaux  sté- 
nographiés des  deux  premières  séances-'  :  les  passants  purent 
constater  que  les  amis  de  Primianus  cherchaient  seulement  pai' 
leurs  obstructions  à  éviter  le  débat  sérieux,  et  le  [mblic  impartial 

1)  Collât.  Cnrihwj.,   Il,  12.  4)  Collai.  Carlha,.,   I,    101  ;   ll'O  ;    129- 

2)  Ibid.,  I,  201.  130:  1S2-I83,  etc. 

3)  Ibiil.,  I,  US  ;  157  :  2'*8  ;  II.  2  d  12  ;  h)  Ilji<l.,  Il,  i>roœm.  —  Cf.  I,  22:?  :  II. 
ni,  2.  64-73  ;  III,  :W>. 


PRIMIANLS    DE    CAHTHAGE  125 

dut  en  conclure  que  ces  singuliers  avocats  n'avaient  guère  con- 
fiance dans  leur  propre  cause.  Quelques  jours  plus  tard,  on 
pouvait  lire  sur  les  murailles  le  procès-verbal  complet  des  trois 
séances,  avec  le  texte  de  la  sentence  prononcée  le  8  juin  au  soir 
par  le  commissaire  impérial  '  :  pour  les  schismatiques,  c'était 
la  révélation  d'une  terrible  réalité,  l'échec  de  leurs  mandataires, 
la  déroute  du  parti,  les  signes  avant-coureurs  d'une  catastrophe. 
Enfin,  parut  l'édit  promulgué  par  Marcellinus  le  26  juin-  : 
cette  l'ois,  c'était  la  condamnation  définitive,  la  mise  hors  la  loi, 
l'arrêt  de  mort,  sinon  pour  les  fidèles  de  Douât,  du  moins  pour 
leur  Eglise.  A  Tédit  du  commissaire  vint  encore  s'ajouter  une 
série  d'édits  impériaux,  attestant  de  la  part  du  gouvernement  la 
ferme  volonté  de  supprimer  le  schisme 3. 

En  ces  temps-là,  dans  les  conciliabules  des  schismatiques 
africains,  on  eut  bien  des  raisons  de  maudire  la  politique  néfaste 
de  Primianus.  A  Garthage  comme  ailleurs,  peut-être  plus  qu'ail- 
leurs, les  Donatistes  furent  durement  traités.  On  leur  interdit 
toute  réunion  ;  on  leur  enleva  leurs  églises  et  tous  les  biens  qui 
avaient  appartenu  à  leur  communauté,  pour  les  attribuer  à 
l'évèque  catholique.  Conformément  à  l'édit  impérial  du  30  jan- 
vier 412,  les  récalcitrants  durent  être  frappés  d'amendes  et 
menacés  de  confiscation,  s'ils  étaient  laïques  ;  déportés  hors 
d'Afrique,  s'ils  étaient  clercs  ^.  Beaucoup  d'intransigeants 
s'enfuirent  ou  se  cachèrent,  ^lais  beaucoup  renoncèrent  à  leur 
intransigeance  :  les  schismatiques  de  Cartilage  se  rallièrent 
en  foule  à  l'Eglise  catholique. 

Ralliés  en  apparence  ou  fermes  dans  leur  résistance,  ils  cher- 
chèrent à  se  venger.  Ils  se  vengèrent  en  effet,  et  doublement  : 
sur  les  hommes  et  sur  les  pierres.  L'une  après  l'autre,  on  vit 
s'écrouler  dans  les  flammes  les  basiliques  de  Carthage  récem- 
ment enlevées  aux  Donatistes.  Incendies  trop  bien  dirigés, pour 
que  le  Diable  y  fût  étranger  :  chaque  fois,  tout  le  monde  com- 
prit d'où  venait  l'étincelle''.  Et  quand  Marcellinus,  le  commis- 
saire impérial,  l'ancien  président  de  la  Conférence,  fut  tout  ù 
coup  dénoncé  à  Carthage,  arrêté,  mis  à  mort  par  surprise,  le 
13  septembre  413,  comme  complice  du  comte  rebelle  Heraclianus, 
on  ne  douta  pas  que  les  dénonciateurs  fussent  des  Donatistes''. 


1)  Augustin,  Brcufc.  Coiia/.,  111,2.5, 43.  IG,    17    et    suiv.  ;    87,    50  et   siiiv.  ;    In 

2)  Sentenlia    cngniloris,  à    la    flii    dus  lohannls  EviirKjeUum  Iraclalus,  VI,  25. 
Gesla  Collationis.  .j)  Augustin,  ConZ/'a  Giiudentiuni,  l,  (j,7, 

3)  Cod.    Tlieod.,  XVI,   5,  52-58;  6,  6.  G)  Jérôme,  Adversiis   Pelaijiunos,    III, 

4)  Ibid.,  XVI,  5,  52  ;  Augustin,  Epist.  i'>  ;    Orose,    YII,    42  ;    Augustin,    Epist. 
185,  9,  36  ;  Contra  Gaudenlium,  I,  6,   7;  151,  3-11. 

VI.  9 


12G  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Ainsi  se  vengeaient  les  anciens  fidèles  du  vindicatif  Primianus  ; 
mais  on  ne  voit  pas  ce  que  gagnait  leur  cause  à  ces  manifesta- 
tions odieuses  ou  mesquines  de  leur  rancune. 

Au  milieu  de  ce  lamentable  écroulement  de  son  Eglise,  qu'était 
devenu  le  primat  ?  A  vrai  dire,  nous  n'en  savons  rien  ;  ce 
qui  ne  laisse  pas  que  d'être  assez  surprenant.  Assurément, 
Primianus  ne  s'est  pas  rallié.  Il  n'a  pu  rester  à  Carthage  après 
l'édit  d'union.  A-t-il  été  exilé,  déporté  hors  d'Afrique,  comme 
beaucoup  de  ses  collègues  '  ?  S'est-il  caché  aux  environs  de 
Carthage,  comme  Petilianus  autour  de  Constantine  ou  Emeritus 
autour  de  Cœsarea-  ?  Ces  deux  conjectures  sont  également 
plausibles  ;  mais  ce  ne  sont  que  des  conjectures.  En  fait,  Pri- 
mianus disparaît  brusquement  de  l'histoire  après  la  clôture  de 
la  Conférence,  le  8  juin  411.  Il  sombre  dans  l'oubli  au  lende- 
main de  ces  débats  solennels,  où  il  avait  tenu  la  place  d'un  chef 
sans  en  remplir  vraiment  le  rôle.  Il  a  dû  mourir  presque  aussi- 
tôt :  méprisé  de  tous,  surtout  des  sectaires  de  son  parti,  dont 
il  n'avait  su  ni  prévenir  ni  honorer  la  défaite. 

C'est  que  rien,  dans  sa  personne  comme  dans  sa  politique, 
n'était  de  nature  à  inspirer  la  confiance  ou  le  respect  ou  la  sym- 
pathie. Le  trait  qui  frappe  d'abord,  ^ans  son  caractère,  c'est 
l'entêtement  :  mais  un  entêtement  aveugle,  poussé  jusqu'aux 
dernières  limites  de  l'absurde,  et  sur  lequel  rien  n'avait  prise, 
ni  les  conseils,  ni  la  prudence,  ni  le  raisonnement,  ni  la  raison '^ 
L'opiniâtreté,  en  elle-même,  n'est  pas  plus  un  défaut  qu'une 
qualité  :  tout  dépend  de  l'objet  auquel  elle  s'applique,  c'est-à- 
dire  de  la  nature,  du  degré  et  de  l'orientation  de  l'intelligence. 
Par  malheur,  dans  le  cas  présent,  l'intelligence  était  plus  (|ue 
médiocre,  fort  au-dessous  de  la  moyenne.  Primianus,  qui  n'était 
ni  un  lettré  ni  un  orateur  ni  un  politique,  avait  reçu  apparem- 
ment une  instruction  très  sommaire.  N'ayant  pas  compensé  ni 
atténué  par  l'éducation  les  disgrâces  de  la  nature,  il  était  véri- 
tablement borné,  ne  comprenant  rien  aux  choses  ni  aux  per- 
sonnes. Poussé  par  les  circonstances  ou  par  l'aberration  des 
Donatistes  au  plus  haut  rang  de  son  Eglise,  il  apporta 
toujours,  dans  le  maniement  des  affaires  et  la  direction  du 
p.uti,  une  mentalité  de  rustre  ''.  On  devine  les  effets  que  pouvait 


1)  Cod.  Thcod.,  W'I,  "),  ;")2  ;  Aiigiis-  M.'ixiniiaiiisinc,  el  plus  lanl,  en  403, 
tin,  (Jouira  (laudenliuiu,  1,  16,  17  el  lors  dti  rejet  brutal  des  propositions  de 
suiv.  ;  IH,  19.  conféreiK-c. 

2)  Au^rustin,  Gesia  ciim  Emerilo,  1-2;  4)  Auf^iislin,  Scvino  II  in  Pnulin.  '^6, 
Coiilra  (hiiKicnlium,  I,  14,    15;  37,  47.  18-20. 

3)  Par     exemple,    dans    l'aflaire     du 


PRIMIANUS  DE  CARTHAGE  127 

produire  un  entêtement  forcené  chez  un  homme  d'une  si  mé- 
diocre intelligence.  L'opiniâtreté  de  Primianus  ne  fut  jamais  que 
sotte  intransigeance,  obstination  aveugle  et  sourde. 

Cet  homme  si  têtu  et  si  borné  avait,  comme  on  l'a  vu,  très 
mauvais  caractère.  Il  était  violent,  irritable,  très  partial,  ran- 
cunier, vindicatif  ;  très  autoritaire,  dans  le  sens  le  moins  favo- 
rable du  mot.  Il  avait  des  accès  de  fureur,  qui  alternaient  avec 
des  accès  de  faiblesse,  presque  de  lâcheté.  Il  eût  fait  un  excel- 
lent Girconcellion.  Devenu  chef  du  Donatisme,  il  fut  un  tyran 
capricieux  et  brouillon.  Un  jour,  pourtant,  il  trouva  son  maître, 
dans  un  brigand  qui  était  son  collègue  :  cet  Optatus  de  Thamu- 
gadi,  devant  qui  le  primat  s'empressa  de  capituler'. 

D'après  le  caractère,  on  pourrait  deviner  ce  que  furent  les 
actes.  En  effet,  toute  la  conduite  de  Primianus  est  d'un  tyran 
têtu  et  violent,  maladroit  et  brouillon.  Il  procède  toujours  à 
coups  d'arbitraire,  par  coups  d'État  ou  coups  de  force  :  quand 
ce  n'est  pas,  simplement,  par  des  coups  2.  H  ne  sait  où  il  va; 
il  impose  à  son  parti  des  décisions  contradictoires.  Il  n'a  jamais 
une  vue  claire  des  choses,  ni  du  but  à  atteindre.  Il  est  inca- 
pable de  desseins  à  longue  portée,  de  suite  dans  les  idées,  de 
logique  dans  l'adaptation  des  principes  rigides  de  sa  secte  aux 
exigences  de  la  politique  courante.  C'est  l'homme  de  l'inconsé- 
quence dans  l'entêtement.  De  ses  petits  intérêts  personnels  ou 
de  ses  rancunes,  il  ne  songe  pas  à  dégager  l'intérêt  supérieur 
de  son  Eglise.  Aux  actes  correspondent  les  paroles  :  bavardage 
ou  mutisme  imprévu,  violences  de  langage,  défis  hautains,  pro- 
testations déclamatoires,  formules  creuses,  anathèmes  et  injures. 

Etant  donné  l'homme  et  ses  façons  d'agir,  on  ne  saurait 
s'étonner  des  incohérences  et  des  fâcheux  résultats  de  sa  politique. 
Il  bavarde,  gronde  ou  menace,  dans  les  circonstances  délicates 
où  s'imposait  une  réserve  diplomatique.  Mais  il  déconcerte  ses 
partisans  et  amuse  ses  adversaires  par  son  silence  désemparé, 
dans  les  moments  graves  et  décisifs  où  le  primat  aurcxit  dû  parler 
en  chef  -K  II  réduit  tout  à  de  mesquines  rivalités  de  personnes. 
Il  songe  plus  à  faire  sentir  son  autorité,  ou  à  se  venger,  qu'à 
assurer  le  bien  de  son  parti.  Les  Donatistes  eux-mêmes  ont 
jugé  leur  primat  :  à  peine  élu,  ils  voulurent  le  déposer,  et 
vingt  ans   plus  tard,  à   la  veille  de  la  Conférence,  ils  hésitè- 

1)   Contra    Epislulam    Parmeniani,    11,  tium,  l,    39,  54;  Epist.    53,    3,6;    108, 

3,  7  ;  Contra  litleras  Petiliani,  I,  10,  11  ;  2,  5. 

13,    U;    11,    23,    53;    83,    184;    Conlra  2)  Sernm  II  in  Psalm.  36,    20,   p.   37» 

Crescoiiium,    III,    60,    66;    IV,    25,    32;  Migue. 

Gesta  cura  Emerito,  9  ;    Contra    Gauden-  3)   Surtout  ii  la  Conférence  de  411. 


128  LITTÉRATURE    DONATISTE 

rent  à  l'adjoindre  au  groupe  de  leurs  avocats-mandataires,  à 
se  faire  représenter  par  lui  dans  les  débats  K  C'est  qu'un  tel 
chef,'  en  face  d'adversaires  habiles  et  résolus,  compromettait 
fatalement  les  intérêts  dont  il  avait  la  charge.  Avec  une  stupide 
inconscience,  dont  il  devait  être  la  première  victime,  Primianus 
â  préparé  lui-même  le  brusque  et  dramatique  effondrement  de 
son  Eglise. 


II 


Les  œuvres  de  Primianus.  —Lettres  et  discours.  —  Réponse  de  Primianus 
à  Aurelius  de  Garlliage,  en  4-03,  sur  te  projet  de  conférence.  —  Frag- 
ments conservés.  —  Lettre  circulaire  adressée  par  Primianus  aux 
évêques  donatistes,  pour  leur  notifier  sa  réponse  àAurelius.  —  Sermon 
contre  Augustin,  prononcé  à  Cartilage  en  403.  — Occasion  de  ce  sermon. 
—  Rapports  de  Primianus  et  d'Augustin.  —  Commoniloriuin  adressé  par 
Augustin  à  Primianus.  —  Violentes  attaques  de  Primianus  contre  Au- 
gustin. —  La  Priiniani  professio,  réponse  au  premier  édit  de  Marcel- 
linus  en  "iii.  —  Lettre  circulaire  auxévèques  donatistes  pour  les  inviter 
à  accepter  la  Conférence.  —  Discours  de  PriiTiianus  à  la  Conférence  de 
Carthage.  —  Ses  auxiliaires  et  ses  porle*]iarole.  —  Les  diacres  Habet- 
deus  et  Valentinianus.  —  Médiocrité  de  Primianus  comme  orateur. 

Comme  écrivain,  comme  orateur,  l'œuvre  de  Primianus  serait 
presque  négligeable,  n'était  le  rôle  historique  du  personnage. 

Cette  œuvre  est  peu  considérable,  mal  conservée,  fragmen- 
taire, et  médiocre.  Naturellement,  nous  laisserons  ici  de  côté 
les  pièces  officielles,  d'ailleurs  étudiées  précédemment-,  ([ue  le 
primat  a  signées  au  nom  des  conciles,  comme  chef  de  son 
Eglise,  et  qui  ont  un  caractère  impersonnel.  Ce  que  nous  cher- 
chons ici,  c'est  l'œuvre  personnelle  de  Primianus  :  son  œuvre 
d'orateur  ou  d'écrivain.  Elle  se  réduit  pour  nous  à  bien  peu  de 
chose  :  quelques  fragments  de  "lettres,  des  lambeaux  de  dis- 
cours, phrases  isolées,  brèves  réponses  ou  propos  interrompus. 
Cependant,  les  sténographes  carthaginois  de  411  nous  ont  con- 
servé intégralement  les  petits  discours,  d'ailleurs  insignifiants, 
prononcés  par  le  primat  à  la  Conférence. 

Les  fragments  textuels  les  plus  anciens  proviennent  de  la 
réponse  à  Aurelius  sur  le  projet  de  conférence.  On  se  rappelle 
les  décisions  du  concile  catholique  siégeant  à  Curthage  le 
25  août  403.  Pour  préparer  la  suppression  du  schisme,  tous  les 


1)  Collât.  Carlhag.,  l,  201.  2)  Voyez  plus   liant,  tome  I\',  p.  362 

et  siiiv.  ;   401  cl  suiv.  ;  409. 


PRIMIANUS    DE    CARTHA.GE  129 

évêques  schismatiques  seraient  mis  en  demeure  d'accepter  le 
principe  d'une  conférence  générale  ;  dans  toutes  les  villes  où 
les  deux  partis  étaient  en  présence,  l'évèque  catholique  devait 
poser  la  question  à  son  collègue  donatiste,  par  l'intermédiaire 
des  autorités  locales,  suivant  une  procédure  fixée  d'avance;  on 
prierait  les  gouverneurs  africains  de  favoriser  ces  négociations 
et  d'en  faire  dresser  partout  le  procès-verbal  *.  Aurelius  de 
Cartilage,  d'accord  avec  iVugustin,  avait  inspiré  ces  décisions 
du  concile,  et  réglé  la  procédure  à  suivre.  Il  s'empressa  natu- 
rellement de  donner  l'exemple.  Dans  l'automne  de  l'année  403, 
il  fit  convoquer  Primianus  par  les  magistrats  municipaux  de 
Cartilage-.  On  dressa  le  procès-verbal  des  négociations.  A 
l'aide  des  pièces  originales  et  d'autres  textes  ou  témoignages  du 
temps,  nous  pouvons  reconstituer  presque  intégralement  ces 
Gesta  municipalia  de  Carthage,  qui  montraient  aux  prises  les 
deux  évéques  rivaux  de  la  cité. 

Introduit  devant  les  magistrats  municipaux,  Aurelius,  l'évèque 
catholique,  dit  :  «  De  l'autorité  de  la  plus  haute  magistrature 
(du  proconsul),  nous  avons  obtenu  un  édit.  Nous  demandons  à 
Votre  Gravité  (aux  magistrats  municipaux)  d'en  ordonner  la 
lecture  et  l'insertion  dans  les  Gesta ^  ymis  de  prendre  les  me- 
sures nécessaires  en  vue  de  l'exécution  3.  »  Sur  l'ordre  des 
magistrats,  un  greffier  lut  l'édit  en  question,  l'édit  du  procon- 
sul Septiminus,  promulgué  le  13  septembre,  et  ainsi  conçu  : 
«  En  tout  lieu  est  donnée  aux  ministres  de  la  Loi  sainte,  pour 
la  tranquillité  de  l'Empire,  la  faculté  défaire  rédiger  des  ^e6'^^^. 
Ce  qui  détermine  la  teneur  de  ce  décret,  c'est  notre  désir  de 
faire  comprendre  aux  chefs  d'une  foule  égarée,  qu'ils  doivent 
répondre  à  une  demande  salutaire  et  rendre  compte  de  leurs 
propres  croyances.  Ainsi,  la  discussion  publique  assurera  le 
règne  bienfaisant  de  la  loi,  et  terrassera  la  superstition '^  » 
Api'ès  cette  lecture  et  l'insertion  de  l'édit  dans  les  Actes,  Aure- 
lius continua  :  «  Daignez  écouter  le  inandatiiin  qui  doit  être 
porté  par  Votre  Gravité  à  la  connaissance  des  Donatistes  ;  dai- 
gnez faire  insérer  ce  mandatam  dans  les  Actes,  et  le  notifier 
aux  Donatistes,  et  faire  consigner  également  leur  réponse  dans 
vos  Actes,  et  nous  transmettre  cette  réponse'',  »  Avec  l'assenti- 
ment des  magistrats,  on  lut  ensuite  le  inandatum,  c'est-à-dire 

1)  Codex    canon.   Ecoles,    afric,    can.        Ad   Donalisias   post    CoUat.,  1  ;  16,  20 
91-92   ;    Augustin,    Contra    Cresconiuni,        31,  53. 

m,  45,  49;  Epist.  88,  7.  3)  Codex  canon.  Ecoles,  afric,  can.  92. 

2)  Augustin,    Contra    Cresconium,  IV,  4)  Collât.  Carlhag.,  III,  174. 

47,    57;    Brevio.  Collât.,    III,  4  ;   8,   11  ;  5)  Codexcanon. Ecoles,  afric, can. ^2. 


130  LITTÉRATURE    DONATISTE 

la  formule  de  convocation  qui  devait  être  adressée  à  l'évêque 
schismatique  par  l'intermédiaire  des  magistrats  municipaux. 
Voici  cette  pièce  curieuse  :  «  Nous  vous  convoquons  en  vertu 
de  l'autorité  de  notre  concile  catholique,  dont  nous  sommes  les 
missionnaires.  Nous  désirons  pouvoir  nous  réjouir  de  votre  con- 
version. Nous  considérons  la  charité  du  Seigneur,  qui  a  dit  : 
Heureux  les  pacifiques,  car  ils  seront  appelés  les  fils  de  Dieu  ! 
Le  Seigneur  nous  en  a  encore  avertis  par  son  prophète  :  même 
à  ceux  qui  déclarent  n'être  pas  nos  frères,  nous  devons  dire  : 
Vous  êtes  nos  frères.  Donc,  vous  ne  devez  pas  mépriser  cet 
avertissement  tout  pacifique  que  nous  vous  adressons  et  qui 
vient  de  la  charité.  Nous  vous  offrons  le  moyen  de  prouver 
toutes  les  vérités  que  vous  croyez  tenir.  Voici  comment.  Réu- 
nissez votre  concile  ;  choisissez  parmi  vous  des  mandataires 
chargés  de  défendre  vos  assertions.  Nous  ferons  de  même  ; 
nous  aussi,  nous  choisirons  dans  notre  concile  des  mandataires 
chargés  de  discuter  pacifiquement  avec  les  vôtres,  dans  le 
lieu  et  le  temps  fixés,  toutes  les  quej&tions  qui  séparent  Aotre 
communion  de  la  nôtre.  Ainsi,  avec  l'aide  du  Seigneur  notre 
Dieu,  prendra  fin  une  vieille  et  longue  erreur,  qui,  par  suite 
de  l'animosité  des  hommes,  cause  la  perte  d'àmes  faibles  et  de 
peuples  ignorants,  égarés  dans  un  schisme  sacrilège.  Si  vous 
acceptez  fraternellement  notre  proposition,  la  vérité  brillera 
d'elle-même  ;  mais,  si  vous  ne  voulez  pas  le  faire,  alors  se 
révélera  d'elle-même  à  tous  la  défiance  que  vous  inspire  votre 
cause'.  »  Telle  était  la  sommation,  d'ailleurs  conciliante  et 
courtoise,  que  les  magistrats  de  Garthage,  au  nom  d'Aurelius 
et  du  concile  catholique,  transmirent  à  Primianus. 

La  dernière  pièce  des  Gesta  municipaiia  était  la  réponse  de 
l'évêque  donatiste.  Par  malheur,  cette  partie  du  dossier  ne  peut 
être  entièrement  reconstituée.  Nous  n'en  avons  que  des  frag- 
ments :  très  curieux,  il  est  vrai,  et  très  significatifs"^.  On  y 
trouve  tout  l'essentiel  de  la  réponse  adressée  au  inandatiun  des 
Catholiques  par  le  primat  des  schismatiques. 

(Conformément  à  la  requête  d'Aurelius,  Primianus  avait  été 
co.nvo({ué  par  les  magistrats  municipaux,  et  invité  par  eux  à 
répondre  au  niandatuin.  Assistait-il  personnellement  à  l'au- 
dience ?  C'est  pr(jbal)le,  mais  non  certain,  d'après  cette  phrase 
d'Augustin  :  «  Primianus  donna  sa  réponse  par  écrit  au  magis- 


1)  Codex  canon.  Errlrx.  nfric,  can.  92.        Drevic.  Collai.,  III,  4  ;  8,    \\\  Ad   Dona- 

2)  Augustin,   Sermo   II    in  J'salm.  '^6,       tistas  posl  Collât.,  1  ;  10,  20  ;  M,  53. 
18  ;    Conlra    Cresconiiim,    IV,   47,    ô7  ; 


PRIMIANUS    DE    CARTHAGE  131 

trat  de  Carthage,  réponse  lue  par  un  de  ses  diacres  et  consignée 
au  procès-verbal  K  »  D'ailleurs,  que  le  primat  ait  apporté  lui- 
même  ou  qu'il  ait  envoyé  sa  réponse,  il  s'en  est  tenu  à  cette  réponse 
écrite,  préparée  à  loisir,  lue  à  l'audience  par  un  diacre  ;  il  n'y 
ajouta  aucun  commentaire,  se  refusant  à  toute  discussion  avec 
son  adversaire  catholique. 

Cette  réponse  écrite  avait  probablement  la  forme  d'une  lettre, 
adressée  au  magistrat  municipal  qui  avait  transmis  le  manda- 
tiini.  C'était  une  fin  de  non-recevoir,  brutale  et  maladroite,  sur 
un  ton  hautain,  avec  des'  airs  de  défi,  des  récriminations,  des 
injures;  et,  dans  la  forme,  tout  un  jeu  d'antithèses  forcées, 
assez  puériles.  Primianus  reprochait  amèrement  aux  Catho- 
liques leurs  appels  au  pouvoir  séculier,  à  l'intervention  des 
magistrats  ou  des  empereurs  :  «  Eux,  s'écriait-il,  ils  apportent 
les  lettres  sacrées  de  nombreux  empereurs  ;  nous,  nous  offrons 
seulement  les  Evangiles'^.  »  Il  rappelait  les  persécutions  d'au- 
trefois :  «  Vos  ancêtres  ont  proscrit  nos  pères,  (ju'ils  ont 
exilés  de  tous  côtés''.  »  Il  accusait  même  ses  adversaire*  de 
préparer  de  nouvelles  violences,  «  d'aiguiser  leurs  épées  », 
comme  il  disait^.  Il  les  traitait  de  voleurs,  à  cause  des  confis- 
cations de  basiliques  :  «  Eux,  ils  volent  le  bien  d'autrui;  nous, 
nous  renonçons  à  ce  qu'on  nous  vole  °.  »  Il  repoussait  naturel- 
lement le  projet  de  conférence  :  «  Ce  serait  une  indignité,  que 
de  réunir  les  fils  des  martyrs  et  les  descendants  des  traditeurs  ''.  » 
On  voit  que  ce  «  fils  des  martyrs  »  aimait  l'antithèse,  cfu'il 
cherchait  à  rajeunir  les  clichés  de  la  secte  par  le  cliquetis  des 
mots  et  la  brutalité  des  formules. 

11  n'en  fut  pas  moins  très  satisfait  de,  sa  réponse,  puisqu'il 
s'empressa  de  la  signaler  à  toute  l'Aïrique.  Ce  fut  l'objet  d'une 
lettre  circulaire,  adressée  à  tous  les  évêques  du  parti.  La  lettre 
est  perdue  ;  mais  on  en  reconstitue  aisément  le  contenu.  Au- 
gustin nous  renseigne  sur  cette  pièce,  dont  il  parle  assez  dure- 
ment :  «  Tel  tu  es,  dit-il  à  Primianus,  tels  sont  tous  les  autres. 
Rien  d'étonnant  à  ce  que  tu  leur  aies  envoyé  à  tous  tes  belles 
déclarations  :  tu  as  voulu  les  associer  tous  à  ton  mensonge, 
pour  ne  pas  être   seul  à  rougir  de  ton  mensonge".  »  Dans  sa 


1)  ((  Primianus  hoc  scriptum  inagis-  5)  Cuiiira  Creitconium,  IV,  47,  57; 
tralui  Carthaginis  dédit,  et  a  diacono  Brevic.  Collât.,  III,  8,  11  ;  Serino  II  in 
suo  dicendiim  apud  Acta  mandavit...  »  Psalin.  3(5,  18. 

{Ad  Donatistas  post  Collât.,  1).  6)   Collât.  Carlhag.,  III,    116;   Augiis- 

2)  Ibid.,'i\,53;Sermo  II  in  Psalm.'M, 18.  lin,    Brevic.    Collai.,    III,  4;  ^d    hoiiu- 

3)  Ad  Donatistas  posl  Collât.,  1(5,  20.  tlstas  post  Collai.,  1. 

4)  Sermo  II  in  Psalm.  36,  18.  7)  x\ugiistin,  Sermo  II  in  Psalni.  36, 18. 


132  LITTÉRATURE    DONATISTE 

lettre,  Primianus  se  proposait  doue  de  notifier  à  tous  les  évêques 
de  son  Eglise  l'accueil  qu'il  venait  de  faire  au  mandatum  des 
Gatholi([ues.  Il  y  reproduisait  tout  au  long  le  texte  de  sa  ré- 
ponse à  Aurelius.  Il  se  donnait  en  exemple,  et  invitait  tous  ses 
collègues  à  rimiter.  Il  les  mettait  en  garde  contre  les  avances 
de  l'Eglise  officielle.  11  leur  recommandait  probablement,  s'ils 
avaient  quelque  hésitation,  d'attendre  les  décisions  du  concile 
qu'il  allait  convoquer.  C'est  ce  que  parait  indiquer  l'attitude  de 
Pi'oculeianus  à  Hippone  en  face  d'Augustin,  et  celle  de  Crispi- 
nus  à  Calama  en  face  de  Possidius  :  t'onvoqués  devant  les  ma- 
gistrats de  leur  cité,  tous  deux  déclarèrent  aussitôt  qu'ils  ajour- 
naient leur  réponse  jusqu'au  moment  où  ils  connaîtraient  la  dé- 
cision de  leur  synode '.  Exemple  significatif  delà  discipline  do- 
natiste  :  la  circulaire  du  })rimat  suffit  pour  arrêter  dans  toute 
l'Afrique  les  négociations  presque  officielles  sur  le  projet  de 
conférence,  en  attendant  que  ce  projet  fût  définitivement  re- 
poussé par  le  concile  des  schismatiqiies -. 

Peu  de  temps  après  cette  audience  où  il  avait  refusé  de  con- 
férer avec  Aurelius  de  Carthage,  le  primat  donatiste  prit  vio- 
lemment à  partie,  dans  un  sermon,  le  grand  ami  d'Aurelius  : 
l'évèque  catholique  d'ilippone.  Depuis  plusieurs  années,  Pri- 
mianus avait  été  fré(piemment  exaspéré  par  les  attaques  et  les 
railleries  d'Augustin,  ([ui  tournait  en  ridicule  sa  politique 
incohérente  à  l'égard  des  Maximianistes,  son  invraisemblable 
aveuglement,  ses  étranges  démentis  à  tous  les  principes  de  son 
Eglise.  L'évèque  d'ilippone  avait  même  essayé  d'engager  une 
controvei'se  directe  avec  le  primat  schismati(pie  de  Carthage  : 
pai'mi  ses  lettres  figurait  un  «  Avertissement  à  Primianus.  — 
Prliulano  Conunoniloriuni  » ,  qui  sans  doute  se  rapportait  encoi'e 
à  l'affaire  du  Maximianisme  ;.  Enfin,  au  cours  de  l'automne  de 
l'année  403,  Augustin  était  venu  attaijuer  Primianus  jusque 
dans  sa  ville  épiscopale  :  en  pleine  Carthage,  il  l'avait  critiqué 
dans  un  sermon.  C'en  était  trop.  Le  primat  releva  le  défi,  mais 
à  sa  façon  :  au  sermon  et  à  l'ironie,  il  répliqua  par  une  diatribe. 

Voici  à  quelle  occasion.  Augustin  s'était  rendu  à  (^arlhage 
pour  assister  au  concile  (|ui  siégea  dans  cette  ville  le  25  août  403, 
et  (pii  décida  d'entreprendre  une  ('am})agne  afin  de  préparer  une 
conférence  générale  entre  Catholiijues  et  schismatiques '.  Après 


1)  Ephl.    88,  7;    Contra    Cresconium,  3)  Possidius,   liulir.  opcr.  Aiiguslini,ii. 
III,  41),  ."><).  4)  Codex  canon.  Krrles.  a/n'c,  can.  91- 

2)  Collai.    CartIuKj.,    111,   1 U)  ;  Aiinu.-  02   ;    Aii}:iislii»,    J-Jpist.    88,    7;    Conlra 
lin,  E[)isl .  7(>,  4  ;  88,  7;  Co:ttra  Crcsco-  i^rcsconiuin,  111,  4">,  4'J. 

niuin,  111,  45,  49  clsiiiv. 


PRIMIANUS    DK    CAKTHAGE  133 

le  concile,  l'évoque  d'Hippone  resta  longtemps  à  Carthage*, 
sans  doute  pour  suivre  avec  Aurelius  la  marche  des  négocia- 
tions. Fendant  ce  séjour  dans  la  capitale  de  l'Afrique  latine,  où 
l'on  admirait  son  éloquence,  il  consentit  plusieurs  fois  à  prêcher. 
Un  jour,  comme  il  commentait  quelques  versets  d'un  psaume 
(c'est  son  deuxième  sermon  sur  le  psaume  36),  il  fut  amené  à 
citer,  en  la  criticjuant,  la  réponse  toute  récente  de  Primianus  à 
Aurelius  sur  le  projet  de  conférence-.  A  ce  propos,  il  rappela 
les  démêlés  du  primat  dona liste  avec  les  Maximianistes,  ses 
violences,  ses  mésaventures,  et  sa  politique  incohérente-'.  Il  lut 
même,  d'un  bout  à  l'autre,  la  lettre  synodale  du  concile  de  Ga- 
barsussa,  qui  en  393  avait  prononcé  l'excommunication  et  la 
déposition  de  Primianus^.  De  tout  cela,  l'on  devait  conclure  que 
les  récriminations  du  primat  donatiste,  dans  sa  réponse  à  Au- 
relius, n'étaient  nullement  fondées  :  lui-même,  contre  les  Maxi- 
mianistes, avait  usé  précisément  de  toutes  les  armes  qu'il  s'in- 
dignait maintenant  de  A'oir  aux  mains  des  Catholiques^. 

On  devine  le  retentissement  de  ce  sermon,  et  les  rires  de  la 
galerie,  et  la  stupeur  des  schismatiques,  et  la  fureur  de  leur  pri- 
mat. Aux  critiques  d'Augustin,  très  sévères  au  fond,  mais  assez 
courtoises  dans  la  forme,  Primianus  répondit  aussitôt  par  un 
coup  de  boutoir  :  un  sermon,  encore,  mais  un  sermon  furieux, 
plein  d'attaques  personnelles,  d'invectives  et  d'injures.  Cette 
homélie  du  primat  est  malheureusement  perdue.  Mais  nous  en 
connaissons  en  partie  le  contenu,  par  la  réponse  qu'y  fit  Au- 
gustin quelques  jours  plus  tard,  à  Carthage  encore,  dans  un 
nouveau  sermon  sur  ce  même  psaume  qui  avait  déchaîné  la  tem- 
pête (le  troisième  sermon  sur  le  psaume  36)*'. 

Augustin,  dans  sa  réplique,  ne  désigne  pas  expressément 
Primianus  comme  étant  l'auteur  du  violent  sermon  dirigé  contre 
lui.  Cependant,  l'on  ne  peut  hésiter  sur  l'attribution.  Que  l'on 
considère  le  lieu,  les  circonstances  ouïe  contenu,  on  arrive  à  la 
même  conclusion.  Le  sermon  a  été  prononcé  à  Carthage'  :  or, 
chez  les  Donatistes,  toujours  très  conservateurs,  les  évêques 
seuls  prêchaient,  et  chacun  d'eux  seulement  dans  son  diocèse. 
Quant  aux  circonstances  et  au  contenu,  on  se  souvient  qu'Au- 
gustin, dans  son  sermon  antérieur,  avait  raillé  ouvertement  et 
cité  textuellement  la  réponse  de  Primianus  à  Aurelius;  (jue,  de 
plus,  il  avait  lu  et  commenté  la  lettre  synodale  de  Cabarsussa, 

1)  Augustin,  Sernio  II  in  Psalm.  .36,  1.  5)  Augustin,. S'ecmo// in  Psa/m.  36, 21-23. 

2)  IbiJ.,  18.  6)  Sermo  III  in  Psalm.  36,  18-20. 

3)  Ibid.,  19..  .  7)  Ibid.,  19. 
4    Ibid.,  20. 


134  LITTÉRATURE    DONATISTE 

relative  à  la  déposition  de  Primianus'.  Directement  mis  en 
cause  et  critiqué  personnellement  dans  sa  ville  épiscopale,  le 
primat  ne  pouvait  se  dispenser  de  répondre.  Et  lui  seul  était 
dans  ce  cas.  On  a  donc  toute  raison  d'admettre  qu'il  est  l'auteur 
du  sermon  visé,  analysé  et  réfuté  par  Augustin.  Il  a  prononcé 
ce  discours  à  Carthage,  peu  de  temps  après  sa  réponse  à  Aure- 
lius  sur  le  projet  de  conférence,  soit  dans  l'automne  de  403. 

Du  sermon  dePrimianus,  nous  connaissons  surtout  les  invec- 
tives contre  Augustin.  Le  primat  reprochait  d'abord  à  son  ad- 
versaire les  procédés  insolites  et  indiscrets  de  sa  controverse. 
Sous  aucun  prétexte,  disait-il,  un  évêque  n'aurait  dû  lire  et 
commenter  en  chaire  des  pièces  d'archives,  comme  la  réponse 
à  Aurelius  ou  la  lettre  synodale  de  Cabarsussa  :  documents 
qu'à  peine  on  pouvait  se  permettre  de  produire  dans  les  discus- 
sions entre  clercs,  et  dont  la  révélation  au  public  surexcitait  les 
esprits  en  réveillant  les  vieilles  quei'elles.  Maintenant  que  ces 
questions  avaient  été  posées  publiquement,  le  Donatiste  ne  pou- 
vait se  dérober  tout  à  fait  :  il  essayait  donc  de  justifier  sa  con- 
duite antérieure  dans  l'affaire  du  Maximianisme,et  son  refus  tout 
récent  d'accepter  une  conférence  contradictoire-. 

Fondés  ou  non,  les  reproches  sur  les  procédés  de  controverse 
tournaient  vite  à  l'invective  :  l'invective  la  plus  personnelle,  la 
plus  violente,  la  plus  brutale.  On  le  voit  bien  au  ton  d'Augus- 
tin dans  sa  réplique  :  «  Qu'ils  disent  contre  nous  tout  ce  qu'ils 
veulent  :  nous,  aimons-les,  même  s'ils  ne  le  veulent  pas.  Nous 
connaissons,  mes  frères,  nous  connaissons  leur  mauvaise  langue  : 
nous  ne  devons  pas  nous  irriter  contre  eux  pour  cela,  supportez- 
le  patiemment  comme  nous.  Voyant  qu'ils  n'ont  rien  à  dire 
pour  leur  cause,  ils  tournent  leur  langue  contre  nous;  ils  se 
mettent  à  dire  du  mal  de  nous,  bien  des  choses  qu'ils  savent, 
bien  des  choses  qu'ils  ignorent.  Ce  (ju'ils  savent,  c'est  notre 
passé''...  »  En  effet,  Primianus  incriminait  toute  la  vie  passée 
d'Augustin,  avant  la  conversion  :  sa  vie  toute  profane  d'autre- 
fois, sa  jeunesse  dissipée,  ambitieuse  et  scepti([ue,  vouée  au 
plaisir  comme  à  la  science,  sans  frein  moral  ni  souci  de  la  foi 
chrétienne.  Il  exploitait  contre  Tévèque  les  aveux  des  Confes- 
sions, ({u'il  emb(illissait  de  tous  les  l'acontars  en  honneur  dans 
les  cercles  des  schismatiques. 

Il  ne  mancjuait  pas  de  rappeler  que  l'évêque  d'IIippone  avait 
été  longtemps  manichéen,  et  passait  pour  l'être  encore  en  secret: 


\)SermQ  II  in  P^lm.  :«;,  18  cl  2U.  3)  Sermo  III  in  rsalm.  30,  11). 

2)  Sermo  III  in  l'salm.  30,   18. 


PRIMIANUS    DE    CAKTHAGE  135 

«  Oui,  répond  Augustin,  oui,  j'ai  été  jadis,  comme  dit  l'Apôtre, 
un  sot  et  un  incrédule,  rebelle  à  toute  œuvre  bonne.  Egaré  dans 
une  erreur  perverse,  j'ai  été  un  insensé,  un  fou;  je  ne  le  nie  pas. 
Mais,  moins  je  songe  à  nier  mon  passé,  plus  je  loue  Dieu,  qui 
m'a  pardonné.  Pourquoi  donc,  hérétique,  pourquoi  délaisser  la 
cause,  et  t'en  prendre  à  un  homme?  Que  suis-je,  moi,  que  suis- 
je?  Est-ce  que  je  suis  l'Eglise  catholique?...  Tu  vitupères  contre 
mes  maux  d'autrefois  :  la  belle  avance  !  Je  suis  plus  sévère  que 
toi  pour  mes  maux  :  ce  que  tu  blâmes,  moi,  je  l'ai  condamné. 
Plût  à  Dieu  que  tu  voulusses  m'imiter,  et  que  ton  erreur,  à  toi, 
devint  un  jour  une  erreur  passée^!  »  Souhait  qui  dut  résonner 
comme  un  blasphème  aux  oreilles  de  l'intransigeant  primat. 

Parlant  à  Carthage  pour  des  Carthaginois,  Primianus  racon- 
tait avec  complaisance  les  années  d'erreur  et  de  plaisir  qu'y 
avait  vécu  le  futur  évêque  d'Hippone,  les  scandales  qu'il  y 
avait  causés,  de  son  propre  aveu  :  «  Mes  maux  passés,  répond 
Augustin  à  Primianus,  on  les  connaît  surtout  dans  ta  cité  (à 
Carthage).  C'est  ici,  en  effet,  que  j'ai  mené  une  vie  mauvaise  : 
je  le  confesse.  /Vutant  je  me  réjouis  d'avoir  obtenu  la  grâce  de 
Dieu,  autant  je  dois  pour  mes  maux  passés,  comment  dirai-je? 
Pleurer?  Je  pleurerais,  si  j'étais  encore  le  même.  Donc,  comment 
dirai-je?  Me  réjouir?  Cela  non  plus,  je  ne  puis  le  dire  :  plût  à 
Dieu  que  je  n'eusse  jamais  été  ainsi!  Pourtant,  quoi  que  j'aie 
pu  être,  c'est  le  passé  :  maintenant  effacé  au  nom  du  Christ-.  » 
Déclarations  touchantes,  propres  à  éveiller  un  écho  dans  l'âme 
des  vieux  Carthaginois,  qui  se  souvenaient  d'avoir  rencontré  le 
jeune  Augustin,  vingt  ans  auparavant,  dans  les  lieux  de  plaisir 
ou  les  cercles  manichéens. 

Ce  n'est  pas  seulement  le  passé  de  son  adversaire,  qu'incrimi- 
nait Primianus  ;  c'était  encore  le  présent.  Non  content  de  criti- 
quer la  vie  publique  et  les  actes  d'Augustin,  il  l'attaquait  dans 
sa  dignité  d'homme.  Prenant  à  la  lettre  certains  propos 
absurdes  qui  avaient  cours  dans  le  monde  donatiste,  il  accusait 
l'évêque  d'Hippone  de  jouer,  depuis  son  ordination,  une  sinistre 
comédie.  Avec  une  impudence  prodigieuse,  il  l'accusait  tout 
bonnement  de  n'être  pas  chrétien,  de  n'être  pas  encore  bap- 
tisé. Non  pas  d'avoir  reçu  le  baptême  catholique,  nul  aux  yeux 
des  Donatistes;  mais  de  n'avoir  reçu,  absolument,  aucune  sorte 
de  baptême 3.  Apparemment,    il  s'était  trouvé    dans  Carthage, 

1)  Senno  III  in  Psalm.  36,  19.  3)  «  Dicunt  enim  :  Et    qui    sunt  ?  Et 

2)  «   Ista  sunt    mala  praeterita,   quae        unde    sunt   ?...    Ubi    baptizali  sunt  ?  » 
noverunt  maxime    in  ista   civitate.   Hic        (Ibid.,  19). 

enim  mule  viximus...  »  [ibid.,  19). 


136  LITTÉRATURE    DONATISTE 

même  parmi  les  Catholiques,  des  gens  assez  naïfs  pour 
prendre  au  sérieux  l'accusation,  puisque  Augustin  crut  néces- 
saire de  se  justifier  là-dessus  :  «  On  dit  de  moi  :  qui  est-il? 
d'où  vient-il?  C'est  un  scélérat,  nous  le  savons  ici.  Où  donc  a- 
t-il  été  baptisé?  —  Si  l'on  me  connaît  si  bien,  on  sait  que 
jadis  j'ai  traversé  la  mer,  on  sait  que  j'ai  séjourné  à  l'étranger; 
on  sait  aussi  qu'à  mon  retour  j'étais  autre  qu'à  mon  départ.  Ce 
n'est  pas  ici  que  j'ai  été  baptisé  ;  mais,  là  où  j'ai  été  Iniptisé  (à 
jNIilan),  il  y  a  une  Eglise  connue  du  monde  entier.  Beaucoup  de 
nos  frères  savent  bien  c{ue  j'ai  été  baptisé  :  ils  ont  même  été  bap- 
tisés avec  moi.  Il  est  donc  facile  de  se  renseigner,  si  quelqu'un 
de  nos  frères  a  là-dessus  quelque  inquiétude'.  »  Après  cette 
explication,  l'orateur  se  tourne  brusquement  contre  Primianus, 
qu'il  interpelle  ainsi  :  «  Mais  toi  qui,  entraîné  par  le  vent  d'une 
tentation  diabolique,  toi  qui  t'es  envolé  hors  de  l'Eglise,  toi, 
qu'es-tu  donc'^  ?  »  A  la  vivacité  de  la  riposte,  on  sent  que  le 
trait  empoisonné  de  Primianus  avait  porté. 

Cette  accusation  inattendue  d'être  encore  païen,  de  n'avoir  pas 
été  baptisé,  voilà  probablement  tout  ce  qu'il  y  avait  de  nouveau 
dans  les  griefs  du  primat  schismatique  contre  l'évêque  d'Ilip- 
pone.  Le  reste  n'était  qu'une  réédition  des  médisances  et  des 
calomnies  que  se  passaient  de  main  en  main,  dans  leurs  que- 
relles avec  Augustin,  les  polémistes  du  Donatisme.  Cependant 
ces  racontars,  une  fois  produits  en  public,  n'étaient  pas  aussi 
complètement  inoffensifs  qu'on  pourrait  le  croire.  Même  chez  des 
gens  ([ui  n'étaient  pas  dupes  de  toutes  ces  fables,  un  doute  sub- 
sistait parfois.  A  la  fin  de  sa  réplique,  Augustin  avoue  qu'il  dé- 
sespère de  convaincre  tout  le  monde,  à  plus  forte  raison,  des 
adversaires  obstinés  dans  leur  mauvais  vouloir.  Peu  lui  im- 
porte, d'ailleurs,  pourvu  que  l'on  sépare  nettement  de  sa  cause 
personnelle  la  cause  de  l'Eglise.  S'adressaut  aux  fidèles  : 
«  Comment  finir?  leur  dit-il.  Eh  bien!  méprisez  ma  cause  per- 
sonnelle. (]ontentez-vous  de  déclarer  aux  médisants  :  «  Frères, 
répondez  à  la  véritable  question.  Quant  à  Augustin,  il  est 
évêque  dans  l'I-^glise  catholi<[ue,  il  porte  son  fardeau,  il  devra 
rendre  des  com[)tes  à  Dieu.  Moi,  je  le  vois  [)armi  les  bons.  S'il 
est  méchant,  c'(.'st  son  affaire;  s'il  est  bon,  je  n'ai  pas  pour  cela 
mis  eu  lui  mon  espérance.  Il  est  une  chose  que  j'ai  apprise  avant 
tout  dans  l'Eglise  catholic[ue  :  c'est  à  ne  pas  mettre  mon  esj)é- 
rance  dans  l'homme'.  »  On  voit  que  l'homélie  du  primat  dona- 


1)  Sermo  III  in  l>sulm.  :îG,  l'J.  3)  Sermo  JIl  in  Psalm.  3G,  20. 

2)  Ibid.,  10. 


PRIMIÂNUS    DE    CARTHAGE  137 

tiste,     dans    l'esprit    de    certains    Carthaginois,    avait    laissé 
quelques  préventions  contre  l'évêque  d'Hippone. 

Dans  les  années  suivantes,  nous  ne  relevons  aucune  trace  cer- 
taine de  l'activité  littéraire  ou  oratoire  de  Primianus.  Du  moins, 
rien  qui  lui  soit  personnel;  car  nous  ne  nous  arrêtons  pas  ici 
aux  signatures  qu'il  apposa  sur  telle  ou  telle  pièce  en  sa  qualité 
de  chef  d'Eglise.  C'est  seulement  au  début  de  411,  à  la  veille 
de  la  grande  Conférence,  que  nous  le  voyons  de  nouveau  à 
l'œuvre  :  d'abord,  dans  une  audience  des  magistrats  de  Car- 
tilage, puis  dans  une  circulaire  aux  évêques  de  son  parti. 

A  Cartilage  comme  ailleurs,  l'édit  de  Marcellinus,  promulgué 
le  19  janvier,  qui  convoquait  la  Conférence  pour  le  l'^''  juin  ',  fut 
notifié  par  les  magistrats  municipaux  aux  évê(|ues  des  deux 
communautés  rivales;  procès-verbal  fut  dressé  de  la  notification 
et  des  réponses.  Primianus  paraît  s'être  présenté  en  personne  à 
l'audience.  Cette  fois,  il  se  montra  conciliant,  sans  doute  dans 
la  crainte  d'une  condamnation  par  défaut  :  si  l'un  des  deux 
partis  manquait  au  rendez-vous,  le  commissaire  annonçait  qu'il 
le  condamnerait  sans  débats'^.  La  réponse  officielle  de  Primia- 
nus à  l'édit  du  19  janvier  fut  donc  insérée  dans  des  Gestapiiblica. 
Nous  n'avons  pas  le  texte  exact  de  cette  réponse,  connue  sous  le 
nom  de  Primiani proftssio.  Nous  savons  seulement  que  le  pri- 
mat donatiste  accepta  la  conférence,  et  qu'il  «  promit  de  se  pré- 
senter aux  calendes  de  juin-^  ».  C'était  probablement  la  première 
fois  que  Primianus  donnait  une  preuve  apparente  de  bon  sens  ; 
et  ce  n'était  encore  qu'une  apparence,  puisqu'il  acceptait  pour 
mieux  se  dérolier  ensuite. 

C'est  ce  que  montre  bien  une  autre  pièce,  conservée  en  par- 
tie :  la  lettre  circulaire  [tractoria)  adressée  par  le  primat  à  tous 
les  évêques  scliismatiques,  aussitôt  après  sa  comparution  devant 
les  magistrats  de  Carthage.  Par  cette  circulaire,  il  avisait  ses 
collègues  de  la  réponse  qu'il  venait  de  faire  à  l'édit.  Il  les  pres- 
sait de  l'imiter,  d'accepter  tous  la  conférence  :  «  Laissez  là  tout 
le  reste,  leur  disait-il;  liàtez-vous  de  venir  tous  à  Carthage. 
Sachez  que,  refuser  de  venir,  ce  serait  compromettre  notre 
meilleure  chance  de  succès  dans  cette  affaire'*.  »  Cette  «  meil- 
leure chance  de  succès  »,  nous  savons  par  x\ugustin  en  quoi  elle 
consistait  :  aux  yeux  du  primat  des  schismatiques,  le  meilleur 
argument  en  faveur  de  son  Église  devait  être  le  grand  nombre 

1)  Collai.    Cartiuuj.,    I,   5;    Augustin,  Cf.   Collât.  Carthay.,  II,  ;jO  ;  III,  206. 
Brevic.  Collât.,  I,  2.  4)  Augustin,  Ad  Donalistas  post    C.ol- 

2)  Collai.  Carlhag.,  I,  4-5  et  30.  lat.,  24,  41. 

3)  Augustin,  Brevic.  Collât.,  II,  3. — 


138  LITTÉRATURE    DO>ATISTE 

de  ses  évêques.  En  effet,  l'on  battit  le  rappel  par  toute  l'Afrique. 
Une  seule  lettre  d'excuse  est  mentionnée  expressément  :  celle 
d'un  certain  Félix  de  Pisita,  qui  regrettait  de  ne  pouvoir  venir 
en  raison  de  son  grand  âge  ',  Des  malades  mêmes  se  mirent  en 
route  ;  d'autres  chargèrent  des  collègues  ou  des  prêtres  de 
signer  pour  eux-.  Avant  et  pendant  la  Conférence,  les  Donatistes 
saisirent  toutes  les  occasions  d'affirmer  qu'ils  avaient  pour  eux 
le  nombre.  C'était  encore  une  manière  d'intimidation  :  leur 
«  meilleure  chance  de  succès  »,  dans  leur  pensée  du  moins, 
comme  dans  celle  de  leur  primat. 

Une  autre  arrière-pensée  se  trahissait  dans  la  circulaire  de  Pri- 
mianus.  A  la  faveur  d'une  équivoque  sur  le  terme  du  délai  de  quatre 
mois  fixé  par  l'édit  impérial,  et  sur  la  date  du  1"  juin  adoptée 
par  Marcellinus  dans  son  éditdu  19  janvier,  le  primat  schisma- 
tique  et  ses  conseillers  entrevoyaient  déjà  la  possibilité  d'in- 
voquer contre  les  Catholiques  la  prescription,  et  de  les  faire 
condamner  par  défaut  ^.  C'est  pour  cela  que  Primianus  invitait 
ses  collègues  à  se  hâter.  Il  leur  donnait  rendez-vous  aux  portes 
deCarthage,  non  pour  la  veille  du  l*"  juin,  date  de  l'ouverture 
des  débats  d'après  l'édit  du  commissaire,  mais  pour  la  veille  du 
19  mai,  terme  du  délai  des  quatre  mois.  C'est,  en  effet,  le  18  mai 
que  les  évêques  schismatiques  firent  leur  entrée  solennelle  à 
Carthage  ^  :  en  même  temps  qu'ils  attiraient  ainsi  l'attention  du 
public  sur  leur  nombre,  ils  le  forçaient  à  constater  qu'ils  étaient 
tous  présents  avant  l'expiration  du  délai  légal. 

Comme  on  le  voit,  la  circulaire  de  Primianus  cachait  bien  des 
pièges,  sous  les  apparences  d'une  innocente  lettre  de  convocation: 
elle  escomptait  déjà  plusieurs  des  obstructions  et  des  chicanes 
dont  allaient  jouer  à  la  Conférence  les  mandataires  des  Dona- 
tistes. C'est  peut-être  une  raison  de  croire  que  le  primat  n'avait 
pas  rédigé  cette  lettre  sans  prendre  conseil  de  collègues  avisés, 
experts  en  ce  genre  de  procédures. 

Enfin  s'ouvre  la  fameuse  Conférence,  acceptée  par  le  primat 
dans  sa  réponse  à  ledit  (hi  commissaire,  j)uis  solennellement 
annoncée  et  recommandée  par  lui  dans  sa  circulaire  à  ses  col- 
lègues •'.  Depuis  des  mois,  avec  toutes  les  ressources  d'une  secte 
imposante,  d'une  procédure  ingénieuse,  d'une  hiérai'chie  toute 


1)  C'illiit.Cdrlhaij.,  I,   1.33.  4)  Aiifîiisliii,  Ad  Donalistas   //os/    Col- 

2)  Aii^rM>tin,  Ad  Dunutistu^   /)0s/   Col-  lat.,  2:>,  4H.  —  CI'.    Collai.  Carihuij.,    1, 
lai.,  24,  41.  Il   et  2!>  ;   III,  2it4. 

:i)  Collai.  Curlhad.,  I,  22-3(t;    11,    4S-  5)  Collai.  Cartluig.,   Il,  ÔD  ;   III,    200; 

i'O;  III,  203-2()(;  ;  Aiifïiislin,  Brcvic.  Col-  Aiif^iisliii,  lirt-vic.  Collât.,  Il,  3  ;  Ad  Do- 

lal.,  I,  S  cl  11  ;   II,  :5  ;  111,  ."»,  0.  nalislas  posl  Collai.,  21,  41. 


PRIMIANUS    DE    CARTHAGE  139 

puissante  et  d'une  diplomatie  sans  scrupules,  Primianus  a  pu  se 
préparera  jouer  son  rôle.  Rarement  un  homme  eut  une  plus  belle 
occasion  d'agir  par  l'éloquence  :  il  est  le  chef  d'une  grande 
Église,  l'un  des  avocats  mandataires  de  son  parti,  Tun  des 
arbitres  du  destin  dans  ces  débats  d'où  va  sortir  pour  les  siens 
la  vie  ou  la  mort.  Avec  le  politique,  nous  allons  voir  à  l'œuvre 
l'orateur. 

Hélas  !  ne  parlons  plus  du  politique.  Mais  l'orateur  bavard 
d'autrefois  est  devenu  muet,  ou  peu  s'en  faut.  Il  n'a  même  plus 
ces  répliques  brèves  et  hautaines,  ces  formules  tranchantes,  ces 
clichés  à  antithèses,  ces  impertinences  burlesques,  dont  il  fou- 
droyait jadis  quiconque  résistait  à  ses  caprices  de  tyran  ou  aux 
oracles  de  sa  secte.  Non,  il  se  tait,  tout  simplement  :  sans  doute, 
parce  qu'il  n'a  rien  à  dire.  Ou,  si  par  hasard  il  ouvre  la  bouche, 
c'est  encore  pour  ne  rien  dire  ^.  On  hésiterait  à  le  croire,  si  Ton 
n'en  avait  la  preuve  dans  le  procès-verbal  sténographié  des 
séances.  Vraiment,  l'on  ne  vit  jamais  chef  plus  distrait  ni  orateur 
plus  discret. 

Suivons  donc  le  primat  à  la  Conférence.  Voici  à  quoi  se  ré- 
duisent, avec  son  rôle  d'avocat,  les  manifestations  de  son  élo- 
quence. Au  cours  de  la  première  séance,  il  prend  de  loin  en  loin 
la  parole,  très  brièvement,  pour  notifier  ou  rectifier  un  fait,  sur- 
tout lors  de  la  vérification  des  signatures  '.  Aux  autres  séances, 
dans  les  controverses  proprement  dites,  on  ne  l'entend  pas  une 
seule  fois  ;  et  l'on  ne  peut  assurer  que  personne  l'ait  regretté. 

La  première  fois  qu'il  desserre  les  dents,  il  y  est  contraint 
par  une  sorte  de  sommation.  Le  président,  qui  avait  ses  raisons 
pour  redouter  du  désordre,  venait  de  décider  que  tous  les 
évoques  mandants  quitteraient  la  salle  des  séances  aussitôt  après 
avoir  constitué  leurs  mandataires  ;  il  exigeait  en  conséquence, 
des  deux  chefs  d'Eglise,  un  engagement  formel  3.  Primianus  ré- 
pond en  acceptant  au  nom  de  son  parti  :  «  Nous  aussi,  dit-il, 
quand  notre  nmndatam  aura  été  enregistré  en  notre  présence, 
nous  sommes  prêts  à  sortir,  à  céder  la  place  aux  avocats.  Nous 
nous  tiendrons  pourtant  dans  un  local  voisin  '^.  »  Un  peu  plus 
tard,  autre  intervention  du  primat,  motivée  par  une  circonstance 
analogue.  Les  registres  des  sténographes  étant  pleins,  on  va  dé- 
signer d'autres  greffiers  ;  suivant  les  conventions,  le  président 
invite  les  deux  partis  à  présenter,  pour  contrôler  le   travail  des 


1)  Collai.  Carthag.,   I,  104  ;  120  ;  129-   133  ;  157  ;  163  ;  179  ;  183  ;  198  ;  223. 
133;  etc.  3)  Ibid.,   1,  103. 

2)  Ibid.,   I.  104;  120;  129-130;  132-     4)  Ibid.,   I,  104. 


140 


LITTERATURE    DO>ATISTE 


sténographes,  des  évêques  archivistes  {custodes  chartarum). 
Primianus  propose  deux  de  ses  collègues  :  «  Nous  donnons,  dit- 
il,  comme  surveillants  (cw^iofZe^),  Victor  d'Hippone(Hippo  Diar- 
rhylos  =  Bizerte)  etMarinianus  d'Oea  (Tripoli),  nos  collègues  '.  » 
Vers  la  fin  de  la  séance,  troisième  intervention  du  primat,  pour 
le  même  motif  :  «  Nous  donnons,  dit-il,  comme  surveillants  des 
archives  [custodes  tabiilai:in)i)  quatre  des  nôtres.  Nousenavons 
déjà  désigné  deux  ;  nous  les  remplaçons  maintenant  par  deux 
autres,  Veratianus  et  Victor,  nos  collègues  ici  présents  '.  »  Et 
c'est  tout  ce  que  le  primat  fit  ce  jour-là  pour  la  défense  de  son 
Eglise. 

Les  autres  manifestations  de  son  éloquence  se  rapportent  ex- 
clusivement aux  vérifications  de  signatures.  Et,  là  encore,  Pri- 
mianus ne  se  met  guère  en  frais.  Le  plus  souvent,  il  intervient 
d'un  mot,  pour  spécifier  que  tel  ou  tel  évèque  est  mort'^,  ou 
malade*,  ou  que  c'est  un  Donatiste  converti  »,  ou  que  son  Eglise 
n'a  pas  de  communauté  ou  a  seulement  un  prêtre  dans  la  ville 
en  question*^. 

En  certains  cas  particuliers,  le  primat  donne  des  renseigne- 
ments plus  explicites.  A  propos  d'une  petite  ville  de  Byzacène, 
il  déclare  que  l'évoque  donatiste  a  été  condamné  et  n'est  pas  encore 
remplacé  :  «  Celui  que  nous  avions  là  a  été  condamné  par  nous  et 
par  nos  adversaires  ;  comme  ils  le  savaient  coupable,  ils  ont 
confirmé  eux-mêmes  notre  sentence.  On  n'en  a  pas  encore  or- 
donné un  autre  ".  »  Situation  analogue  dans  une  autre  localité 
de  province  incertaine  :  «  Notre  évêque,  dit  Primianus,  a  été  con- 
damné pour  adultère.  Mais  il  est  resté  là  jusqu'à  l'année  pré- 
sente ^.  »  Voilà  des  aveux  qui  durent  coûter  au  primat  de  l'Eglise 
des  Saints. 

Ailleurs,  il  profite  de  l'occasion  pour  stigmatiser  un  traître  : 
«  Lui-même  a  été  des  nôtres,  dit-il  en  montrant  l'évêque  catho- 
lique; mais  nous  avons  là  assez  de  fidèles  pour  leur  ordonner  un 
nouvel  évêque  '^  »  Parfois,  il  donne  quelque  détail  sur  les  cir- 
constances de  la  maladie  d'un  collègueabsent  :  «  Florianus  est 
tombé  malade  à  Carthage  ;  il  a  craint  de  mourir,  et  il  est  parti. 
Il  avait  déjà  signé  '^.  »  D'un  évêque  numide,  pour  qui  avait 
signé  l'un  de  ses  prêtres,  Primianus  dit  :  «  11  est  devenu 
aveugle.  «  Comme  Alype  de  Thagaste  insiste  j)0ur  savoir  si  le 


1)  Collai.  Ciiiihwj.,  I,   132. 

2)  llAd.,  1,  22H. 

3)  U>id.,  I,    )'.)8. 

4)  IhuL,  I,  KiS  ;  183  ;  198. 
ï>]  Ibid.,  J,  133. 


6)  Collnt.  CirIluKj.,  1 ,  120  ;  129-130  ;  133. 

7)  Ihid.,  1,  129. 
S"  Ibid.,  1,  130. 
9)  Ihid.,  I,  133. 

101  Ibid.,  l,  163. 


PRIMIANUS    DK    CARTH.VGE 


14i 


mandant  est  présent,  oui  ou  non,  le  primat  reprend,  non  sans 
naïveté  :  «  Disons  la  vérité.  Il  est  devenu  aveugle,  il  n'a  pu 
venir,  il  a  envoyé  son  prêtre  '.  »  Ce  «  Disons  la  vérité  —  Uxjiiu- 
miir  veritatein  »  n'était  pas  de  nature  à  inspirer  une  pleine 
confiance  dans  les  autres  déclarations  du  primat. 

On  lit  le  nom  d'un  certain  Privatus,  évèque  d'Ausvaga.  Les 
Catholiques  entendent  mal,  ou  comprennent  mal  ;  d'où  un  malen- 
tendu et  une  discussion.  Primianus  s  explique,  avec  sa  mala- 
dresse ordinaire  :  «  Nos  adversaires  n'ont  pas  menti  ;  nos  amis, 
non  plus.  En  effet,  il  y  a  une  Ausvaga,  où  était  lanuarianus, 
aujourd'hui  mort  ;  et  une  autre  Ausvaga,  où  est  Privatus,  encore 
vivant  "-.  »  Ici,  l'intention  de  Torateur  était  bonne  et  conciliante. 
Mais  pourquoi  ce  brutal  «  n'ont  pas  menti  —  non  siint  nientiii  »  ? 
Pourquoi  cette  hantise  du  mensonge,  de  la  chose  et  du  mot  ? 

Une  seule  fois,  Primianus  est  personnellement  en  cause  ;  c'est 
quand  on  lit  son  nom,  presque  en  tête  des  signatures  du  nmn- 
datum,  entre  celui  du  primat  de  Numidie  et  celui  de  l 'évèque 
donatiste  de  Rome.  A  l'appel  de  son  nom,  Primianus  déclaie  : 
«  J'avais  donné  mandat  ;  mais  j'ai  moi-même  été  désigné  comme 
mandataire  '^.  »  Il  faisait  bien  de  rappeler  sa  qualité  d'avocat- 
mandataire  :  au  cours  des  débats,  qui  donc  s'en  fût  douté  ? 

Cette  vérification  des  signatures  avait,  aux  yeux  du  primat  de 
Cartilage,  une  très  grande  importance,  puisque,  dans  sa  pensée, 
elle  devait  démontrer  la  supériorité  numérique  de  son  parti.  Ce- 
pendant, chose  curieuse,  il  se  lassa  vite  de  contrôler  personnel- 
lement les  listes.  Il  imagina  de  s'en  remettre  à  des  diacres  de  sa 
communauté.  Cette  intervention  de  simples  clercs,  dans  une 
assemblée  où  ne  devaient  être  admis  que  des  évêques,  souleva 
d'assez  vives  protestations.  En  constatant  qu'un  diacre  de  Car- 
thage  se  mêlait  des  affaires  épiscopales,  un  des  mandataires 
catholiques,  Fortunatianus  de  Sicca,  voulut  faire  expulser  l'in- 
trus :  «  On  a  demandé,  dit-il,  une  conférence  entre  évêques. 
Nous  nous  étonnons  de  voir  ici  un  diaci'e,  qui,  avec  je  ne  sais 
quelle  impudence,  veut  jouer  à  l'évêque,  et  troubler  par  ses  que- 
relles notre  conférence,  ouverte  grâce  à  la  faveur  de  Dieu.  Qu'il 
cesse  donc  d'intervenir  dans  le  débat  :  aux  choses  sérieuses,  il 
ne  convient  pas  de  mêler  l'inutile  ^.  »  Toujours  soucieux  de  se 
montrer  impartial,  le  président  donna  tort  au  Catholique  :  «  Ta 
Sainteté  fait  une  observation  superflue.  De  toute  évidence,  le 
diacre  ici  présent  a  été  délégué  pour  reconnaître  les  signataires 


1)  Collât.  Carthag.,  I,  183. 

2)  Ibid.,  I,  179. 

YI. 


3)  Collât.  Carthag.,  I,  157. 

4)  Ibid.,  I,  127. 


10 


142  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Tun  après  l'autre,  non  pour  intervenir  dans  les  discussions  '.  » 
Ainsi  furent  accrédités  les  porte-parole  du  primat  :  Hahetdeus 
et  Valentinianus,  diacres  de  Cartilage.  Et  Primianus  put  se  re- 
poser. 

D'ailleurs,  les  deux;  diacres  donatistes  s'acquittèrent  de  leur 
mission  avec  beaucoup  plus  de  zèle  et  de  compétence  que  leur 
chef.  Ils  connaissaient  à  iTierveille  tout  le  personnel  de  la  secte, 
et  dans  toute  l'Afrique,  Ils  exercèrent  leur  contrôle  avec  une 
attention  soutenue,  une  mémoire  sans  défaillance,  une  exacti- 
tude scrupuleuse,  du  moins  en  ijpparence,  et  une  véritable  habi- 
leté de  diplomates.  Ils  furent  constamment  sur  la  brèche,  pour 
la  justification  et  l'honneur  du  parti.  Us  surent  pallier  les  points 
faibles  de  la  propagande  donatiste,  expliquer  par  des  raisons 
spécieuses  pourquoi  la  secte  n'avait  pas  d'évéque,  et  quelquefois 
pas  même  de  prêtre,  dans  telle  oa  telle  ville.  Ils  surent  excuser 
les  absents,  évoquer  les  malades  ou  les  morts,  justifier  les  sus- 
pects '^.  C'est  grâce  à  ces  modestes  auxiliaires  du  primat,  si  bien 
au  courant  de  tous  les  détails  d'administration,  si  fei-rés  sur  la 
carte  de  l'Afrique  schisraatique,  que  la  vérification  des  signatures 
donatistes  ne  souleva  pas  ti-op  de  scandales. 

Tandis  que  ses  diacres  parlaient  et  tenaient  tète  aux  évéques 
catholiques,  Primianus  se  reposait.  Il  se  reposa  jusqu'à  la  fin  de 
la  Conférence.  A  la  première  séance,  il  s'était  contenté  de  pro- 
duire quelques  explications  dans  la  procédure  de  vérification  des 
pouvoirs,  et  de  répondre  trois  fois  à  des  mises  en  demeure  du 
président,  pour  des  questions  de  pure  forme,  réglées  d'avance -^ 
Dans  les  séances  qui  suivirent,  il  ne  souffla  mot.  Volontaire- 
ment (lu  non,  il  s'effaça  complètement  derrière  les  autres  man- 
dataires du  parti  :  il  disparut  dans  l'ombre  de  ses  collègues, 
Adeodatus  de  Milev,  Emeritus  de  Caesarea,  surtout  Pelilianus 
de  Constantine.  11  ne  dit  pas  un  mot,  ne  fit  pas  un  effort,  pas  un 
geste,  pour  prévenir  la  catastrophe  imminente  où  allait  sombrer 
sa  fortune.  Comme  il  ne  péchait  pas  par  excès  de  désintéresse- 
ment, ni  de  scrupule,  ni  de  modestie,  reste  une  autre  explication 
sur  lacjuelle  nous  croyons  superflu  d'insister. 

Tel  l'ut  l'orateur,  si  le  mot  ne  semble  pas  trop  ironique,  s'il 
suffit,  pour  mériter  ce  titre,  de  passer  du  baA'ardage  au  mutisme. 
Pendant  les  dix  premières  années  de  son  épisoo|)at,  au  temps 
des  querelles  avec  les  Maximianistes,  Primianus  parla  beaucoup: 
il  parlait  à  toi'tet  à  travers,  à  coups  d'excommunications  etd'an- 


1)  ^V/'(/.  0////<(i;/.,  I,  128.  i:»!t  ;    H:^  ;    187. 

2j  Jhid.,  1,  126  ;  12S  ;  133;  135;    138-  3)  Collât.  Carlhag.,  l,  104  ;  132;  223. 


PRIMIANUS    DE    CARTHAGE  143 

tithèses,  lançant  la  menace,  l'anathème  ou  l'injure  i.  Dès  que 
commença  la  campagne  sérieuse  des  Catholiques  contre  l'Église 
de  Donat,  il  devint  l'apôtre  du  silence.  Il  repoussa  brutalement, 
en  403,  le  projet  de  conférence  contradictoire,  ne  voulant  pas 
laisser  les  «  fils  des  martyrs  »  se  compromettre  dans  des  dis- 
cussions avec  les  «  descendants  des  traditeurs  -  ».  Dès  lors,  la 
tactique  favorite  du  primat  fut  le  silence  :  tactique  dangereuse 
pour  un  orateur,  et  où  promptement  se  rouille  l'éloquence.  En 
411,  il  avait  eu  beau  se  raviser,  sous  la  pression  des  circon- 
stances ou  de  ses  conseillers,  et  accepter  enfin  la  Conférence  ■''  : 
bon.gré  mal  gré,  il  restait  l'homme  du  silence.  11  assista  donc, 
silencieux,  à  l'écroulement  de  son  Eglise  et  de  sa  fortune  épis- 
copale.  Notons,  au  reste,  que  tout  le  monde  respecta  son  mu- 
tisme, et  que  personne  ne  s'en  étonna  :  pas  même  ses  fidèles. 

En  somme,  on  peut  dire  que  son  éloquence  et  son  st3'le  valent 
sa  politique.  Et,  sa  politique,  nous  avons  vu  ce  qu'elle  fut.  S'il 
figure  dans  l'histoire  du  Donatisme,  c'est  par  suite  du  hasard 
malencontreux  qui  fit  de  lui,  pendant  vingt  ans,  le  chef  de  la 
secte.  C'est  trop  peu  de  dire  qu'il  a  été  un  chef  médiocre.  Et  ce 
n'est  pas  sans  raison  qu'Augustin  aimait  tant  à  parler  de  Pri- 
mianus,  qu'il  parlait  sans  cesse  de  Primianus  en  ces  temps -là  : 
autant  peut-être  qu'à  Augustin,  les  Catholiques  africains  ont  dû 
leur  victoire  sur  les  Donatistes  à  Primianus,  chef  de  l'Église  do- 
natiste. 


1)  Augustin,  Sermo//  in  Psalm.  36,20.  3)  Collât.   Carlhag.,  II,   50;  III,  206  ; 

2)  Collât.  Carlhag.,   III,    116;  Augus-  Augustin,  Brevic.  Collât.,  U,  3  ;  Ad  Do- 
tin,  Brevic.  Collai.,  III,  4  ;  Ad  Donatis-  natlslas  post  Collai.,  2i,  41. 

tas  posl  Collai.,  ]. 


CHAPITRE   IV 

EWIERITUS  DE  CAESAREA 


I 

Biographie  d'Emeritus.  —  11  était  citoyen  de  Ca^sarea  en  Maurétanie.  —  Son 
éducation.  —  Son  élection  comme  évêque  schismatique  de  Caesarea.  — 
Longue  durée  de  son  épiscoiiat.  —  Emeritus  au  concile  de  Bagaï,  en  394. 

—  Sa  réputation  en  Afrique.  —  Lettres  que  lui  adresse  Augustin,  vers  405. 

—  Emeritus  à  la  Conférence  de  Carthage,  en  411.  —  Son  attitude  après 
la  Conférence.  —  Augustin  lui  dédie  un  ouvrage  vers  416.  —  Conférences 
d'Emeritus  avec  Augustin,  en  418,  à  Cfesarea.  —  Son  caractère  et  son 
tour  d'esprit. 

Emeritus  de  Ccesarea  fut,  avec  Petilianus  de  Constantine,  le 
principal  champion  du  Donatisme  à  la  grande  Conférence  de 
Carthage.  C'est  l'un  des  schismatiques  africains  qui  nous  sont 
le  mieux  connus.  D'abord,  nous  possédons  de  lui  une  riche 
série  de  discours  '.  Puis  il  a  eu  la  bonne  fortune,  plusieurs  fois, 
d'être  directement  aux  prises  avec  Augustin  ;  et,  pour  les 
adversaires  de  l'Eglise  en  ces  temps-là,  c'était  la  meilleure 
garantie,  sinon  d'une  immortalité  réelle  et  vivante,  du  moins 
d'une  préservation  efficace  contre  l'oubli  complet  des  généra- 
tions à  venir.  Emeritus  nous  est  donc  connu,  et  par  ses  œuvres, 
et  par  le  témoignage,  tantôt  flatteur,  tantôt  ironique,  d'un 
adversaire  de  génie.  Assurément,  c'est  un  évêque  quelconque  et 
un  médiocre  politique  ;  mais  c'est  un  orateur  de  talent,  et  c'est 
un  sectaire  d'une  espèce  assez  curieuse,  dont  la  physionomie 
originale  se  détache  en  relief  dans  la  galerie  des  fanatiques  de 
Donat. 

Il  était  né,  vers  l'année  350,  à  Cœsarea  (aujourd'hui  Cher- 
che!.), en  Maurétanie  Césarienne  ^. 

La  date  de  sa  naissance  peut  être  déteriliinée  approximati- 
vement   d'après    le    rôle    qu'il    joua    dans    trois    circonstances 

])  Collai.    Carthag.,    1.    20;    22;  31;  249;  266;  278;  etc. 

33  ;  47  :  77  ;  80  :   147  :  175  ;  11,28  ;  33  ;  2)  Augustin,    Retract.,    II,  77  ;    Gesta 

46;    67  ;    III,    15  ;  39  ;  43  :  49  ;  .56  ;  85;  cum  Emerito,  3. 
99  ;  114  ;  129    157  ;  1.59  ;  188  ;  200  ;  225  ; 


146 


LITTERATURE    DONATISTE 


mémorables.  C'est  lui  qui,  en  394,  rédigea  la  sentence  du  con- 
cile de  Bagaï  '  :  on  en  doit  conclure  qu'il  avait  dès  lors  de 
l'autorité  dans  son  parti,  et  qu'il  n'était  pas  alors  un  nouveau 
venu  dans  l'épiscopat.  Il  était  encore  en  411,  au  moment  de  la 
Conférence  de  Carthage,  dans  tout  l'éclat  de  son  talent  et  de 
sa  réputation.  Mais  il  était  décidément  vieux  et  aigri  en  418, 
lors  des  Conférences  de  C;esarea.  Si  l'on  place  sa  naissance 
vers  350,  il  aurait  eu  environ  quarante-quatre  ans  au  temps  du 
concile  de  Bagaï,  soixante  et  wn  ans  lors  des  grands  débats  de 
Carthage,  soixante-huit  ans  au  moment  de  sa  mésaventure  de 
Ca'sarea.  Ces  diverses  données  s'accordent  bien  avec  les  vrai- 
semblances. 

Quant  au  lieu  de  naissance,  aucune  hésitation  n'est  possible. 
Nous  savons  qu'Emeritus  était  «  citoyen  —  civis  »  de  C;esarea, 
qu'il  avait  là  ses  «  parents — parentes'  ».  C'est  vers  cette  cité 
que  nous  ramènent  tous  les  événements  connus  de  sa  carrière. 
C'estlà  que  s'écoula  toute  son  existence.  Il  paraît  n'avoir  quitté  sa 
ville  natale,  devenue  sa  ville  épiscopale,  que  bien  rarement, 
surtout  pour  se  rendre  aux  conciles  de  son  parti,  en  Numidie  ou 
à  Carthage. 

C;esarea  était  une  ville  de  ressources  :  capitale  d'une  vaste 
province  qui  de  son  nom  s'appelait  Maurétanie  «  Césarienne  », 
port  important,  centre  économique  d'une  immense  région  qui 
correspondait  à  la  moitié  occidentale  de  l'Algérie  et  à  une  par- 
tie du  Maroc.  C'était  en  outre,  depuis  le  temps  de  Juba  II,  un 
petit  centre  littéraire  et  artistique  :  l'hellénisme  y  était  à  la 
mode,  on  y  savait  le  grec,  on  y  aimait  les  œuvres  d'art,  comme 
l'attestent  bien  des  inscriptions,  bien  des  monnaies,  et  toutes 
les  belles  statues  qu'on  y  a  trouvées,  qu'on  y  voit  encore, 
copies  ou  répli(jues  des  chefs-d'œuvre  de  la  Grèce -^  Une  telle 
ville  avait  naturellement  ses  écoles,  où  se  formait  la  bourgeoi- 
sie de  la  région.  C'est  là  qu'Emeritus  étudia  rélo([uence,  prit 
le  goût  des  lettres  et  du  beau  langage.  Il  avait  certainement 
une  instruction  assez  étendue,  et  savait  s'en  servir.  C'était, 
nous  dit-on,  «  un  homme  de  talent,  instruit  des  arts  libé- 
raux'' ».  On  vantait  sa  science  et  son  éloquence'.  On  louait 
son  «  érudition''  »,  sui'tout  en  matière  bibli([ue.  A  la  science 
profane  des  écoles,  à  la  connaissance  des  arts  libéraux,  Eme- 


1)  Gala  cum  Emerilo,   10.  Cf.     C.iiicklcr,    Musée    de    ("Jierchel   (  Pii- 

2)  Ihid  ,    H    et    10;    Rcinirl.,    Il,    77;  ris,  lS!t5). 

Possidiiis,  Vila  Aiigusiini,  14.  •))  Aiisnstiii,  l-:f>isl.  87,1.  —  Cf.  87,10. 

3)  Voyez  nolro  voliitiu'  sur  Lex  Afri-  5)  Possidiiis,   \'ilii  Aiifiuslini,   14. 
coins,  £).  59  et  .siiiv.  ;  p.   120  et  Miiv.  —  6)  Aii^iisliii,  Kpisl.  S7,  3. 


EMERITUS    DE    C  ESAREÀ  147 

ritus  joignait  celle  de  lu  théologie  chrétienne,  des  Livres  saints, 
de  l'exégèse.  Il  avait  parcourn,  sinon  exploré  bien  à  fond,  tout 
le  domaine  des  deux  antiquités. 

Il  était  chrétien  de  naissance,  mais  chrétien  donatiste  :  on  lui 
rendait  en  ei'fet  cette  justice,  qu'il  n'avait  jamais  varié  dans 
sa  foi'.  Gœsarea  avait  été  évangélisée  d'assez  bonne  heure; 
elle  avait  compté  de  nombreux  martyrs  ';  dès  le  troisième  siècle, 
bien  avant  la  paix  de  l'Eglise,  elle  renfermait  une  nécropole 
chrétienne  et  des  chapelles,  qui  nous  sont  connues  par  des  ing 
criptions  ^.  Depuis  le  temps  de  Constantin,  les  Donatistes  y 
avaient  une  importante  communauté;  quand  Firmus,  en  372, 
s'empara  de  Ca\sarea,  le  chef  rebelle  eut  probal)lement  pour 
alliés,  là  comme  ailleurs,  les  schismatiques  de  la  ville'*.  En 
tout  cas,  l'on  ne  peut  douter  que,  dans  la  seconde  moitié  du 
quatrième  siècle,  le  parti  de  Doiuit  ait  été  puissant  à  Ca^sarea. 
A  ce  parti  appartenait  la  famille  d'Emeritus,  une  bonne  famille 
bourgeoise  de  la  cité.  Le  futur  évêque  fut  donc  élevé  dans  ce 
milieu  de  sectaires.  En  même  temps  qu'il  s'instruisait  dans  les 
écoles,  il  ouvrait  son  àme  et  sa  conscience  aux  traditions  et  aux 
préjugés  de  la  secte.  Selon  toute  apparence,  il  entra  de  bonne 
heure  dans  le  clergé  schismatique  de  la  ville,  et  parcourut  rapi- 
dement les  degrés  inférieurs  de  la  hiérarchie. 

Jeune  encore,  il  fut  élu  évéque  donatiste  de  C^esarea.  Son 
élection  doit  se  placer  vers  385  :  elle  est  cei'tainement  anté- 
rieure de  bien  des  années  au  concile  de  394,  ce  concile  de  Ba- 
gai  où  Emeritus  joua  un  rôle  important,  où  il  était  déjà  l'un 
des  meneurs  de  son  parti''.  Son  épiscopat  a  été  d'assez  longue 
durée  :  plus  de  trente  ans.  Jusqu'en  411,  il  a  gouverné  effecti- 
vement son  diocèse;  et  il  conservait  encore  en  418,  avec  son 
titre,  ses  prétentions  d'évêque  ". 

Sur  les  débuts  de  cet  épiscopat,  nous  n'avons  aucun  rensei- 
gnement. Emeritus  entre  brusquement  dans  l'histoire  en  394, 
au  concile  de  Bagaï  :  alors,  au  nom  de  cette  assemblée  ([ui 
comptait  trois  cent  dix  évêques  primianistes,  il  eut  le  périlleux 
honneur    de    rédiger    la    sentence    d'excommunication    contre 


1)  Sermo  ad  Caesareensis  Ecclesiae  pic-  plus  haut,  tome  I,  p.  14  ;  lniuc  II,  p.  125 
i^cm,  2.  et  suiv. 

2)  Ackt    Marcianae,    1    ;    Passio     Ai-  4)  (Jf.  tome  IV,  p.  4.5. 

cadii,    1  ;    Passio    Fabii    vexlUiferi.  4    et  5)  Augustin,  Gesta  cnin  Emcrilo,  10. 

10-11   ;      Martyr.     Hieronym.,      X      Ival.  {>)  Sermo  ad  Caesareensis  Ecclcsiue  idc- 

febr.    ;    IV  non.     aiig.    —    Voyez    plus  bem,  1-2;  Gesta  cum  Ëmerito,  1  et  suiv.  ; 

haut,  tome  111,  p.   122  et  suiv.;    p.  l','^  Contra  Gaudenlium,  I,  14,  15;    Helracl., 

et  suiv.  II,  77. 

3)  C.  /.  L.,  VIII,  9585-9586.  —  Voyez 


148  LITTÉRATURE    DONATISTE 

jSIaximianus  et  ses  partisans'.  Cette  mission  de  confiance,  qui 
déjà  témoignait  de  son  ascendant  sur  ses  collègues,  le  mit 
naturellement  en  pleine  lumière.  Dès  lors,  il  fut  l'une  des 
gloires  et  l'un  des  oracles  de  la  secte,  le  chef  du  parti  en  Mau- 
rétanie.  Il  entreprit  autour  de  lui  une  ardente  propagande  :  à 
commencer  par  son  diocèse,  où  il  trouvait  en  face  de  lui,  dans 
l'Eglise  catholique,  ce  Deuterius  qui  devait  un  jour  lui  prendre 
tous  ses  fidèles,  et  auquel,  d'ailleurs,  il  parait  avoir  été  appa- 
renté-. 

En  405,  la  réputation  d'Èmeritus  était  solidement  établie 
dans  toute  la  région.  Donatistes  et  Catholiques  admiraient  son 
talent  d'orateur,  sa  vaste  érudition,  l'étendue  de  ses  connais- 
sances dans  le  double  domaine  de  la  littérature  profane  et  de 
l'exégèse  religieuse^.  Même  dans  le  camp  des  adversaires  de 
son  Église,  il  passait  pour  «  docte,  éloquent  et  justement 
célèbre''  ».  On  louait  aussi  son  caractères  On  disait  de  lui 
que  «  schisme  à  part,  c'était  un  honnête  homme,  d'une  instruc- 
tion libérale*^  n.  Bref,  on  disait  tant  de  bien  d'Emeritus,  qu'Au- 
gustin voulut  entrer  en  relations  avec  lui  :  dans  l'espoir,  sinon 
de  le  ramener  promptement  à  l'Eglise,  du  moins  de  l'amener 
à  une  discussion  courtoise,  Ca'sarea  étant  fort  loin  d'Hippone, 
c'est  par  lettres  que  se  fit  la  présentation. 

Une  première  fois,  un  peu  avant  l'année  405,  Augustin  écri- 
vit à  Emeritus.  Lui-même  parle  de  cette  lettre,  qui  est  malheu- 
reusement perdue.  11  disait  plus  tard  au  Donatiste  :  «  Je  t'ai 
déjà,  adressé,  il  y  a  longtemps,  une  première  lettre.  L'as-tu 
reçue?  Y  as-tu  répondu,  sans  que  j'aie  reçu  ta  réponse?  Je  ne 
sais  ~.  »  Si  Augustin  avait  là-dessus  des  doutes,  c'est  qu'il 
conservait  des  illusions  sur  les  véritables  dispositions  d'esprit 
de  son  correspondant.  Selon  toute  apparence,  Emeritus  n'avait 
pas  répondu  :  il  avait  fait  le  sourd,  comme  il  fit  plus  tard  le 
muet,  conformément  à  la  tactique  ordinaire  du  parti.     • 

L'évêque  d'Hippone  ne  se  décourageait  pas  pour  si  peu. 
Vers  405,  il  écrivit  une  seconde  lettre.  Celle-ci  nous  est  par- 
venue, et  mérite  de  nous  ari-êter  :  elle  fait  honneur  à  celui  qui 
la  reçut  comme  à  celui  qui  l'écrivit. 

Déjà,  l'en-téte  est  caractéristique,  par  le  ton  conciliant  et  la 


1)  Gesla  cuin  Emcritn,  K).  r->)  Auj^^usliii,  EiJisl.  87,  4  et  ."). 

2)  «   Agnosco    fratroiii    Imiiii    Di'ule-  (i)  lliUi.,  87,  10. 

riiiivi,    lil)i     cliam     gciicrc    socialuin  >>  7)    Ihid.,    87,    6.    —    Possidins    nicn- 

{ijiid.,   1(1).  lionnt',  en  elTet,  deux   lelires    d'Augiis- 

H)  Augustin,  Kpist.  87,   1  ;  3  ;  !(•.  lin    «  ad  Emeriluni  »  {Indic.   oper.  Au- 

4)  Possidius,  \'Ha  Autjusiini,  14.  ijtistini,  3). 


EMERITUS    DE    C.ESAREA  149 

courtoisie  des  salutations  :  «  Augustin  à  son  désiré  et  cher 
frère  Emeritus  —  desiderabili  et  dilecto  fralti^.  »  Plusieurs 
fois  au  cours  de  la  lettre,  l'évèque  schismatique  est  qualifié  de 
«  frère  »,  de  «  frère  Emeritus'  ».  Les  Catholiques  insistaient 
d'autant  plus  sur  cette  fraternité,  que  les  Donatistes  faisaient 
profession  de  l'oublier. 

La  lettre  avait  pour  objet  principal  d'ouvrir  ou  de  préparer 
une  controverse  sérieuse  sur  la  légitimité  du  schisme.  Elle 
débute  par  des  compliments.  L'évèque  d'Hippone  dit  la  bonne 
opinion  que,  sans  le  connaître  personnellement,  il  a  d'Emeritus, 
et  la  surprise  qu'il  éprouve  à  voir  un  tel  homme  égaré  dans  la 
secte  de  Donat  :  «  Moi,  dit  Augustin,  moi,  je  ne  puis  sans  sur- 
])rise  entendre  dire  qu'un  homme  de  talent,  instruit  des  arts 
libéraux  (non  que  ce  soit  nécessaire  pour  le  salut  de  l'âme), 
pense  sur  une  question  très  simple  autrement  que  ne  le  demande 
la  vérité.  Alors,  plus  je  m'étonne,  plus  je  brûle  de  connaître 
l'homme  et  de  m'entretenir  a.vec  lui.  Ou  bien,  si  je  ne  puis  le 
faire,  je  désire  du  moins,  par  le  moyen  de  ces  lettres  qui  volent 
au  loin,  atteindre  son  esprit,  et  obtenir,  en  retour,  d'être  atteint 
par  lui.  J'entends  dire  que  tu  es  un  homme  de  ce  genre-là,  et 
je  m'afflige  de  te  voir  écarté,  séparé  de  l'Eglise  catholique,  qui, 
suivant  les  prédictions  de  l'Esprit-Saint,  s'étend  sur  le  monde 
entier.  La  cause  de  ce  malentendu,  je  l'ignore  ^..  » 

Sous  prétexte  de  chercher  cette  cause,  Augustin  ouvre  aus- 
sitôt la  discussion  sur  la  légitimité  du  schisme  africain. 
L'erreur  des  Donatistes,  dit-il,  est  prouvée  par  le  fait  seul  qu'ils 
ne  sont  pas  en  communion  avec  les  Eglises  d'outre-mer.  Et 
chaque  jour,  dans  la  vie  courante  de  leurs  propres  commu- 
nautés, ils  donnent  un  démenti  à  leur  fameuse  théorie,  par 
laquelle  ils  prétendent  justifier  la  rupture  :  leur  théorie  sur  la 
contamination  des  justes  par  les  pécheurs,  et  sur  l'obligation 
de  rompre  avec  les  coupables.  Suit  une  série  de  textes  et  d'al- 
lusions à  des  récits  bibliques,  démontrant  qu'on  n'est  pas  con- 
taminé par  les  péchés  du  voisin,  et  que,  sous  aucun  prétexte,  on 
ne  doit  se  séparer  des  pécheurs  ''.  L'évèque  d'Hippone  fait 
remarquer  ensuite  que  les  Donatistes  eux-mêmes  n'ont  pas 
rompu  avec  leur  Optatus  de  Thamugadi,  un  véritable  brigand, 
et  que  leur  indulgence  pour  ce  bandit  est  la  condamnation  de 
leurs  principes  \  Ainsi,  le  concile  des  dissidents  de  312  n'a  pu 


1)  Augustin,  Epist.  87,  cn-tète.  4)  Augustin,  Eplsl.  87,  2-.^. 

2)  Ibid.,  87,  i-h.  5)  Ibid.,  87,  4-5. 

3)  Ibid.,  87,  1. 


150 


LITTERATURE    DON.VTISTE 


exclure  de  l'Église  le  reste  du  monde,  pas  plus  que  le  concile 
des  Maximianistes  n'a  pu  mettre  hors  la  loi  les  Primianistes  '. 
En  vain  les  Donatistes  se  plaignent  d'être  persécutés.  Pour  la 
défense  de  la  véritable  Eglise,  l'intervention  du  pouvoir  sécu- 
lier est  parfaitement  légitime.  D'ailleurs,  les  Catholiques  n'ont 
fait  que  solliciter  la  protection  du  gouvernement  contre  les 
A''iolences  de  leurs  adversaire^  ;  les  empereurs  seuls  sont 
responsables  des  mesures  qu'ils  ont  prises,  les  jugeant  bonnes  '. 
Mais,  objectent  les  Donatistes,  pourquoi  chercher  à  nous  con- 
vertir ?  —  C'est,  réplique  Augustin,  que  nous  voulons  ramener 
des  frères  égarés  ;  des  frères  qui  ont  mêmes  sacrements,  même 
baptême,  et  qui  sont  séparés  de  nous  seulement  parle  schisme''. 
Toute  la  question  est  donc  de  savoir  de  quel  côté  est  la  véri- 
table Eglise.  Pour  le  décider,  on  doit  remonter  jusqu'au  temps 
de  la  rupture,  et  en  examiner  les  circonstances.  Telle  est  la 
question  essentielle;  et  c'est  là-dessus  que  l'évêque  d'Hippone 
prie  son  correspondant  de  s'expliquer^. 

Pour  obtenir  l'explication  qu'il  désire,  une  explication  franche 
et  loyale,  Augustin  multiplie  les  compliments,  il  fait  un  grand 
élog-e  du  caractère  d'Emeritus,  qu'il  compare  et  oppose  à  son 
confrère  de  sinistre  mémoire,  le  sanguinaire  Optatus  de  Tha- 
mugadi.  De  ce  contraste  même,  il  tire  un  argument  contre  le 
principe  de  l'Eglise  schismatique.  D'après  votre  théorie,  dit-il, 
«  vous  seriez  tous  semblables  à  Optatus,  tel  qu'il  fut  dans  votre 
communion  et  nullement  à  votre  insu.  Dieu  en  préserve  un 
homme  du  caractère  d'Emeritus  !  et  d'autres  qui  lui  ressem- 
blent, tels  qu'on  en  voit  cliez  vous,  je  n'en  doute  pas,  et  complè- 
tement étrangers  aux  méfaits  d'un  Optatus.  En  effet,  notre  seul 
grief  contre  vous,  c'est  le  schisme  :  ce  schisme  dont,  par  une 
obstination  coupable,  vous  avez  fait  une  liérésie-'  ».  Il  rappelle 
la  terreur  et  l'horreur  ([ue  le  brigand  de  Thamugadi  inspirait 
aux  honnêtes  gens  du  parti  de  Donat,  et  parmi  eux,  certaine- 
ment, à  Emeritus  lui-même  :  «  xVux  temps  où  sévissait  la  tyran- 
nie frénétique  de  ce  furieux  d'Optatus,  alors  que  ce  tyran 
avait  pour  accusateur  le  gémissement  de  toute  l'Afrique,  vous 
aussi,  vous  gémissiez  :  si  du  moins  tu  es  tel  que  te  dépeint  ta 
bonne  renommée.  Et  Dieu  sait  que  je  le  crois  comme  je  le 
désire^.  »  Plus  loin,  il  supplie  l'honnête  homme  ([u'est  Eme- 
ritus,  de  ne  pas  chercher  à  défendre  un  co<iuin  :  «    Peut-être, 


1)  Augustin,  K/iist.  87,  G. 

2)  //;(•(/.,  87,  7-8. 
:?    Iliid.,  87,  U. 


4)  Aiigusliu,  A7ili^  87,    lU. 
.5)  Ibid.,  87,  4. 
C)   Ihid. 


EMEUITUS    DE    CESAREA  151 

dans  ton  embarras  pour  répondre,  tenteras-tu  de  défendre 
Optatus.  Ne  le  fais  pas,  frère,  ne  le  fais  pas,  je  t'en  conjure. 
Gela  ne  te  convient  pas,  à  toi  ;  et,  si  par  hasard  cela  peut  con- 
venir à  un  autre,  en  admettant  qu'il  convienne  de  défendre  en 
rien  des  coquins,  à  Emeritus,  du  moins,  il  ne  convient  pas  de 
défendre  Optatus  '.  »  Tout  cela  était  fort  courtois,  et  bien  cal- 
culé pour  amadouer  le  Donatiste,  pour  obtenir  de  lui  l'explica- 
tion souhaitée,  même  pour  affaiblir  d'avance  son  argumenta- 
tion. 11  est  vrai  que  le  Donatiste  pouvait  garder  les  compli- 
ments, et  se  tirer  d'embarras  en  ne  répondant  pas. 

C'est  justement  ce  que  redoutait  Augustin.  Aussi  le  vait-on 
multiplier  les  instances.  A  plusieurs  reprises  au  cours  de  sa 
lettre,  il  presse  Emeritus  de  lui  répondre,  et  nettement,  sans 
s'écarter  de  la  question.  Par  exemple,  à  propos  du  Maximia- 
nisme  et  du  concile  de  312  :  «  Réponds  à  cela,  je  te  prie  :  quel- 
ques personnes,  que  je  n'ai' pu  m'empécher  de  croire,  m'ont  dit 
que  tu  répondrais,  si  je  t'écrivais...  Maintenant  donc,  je  te 
demande  de  daigner  répondre  à  ma  question,  ce  que  tu  en 
penses.  Mais  ne  te  laisse  pas  entraîner  à  d'autres  questions  : 
ici,  en  effet,  est  le  point  essentiel  d'une  enquête  méthodique  sur 
l'origine  du  schisme-.  »  Suivant  Augustin,  l'explication  deman- 
dée, sur  les  circonstances  de  la  rupture  entre  les  deux  Eglises, 
doit  être  pour  un  évêque  un  devoir  de  conscience  :  «  La  ques- 
tion est  de  savoir  si  c'est  votre  Eglise,  ou  la  nôtre,  qui  est 
l'Eglise  de  Dieu.  C'est  pourquoi  il  faut  remonter  au  point  de 
départ,  à  l'origine  de  votre  schisme.  Si  tu  ne  me  réponds  pas, 
ma  cause  à  moi,  je  pense,  sera  facile  à  plaider  auprès  de  Dieu  : 
à  un  homme  dont  j'ai  entendu  dire  qu'il  était,  schisme  à  part, 
un  honnête  homme,  et  d'une  instruction  libérale,  j'ai  adressé 
des  lettres  de  paix.  Toi,  vois  ce  que  tu  pourras  lui  i-épondre, 
à  ce  Dieu  dont  on  doit  louer  maintenant  la  patience,  mais  dont 
on  doit  redouter  la  sentence  à  la  fin  des  temps.  Si  tu  me  réponds 
dans  ce  même  esprit  dont  tu  vois  que  s'inspire  ma  lettre,  alors 
interviendra  la  miséricorde  de  Dieu  :  cette  erreur  qui  nous 
divise  disparaîtra  enfin  dans  l'amour  de  la  paix  par  le  triomphe 
de  la  vérité -^  »  En  terminant,  l'évêque  d'Hippone  fait  remar- 
quer qu'il  a  évité  les  récriminations  superflues,  qu'il  n'a  repro- 
ché à  son  correspondant  ni  les  violences  des  Donatistes,  ni  leurs 
persécutions  contre  les  Rogatistes  de  Maurétanie,  ni  leurs  com- 
promissions  avec    Firmus    ou    autres  rebelles.  Et    il  ajoute    : 


1)  Augustin,  Epist.  87,  5.  3)  Augustin,  Epist.  87,  10. 

2)  Ibid.,  87,  6. 


152  LITTÉRATURE    DONATISTE 

V  Renonce  donc  aux  lieux  communs,  aux  déclamations  sur  les 
méfaits  des  hommes,  connus  par  ouï- dire  ou  constatés  par  une 
enquête.  Tu  vois  que  je  ne  dis  rien  des  vôtres,  pour  concentrer 
la  discussion  sur  l'origine  du  schisme  :  ce  qui  est  toute  la  ques- 
tion. Que  le  Seigneur  Dieu  t'inspire  des  pensées  de  paix,  cher 
et  désiré  frère  '.  »  A  une  lettre , si  aimable  et  si  pressante,  tout 
autre  qu'un  Donatiste  eût  considéré  que  la  politesse  la  plus 
élémentaire  lui  faisait  un  devoir  de  répondre. 

Pourtant,  cette  fois  encore,  Augustin  en  fut  pour  ses  frais 
d'éloquence  et  d'amabilité.  Tout  porte  à  croire  qu'il  n'obtint 
aucune  réponse.  L'évêque  schismatique  accepta  les  compli- 
ments, garda  la  lettre  pour  s'en  faire  honneur,  mais  oublia  d'en 
accuser  réception. 

Pendant  les  années  suivantes,  faute  de  documents,  nous  per- 
dons de  vue  Emeritus,qui  peut-être  fut  atteint  par  Tédit  d'union 
de  405,  et  contraint  de  quitter  pour  quelque  temps  sa  ville  épis- 
copale.  Brusquement,  en  411,  il  reparait  en  pleine  lumière  sur 
la  scène  de  l'histoire.  A  la  grande  Conférence  de  Garthage,  il 
est  un  des  sept  avocats-mandataires  de  son  parti"-.  Gomme  tel, 
il  prend  une  part  très  active  aux  débats,  prononce  d'innom- 
brables discours,  lutte  avec  énergie  pour  la  défense  de  son 
Eglise,  soutient  sans  l'iéchir  les  assauts  d'Augustin  et  des 
Gatholiques.  Dans  ces  controverses  mémorables,  il  est  toujours 
aux  premiers  rangs,  partageant  avec  Petilianus  lui-même  l'hon- 
neur d'une  résistance  héroïque  et  désespérée  contre  les  trahisons 
de  la  fortune. 

Après  la  catastrophe,  au  milieu  des  ruines  de  son  Eglise,  il 
fut  de  ceux  qui  restèrent  debout.  11  vit  dissoudre  sa  commu- 
nîiuté;  il  vit  confis({uer  ses  basiliques  et  autres  immeubles;  il 
vit  la  plupart  de  ses  fidèles  passer  à  l'ennemi.  Lui-même  fut 
exilé  ou  proscrit:  il  dut  quitter  Ga^sarea,  pour  se  cacher.  En 
ces  temps-là,  il  se  considérait  volontiers  comme  un  martyr,  et 
se  donnait  pour  tel '.  En  fait,  il  était  banni,  il  vivait  hors  de  sa 
ville  épiscopale,  il  ne  pouvait  plus  remplir  ses  fonctions 
d'évèque,  du  moins  en  public;  mais  on  ne  l'inquiétait  pas,  on 
ne  cherchait  })as  à  l'arrêter,  on  le  laissait  même  s'aventurer 
dans  les  rues  de  Ca'sarea''.  Evidemment,  le  gouverneur  de  la 
province  et  les  magistrats  municipaux  fermaient  les  yeux. 

De    cette    tolérance  relative,    Emeritus   [)rofitait  pour  lutter 

1)  Aufïusiin,  Epist.  87,  10.  :^)    Augiislin,   Scrmo   ad    Caesareensis 

2)  Collai.  CarthiKj.,  I,  14S  cl   2()8  ;   11.        Ecrlcsiac  pUhcm,  Vt. 

2  et  12  ;    III,   2,  elc.  ;    Augustin,  (iexlii  4)  Oesla  ciim  lùnerito,  1. 

cain    Enierilo,  2-A;  HctnicL,  II,  72  et  77. 


EMERITUS    DE    C-ES\REA  153 

encore.  Même  vaincu  et  proscrit,  il  ne  désarmait  pas.  Contre 
l'Eo-lise  officielle,  triomphante  en  Maurétanie  comme  ailleurs, 
il  continuait  à  faire  campagne.  Campagne  d'escarmouches,  car 
le  temps  des  batailles  était  passé  :  campagne  de  sermons.  Dans 
ces  homélies  vengei-esses,  il  poursuivait  de  sa  rancune  et  de  ses 
malédictions  tous  ceux  qui  avaient  contribué  à  la  ruine  de  son 
parti.  Il  protestait  contre  la  sentence  de  Carthage,  contre  l'édit 
d'union,  contre  les  lois  qui  avaient  suivi.  Il  allait  répétant  que 
ses  amis  et  lui  avaient  été  victimes  d'indignes  machinations, 
qu'on  ne  les  avait  pas  laissés  parler  à  la  Conférence,  que  le 
président,  catholique  lui-même,  était  complice  des  Catholiques  K 
L'écho  de  ces  sermons  arriva  jusqu'à  Hippone.  Maintenant, 
Augustin  connaissait  bien  le  Donatiste  de  Ca'sarea,  qu'il  avait 
eu  tout  le  loisir  d'observer  à  la  Conférence  de  Carthage,  où  il 
l'avait  si  souvent  entendu,  si  souvent  combattu  et  réfuté.  Il  ne 
désespérait  pas  de  le  ramener  un  jour;  en  tout  cas,  il  le  savait 
éloquent,  influent,  très  écouté  dans  les  cercles  de  schisma- 
tiques.  Il  s'émut  donc  de  la  nouvelle  campagne  d'Emeritus.  Pour 
y  couper  court,  il  résolut  d'opposer  aux  homélies  du  Donatiste 
une  réfutation  en  règle.  Ce  fut  l'objet  d'un  traité,  qu'il  eut  l'es- 
prit de  dédier  à  son  adversaire.  Cet  ouvrage,  en  un  livre, 
composé  vers  416,  était  intitulé  :  «  A  Emeritus,  évêque  des 
Donatistes,  après  la  Conférence.  —  Ad  Emeritum,  episcopiun 
Donatistaruni,  post  Collationem  liber  uniis  '-.  »  Le  traité, 
malheureusement  perdu,  commençait  par  ces  mots  :  «  Si  même 
maintenant,  frère  Emeritus... 3.  »  Il  se  rapportait  tout  entier 
aux  questions  tranchées  par  la  Conférence  de  Carthage,  dont 
il  résumait  les  débats.  C'était  une  sorte  de  manuel,  à  l'usage 
des  lecteurs  africains,  surtout  des  convertis  ou  des  hésitants  : 
«  livre  fort  utile,  dit  Augustin  lui-même,  car  il  embrasse  dans 
une  brièveté  commode  tout  ce  qui  permet  de  vaincre  les  Dona- 
tistes ou  démontre  qu'ils  ont  été  vaincus  ^  ».  On  trouvait  donc, 
dans  cet  ouvrage,  un  abrégé  des  Gesta  de  411  :  un  résumé  des' 
documents,  des  faits  et  des  arguments  produits  par  les  Catho- 
liques à  la  Conférence  de  Carthage.  Malgré  la  dédicace  et  la 
courtoisie  de  l'en-tête,  ce  livre  dut  être  amer  à  l'évêque  schisma- 
tique  de  Cœsarea,  en  qui  il  ravivait,  de  page  en  page,  tous  les 
souvenirs  de  la  défaite. 


ï)  Sermo  ad  Caesareensis  Ecclesiae  pie-  4)   «   Libnim    satis    iitilcm,    quoniam 

bein,  8  ;  Gesla  ciun  Emerito,  2.  res,     quibiis    vincantiir    vel    victi    esse 

2)  Relract.,  II,  72.  monstrantur,  commoda  brovitate  coiu- 

3)  ((  Si  vel  nunc,  frater  Emerite...  »  plectiliir  »  (ihid.,  II,  72). 
(ibid.,  II,  72). 


154  LITTÉRATUKE    DONATISTE 

Deux  ans  plus  tard,  un  concours  singulier  de  circonstances 
mit  une  dernière  fois  en  présence  les  deux  adversaires.  Dans 
l'été  de  418,  Augustin  arrivait  à  C?esarea  pour  régler  des 
affaires  ecclésiastiques,  comme  légat  du  pape  '.  A  cette  nou- 
velle, Emeritus  rentra  dans  sa  ville  épiscopale  :  poussé  sans 
doute  par  un  vague  désir  de  revoir  le  grand  orateur  qui  l'avait 
vaincu-.  Le  18  septembre,  Augustin  rencontra  l'évêque  schisma- 
tique  sur  une  place  de  Oesarea.  Il  Taborda  aussitôt.  Après  les 
salutations  d'usage,  il  lui  proposa  d'entrer  avec  lui  dans  la 
cathédrale-'.  Chose  surprenante,  Emeritus  y  consentit  :  il  en  fut 
récompensé,  ou  puni,  par  un  sermon,  qui  d'ailleurs  ne  changea 
rien  à  ses  dispositions  d'esprit  ^.  Après  le  sermon,  Augustin 
l'invita  à  une  conférence  contradictoire  pour  le  surlendemain. 
Emeritus  accepta  encore,  mais  sans  enthousiasme,  sur  les  ins- 
tances de  ses  amis  et  de  ses  derniers  fidèles.  La  conférence,» 
très  solennelle,  eut  lieu  le  20  septembre,  dans  la  cathédrale,  en 
présence  de  l'évêque  catholique  Deuterius,  du  clergé  et  du 
peuple,  même  de  nombreux  évêques  de  la  province  •'.  Ce  jour-là, 
malgré  les  questions  pressantes  et  les  sommations  d'Augustin, 
Emeritus  prononça  quelques  mots  à  peine,  ne  trouvant  rien  à 
répondre  ou  dédaignant  de  le  faire  ''.  D'ailleurs,  il  sortit  de  là 
comme  il  y  était  entré  :  Donatiste  intraitable.  En  vain  courut 
le  bruit  de  sa  conversion".  Jusqu'au  bout,  il  s'ol)stina  dans  son 
intransigeance. 

C'est  vers  420  qu'Augustin  mentionne,  pour  les  démentir,  les 
racontars  de  Numidie  sur  cette  prétendue  conversion.  Le  schis- 
matique  de  Ca'sarea  était  vieux  alors,  puisqu'il  était  évèque 
depuis  environ  trente-cinq  ans.  Après  cette  date,  il  disparait  de 
l'histoire.  Il  mourut,  sans  doute,  peu  de  temps  après.  On  ne  sait 
rien  sur  sa  fin. 

Emeritus  était  un  très  honnête  homme,  à  qui  ses  adversaires 
reprochaient  seulement  de  ne  pas  vouloir  (uitendre  raison,  de 
s'obstiner  dans  le  schisme  •'^.  Cet  honnête  homme  parait  avoir  été 
aussi  un  brave  homme.  Il  adorait  son  pays  natal  :  même  pros- 
crit, il  ne  pouvait  se  résigner  à  s'éloigner  de  sa  patrie,  il  tour- 
nait autour  de  Ctiesarea,  s'y  aventurant  même  de  temps  à  autre, 
pour  en    revoir  les   rues    et   les   gens'\    On    nous    le    montre 

1)  Possidiiis,   \'ita  Augu^liiti,  H:    Au-  à)  Crslii  cum  Emcriln.  1. 

f,aistin,  Epi^l.    l'.tii,   1  :  l'.tH,  1.  i\]  lhid.,'A;  Retracl.,  Il,  77;  Pussidiiis, 

2)  \{iffiis\\n,  Cunlrn  Cdiidcnliiiin,  1,11,         \ila  Aiifiuatini,   14. 

15.  7)    Vii;;ustiii,    Conlra    Gaiidenliuin,    I. 

3)  Gesla  cum  lùnerihi,  1.  Il,   15. 

4)  Sermo  ad  Cncsarcensis  Ecclesiae  pic-  H)  Kpist.  S7,  1(). 

bem,  1  et  suiv.  9)  Gcsta  cum  Emerilo,  1. 


F.MERITUS   DE    C^SAREA  155 

entouré  de  parents  et  d'amis,  se  laissant  quelquefois  entraîner, 
jjar  égard  pour  eux,  à  des  démarches  imprudentes  •.  Même 
envers  ses  adversaires,  il  était  tenté  d'abord  de  se  montrer 
aimable  :  témoin  sa  rencontre  avec  Augustin  sur  la  place  de 
Ga?sarea  ~. 

Mais  cet  instinct  sociable,  dés  qu'il  commençait  à  se  mani- 
fester, était  brutalement  rappelé  à  l'ordre  par  l'intransigeance 
du  sectaire.  Elevé  dans  un  milieu  de  fanatiques,  Emeritus  avait 
toujours  vécu  dans  ce  même  milieu  -K  II  mettait  au-dessus  de 
toute  contestation  les  principes  de  son  parti,  dont  il  avait  en 
outre  les  préjugés  et  les  rancunes.  Quand  ces  principes  ou  ces 
préjugés  étaient  en  cause,  il,  se  raidissait  contre  ses  propres 
tendances  :  il  paraissait  d'autant  plus  raide,  qu'il  avait  fait 
effort  pour  l'être.  Alors,  rien  n'avait  prise  sur  lui,  ni  les  objur- 
gations, ni  les  conseils,  ni  la  prudence,  ni  le  bon  sens.  A  tous 
les  raisonnements,  il  répondait  par  des  affirmations  tranchantes 
ou  par  un  silence  têtu  ^. 

Dans  cette  lutte  sans  cesse  renouvelée  entre  ses  instincts 
sociables  de  galant  homme  et  ses  principes  insociables  de  sec- 
taire, on  trouve  l'explication  de  son  caractère,  comme  de  toute 
sa  conduite.  Le  premier  mouvement  était  bon,  parce  qu'il  venait 
de  la  conscience  ou  du  cœur;  le  second  était  moins  bon,  parce 
qu'il  venait  du  préjugé  •''.  Cette  oscillation  entre  des  forces  con- 
traires aboutit  naturellement,  dans  la  vie  d'un  individu,  à 
l'incohérence,  aux  contradictions,  à  l'équivoque.  Chez  Emeri- 
tus, la  mentalité  donatiste  paralysait,  avec  les  élans  du  cœur, 
les  initiatives  de  l'intelligence.  De  là  vient  que  cet  honnête  et 
brave  homme  a  été  un  grand  maladroit,  et  que  cet  évéque,  sans 
être  sot,  a  souvent  agi  comme  un  sot.  En  394," au  concile  de 
Bagaï,  dans  l'entraînement  des  passions  sectaires  et  des  ran- 
cunes, il  prend  imprudemment  à  son  compte  les  grotesques 
déclamations  et  les  anathèmes  des  forcenés  de  son  Eglise  ''.  Vers 
405,  il  laisse  entendre  qu'il  est  disposé  à  discuter  avec  l'évêque 
d'Hippone  "  ;  puis,  quand  arrivent  des  lettres  d'Augustin,  il  se 
dérobe.  En  411,  à  la  Conférence  de  Carthage,  il  compromet 
plus  d'une  fois  la  cause  de  son  parti  par  la  maladresse  de  ses 
déclarations   ou  de  ses  exigences  s.  En  418,  vaincu  et  proscrit, 

1)  Possidius,   Vita  Augiistini,  14.  plebem,     1    ;    Gesta    cum    Emerito,     l-i. 

2)  Augustin,  Gesta  cum  Einerilo,  1.  6)   Gesla  cum  Emerito,  10. 

3)  Sermo  ad  Caesarecnsis  Ecclcsiae  pic-  7)  Epist.  87,  6. 

t>em,  2.  8)  Collât.  Carthag.,  III,  24!)  ;  253  ;  255  ; 

4)  Gesta  cum  Emerito,  3-4  ;  Contra  Gau-       2fiU  ;  372  ;  Augustia,  Ad  Donatistas  post 
denlium,  I,,14,   l^  ;  Retract.,  II,  77.  Collât.,  4,  4-6. 

5)  Sermo     ad    Caesareensis  Ecclesiae 


156  LITTÉRATURE    DONATISTE 

il  revient  à  C;iRsarea  pour  voir  Augustin,  il  le  suit  dans  l'église; 
mais  là,  tout  à  coup,  il  change  d'attitude,  il  refuse  de  répondre, 
se  condamnant  ainsi  à  jouer  le  rôle  le  plus  piteux  K  Cette  mala- 
dresse et  ces  incohérences  sofit  d'un  homme  que  ses  préjugés 
de  sectaire  empêchaient  de  vouloir  jusqu'au  bout  ce  qu'avait 
voulu  d'abord  son  bon  sens  ou  son  cœur. 

Cette  étrange  maladresse  se  manifestait  quelquefois,  comme 
on  l'a  vu,  par  un  mutisme  intempestif  -.  De  ce  silence  diploma- 
tique, dédaigneux  et  injurieux,  qui  était  une  des  traditions  de 
la  secte  dans  les  rapports  avec  les  Catholiques,  Emeritus 
semble  avoir  voulu  se  faire  une  règle  de  conduite.  Mais  cette 
règle,  il  l'observait  capricieusement,  par  à-coups,  trop  tard, 
quand  déjà  il  s'était  engagé  et  découvert.  Lorsqu'il  songeait  à 
se  taire,  il  avait  déjà  trop  parlé  :  si  bien  qu'il  perdait  jusqu^iu 
mérite  et  à  l'avantage  du  silence.  Tandis  que  ses  adversaires 
lui  reprochaient  de  se  taire  trop  tôt,  ses  amis  pouvaient  lui 
reprocher  de  ne  s'être  pas  tu  assez  tôt  3.  Incohérences  explicables, 
d'ailleurs,  chez  un  homme  que  ses  principes  vouaient  au  mu- 
tisme, mais  qui  était  né  orateur,  et  que  passionnait  le  jeu  de  la 
parole. 

Orateur,  il  l'était  en  effet,  et  n'était  guère  que  cela.  C'est  le 
trait  dominant,  le  seul  bien  marqué,  dans  sa  physionomie  intel- 
lectuelle. On  vantait,  il  est  vrai,  son  érudition,  sa  connaissance 
des  divers  arts  libéraux,  sa  compétence  en  exégèse  ';  mais 
toute  cette  science  parait  avoir  été  superficielle,  et  elle  n'était, 
en  tout  cas,  que  l'aliment  de  son  éloquence.  Ses  discours,  au 
contraire,  sont  d'un  homme  qui  avait  étudié  l'art  oratoire,  qui 
l'avait  pratiqué,  et  qui  l'aimait.  Quand  il  ne  se  condamnait  pas 
lui-même  au  silence,  Emeritus  s'écoutait  parler  aussi  volontiers 
qu'il  parlait  •'.  En  suivant  les  leçons  des  rhéteurs,  il  avait 
recueilli  les  traditions  de  l'école,  avec  les  procédés  et  les  recettes 
du  métier.  Il  en  avait  emporté  aussi  l'esprit  de  chicane.  Mais  ce 
qui  dominait  dans  son  éloquence,  c'était  l'amour  de  la  parole 
pour  la  parole,  la  hantise  du  verbe  sonore,  du  trait,  de  la  méta- 
phore, de  la  formule.  Préoccupations  bien  profanes,  semble-t-il, 
et  qui  surprendraient  chez  un  sectaire,  si  ce  sectaire,  qui  jouait 


1)  l'ossidiiis,  Vita  AutiusUni,  14  ;  Au-  Erclesiav  plcbcin,  1  :  <',csla  ruiii    lùnerito, 
gustiii,  Scrmo  iid    Caesrireensis  Ecclesiar  8-1. 

plehcm,  1;   GqsI(i  cum  Emerilo,\-A  \  Cou-  A)  Episl.   S7,   1    cl  K»  ;  Pussitlius,    \it<i 

Ini  (iiiudcntium,  1,   14,  1.").  Augusiin i.  It. 

2)  i<  Tiiiiquam  inutiis    îiudivit  »    (Au-  î>)    (Collai.     C.arlhaij.,    II,    28-31  :     III, 
«usliu,  lielracl.,   Il,  77).  l.J7  ;  2W-201  ;  2.^5  ;  etc. 

3)  Augusiin,    Scrniu  ud     Caesareensis 


EMERITUS    DE    C.ïSAREA  157 

parfois  le  sourd-muet,   n'avait   été  justement  le  bel-esprit  du 
Donatisme. 


II 


Emeritus  orateur.  —  Son  rôle  dans  les  asseml)lées  donatistes.  —  Il  rédige 
en  394  la  Sentence  du  concile  de  Bagaï.  —  Caractère  de  ce  document. 
— Rôle  d'Emeri tus  à  la  Conférence  de  411.  —  11  est  l'un  des  avocats- 
mandataires  de  son  parti  et  l'un  des  principaux  champions  du  Donatisme. 

—  Son  attitude  et  ses  tentatives  d'obstruction.  —  Ses  fréquentes   inter- 
ruptions. — •  Ses  principaux  discours.  —  Ses   discussions  avec  Augustin. 

—  Les  sermons  dEmeritus.  —  Caractères  de  son  éloquence. 


Nous  ne  possédons  d'Emeritus  que  des  discours;  et  rien  ne 
laisse  supposer  qu'il  ait  écrit  des  ouvrages  de  controverse,  ni 
beaucoup  de  lettres.  Mais,  des  discours,  il  en  prononça  toute 
sa  vie.  Des  sermons,  d'abord,  devant  ses  fidèles  de  Gœsarea'. 
Puis,  des  harangues  dans  les  assemblées  du  parti.  Pendant 
plus  de  vingt  ans,  Emeritus  a  été  l'un  des  chefs  de  l'Eglise 
schismatique,  et  l'un  de  ses  principaux  orateurs.  Nul  doute 
qu'il  ait  beaucoup  parlé  dans  les  conciles.  Malheureusement, 
la  plupart  des  synodes  donatistes  de  cette  période  nous  sont 
assez  mal  connus;  sauf  quelques  pièces  isolées,  les  Actes  en 
sont  perdus;  avec  les  procès-verbaux,  ont  disparu  les  harangues 
des  orateurs.  Pour  connaître  l'éloquence  d'Emeritus,  il  faut  en 
revenir  au  dossier  de  la  Conférence  de  Garthage,  où  l'on  peut 
lire  encore  ses  innombrables  discours,  scrupuleusement  recueil- 
lis et  notés  par  les  sténographes  -. 

Dans  son  œuvre  oratoire,  telle  qu'elle  nous  est  parvenue,  on 
distingue  trois  catégories  d'ouvrages,  très  divers  par  l'étendue 
et  l'importance,  comme  par  l'état  de  conservation  :  1"  la  Sen- 
tentia  rédigée  en  394  pour  le  concile  de  Bagaï  ;  2"  les  très  nom- 
breux discours  prononcés  en  411  à  la  Conférence  de  Carthage, 
et  conservés  intégralement;  3"  des  sermons  prononcés  après 
cette  conférence,  et  connus  seulement  par  quelques  fragments. 

Que  la  Sententia  de  Bagaï  soit  littérairement  l'œuvre  d'Eme- 
ritus, on  n'en  saurait  douter.  Augustin  l'a  dit  et  répété  en  face 
d'Emeritus  lui-même,  devant  ses  fidèles,  dans  sa  ville  épis- 
copale    de    Ga^sarea;    et,     ce    jour-là,    personne    n'a   protesté, 


1)    Augustin,  -Sermo   ad    Caesareensis  2)  Co/^a^.  Cari/iagf.,  I,  20  ;  22  ;  31,  etc.  ; 

Ecelesiae  picbem,  8  ;  Gesta  cuiii  Emerito,  II,  28  ;  33  ;    46  ;    67  ;    III,    15  ;  39  ;  43  ; 

2.  49  ;  etc. 

VI.  11 


158  LITTÉRATURE    DONATISTE 

ni  Emeritus,  ni  aucun  des  assistants '.  Ce  consentement  tacite 
confirme  et  corrobore  le  témoignage  d'Augustin.  Donc,  le  fait 
est  acquis  pour  la  critique.  Nous  n'avons  pas  à  recommencer 
ici  l'étude  historique  et  documentaire  de  la  Sententia,  dont 
nous  avons  précédemment  marqué  la  signification  pour  les  des- 
tinées du  Donatisme  '-.  Nous  n'avons  à  en  considérer  maintenant 
que  la  forme,  le  style,  la,  physionomie  littéraire.  Ce  morceau 
peut  donner  quelque  idée  de  ce  qu'était  l'éloquence  d'Emeritus 
en  ces  temps-là,  dans  la  première  période  de  son  épiscopat.  Et 
l'on  doit  convenir  que  cette  élucubration  ne  lui  fait  pas  hon- 
neur. 

On  se  souvient  que  la  Senteiitia  de  Bagai,  lancée  le 
24  aA^'il  394,  se  composait  de  quatre  parties  :  un  préambule, 
un  réquisitoire,  des  anathèmes,  des  clauses  relatives  aux  délais. 
Dès  les  premiers  mots,  gros  de  menaces  et  d'emphase,  on 
s'aperçoit  que  l'orateur  s'apprête  à  déclamer  :  «  Il  a  plu  à  l'Es- 
prit-Saint,  qui  est  en  nous,  d'affermir  à  jamais  la  paix  en  tran- 
chant dans  le  vif  des  schismes  sacrilèges  -^.w  D'après  les  termes 
du  réquisitoire,  on  ne  se  douterait  guère  que  le  Saint-Espi'it 
était  de  la  partie,  ou  du  parti.  C'est  un  mélange  incohérent  et 
déplaisant  de  déclarations  verbeuses,  d'accusations  A^agues,  de 
récriminations  contre  les  traîtres  :  le  tout  encadré  de  citations 
bibliques,  qui  permettent  de  comparer  les  Maximianistes  suc- 
cessivement aux  vipères,  aux  parricides,  aux  naufragés,  aux 
Egyptiens^.  Quant  aux  anathèmes,  c'est  l'obscurité  même.  On 
y  reconnaît  seulement  des  expressions  bibliques,  maladroite- 
ment accolées  à  des  métaphores  de  mauvais  goût.  Maximianus 
y  est  appelé  «  l'adversaire  de  la  foi,  l'adultère  de  la  vérité, 
l'ennemi  de  notre  mère  l'Eglise  ».  Il  «  est  chassé  du  sein  de  la 
paix  parla  foudre  de  la  sentence...  Si  les  gouffres  de  la  terre 
ne  l'ont  pas  encore  englouti,  il  a  été  réservé  pour  un  plus  grand 
supplice...  Il  paiera  désormais  les  intérêts  de  son  crime,  en 
vivant  comme  un  mort  au  milieu  des  vivants  '^.y>  Les  douze  con- 
sécrateurs  de  Maximianus  sont  «  les  complices  du  forfait 
infâme...,  dont  l'œuvre  néfaste  a  rempli  d'ordure  le  vase  de 
perdition^'  ».  La  dernière  partie  de  la  Senlcntia  est  la  seule, 
dont  le  style  soit  à  peu  près  exempt  de  déclamations.  Elle  vi- 

1)  Augustin,   Geata  cum  lùncrilo,  V).  18  ;  GesUt  rum  Emerilo,  l"  ;  Contra  Gan- 

2)  Voyez  plus    h;iut,  lomc  l\,   |i.  'MVI        (Icnliuin,  I,  3!»,  51. 

et  suiv.  5)  Contra  Cresconiuiii,   III,  1'.»,  22  ;  IN, 

3)  Augustin,   Contra   Cresconiunt,    III,        I,  ',. 

53,  .5'J  ;  IV,   m.   12.  «)  lijid..    III.    li',   22;    :)3,    .V.»;    IN,  4, 

4)  Conira  lilteras  PelHicuii,    1,   lo,    Il  ;        5. 
11,7.  lô  ;  Contra  Cresconium,  IV,  2  ;  KJ, 


EMERITUS    DE    C.ESAREA  159 

sait  les  JMaximianistes  moins  compromis,  qui  n'aA^aient  pas  pris 
une  part  active  à  l'élection  ou  à  l'ordination  de  Maximianus,  et 
que  les  Primianistes  espéraient  ramener  en  leur  promettant  le 
pardon,  s'ils  désavouaient  Maximianus  avant  l'expiration  du 
délai  fixé  '.  Ici,  naturellement,  le  concile  devait  contenir  le  flot 
des  malédictions;  et,  du  coup,  s'améliore  le  style  du  rédacteur. 

Dans  cette  Sentenlia  promulguée  au  nom  d'une  assemblée  de 
trois  cent  dix  évêques,  on  ne  sait  qu'admirer  le  plus,  de  la  vio- 
lence diabolique  du  ton  ou  de  la  niaiserie  des  déclamations. 
Evidemment,  troublé  par  l'honneur  qu'on  lui  avait  fait  en  le 
chargeant  de  la  rédaction,  le  pauvre  Emeritus  s'était  battu  les 
flancs  pour  se  mettre  à  la  hauteur  des  énergumènes  ses  col- 
lègues. Il  avait  fait  appel  à  toute  son  érudition  biblique,  comme 
aux  clichés  traditionnels  de  la  secte,  comme  au  souvenir  des 
leçons  de  l'école  sur  l'utilité  des  métaphores  ou  des  comparai- 
sons-. Et,  laborieusement,  avec  une  conscience  digne  d'un 
meilleur  succès,  il  avait  composé  cette  Sentence  farouche  et 
lamentable,  grandiloquente  et  niaise,  où  l'absurde  se  mêlait  à 
l'odieux,  les  cris  de  haine  aux  effusions  décotes,  les  réminis- 
cences bibliques  au  pathos.  Sans  le  témoignage  d'Augustin, 
on  hésiterait  à  croire  que  cette  monstrueuse  élucubration  puisse 
être  l'œuvre  du  brave  homme  qu'était,  au  fond,  l'évêque  élo- 
quent et  lettré  de  Caesarea. 

D'ailleurs,  cette  aberration  du  Donatiste  fut,  pour  d'autres, 
une  ])onne  fortune.  Augustin,  qui  aimait  à  rire,  s'empara  de  la 
Sententia  de  Bagai.  Il  s'en  amusa,  d'abord,  pour  son  compte  ; 
puis,  dans  l'intérêt  de  ses  controverses,  il  en  amusa  ses  compa- 
triotes. Ce  fut  pour  lui,  durant  bien  des  années,  un  thème  iné- 
puisable de  plaisanteries-^. 

Voici  quelques  spécimens  de  ses  critiques,  souvent  spiri- 
tuelles. Vers  400,  dans  le  traité  contre  Parmenianus,  il  raille 
a  ces  œufs  de  serpent,  dont  avait  parlé  naguère  le  rédacteur  de 
cette  fameuse  Sentence  du  concile  plénier  des  tiois  cent  dix  ^.  » 
Vers  le  même  temps,  au  cours  de  ses  controverses  avec  Peti- 
lianus,  il  constate  que  les  Donatistes  commençaient  à  regretter 
la  truculence  de  leurs  anathèmes  :  «  Témoin  la  merveilleuse 
Sentence  de  leur  célèbre  concile.  Cette  Sentence,  jadis,  quand 


1)  Contra    Cresconium,    III,    17,    20;  Contra  Crescon  lu  m,  II],  19,  22  ei.  suiv.  ; 
r>i,  m  ;  IV,  4,  5  ;  32,  39  ;  34,  41  ;  38,  45.  55,  61  ;  IV,  2  ;  16,  19;   Gesta  cum  Eme- 

2)  Ibid.,   IV,    2;    16,    18;  Gesta   cum  rito,  10-11  ;  Episl.  108,  5,  15. 
Emerito,  10.  4)  Contra   Epislulani    Parmeniani,   II, 

3)  Contra  Epislulani  Parmeniani,  II,  3,  3,  7. 
7  ;  Conlra  litleras   PeLiliani,   I,    10,  Il  ; 


JGO  LITTÉRATURE    DONATISTE 

on  la  leur  lisait  à  haute  voix  pour  la  leur  faire  voter,  ils  l'accla- 
raaieut  à  pleine  bouche.  Maintenant,  si  nous  la  leur  lisons,  ils 
deviennent  muets.  Ils  auraient  mieux  fait  de  ne  pas  se  réjouir 
d'abord  de  son  éloquence,  pour  n'avoir  pas  à  se  lamenter  ensuite 
sur  son  ridicule  '.  »  Dans  le  Contra  Cresconium^  en  405,  il 
revient  sans  cesse  sur  cette  Sententia  de  Bagaï,  dont  il  s'égaie 
à  tout  propos  :  «  Vois  comme  elle  résonne,  comme  elle  éclate! 
Ecoute  les  déclarations  sorties,  dans  cet  étonnant  concile,  de  la 
bouche  véridique  de  tes  évêques...  Ecoute,  te  dis-je,  ce  qu'ajoute 
l'auteur  ou  l'orateur  de  cette  Sentence  -.  »  Et  plus  loin  :  «  Voilà 
cette  Sentence,  qui,  par  sa  faconde,  a  mérité  d'être  dans  les 
mains  de  tous,  dans  la  bouche  de  tous  •^.  »  Puis,  l'évêque  d'Hip- 
pone  entre  dans  le  détail,  relève  les  expressions  emphatiques  : 
la  «  chaîne  du  sacrilège  »,  le  «  venin  du  serpent  »,  les  «  pieds 
rapides  pour  verser  le  sang  ^  ».  Il  félicite  ironiquement  l'au- 
teur de  ce  chef-d'œuvre  :  «  Avec  quelle  éloquence  le  rédacteur 
de  cette  Sentence  a  su  distinguer,  illustrer,  exprimer  ''  !  »  Il 
déclare  que  lui-même  eût  été  incapable  de  pareilles  trouvailles  : 
«  Moi,  si  l'on  m'avait  proposé  ce  sujet-là,  je  n'aurais  jamais 
trouvé  la  «  semence  de  vipère  »...  Jamais  je  n'aurais  eu  cet 
élan,  ces  éclats  de  voix,  pour  exciter  l'esprit  du  lecteur  ou  de 
l'auditeur  à  la  haine  des  coupables  ''.  »  Cinq  ans  plus  tard,  dans 
une  lettre,  nouvelles  plaisanteries  sur  «  la  fougue,  la  véhé- 
mence, la  grandiloquence  »  de  la  Sententia  du  concile  de 
Bagaï''.  Toutes  les  fois  qu'il  en  parle,  Augustin  ne  peut  s'em- 
pêcher de  rire  :  bon  moyen  pour  amener  les  lecteurs  à  en  rire. 
Le  comble,  c'est  qu'il  s'est  amusé  un  jour  à  tourner  la  Sententia 
en  ridicule  devant  l'auteur  même  du  chef-d'œuvre.  C'était  le 
20  septembre  418,  à  Ciesarea,  dans  la  cathédrale^.  Au  cours 
des  explications  qu'il  donnait  aux  fidèles,  l'évêque  d'IIippone 
fut  amené  à  parler  de  la  fameuse  Sentence.  Voici  ce  qu'il  en 
disait,  en  face  d'Emeritus  :  «  La  Sentence,  nous  la  tenons.  Et, 
à  ce  que  l'on  raconte,  elle  a  été  rédigée  par  notre  frère  lui- 
même  :  Dieu  fasse  de  lui  un  frère  en  i)aix  avec  nous!  Oui, 
elle  a  été  rédigée  par  Emeritus  ici  présent,  cette  Sentence  où 
ont  été  condamnés  les  INIaximianistes.  »  Suit  une  longue  cita- 
tion du  document.  Augustin  continue  :  «  \'oilà  comment  le 
parti  de  Donat  a  traité   les    Alaximianistes  ;  et  c'est   Emeritus 


1)  Contra  lillcms    Pctiliani,  1,  10,  Jl.  5)  Contra  Cresconiuni,  111,55,  Gl. 

2)  Contra  Cresamitim,  III,   11»,  22.  6)  Ihid.,  IV,  2. 

3)  Ibid.,  111,  20,  23.  7)  Hpist.   108,  5.  15. 

4)  Knd.,  111,  23,  26.  8)  Gesta  cuni  Emerilo,   1. 


EMEUIÏUS    DE    C.KSAllEA  l6l 

ici  présent,  qui  a,  dit-on,  rédigé  le  texte.  »  Nouvelle  citation. 
Puis,  Augustin  reprend  :  «  Les  paroles  sont  d'Emeritus  lui- 
même,  d'Emeritus  condamnant  iNIaximiunus,  ou  plutôt,  comme 
il  dit  lui-même,  «  d'une  bouche  véridi(j[ue,  fulminant  contre  lui  ». 
Cela  ne  les  a  pas  empêchés  d'accueillir  «  les  serpents,  les 
vipères,  les  parricides  »  ;  et  ils  n'ont  pas  exorcisé  les  gens  bap- 
tisés par  «  ces  serpents,  ces  vipères,  ces  parricides  ».  Et  l'évêque 
d'Hippone  conclut  spirituellement  :  «  Vous  avez  entendu,  vous 
avez  vu  comme  a  brillé  le  feu  de  son  éloquence,  quand  il  a 
trouvé  du  foin  à  brûler.  Allons,  frère  Emeritus,  tu  as  bien 
embrassé  ton  frère  Eelicianus,  après  l'avoir  condamné  et  fou- 
dro3^é  de  ton  éloquence  :  maintenant,  reconnais  comme  ton 
frère  notre  Deuterius,  qui  en  outre  est  ton  parent  par  la  nais- 
sance'. »  Malgré  ses  pressantes  exhortations,  Augustin  ne  put 
décider  l'évêque  schismatique  de  Gaesarea  à  embrasser  son 
collègue  catholique.  Mais  ses  plaisanteries  sur  la  Seiilentia  de 
Bagaï  ont  dû  avoir  de  l'écho.  Si  l'on  songe  qu'Emeritus  n'était 
pas  sourd,  on  conviendra  que  la  scène  ne  manquait  pas  de  pi- 
quant. Ce  jour-là,  le  Donaliste  dut  regretter  ses  déclamations 
de  394  sur  les  vipères  et  les  œufs  de  serpent. 

Pour  être  juste,  on  doit  ajouter  que  cette  élucubration  des- 
tinée au  concile  de  Bagaï  a  été  un  épisode  particulièrement 
malheureux  dans  la  carrière  oratoire  d'Emeritus.  L'orateur 
valait  beaucoup  mieux  que  la  Sententia  rédigée  par  lui  dans 
un  accès  de  fanatisme.  Pour  juger  son  éloquence,  il  faut  le  suivre 
et  l'écouter,  en  411,  à  la  Conférence  de  Garthage. 

Qu'il  eut  été  choisi  coiiime  l'un  des  sept  avocats-mandataires 
du  parti^,  c'était  déjà  un  hommage  rendu  à  son  talent.  Cet  hon- 
neur, il  eut  à  cœur  de  montrer  qu'il  en  était  digne;  et  l'on  peut 
dire  qu'il  y  réussit.  Parmi  les  sept,  il  fut  l'un  des  plus  actifs, 
l'un  des  plus  tenaces,  l'un  des  plus  éloquents;  et  même,  sauf 
quelques  distractions,  l'un  des  plus  habiles.  Les  Catholiques 
qui  furent  ses  adversaires  en  ces  journées  mémorables,  ont 
insisté  sur  l'importance  de  son  rôle-^  Il  fut  alors  l'un  des  prin- 
cipaux champions  du  Donatisme.  A  côté  de  Petilianus,  presque 
autant  que  Petilianus,  avec  une  énergie  inflexible  et  une  mer- 
veilleuse ténacité,  il  combattit  aux  premiers  rangs  pour  la 
défense  de  son  Eglise,  qu'il  n'a  pu  sauver  sans  doute,  mais 
dont  il  a  contribué  pour  sa  part  à  honorer  la  défaite. 

1)  Gesla  cum  Emerito,   ]0.  3)   Possidius,   Vila  Augustini,   14  ;  Aii- 

2)  Collât.  Carthag.,  I,  148  et  208  ;  II,        giistin,  Contra    Gaudenlium,  II,  4  et  5  ; 
2  et  12;  III,  2,    etc.;    Augustin,    Gesta       Betract.,  II,  77. 

cum  Emerito,  2-3;  Retract.,  II,  72  et  77. 


162  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Son  attitude  fat  celle  de  tous  les  Donatistes  présents  :  une 
attitude  d'intransigeance,  de  rancune  et  de  défi.  Sa  tactique 
fut  la  tactique  qu'avait  recc^mmandée  le  concile  du  parti  :  tou- 
jours et  quand  même,  à  propos  de  tout,  l'obstruction.  Emeritus 
y  trouva  une  ample  matière  pour  son  éloquence.  D'un  bout  à 
l'autre  de  la  controverse,  pendant  les  trois  séances  et  à  tout 
moment,  sa  voix  for.te  et  mordante  retentit  dans  la  grande 
salle,  des  Thermes  de  Gargilius.  Sans  se  décourager  ni  se 
lasser,  il  multiplia  les  obstructions,  les  discours,  les  objec- 
tions, les  interruptions,  les  récriminations.  Partout  on  le  ren- 
contre et  on  l'entend  dans  ces  énormes  procès-verbaux  de  la 
Conférence,  qui  nous  ont  conservé  de  lui,  notés  par  les  sténo- 
graphes, une  trentaine  de  discours',  sans  parler  de  ses  nom- 
breuses répliques  et  de  ses  innombrables  interruptions. 

Suivons  donc  Emeritus,  le  i"  juin  411,  à  la  Conférence  de 
Carthage.  Ne  le  chicanons  pas  sur  ses  idées,  qui  sont  celles  de 
son  parti.  Acceptons  même  son  point  de  vue,  ses  principes,  ses 
préjugés,  ses  passions.  Avant  de  le  juger,  contentons-nous  de 
l'écouter. 

Son  premier  discours  est  déjà  caractéristique.  Conformément 
aux  règles  du  protocole,  la  première  partie  de  la  séance  avait 
été  remplie  par  la  lecture  de  diverses  pièces  relatives  à  la  con- 
vocation ou  au  règlement.  Enfin,  sur  l'invitation  du  président, 
le  débat  allait  commencer.  Aussitôt  Emeritus  ouvrit  le  feu. 
Avant  de  traiter  la  question  à  fond,  dit-il,  il  fallait  s'entendre 
«  tout  d'abord  sur  le  temps,  sur  le  mandaluni,  sur  la  personne, 
sur  la  cause  ;  après  cela  seulement,  on  en  viendrait  à  la  dis- 
cussion de  l'affaire  2.  »  Encore  faudrait-il  décider  si  l'on  adop- 
tait la  méthode  juridique  ou  la  méthode  ecclésiastique,  si  l'on 
produirait  des  textes  de  lois  et  autres  documents  publics  ou  des 
textes  de  l'Ecriture  ^. 

De  ces  exigences,  inspirées  par  un  savant  système  d'obstruc- 
tions, Emeritus  ne  démordit  pas  jusf[u'à  la  fin  de  la  séance, 
qui  dura  jusqu'au  soir.  D'où  une  série  de  discours.  Discours 
«  sur  le  temps  —  de  tempore  »  :  les  Catholiques,  étant  arrivés 
à  Carthage  en  retard,  après  le  délai  fixé  parles  édits,  devaient 
être  condamnés  par  défaut  ''.  Discours  sur  les  deux  méthodes  : 


1)  Collai.  Carthag..  I,  20;  22:  iW  ;  de  persona,  de  causa  ;  Iiuk  demum  ad 
:V^  ;  47  ;  77  ;  80;  147;  17.0:  II,  28;  :^3  :  iii.Tita  n.'nulii  Ncni.'iuliim  est  »  \Col- 
46;    67;    III,  15;   31»:  43;   4!i  ;  r,6  ;  8.5;  lai.  Curlhau.,  I.  2(i). 

1)1)  ;  114  ;  129  ;  \h7  ;  159  ;  188  ;  200;  225  ;  3)  Ibid.,  I,  20. 

49  ;  266  ;  278  ;  etc.  4)  Ihid..  I,  22  ;  24  :  26. 

2)  «  Primo  de  tumpore,  de  mandato, 


EMERITUS    DE    C.ESAREA 


163 


on  devait  choisir  entre  la  procédure  civile  et  la  procédure  reli- 
fdeuse  '.  Nombreux  discours  sur  le  mandatuni.  Gomme  on  in- 
vitait  les  Donatistes  à  désigner  leurs  mandataires  ',  Emeritus 
répondit  qu'on  devait  trancher  d'abord  les  questions  préjudi- 
cielles ^.  Puis  il  demanda  que  Ton  réglât  la  façon  dont  se  ferait 
la  vérification  des  signatures  du  mandatum'^  ;  il  ajoutait  qu'on 
pouvait  autoriser  tous  les  évéques  mandants  à  rester,  qu'on 
n'avait  pas  à  redouter  de  tumulte  ^.  Enfin,  au  nom  de  son  parti, 
il  présenta  le  luandatum  des  Donatistes  ^'.  Il  insista  pour  que 
l'on  procédât  régulièrement,  et  en  séance,  au  contrôle  des  signa- 
tures ".  Pendant  l'interminable  procédure  de  vérification,  il 
n'intervint  guère,  étant  l'homme  des  longs  discours,  non  des 
brèves  improvisations  :  il  prit  seulement  la  parole  à  deux  repri- 
ses, pour  reconnaître  Deuterius,  son  adversaire  catholique  de  Cœ- 
sarea  ^,  et  pour  soutenir  par  quelques  mots  ses  amis  dans  une  dis- 
•cussion  embarrassante  et  macabre  sur  la  signature  d'un  mort  9. 

Cependant,  au  milieu  de.toutes  ces  procédures  d'obstruction, 
les  heures  avaient  succédé  aux  heures  ;  la  nuit  venait,  le  prési- 
dent dut  lever  la  séance.  Les  Donatistes  avaient  atteint  leur 
objectif,  puisque  l'on  n'avait  pu  aborder  le  débat  sérieux.  Eme- 
ritus, il  est  vrai,  n'avait  pu  placer  encore  tous  ses  discours. 
Fidèle  à  son  programme,  il  avait  développé  successivement  ses 
objections  sur  -x  le  temps  »,  sur  les  deux  méthodes,  sur  le?)ian- 
datiim  '0.  Restaient  la  «  personne  »  et  la  «  cause  ».  Ce  serait 
pour  la  prochaine  séance. 

Ce  ne  fut  même  pas  pour  celle-là.  Quand  le  surlendemain, 
3  juin,  s'ouvrit  de  nouveau  la  Conférence,  on  s'aperçut  que, 
dans  l'intervalle,  les  Donatistes  avaient  imaginé  une  obstruc- 
tion nouvelle  'i.  D'accord  avec  Petilianus  de  Gonstantine, 
Emeritus  exigea  communication  préalable  du  procès- verbal  de 
la  première  séance.  Ce  fut,  pour  lui,  l'occasion  de  longs  dis- 
cours '-.  Gomme  les  sténographes  n'avaient  pu  terminer  encore 
la  transcription  en  clair  et  les  copies  du  procès-verbal,  Emeritus 
demanda  et  obtint  l'ajournement  de  la  Conférence  ^•^.  Au  nom  de 
son  parti,  il  promit  que  les  Donatistes  seraient  présents  le 
8  juin,  jour  fixé  pour  la  troisième  séance  '^. 


1)  CoUat.  Carlhag.,  I,  31  et  47. 

2)  Ibid.,  I,  32. 

3)  Ibid.,  I,  33. 
A)  Ibid.,  I,  77. 

5)  Ibid.,  I,  80. 

6)  Ibid.,  I,  147. 

7)  Ibid.,  I,  ]7.'5. 
«)  Ibid.,  1,  143. 


9)  Collât.  Carlhag.,  l,  208. 
10)  Ibid.,  I,  22;  24  ;  26  ;  31 


147  ;  175. 

11)  Ibid., 

II, 

8  ;  12  et  suiv. 

12)  Ibid., 

II, 

25  ;  28  ;  33. 

V^)  Ibid., 

II, 

46. 

14)   Ibid. 

,  11, 

(i7  et  70. 

47  ;  77 


164  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Il  ne  manqua  pas  au  rendez-vous  le  8  juin;  et  il  parla,  ce 
jour-là,  plus  que  jamais.  Il  put  développer  à  son  aise  ses  consi- 
dérations sur  la  «  personne  %  et  sur  la  «  cause  ».  Il  posa  d'abord 
une  question  préjudicielle  :  qui  était  le  demandeur  ?  qui  avait 
sollicité  et  obtenu  la  conférence  •  ?  Puis,  avec  une  insistance 
extraordinaire,  dans  toute  une  série  de  discours,  il  réclama 
communication  du  texte  de  la  requête  que  les  Catholiques 
avaient  adressée  à  l'empereur  pour  solliciter  la  convocation  de 
la  Conférence  -.  Incidemment,  il  revint  à  l'une  de  ses  objections 
antérieures,  répétant  que  c'était  aux  Catholiques  de  choisir  entre 
les  deux  méthodes  de  controverse,  par  documents  publics  ou 
textes  de  l'Ecriture  ■^.  Arrivant  enfin  à  la  «  cause  »,  il  prétendit 
qu'on  n'avait  pas  à  discuter  la  Causa  Cœciliani,  puisque  les 
Catholiques  déclaraient  n'être  pas  solidaires  de  Cœcilianus  ^. 
Restait  donc  seulement  la  Causa  Ecclesiae.  Pour  fournir  une 
base  solide  aux  débats  sur  ce  point,  Emeritus  demanda  avec  in- 
sistance au  président  de  faire  lire  la  lettre  ({ue  le  concile  dona- 
tiste  lui  avait  adressée  la  veille  en  réponse  au  mandatum  des 
Catholiques  ■'.  La  lecture  terminée,  Emeritus  réclama  la  dis- 
cussion immédiate  de  la  pièce  '\  Maladresse  insigne,  puisque 
cette  discussion  amena  enfin  le  débat  essentiel,  et  que  les  Dona- 
tistes  perdirent  ainsi  tout  le  bénéfice  de  leurs  obstructions. 
C'est  en  vain  qu'Emeritus  s'efforça  ensuite  de  rallier  la  fortune, 
en  combattant  avec  âpre  té  la  thèse  catholique  ".  Il  ne  réussit 
qu'à  compromettre  davantage  son  Eglise  par  de  nouvelles 
maladresses,  surtout  en  lançant  une  formule  malheureuse  et 
imprudente  sur  la  «  personne  »  et  sur  la  «  cause  ^  ».  Mais  nous 
ne  pouvons  suivre  l'orateur  dans  cette  partie  de  la  controverse  : 
ses  derniers  discours  se  sont  perdus,  avec  la  fia  du  procès- 
verba 1 . 

Tandis  qu'il  développait  avec  une  logique  têtue  son  syslème 
d'obstruction,  Emeritus  soulevait  autour  de  lui  bien  des  tempêtes. 
Ses  discours  ont  été  souvent  hachés  par  des  interruptions  ou  des 
protestations.  Lui-même  ne  se  gênait  pas  pour  interrompre  et 
contredire  les  avocats  de  la  partie  adverse.  D'où  une  série  d'in- 
cidents, d'intermèdes,  voire  de  querelles,  où  se  croisaient  les 
répliques,   où  la  personnalité   s'accusait  mieux  encore  dans  le 


1)  Collât.  Carthan.,   III,    15.  ',)  Cnllnt.  Caiihcfi.,  III,  24!»  ;  253  ;  255. 

2)  Ihid.,  III,  H7  ;  3'J  ;  43  ;  49  ;  56  ;  «O  ;  ti)  Ibid.,   III,  260. 

69;  78;   80-81;    85  ;  87  ;   !)7  ;  99  ;  106;  7)    Ibid.,    III,   262;  264;    266;     268; 

109  ;  114  ;  121  ;  129  ;  157  ;  159.  278. 

.3)  Ibid.,  III,  188;  200.  8)  Ibid.,  III,  372  ;  Augustin,     Ad  Do- 

4)  Ibid.,  III,  225  ot  249.  natislas  post  Collai.,  4,  4-6. 


EMERITUS    DE    C.ESAREA  165 

jeu  d'une  controverse  improvisée.  Ces  petits  dialogues,  toujours 
vifs  de  ton,  prenaient  à  l'occasion  un  tour  personnel.  Parfois  la 
querelle  semblait  près  de  tourner  au  drame,  surtout  quand  se 
dressaient  en  face  l'un  de  l'autre  Emeritus  et  Augustin. 

Les  deux  orateurs  ont  été  souvent  aux  prises  pendant  les  in- 
terminables débats  des  trois  séances.  On  les  voit  se  poursuivre 
l'un  l'autre  de  leurs  objections  ou  de  leurs  critiques,  de  leurs 
interruptions  ou  de  leurs  railleries,  dans  toutes  les  parties  de  la 
controverse  et  à  propos  de  tout  :  procédure  de  vérification  des 
signatures  ',  requête  des  Catholiques  à  l'empereur  pour  obtenir 
la  Conférence  -,  méthode  de  discussion  %  origines  du  schisme  4, 
caractères  de  la  véritable  Eglise  ^. 

Sur  cette  dernière  question,  le  débat  prit  peu  à  peu  l'allure 
d'un  duel  oratoire  entre  le  Donatiste  de  Cœsarea  et  le  Catholique 
d'Hippone.  A  la  demande  d'Emeritus,  avec  l'assentiment  de  ses 
adversaires  et  l'autorisation  du  président,  on  venait  de  lire  d'un 
bout  à  l'autre  la  longue  réponse  des  schismatiques  au  mandaium 
des  Catholiques  '^.  Emeritus  exigea  et  obtint  la  discussion  immé- 
diate de  ce  document".  Augustin  en  profita  aussitôt  pour  traiter 
à  fond  la  question  essentielle,  que  soulevait  assez  maladroite- 
ment la  lettre  :  la  Causa  Ecclesiae  ^.  Emeritus  s'aperçut  alors 
de  son  imprudence,  et  s'efforça  de  parer  le  coup.  De  concert  avec 
Petilianus,  il  essaya  d'arrêter  Augustin  en  l'interrompant  sans 
cesse,  en  contestant  avec  sa  doctrine  ses  interprétations  des 
textes  bibliques  '■^.  Malgré  tout  son  sang-froid,  l'évèque  d'Hip- 
pone finit  par  perdre  patience  :  il  se  plaignit  assez  vivement 
qu'on  ne  le  laissât  pas  parler.  D'où  une  véritable  querelle  avec 
Emeritus. 

Ce  fut  un  curieux  spectacle,  et  par  la  personnalité  des  deux 
adversaires,  et  par  le  ton,  et  par  la  nature  des  récriminations. 
On  entendit  les  deux  évoques  s'adresser  mutuellement  les  mêmes 
reproches,  s'exhorter  réciproquement  à  la  patience.  Las  de  voir 
son  discours  haché  par  des  interruptions  systématiques,  Augus- 
tin s'était  tourné  vers  le  président,  le  priant  d'assurer  à  tous  la 
liberté  de  la  parole  :  «  On  a  lu  leur  lettre,  disait-il.  De  notre 
côté,  aucun  bruit,  aucun  trouble,  aucune  interruption.  Qu'il  me 
permette  d'en  finir  avec  mes  explications  ;  après,  il  répondra. 


1)  Collât.  Carthag.,  I,  76-81.  5)  Collât.   Carthag.,   III,  260-268. 

2)  Ibid.,  III,  39-44  ;  49-50  ;  55-.56  ;  59-  6)  Ibid.,  III,  268. 
60;  78-80;  85;  97-100;  108-110;  1.Ô9-  7)  Ibid.,  III,  260. 
1*J0.  8)  Ibid.,  III,  261. 

3)  Ibid.,  m,  187-189  ;  199-201.  9)  Ibid.,  III,  262-263. 

4)  Ihid.,  III,  222-226. 


166 


LITTERATURE    DONATISTE 


Pourquoi  est-ce  qu'on  ne  nous  rend  pas  la  pareille  ?  Ta  Noblesse 
a  pu  remarquer  notre  patience,  pendant  la  lecture  de  leur  lettre 
si  longue  '.  »  Ce  mot  Aq  patience  sonna  comme  une  injure  aux 
oreilles  d'Emeritus,  qui  s'écria  :  «  11  nous  insulte,  quand  il 
parle  de  sa  patience  '.  »  —  «  Ah  !  répliqua  Augustin,  si  tu 
pouvais  être  patient,  toi  aussi,  jusqu'à  ce  que  j'aie  fini  mon 
exposé  '^  !  »  Tranquillement,  l'évêque  d'Hippone  poursuivit  son 
discours.  iNIais  bientôt  Emeritus  l'interrompit  de  nouveau,  en 
lui  jetant  à  la  tête  un  lot  de  citations  bibliques,  qui  provoquè- 
rent un  certain  tumulte  ^.  Trop  habile  pour  faire  le  jeu  de  son 
adversaire  en  prenant  au  sérieux  ces  textes,  Augustin  se  tourna 
vers  le  président,  et,  d'un  air  de  dédain  :  «  Ils  n'ont  aucune 
raison  de  m'interrompre  par  tout  ce  bruit.  Pour  leur  lettre, 
nous  aurions  pu,  nous  aussi,  faire  la  même  chose,  et  en  empê- 
cher la  lecture.  Qu'ils  aient  la  patience  d'écouter.  Que  ta  Subli- 
mité les  avertisse  de  faire  ce  qu'ils  auraient  dû  faire  d'eux- 
mêmes.  Qu'ils  écoutent  patiemment.  C'est  une  grave  question 
que  nous  traitons.  Nous  avons  entrepris  de  répondre  maintenant, 
avec  l'aide  de  Dieu,  à  leur  lettre  prolixe  ^  »  Emeritus  n'aimait 
pas  qu'on  parlât  de  prolixité.  Aussi  s'empressa-t-il  de  retourner 
l'accusation  :  «  Mais  c'est  lui,  s'écria-t-il,  c'est  lui  qui  s'étour- 
dit lui-même  par  ses  longues  dissertations  ".  »  Satisfait  de  sa 
boutade,  le  Donatiste  consentit  à  se  taire  pour  quelque  temps. 

Malheureusement  pour  lui  et  pour  son  parti,  ses  boutades  et 
ses  interruptions,  comme  ses  grands  discours,  ne  réussirent 
qu'à  retarder  de  quelques  heures  la  victoire  d'Augustin  et  des 
Catholiques.  Dans  les  années  qui  suivirent  sa  défaite,  Emeritus 
s'en  consola  comme  il  put,  en  prêchant  contre  ses  vainqueurs. 
Ici  se  révèle,  ou  plutôt  se  laisse  entrevoir,  un  autre  aspect  de 
son  talent  oratoire  :  après  l'orateur  de  concile  ou  de  conférence, 
le  sermonnaire. 

Des  sermons,  l'évêque  de  Cœsareaen  a  certainement  prononcé 
toute  sa  vie  ;  mais  sans  doute,  et  malgré  sa  réputation  d'élo- 
quence, personne  ne  prit  soin  de  les  recueillir.  En  tout  cas, 
nous  ne  possédons  aucun  renseignement  sur  ses  homélies  anté- 
rieures à  411.  Parmi  ses  sermons,  les  seuls  qui  soient  men- 
tionnés expressément  se  rapportent  à  la  dernière  période  de  sa 
vie,  entre  412  et  418  '.  Et  ce  sont  des  sermons  d'un  genre  très 


1)  CoUat.  Carlhiuj. 

2)  Hml. 

3)  //)/(/.,    III,  2(m. 

4)  Ibid.,  III,  2(i(;. 
.5)  Ibid.,  111,  207. 


m,  2(54. 


6)  Collai.  Carthn<].,   III,  2('.8. 

7)  Au^jusliii,  Seriiii)  ad  Caesareensix 
Ecclesiae  plebein,  8;  Gesia  cum  Eincrito, 
2. 


LMEHITUS    DE    CESAR EA 


167 


spécial,  qui  d'ailleurs  était  à  la  mode  chez  les  Donatistes  :  des 
sermons  polémiques,  où  la  polémique  tenait  beaucoup  plus  de 
place  que  le  sermon. 

Le  thème  principal  de  ces  homélies  était  toujours  le  même  : 
c'était  celui  de  toutes  les  homélies  donatistes.  Avant  tout,  l'ora- 
teur affirmait  avec  énergie,  et  il  essayait  de  démontrer,  que  son 
Eglise  était  la  véritable  Eglise  catholique,  l'Eglise  du  Christ, 
tandis  que  l'autre,  l'Eglise  officielle  soi-disant  catholique,  était 
simplement  l'Eglise  du  Diable  K  Mais,  à  ce  vieux  cliché  de  la 
secte,  s'en  ajoutait  maintenant  un  nouveau  :  les  récriminations 
contre  la  sentence  du  juge  -.  Emeritus  fut  de  ceux  qui  ne  s'incli- 
nèrent jamais  devant  l'édit  d'union,  qui  jusqu'au  bout  s'obsti- 
nèrent dans  le  schisme  -K  Jamais,  non  plus,  il  ne  renonça  com- 
plètement à  l'espoir  d'un  retour  de  fortune,  d'une  restauration 
miraculeuse,  comme  on  en  avait  vu  jadis  dans  l'histoire  du 
Donatisme  ^.  Pour  réserver  l'avenir,  il  s'efforça  de  rallier.autour 
de  lui  ses  fidèles  en  déroute.  C'est  pour  cela*qu'il  entreprit  sa 
campagne  de  sermons.  Tant  qu'il  put  rester  à  Cœsarea,  il  parla 
dans  sa  chaire  épiscopale.  Proscrit  après  la  dissolution  de  sa 
communauté,  il  continua  de  prêcher  :  là  où  il  pouvait,  aux  en- 
virons de  la  ville,  dans  les  bourgs  de  son  diocèse,  et  même,  sem- 
ble-t-il,  dans  d'autres  régions  de  la  Maurétanie  ^.  Partout  où  il 
prenait  la  parole,  c'était  pour  protester  contre  la  condamnation 
inique  dont  avait  été  frappée  son  Eglise.  Il  fulminait  surtout 
contre  le  président  de  la  Conférence,  qui,  disait-il,  était  un  juge 
prévaricateur.  Catholique  lui-même,  Marcellinus  s'était  laissé 
acheter  par  les  Catholiques.  Pendant  tout  le  cours  des  débats, 
il  avait  montré  une  partialité  révoltante  :  refusant  ou  coupant  la 
parole  aux  Donatistes,  les  empêchant  de  s'expliquer,  d'éta- 
blir leur  bon  droit.  Il  les  avait  condamnés  sans  tenir  aucun 
compte  de  ce  qu'avaient  pu  dire  leurs  avocats,  ni  des  pièces 
qu'ils  produisaient  ".  Dans  ces  conditions,  le  devoir  des  fidèles 
était  tout  tracé  :  ils  devaient  considérer  comme  non  avenu  l'édit 
d'union  et  continuer  à  vivre  à  part,  en  attendant  le  jour  de  la 
justice,  le  jour  où  Dieu  interviendrait  pour  réformer  le  jugement 
des  hommes. 

Tel  était,  entre  412  et  418,  le  contenu  monotone  des  sermons 


1)  Ad  Donatistas  post  CoUat.,  17,  21  ;  £'m(?r;7o,  2  ;  Possidius,  Vila  Augustini,H. 
19,  25  et  su'w .  ;  Sermo  ad  Caesareensis  3)  Augustin,  Contra  Gaudentium,  I, 
Ecclesiae  plebern,  8.  14,   15. 

2)  Retract.,  II,  66  ;  Eplst.  141,  1  et  12  ;  4)  Optât,  II,  Ki  et  suiv. 

Ad   Donatistas  post  Collât.,  1  ;  4,  6  ;  11,  5)  Augustin,  Gesta  cum  Emerito,  2; 

15   et  suiv.  ;  23,  39;  34,  57  ;  Ge.ita   cum  6)  Ibid.,  2. 


168  LITTÉRATURE    DO>\TISTE 

d'Emeritus.  Du  texte  même  de  ces  sermons,  nous  ne  possédons 
que  de  très  courts  fragments.  Ce  sont  surtout  des  phrases  où, 
comme  dit  Augustin,  le  Donatiste  «  blasphémait  publiquement 
contre  l'Eglise  de  Dieu  »,  La  véritable  Eglise,  s'écriait  Eme- 
ritus,  «  c'est  la  nôtre,  celle  de  notre  parti  «  ;  quant  à  la  préten- 
due Eglise  catholique,  «  c'est  une  courtisane  —  merelrix  '  ». 
On  reconnaît  ici  l'orateur  de  411,'  l'homme  au  ton  tranchant, 
aux  formules  agressives.  Mais  ces  fragments,  comme  les  rensei- 
gnements sommaii'es  sur  le  contenu  des  homélies,  ne  sauraient 
nous  donne]'  une  idée  précise  et  complète  du  sermonnaire.  Pour 
apprécier  l'éloquence  d'Emeritus,  il  faut  en  revenir  à  ses  dis- 
cours de  Cartilage. 

Dans  ces  discours  d'un  sectaire,  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter 
beaucoup  aux  idées  ni  aux  méthodes  de  discussion.  C'est  qu'on 
n'y  relève  presque  rien  de  personnel.  Les  idées  sont  conformes 
aux  principes  et  aux  traditions  du  parti  ;  les  méthodes  de  con- 
troverse sont  celles  qui  avaient  été  adoptées  en  commun  dans 
le  concile  donatiste  2.  Tout  cela  se  retrouve  donc  chez  tous  les 
orateurs  schismatiques  de  la  Conférence. 

De  même,  le  svstème  d'obstruction,  considéré  dans  ses  traits 
essentiels,  n'appartient  en  propre  à  aucun  des  mandataires  dona- 
tistes.  Si  l'on  examinait  à  part  tel  ou  tel  discours,  on  pourrait 
être  tenté,  soit  d'exagérer  l'importance  des  initiatives  oratoires 
d'Emeritus,  soit  de  lui  attribuer  des  chicanes  dont  il  n'est  pas 
seul  responsable.  Par  exemple,  on  pourrait  le  soupçonner  de 
manquer  de  franchise  et  de  loyauté  :  il  déclare  hautement  qu'on 
doit  chercher  seulement  la  vérité,  tandis  qu'il  s'efforce  de  mas- 
quer cette  vérité  en  déplaçant  la  question-'.  Mais  cela,  encore, 
faisait  partie  du  plan  des  Donatistes,  de  la  tactique  recomman- 
dée par  leur  concile. 

Les  maladresses  mêmes  d'Emeritus  ne  lui  sont  pas  toutes 
imputables.  Quand  il  réclamait  la  lecture  et  la  discussion  de 
la  lettre  des  évêques  donatistes  au  président  de  la  Conférence, 
il  agissait  conformément  à  ses  instructions  '*.  Pourtant,  il 
semble  bien  être  personnellement  responsable  de  certaines 
déclarations  très  maladroites.  A  propos  de  la  comparaison 
qu'établissaient  les  Catholiques,  entre  la  condamnation  de  Cœci- 
lianus  par  les  dissidents  de  312  et  la  condamnation  de  Primia- 

nus  par  les  Maximianistes  de  393,  c'est  Emeritus  ({ui  lança  cette 

0 

1)  Senno  ad  Caesareensis  Ecclesiae pie-       I,     4    cl    1 1  ;  H  ,    2    ;    111,      8,     10-14. 
bem,  8.  3)  CoUat.  Carlhaij.,  1,  2(i  ;  47  ;  77  ;  80  ; 

2)  Collai.   Carlhay.,    1,  14  cl  14.S  ;    11,        III,  56;  114;  etc. 

12  ;  m.  258  ;  Au-usliii,  Brevic.  Collai.,  4)  Ibid.,  111,  249  ;  253  ;  260. 


EMERITUS    DE    C.ESAREÀ  169 

imprudente  t'ormiilo  :  «  Une  cause  ne  préjuge  pas  pour  une 
cause,  ni  une  personne  pour  une  personne  '.  »  C'était  la  néga- 
tion du  principe  sur  lequel  reposait  tout  le  Donatisme.  Là-des- 
sus, Augustin  n'a  pas  manqué  de  triompher  :  «  Avons-nous 
donc  corrompu  cet  évêque  si  estimé  de  vous,  votre  illustre 
défenseur,  pour  le  décider  à  parler  ainsi  en  notre  faveur  -  ?  » 
Ici,  évidemment,  l'avocat  du  Donatisme  a  été  dupe  de  sa  for- 
mule. C'est  une  grosse  erreur  de  tactique,  mais  qui  n'a  rien  à 
voir  avec  le  talent  de  l'orateur. 

Pour  juger  de  son  éloquence,  on  doit  considérer  surtout  la 
mise  en  œuvre  de  ces  idées,  oii  de  ces  procédés  de  discussion, 
qui  pour  la  plupart  ne  lui  appartenaient  pas  en  propre.  De  ce  point 
de  vue,  on  voit  se  dégager  assez  nettement  la  personnalité  ora- 
toire d'Emeritus. 

Tout  d'abord,  il  avait  le  don  essentiel  :  un  tempérament 
d'orateur.  Il  aimait  la  parole.  Il  aimait  aussi  à  se  mettre  en 
scène.  Il  avait  de  l'autorité,  une  voix  forte  et  de  bons. poumons  ; 
il  savait  se  faire  écouter,  forcer  l'attention.  Il  savait  égale- 
ment donner  à  son  idée  le  relief  oratoire,  qui  en  double  l'effet 
sur  le  public.  De  ce  système  d'obstruction,  qui  avait  été  arrêté 
d'avance  dans  les  conciliabules  donatistes,  il  tirait  en  séance 
tout  le  parti  possible.  Il  présentait  si  bien  à  propos  les  objec- 
tions convenues,  qu'il  avait  l'air  de  les  improviser;  et  il  les 
développait  avec  tant  d'insistance,  qu'il  les  imposait  à  la  dis- 
cussion -^  A  tous  ces  traits,  l'on  reconnaît  un  orateur  de  nature, 
qui  dès  le  premier  mot,  dès  le  premier  geste,  attire  les  regards 
et  maîtrise  les  oreilles. 

Ce  qui  dominait  dans  l'éloquence  d'Emeritus,  c'était  la  véhé- 
mence du  ton,  les  éclats  de  voix,  de  colère  ou  de  rancune.  A 
l'àpre  énergie,  à  la  conviction  farouche,  qu'il  avait  en  commun 
avec  la  plupart  de  ses  confrères  schismatiques,  il  joignait  une 
ardeur  passionnée.  Mais  il  n'était  pas  seulement  un  tribun, 
capable  d'enlever  les  foules  ;  il  avait  en  outre  les  habiletés  pro- 
fessionnelles d'un  orateur  de  métier,  formé  dans  les  écoles,  à 
bonne  école.  En  effet,  malgré  ses  maladresses,  accidentelles, 
erreurs  de  tactique,  ou  aveux  échappés  au  sectaire  dans  une 
minute  d'emportement,  il  était  habile  homme  dans  ses  discours, 


1)  Collât.  Carlhag.,  III,  372.  obtenir  la  convocation  de  la  conférence 

2)  Augustin,  ^d  Donatistas  post   Col-  {Collât.    Carthag.,    III,  37  ;  39  ;  43  ;  49  : 
lat.,  4,  (i.  56  ;    60  ;    69  ;  78  ;    80-81  ;    85  ;   87  ;  97  ; 

3)  Piir    exemple,    quand    il  réclamait  99;    106;    109;    114;    121;   129;    157; 
comniuaicatioii   de   l:i  requête  adressée  159J. 

par  les   Callioliques   à  l'empereur  pour 


170  LITTÉRATURE    DONATISTE 

ingénieux  sophiste,  avocat  retors  et  rarement  à  court.  De  lui- 
même,  tout  en  parlant,  il  raffinait  sur  le  système  de  chicanes 
qu'il  avait  adopté  de  concert  avec  ses  amis  :  des  obstructions 
convenues,  il  tirait  des  obstructions  nouvelles,  des  difficultés 
inattendues ^  Enfin,  au  milieu  des  débats  les  plus  vifs,  sous  le 
feu  croisé  des  objections  et  des  ripostes,  il  conservait  le  souci 
de  la  forme.  Ses  discours  étaient  bien  ordonnés;  tout  s'y  enchaî- 
nait logiquement.  Dans  le  détail  du  style,  rien  n'était  laissé  au 
hasard.  Les  périodes  dominaient,  généralement  longues,  claires 
pourtant,  assez  bien  construites,  assez  harmonieuses.  Avec  les 
périodes  alternaient,  d'ailleurs,  des  phrases  plus  courtes  :  de 
petites  phi-ases  incisives,  menaçantes,  agressives,  hérissées  de 
pointes,  d'interrogations  ou  d'exclamations  ironiques,  aux  airs 
de  défi.  Sur  la  trame  de  ce  style  oratoire,  pour  en  varier  l'effet 
et  en  éclairer  les  contours,  se  détachaient  en  relief  les  méta- 
phores, les  comparaisons,  les  formules  à  antithèses,  les  traits 
d'esprit. 

Voilà,  semble-t-il,  bien  des  mérites.  Mallieureusement,  ces 
brillantes  qualités  ont  pour  contre-partie  des  défauts  très  cho- 
quants, qui  font  grand  tort  à  l'orateur,  et  qui  même,  à  la  lecture, 
rendent  ses  discours  assez  fastidieux. 

Le  pédantisme,  d'abord  :  un  pédantlsme  complexe  de  bel- 
esprit  sectaire.  Emeritus  était  trop  content  de  lui-même  ;  et 
cette  satisfaction  personnelle,  (jui  éclate  dans  tous  ses  discours, 
finit  par  agacer  le  lecteur.  Modestement,  il  prétendait  au  mono- 
pole de  toutes  les  vertus  et  de  tous  les  talents.  Tour  à  tour,  il  se 
posait  en  juriste,  en  rhéteur,  en  exégète  impeccable,  en  apôtre 
de  la  vérité,  en  représentant  des  traditions  évangéliques  comme 
des  traditions  oratoires,  en  champion  du  droit  comme  de  la 
grammaii-e  ^.  Prétention  naïve  de  bel-esprit,  mais  qui,  pour  le 
fond,  ti'ahissait  une  science  superficielle,  et  qui,  dans  la  forme, 
poussait  l'orateur  aux  raffinements  de  tout  genre,  subtilités, 
métaphores  ambitieuses,  antithèses  forcées,  comparaisons  affec- 
tées, jeux  de  mots,  emphase  ou  mauvais  goût. 

De  cette  prétention  universelle,  voici  un  exemple  assez  amu- 
sant, dans  une  petite  scène  qui  peint  l'homme.  Comme  de  toute 
chose,  Emeritus  s'érigeait  en  juge  delà  bonne  prononciation,  de 
la  diction  cori-ecte,  de  la  ponctuation.  D'où  une  curieuse  sortit; 
contre    un  malheureux    greffier,    ({ui    manquait  aux  préceptes 


1)  Collât.    CartIuKj.,    1,   20  ;    22  ;  24  ;        43  ;  56  ;  85  ;   1 14  ;  188  ;  2(Kl  ;  225  ;   24'J  ; 
26  ;  31  ;  33  ;  47  ;  77  ;  «0  ;  t;tc.  255  ;  266. 

2)  Ibid.,  I.  20  ;    31  ;  33  ;  47  ;    111,  15  ; 


EMERITUS   DE    C.ESAREA  171 

de  l'école.  L'évêque  de  Ciesarea  venait  d'obtenir  du  président 
([u'on  lût  en  séance  la  réponse  du  concile  donatiste  au  niandatum 
des  Catholiques'.  L'un  des  greffiers,  un  certain  Romulus,  com- 
mença donc  la  lecture  du  document  2.  Il  avait  à  peine  lancé 
•  [uelques  mots,  quand  on  lui  coupa  la  parole.  Emeritus,  qui 
sans  doute  avait  collaboré  à  la  rédaction,  trouvait  que  le  greffier 
lisait  mal  et  ne  faisait  pas  valoir  la  pièce  :  «  Il  ne  sait  pas  lire, 
s'écria-t-il  ;  il  ne  sépare  pas  les  phrases  3.  »  Petilianus  crut  devoir 
préciser  le  sens  de  la  critique  :  «  Ou  ne  doute  pas  de  la  bonne 
foi  de  VOfficiuin,  on  lui  reproche  sa  diction'*.  »  Avec  le  consen- 
tement des  Catholiques,  le  président  dut  autoriser  les  Donatistes 
à  remplacer  le  pauvre  Uomulus  par  un  lecteur  plus  habile,  un 
évéque  de  leur  parti  ^.  Le  pédantisme  d'Emeritus  eut  donc  gain 
de  cause.  Mais  que  penser  de  cet  évèque,  préoccupé  de  belle 
diction  dans  ce  moment  solennel  qui  allait  décider  de  la  vie  ou 
de  la  mort  de  son  Eglise  ? 

Un  autre  défaut,  non  moins  choquant,  c'est  l'abus  invraisem- 
blable des  redites.  Pour  chacune  de  ses  obstructions,  Emeri- 
tus répétait  dix  fois  la  même  chose,  presque  dans  les  mêmes 
termes.  Lui-même  en  convenait:  «  Les  choses,  dit-il,  qui  se 
rapportent  à  la  cause,  je  ne  rougis  pas  de  les  répéter  souvent'^'.  » 
C'était  un  moyen  d'insister,  de  forcer  l'attention.  Dans  la  pen- 
sée de  l'orateur,  c'était  sans  doute  une  habileté  ;  mais,  dans 
ses  discours,  c'était  sûrement  un  défaut.  Chez  lui,  d'ailleurs,  la 
manie  de  se  répéter  s'expliquait  aussi  par  une  habitude  d'esprit, 
née  de  la  répétition  même  ;  il  redisait  les  choses,  tout  simplement, 
parce  qu'il  les  avait  déjà  dites.  De  là  vient  que  son  œuvre  ora- 
toire, malgré  toutes  les  qualités  brillantes,  laisse  une  impres- 
sion de  monotonie. 

Ce  qui  aggrave  encore  cet  effet  de  monotonie,  c'est,  dans 
chaque  discours  pris  à  part,  la  lenteur  du  développement.  Tou- 
jours des  longueurs,  la  redondance,  une  prolixité  verbeuse". 
(iCtte  lenteur  à  évoluer  est  surprenante  chez  un  homme  qui, 
dans  le  détail,  savait  donner  à  son  idée  un  tour  assez  vif.  En 
cela,  sans  doute,  il  subissait  encore  l'influence  de  l'école,  peut- 
être  aussi  de  ses  études  d'exégèse.  Toujours  il  voulait  procé- 
der dans  les  règles,  sans  rien  omettre  ni  rien  laisser  dans 
l'ombre,  comme  s'il  doutait  de  l'intelligence  de  son  public,  ou 

1)  Collai.  Carthag.,  III,  249.  sed  de  pronuntiatione  »  {ibid.,  III,  256). 

2)  Ibid.,  III,  251  et  254.  5)  Ibid.,  III,  25C-257. 

3)  ((  Non  legit,  non  distinguit  sensus  ))  6)  Ibid.,  III,  157. 

[ibid.,  111,  255).  7)  Ibid.,   I,  47  et  80;  II,  28;   III,  43; 

4)  «    Non    de    fide   dubitatur    Officii,       85;  114  ;  188  ;  200;  225. 


172 


LITTERATURE    DONATISTE 


.  de  la  sienne.  Naturellement,  avec  ces  allures,  il  n'allait  pas 
vite,  quoiqu'il  aimât  à  se  donner  des  airs  dégagés.  Dans  chaque 
controverse,  il  procédait  04^dinairement  par  longs  discours  ; 
dans  chaque  discours,  par  longs  développements;  dans  chaque 
développement,  par  longues  périodes.  Et,  de  toutes  ces  lon- 
gueurs, sortait  parfois  un  long  ennui. 

Les  premiers  qui  s'en  soient  aperçus  sont  naturellement  ses 
auditeurs,  qui  du  reste,  en  majorité,  étaient  ses  adversaires. 
Possidius  de  Galama,  qui  avait  la  dent  assez  dure,  n'hésita  pas 
à  traduire  tout  haut  son  impression.  Emeritus  était  en  train  de 
distiller  une  longue  et  verbeuse  harangue ',  quand  Possidius 
lui  décocha  soudain  ce  trait  biblique  :  «  On  lit  dans  l'Ecriture  : 
«  Par\le  bavardage,  tu  n'éviteras  pas  le  péché  ».  Ce  précepte, 
nous  l'avons  toujours  devant  les  yeux  ;  aussi,  grâce  à  Dieu,  nous 
ne  voulons  pas  paraître  verbeux.  C'est  pourquoi,  s'il  vous  plaît, 
venons  à  la  cause-.  »  Du  coup,  Emeritus  oublia  pour  un  moment 
la  suite  de  son  discours.  Il  riposta  par  un  autre  verset:  «Puis- 
qu'on allègue  l'Ecriture,  elle  nous  dit  aussi  :  «  La  sagesse 
cachée  est  un  trésor  invisible...  Quelle  utilité  dans  l'un  et 
l'autre  ^  ?  »  —  «  Jamais,  répliqua  Possidius,  jamais  dans  le 
bavardage  n'a  consisté  la  sagesse'*.  »  Quand  on  a  lu  les  discours 
d'Emeritus,  on  s'explique  l'impatience  de  Possidius. 

Un  auti'e  jour,  c'est  Augustin  qui  tourna  en  ridicule  la  pro- 
lixité du  Donatiste.  Pour  couper  court  aux  chicanes  des  scliis- 
matiques,  l'évêque  d'Hippone  les  iuA'itait  à  s'expliquer  nette- 
ment, d'un  mot,  sur  l'objet  du  débat  :  «  Donc,  répondez  à  la 
question.  Renoncez-vous  à  vos  griefs  contre  les  traditeurs  ? 
Qu'ils  répondent  à  notre  question  brève  ^.  »  Emeritus  alors,  au 
nom  de  son  parti:  «  Bi-ève  est  sa  demande,  comme  il  dît: 
brève  doit  être  notre  réponse'''.  »  Et  il  entama  un  discours  de 
sa  façon,  verbeux,  interminable.  —  «  Oh  !  la  brève  réponse  ! 
dit  Augustin.  Que  de  paroles  !  Mais  on  n'y  découvre  pas  la 
réponse  ^.  »  On  voit  l'effet  que  produisaient  les  longs  discours 
d'Emeritus,  au  moins  dans  le  camp  des  Catholiques. 

Le  plus  piquant  de  l'affaire,  c'est  ((u'I^nciritus  lui-même, 
sans  y  prendre  garde,  s'est  moqué  de  son  défaut.  Dans  la 
deuxième  séance  de  la  Conférence,  pour  faire  ajourner  le  débat 
sérieux,  il  réclamait  avec  insistance  la  communication  du  pro- 
cès-verbal, (ju'il  savait  n'être  pas  encore  mis  au  net,  de  la  pre- 


1)  Collai.  CarUuuj. 

2)  ihid.,  ir,  21». 

3)  Ibid.,  11,  30. 

4)  Ihid.,  II,  31. 


Il,  28. 


."5)  Collai.  Cnrlhwj. 

6)  Ibid.,  III,  20(1. 

7)  Ihid.,  111,  201. 


III,  199. 


EMERITUS    DE    C.ESAIIEA  173 

mière  séance  '.  Afin  de  justifier  cette  demande,  il  déclarait  qu'il 
avait  l'esprit  lent,  qu'il  manquait  de  mémoire.  Contrairement  à 
son  habitude,  il  traçait  de  lui-même  ce  portrait  peu  flatteur  : 
«  Sans  doute,  il  y  a  des  esprits  vifs  et  prompts,  capa])les  de  sai- 
sir aisément  par  l'œil  ou  par  l'oreille  tout  ce  qu'on  porte  à  leur 
connaissance.  Mais  c'est  le  privilège  de  gens  doctes  ou  érudits, 
vu  la  qualité  de  ce  don.  Pour  moi,  je  le  déclare,  je  ne- suis  pas 
capable  de  cela.  Comment  saisir  au  passage  le  mot  qui  s'envole 
et  la  parole  qui  s'écoule  ?  Comment  les  retenir  dans  sa  pensée 
ou  les  bien  concevoir,  noble  juge  ?  Pour  tout  commentaire, pour 
toute  discussion,  il  faut  étudier  sérieusement  et  les  mots  et  les 
idées  et  le  fond  de  l'affaire.  Quand  on  nous  lit  une  page  et  que 
les  mots  s'envolent,  comme  emportés  par  le  vent,  nos  esprits 
ne  peuvent  ni  les  saisir  ni  les  retenir.  Où  a-t-on  pu  le  faire,  et 
qui  ?  S'il  y  a  des  gens  qui  jouissent  de  cet  heureux  privilège, 
qu'ils  ne  se  vantent  pas  orgueilleusement  de  leur  mémoire. 
Quant  à  moi,  j'ai  besoin  de  revoir  souvent  les  choses  etdem'ins- 
truire  par  une  longue  lecture,  afin  de  trouver  la  preuve  de  la 
vérité,  afin  de  relire  ce  que  j'ai  dit  et  de  noter  les  objections  de 
l'adversaire-.  »  En  relisant  son  portrait  dans  le  procès-verbal, 
l'orateur  dut  s'étonner  un  peu  de  sa  modestie. 

Assurément,  quand  il  se  disait  si  lent  d'esprit,  Emeritus  exa- 
gérait pour  les  iDesoins  de  la  cause  :  il  jouait  une  comédie  de 
circonstance.  Cependant,  sans  y  songer,  il  indiquait  là  un  dé- 
faut très  visible  de  son  éloquence,  comme  de  son  esprit  :  une 
certaine  lenteur  dans  le  discours,  comme  dans  l'action.  Malgré 
ses  dons  oratoires,  il  était  lent  à  s'expliquer:  de  même  que, 
malgré  son  énergie,  il  était  lent  à  se  décider,  lent  à  agir.  Nous 
Talions  voir  plus  lent,  encore,  à  se  convertir. 


III 


Emeritus  aux  conférences  de  Caîsarea  en  418.  —  Mission  d'Augustin  à  Cae- 
sarea.  —  Sa  rencontre  et  sa  conversation  avec  Emeritus,  le  18  septem- 
bre. —  L'évèque  donatiste  à  l'église  catholique.  —  Paroles  prononcées  par 
Emeritus  en  entrant  dans  l'église.  —  Accueil  des  fidèles.  —  Sermon 
d'Augustin  en  présence  du  Donatiste.  —  Obstination  silencieuse  d'Eme- 
ritus.  —  La  conférence  du  20  septembre  ^IS.  —  Public  de  la  conférence. 
—  Emeritus  invité  à  s'expliquer.  —  Ses  courtes  répliques,  suivies  d'un 
mutisme  farouche.  —  Exhortations  et  railleries  d'Augustin.  —  Déroute 


1)  Collât.  Carthay.,  II,  25.  2)  Collât.  Carthag.,  II,  28. 

VI.  12 


174  LITTÉRATURE    DONATISTE 

du  Donatisme  à  Caîsarea.  —  Retentissomont  rie  ces  conférencos  en  Afrique. 
—  Comment  peut  s'expliquer  lattitude  d'Emeritus.  —  L'orateur  devenu 
muet. 


Autant  Emeritus  s'était  montré  bavard  en  411  à  la  Conférence 
de  Cartilage,  autant  il  fut  discret  en  418  à  la  Conférence  de 
Cœsarea.  Quand  on  conuait  l'orateur  et  sa  faconde,  rien  de 
plus  étrange  ({ue  cette  nouvelle  attitude,  ce  mutisme  boudeur, 
après  cette  éloquence  verbeuse  au  flot  intarissable. 

Dans  l'été  de  l'année  418,  Augustin  fit  un  assez  long  séjour 
à  Cœsarea  ^  Il  y  était  venu  comme  légat  du  pape  Zosime,. avec 
deux  de  ses  collègues  et  amis,  Alype  de  Thagaste  et  Possidius 
de  Calama,  pour  régler  des  affaires  ecclésiastiques^.  Aa'cc  cette 
mission  des  trois  Numides,  coïncidait  probablement  la  convoca- 
tion d'un  concile  de  Césarienne  ;  à  ce  moment,  en  effet,  la  plu- 
part des  évêques  de  la  province  se  trouvaient  réunis  à  Ctesa- 
rea^.  Pendant  ce  séjour  dans  la  capitale  de  la  Maurétanie, 
Augustin  prêcha  de  temps  à  autre.  Il  entreprit  notamment  une 
campagne  contre  une  coutume  barbare  et  singulière,  qui  pério- 
diquement ensanglantait  la  ville.  A  l'occasion  de  quelque 
fête  anniversaire,  les  habitants  se  divisaient  en  deux  camps, 
citoyens  contre  citoyens,  parents  contre  parents  ;  pendant  plu- 
sieurs jours,  on  se  battait  à  coups  de  pierres,  et,  régulièrement, 
il  y  avait  beaucoup  de  victimes.  C^est  ce  qu'on  appelait  «  la 
Mêlée  —  Caterva  ».  Par  ses  exhortations  pressantes,  l'évéque 
d'IIippone  réussit  à  inspirer  aux  gens  de  Ctesarea  une  telle 
honte  de  ces  sauvageries,  qu'ils  renoncèrent  définitivement  à 
leur  mêlée  traditionnelle '*.  C'était  un  beau  succès  pour  des  ser- 
mons. Le  bruit  s'en  répandit  dans  toute  la  contrée,  pour  la  plus 
grand(^  gloire  du  serm(mnaire. 

Emeritus,  qui  dej)uis  son  exil  se  tenait  caché  aux  environs 
de  la  ville  ou  tournait  autour,  apprit  un  jour  que  l'évéque  d'IIip- 
pone était  à  CîXisarea.  11  voulut  revoir  son  grand  adversaire  de 
411.  Il  se  risqua  donc  dans  sa  ville  épiscopale,  où  d'ailleurs  il 
s'aventurait  parfois  sans  être  inquiété  par  la  police.  Informé  de 
sa  présence,  Augustin  se  mit  à  sa  recherche,  hanté  toujours 
par  l'ambition  de  convertir  le  célèbre  schismalique.  Les  deux 
cvêques  se  rencontrèrent,  le  18  septembre,  sur  la  grande  place 


1)  Augustin,    E\)hl.    li)(),    1  ;    193,  1  ;  guxtini,  14. 

!).■  doclrina  clu-iaiidim,  IV,  24,  53;    (Jon-  3)  Augustin,    Gt's(a    cnin    Jùnerilo,    1; 

/•'(  Gaudenlium,  I,  11,  là;    liclracl.,    Il,  rielract.,  U,  77. 

77.  4^  De  doclriiHi  cliri^tiana,  1\',  24,  53. 

2)  Episl.  190,  1  ;    Possidius,    Vila    Au- 


EMERITUS    DE    C.IÎSAHEA  175 

de  la  cité.  Ils  s'abordèrent  et  se  saluèrent  en  gens  de  bonne  com- 
pagnie. Tout  en  causant,  ils  s'acheminèrent  vers  la  cathédrale. 
Une  fois  devant  la  porte,  Augustin  invita  son  interlocuteur  à 
entrer  avec  lui  dans  l'église.  Il  fut  un  peu  surpris,  sans  doute, 
de  voir  qu'Emeritus  y  consentait  aussitôt,  de  très  bonne  grâce. 
Du  coup,  il  escomptait  déjà  la  conversion  du  Donatiste  '. 

L'église  était  pleine  de  fidèles,  dont  la  foule  se  grossit  encore 
d'un  flot  de  curieux,  même  de  dissidents.  Tous  les  yeux,  natu- 
rellement, se  tournèrent  vers  l'apparition  inattendue.  Les  vieux 
Catholiques  exultaient  ;  les  Donatistes  intransigeants  prenaient 
des  attitudes  de  gens  que  va  frapper  la  foudre  ;  les  convertis 
de  la  veille  attendaient  dans  une  muette  anxiété.  Sur  le  seuil 
du  sanctuaire,  Emeritus  s'arrêta  soudain,  comme  interdit.  Len- 
tement, d'un  air  de  défi,  il  prononça  ces  paroles  énigniatiques  : 
«  Je  ne  puis  pas  ne  pas  vouloir  ce  que  vous  voulez,  mais  je 
peux  vouloir  ce  que  je  veux-.  »  Puis  il  alla  s'installer  dans  un 
coin,  et  ne  souffla  mot.     ' 

Le  public  attendait  toujours.  La  plupart  des  fidèles  n'avaient 
pas  entendu  l'oracle  d'Emeritus  ;  les  autres  n'y  avaient  rien 
compris.  Devant  le  mutisme  de  plus  en  plus  farouche  du  Dona- 
tiste, Augustin  se  décida  à  prêcher.  Il  prit  comme  thème  de  son 
sermon  les  paroles  que  venait  de  prononcer  l'évêque  schisma- 
tique  en  entrant  dans  Téglise  :  «  L'allégresse  de  votre  Charité, 
dit-il,  me  cause  une  grande  joie,  vous  le  voyez.  Nous  exultons 
dans  le  Seigneur  notre  Dieu...  Nous  rendons  grâces  à  notre 
Seigneur  et  Sauveur  Jésus-Christ.  Nous  devons  à  Dieu  ce  bien- 
fait :  avant  même  de  connaître  la  volonté  de  notre  frère  Emeri- 
tus,. nous  savons  combien  il  aime  l'unité.  Les  premières  paroles 
que,  par  la  volonté  de  Dieu,  nous  avons  entendues  de  la  bouche 
d'Emeritus,  ces  paroles,  les  voici.  Dès  son  entrée  dans  cette 
église,  se  tenant  debout  à  l'endroit  où  nous  avons  commencé 
de  nous  entretenir  avec  lui,  inspiré  par  le  Seigneur  qui  instruit 
le  cœur  et  dirige  la  langue,  Emeiitus  nous  a  dit  :  «  Je  ne  puis 
pas  ne  pas  vouloir  ce  que  vous  voulez,  mais  je  peux  A^ouloir  ce  que 
je  veux  )).  Voyez  ce  qu'il  a  promis,  en  déclarant  qu'il  ne  pouvait 
pas  ne  pas  vouloir  ce  que  nous  voulons.  S'il  ne  peut  pas  ne  pas 
vouloir  ce  que  nous  voulons,  c'est  qu'il  sait  ce  que  nous  vou- 
ions. Ce  que  nous  voulons,  c'est  ce  que  vous  voulez,  vous  aussi. 
Et,  tous,  nous  voulons  ce  que  veut  le  Seigneur.  La  volonté  du 


1)  Gesta  cum  Emeriio,  1  ;  Contra  Gaii-       sed  possum    velle    quod    volo  »  {Serino 
dentium,  I,  14,  15.  ad  Caesareensis  Ecdesiae  plebem,  I). 

2)  «  Non   possum    nolle  quod  vultis, 


176  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Seigneur  n'a  rien  de  mystérieux.  Nous  lisons  le  Testament  de 
celui  qui  a  fait  de  nous  ses  cohéritiers  ;  on  y  lit  :  «  Je  vous 
donne  ma  paix,  je  vous  laisse  ma  paix  '.  »  Donc,  tôt  ou  tard, 
Emeritus  ne  peut  pas  ne  pas  vouloir  ce  que  nous  voulons.  Ce 
qui  nous  fait  prévoir  quelque  délai,  c'est  In  seconde  partie  de 
sa  déclaration:  «  Je  peux  vouloir  ce  que  je  veux...  »  Il  veut 
maintenant  ce  qu'il  veut  ;  mais,  ce  qu'il  veut,  Dieu  ne  le  veut 
pas.  Que  veut  maintenant  Emeritus  ?  Rester  en  dehors  de  l'Eglise 
catholique,  rester  dans  la  communion  du  parti  de  Douât,  rester 
dans  le  schisme...  Mais,  cela.  Dieu  ne  le  veut  pas...  Donc, 
Emeritus  peut  vouloir  ce  qu'il  veut,  mais  pour  un  temps,  pour 
une  heure  ;  c'est  par  respect  humain,  non  par  raison,  qu'il  peut 
vouloir  ce  qu'il  veut...  Ne  vous  incjuiétez  donc  pas,  mes  frères, 
de  le  voir  pour  quelque  temps  vouloir  ce  qu'il  veut  ;  mais  priez 
pour  qu'il  fasse  ce  qu'il  a  promis,  pour  qu'il  ne  puisse  pas  ne  pas 
vouloir  ce  que  nous  voulons-^.  » 

A  ce  moment,  l'orateur  est  interrompu  par  les  bruyantes 
manifestations  du  public,  qui  commence  à  s'étonner,  à  s'impa- 
tienter du  mutisme  obstiné  d'Emeritus.  De  toutes  parts,  on 
crie  dans  l'église:  «  Ou  ici,  ou  nulle  part  —  Aiit  hic  aut  nus- 
quam^ /  » 

Dès  que  le  silence  s'est  rétabli,  Augustin  reprend,  en  com- 
mentant cette  fois  les  acclamations  du  public:  «  Vous  qui,  par  M 
vos  voix,  avez  manifesté  vos  sentiments,  aidez-nous  aussi  par  ■ 
vos  prières.  Le  Seigneur,  qui  ordonne  l'unité,  peut  orienter  vers 
le  bien  la  volonté.  Dans  ces  acclamations  de  votre  Charité, 
dans  ces  mots  :  «  Ou  ici,  ou  nulle  part  »,  nous  avons  reconnu  la 
voix  de  votre  Charité  envers  Emeritus,  et  nous  l'approuvons. 
Telle  est  aussi  notre  pensée,  à  nous,  et  non  pas  d'aujour- 
d'hui seulement,  mais  de  toujours;  et  c'est,  de  toujours,  notre 
vœu^.  » 

Dans  l'espoir  de  décider  Emeritus  et  de  rallier  ses  derniers 
fidèles,  Augustin  annonce  qu'on  lui  laissera  ses  fonctions  épis- 
copales,  que  Deuterius,  l'évèque  catholique  de  Ca'sarea,  est 
prêt  à  partager  avec  lui  sa  dignité  :  «  Telles  sont  aussi  les  dis- 
positions, ce  qui  surtout  est  nécessaire,  de  notre  frère  et  co- 
évêque,  de  votre  évéque  Deuterius.  Depuis  longtemps,  nous 
connaissons  ses  sentiments.  Avec  nous,  il  a  adressé  là-dessus 
ses  prières   au  Seigneur  :  dané  le  concile  où  nous   avons  fait 

1)  Jean,  Evaiif].,  14,  27.  «  Aut    hic  mit    nusqnam  !  »  fi6iVL,    1). 

2)  Augustin,. S'ermo  ad  Caesareensis  Ec-  4)  Sermo  ait  Caesarceitxis  Ecclesiae ple- 
clesiac  plehem,  1.  hem,  1. 

3)  ((  Ab  omnibus   accli*niatuni   est: 


EMERITUS    DE    C.ESaREA  177 

cette  promesse  et  cette  offre  à  ceux  qui  sont  hors  de  l'Eglise. 
Là-dessus,  on  peut  voir  nos  signatures.  Jamais,  en  effet,  nous 
ne  montrons  tant  d'attachement  pour  nos  dignités,  que  nous 
hésitions  à  les  sacrifier  à  l'unité.  Descendons  sur  l'échelle  des 
honneurs,  pourvu  que  nous  montions  sur  l'échelle  de  la  charité. 
Nous  savons  comment  il  faut  allécher  la  faihlesse  humaine, 
pour  réaliser  l'unité'.  »  Ce  n'étaient  pas  là  de  vaines  pro- 
messes: en  maint  endroit,  les  évèques  donatistes  ralliés  avaient 
conservé  leur  diç^uité  et  leurs  fonctions. 

Après  cet  exorde  pittoresque,  si  conciliant  et  si  pressant,  ins- 
piré tout  entier  par  l'événement  du  jour  et  par  l'ardent  désir  de 
ramener  définitivement  dans  l'Eglise  le  farouche  schismatique, 
Augustin  commence  un  sermon  de  circonstance,  où  Emeritus 
n'est  personnellement  en  cause  que  de  loin  en  loin,  mais  où 
toujours  l'orateur  songe  à  lui,  prévient  ses  objections  ou  celles 
des  assistants,  et  y  répond.  ^\.vec  ses  arguments  ordinaires, 
qu'il  appuie  de  nombreux  textes  bibliques,  il  explique  pourquoi 
les  Catholiques  veulent  ramener  à  eux  les  dissidents,  et  pourquoi 
ils  ne  les  rebaptisent  pas ''^. 

Ces  explications  données,  il  se  tourne  de  nouveau  vers  Eme- 
ritus, et  déclare  qu'il  compte  bien  le  ramènera  l'Eglise  :  «  Toutes 
mes  peines,  je  crois  qu'elles  seront  fructueuses.  Le  Seigneur 
notre  Dieu  a  voulu  que  nous  venions  vers  vous,  il  nous  a  or- 
donné de  chercher  Emeritus,  il  nous  a  mis  face  à  face  ;  aidés 
par  vos  prières,  guidés  par  Dieu,  nous  pourrons  trouver  le 
cœur  d'Emeritus,  nous  réjouir  de  sa  conversion,  remercier  Dieu 
de  son  salut,  ce  salut  qu'il  peut  obtenir  seulement  dans  l'Eglise 
catholique...  Il  pense  maintenant  qu'il  sera  grand  parmi 
les  siens,  s'il  reste  intraitable,  si  on  l'appelle  un  martyr  du 
parti  de  Douât.  A  Dieu  ne  plaise  !  Au  nom  du  Seigneur,  déra- 
cinons de  son  cœur  ce  genre  d'orgueil...  Hors  de  l'Eglise  du 
Christ...,  il  peut  verser  son  sang,  mais  il  ne  peut  obtenir  la  cou- 
ronne du  martyre 3.  »  Sans  aller  jusqu'au  martyre,  l'évéque 
schismatique  mettait  évidemment  sa  gloire  dans  sa  fidélité  intran- 
sigeante à  son  parti,  et  protestait  amèrement  contre  les  persé- 
cutions qui  le  frappaient  avec  toute  son  Eglise. 

Là-dessus  encore,  Augustin  croit  devoir  s'expliquer.  La  per- 
sécution ?  Mais  ce  sont  les  Donatistes  qui  en  ont  donné  l'exemple, 
dès  le  temps  de  leur  rupture,  par  leurs  attaques  et  leurs   in- 


1)  Sermo  ad  Caesareensis  Ecclesiae  pie-  2)  Sermo  ad  Caesareensis  Ecclesiae  ple- 

bem,  1.  bem,   2-5. 

3)  Ibid.,  6. 


178  LITTÉRATURE    DONATISTE 

trigues  contre  Cœcilianus,  l'évêque  catholique  de  Carthage.  Ce 
sont  eux  qui  ont  provoqué  l'intervention  de  l'empereur  Cons- 
tantin, attirant  ainsi  sur  leus  tête  les  coups  du  pouvoir  séculier. 
Tous  ces  faits  ont  été  établis  naguère  à  la  Conférence  de  Car- 
thage. Témoin  les  discours  prononcés  par  Emeritus  lui-même 
dans  cette  conférence  :  «  Nous  lisons  le  procès-verbal,  nous  y 
trouvons  ses  propres  déclarations,  certifiées  par  sa  propre  signa- 
ture à  la  suite  de  ses  paroles...  Assurément,  ses  ancêtres  ont 
persécuté  C;ecilianus,  l'ont  poursuivi  devant  l'empereur,  ont 
ciierché  à  le  faire  condamner  ^  »  Parla,  les  schismatiques  ont 
justifié  d'avance  les  mesures  de  répression  qui  ont  pu  les  at- 
teindre. C'est  donc  en  vain  qu'Emeritus  se  plaint  d'être  persé- 
cuté. D'ailleurs,  la  persécution  est  légitime  contre  les  ennemis 
de  l'Eglise.  Moins  que  personne,  les  Donatistes  ont  le  droit  de 
protester,  eux  qui  les  premiers  ont  fait  appel  au  pouvoir  civil, 
et  qui  toujours  ont  usé  de  violence  contre  les  Catholiques  2. 

Toutes  ces  objections  écartées,  l'orateur  revient  à  son  point 
de  départ,  en  déclarant  qu'il  ne  cessera  pas  de  poursuivre  le 
rétablissement  de  l'unité  religieuse  et  la  conversion  d'Emeri- 
tus  :  «  Tout  cela,  je  l'ai  dit  à  votre  Charité,  à  cause  de  vos  pa- 
roles :  «  Ou  ici,  ou  nullepart  »...  Vous  avez  entendu,  il  a  entendu. 
Ce  que  Dieu  a  fait  dans  sonàme,lui  seul  le  sait.  Nous,  en  effet, 
nous  frappons  extérieurement  l'oreille;  mais  Dieu  sait  parler 
intérieurement,  il  prêche  intérieurement  la  paix,  et  ne  cesse  de 
prêcher  jusqu'à  ce  qu'on  l'écoute.  Grâce  à  sa  miséricorde,  avec 
l'aide  de  vos  prières,  notre  peine  sera  fructueuse.  Pourtant, 
si  Emeritus  ne  veut  pas  aujourd'hui  entrer  en  communion  avec 
nous,  nous  ne  devons  pas  nous  lasser,  nous  devons  le  presser 
autant  que  nous  le  pouvons,  et,  même  alors,  nous  ne  devons 
pas  nous  lasser.  Nous  pouvons  être  ajournés;  mais  renoncera 
nos  instances,  nous  ne  le  pouvons  pas,  nous  ne  le  devons  pas.  A 
notre  aide  viendra  ce  Dieu  qui  vers  nous,  ici,  a  conduit  Emeri- 
tus :  et  nous  pourrons  enfin  nous  réjouir  avec  vous  de  le  voir 
dans  l'unité  et  dans  la  paix'^.  »  Ainsi  finit  ce  sermon,  qui,  assu- 
rément, n'était  pas  banal.  Malheureusement,  comme  le  redou- 
tait l'orateur,  tous  ses  raisonnements  et  toutes  ses  exhortations 
n'avaient  pas  eu  de  ]»rise  sur  le  farouche  schismatique. 

Si  révc(jue  donatistc  de  Ca?sarea  était  fort  têtu,  l'évêque 
catholique  d'IJippone  était  très  tenace.  Son  sermon  à  peine  ter- 


1)  Sermo  nd  Cacsareem^is  Ecclcsiuc  l'If-  2)  Sermo  nd  Caexarrensis  Frclrsiae  ple- 

bem,  7.  l>cm,  8. 

3)  Ibid.,  9. 


EMEUITUS  DE  C.ESAREA  179 

miné,  Aug-ustin  s'occupa  d'organiser,  pour  le  surlendemain, 
une  conférence  contradictoire.  La  difficulté,  pour  lui,  était 
d'amener  à  cette  conférence  l'intransigeant  sectaire  qui  devait 
lui  donner  la  réplique.  On  y  réussit  pourtant.  Les  anciens  fidèles 
d'Emeritus,  les  convertis  comme  les  non-convei'tis,  se  mirent 
eux-mêmes  en  campagne.  Ils  saisirent  cette  occasion  de  faire 
trancher  définitivement,  devant  eux,  le  débat  qui  depuis  si  long- 
temps inquiétait  leur  conscience  et  troublait  leur  vie.  Ils  se  tour- 
nèrent vers  Emeritus,  et  le  pressèrent  de  s'expliquer  publique- 
ment, lui  représentant  qu'il  ne  pouvait  se  dérober  à  la  discus- 
sion, promettant  de  revenir  à  lui,  s'il  réfutait  victorieusement  son 
adversaire.  Bref,  Emeritus  dut  se  résigner  :  il  promit  de  venir '. 
La  conférence  eut  lieu  le  20  septembre,  dans  VEcclesia  Ma- 
jor ou  cathédrale  de  Caesarea-.  Dans  l'église  se  pressait  un 
très  nombreux  public:  «  le  tout  Caesarea  ».  Au  fond  du  sanc- 
tuaire, sur  les  bancs  de  l'exèdre  d'où  ils  dominaient  la  foule, 
siégeaient  d'innombrables  évêques.  Près  de  Deuterius,le  métro- 
politain de  Ciesarea,  on  reconnaissait  les  trois  légats  du  pape, 
les  trois  Numides  :  Augustin  d'Hippone,  Alype  de  Thagaste, 
Possidius  de  Galama'^  Autour  d'eux  se  groupaient  presque 
tous  les  évêques  catholiques  de  la  province  de  Maurétanie  Césa- 
rienne :  notamment,  Rusticus  de  Gartenna,  Palladiusde  Tigava^. 
Dans  l'exèdre  encore,  bien  en  face  d'Augustin,  mais  un  peu  à 
l'écart,  un  homme  attirait  tous  les  regards  :  l'avocat  du  Diable, 
l'évêque  schismatique,  Emeritus.  En  avant  de  l'abside,  à  un 
niveau  inférieur,  autour  de  l'autel,  se  tenaient  les  prêtres,  les 
diacres,  les  clercs  inférieurs,  tout  le  clergé  du  diocèse"'.  Dans 
le  reste  du  sanctuaire,  dans  les  nefs  ou  les  tribunes,  jusqu'aux 
portes  de  l'église,  s'entassaient  les  laïques  :  fidèles  ou  curieux, 
vieux  Catholiques,  schismatiques  de  la  veille,  plus  ou  moins 
.sincèrement  ralliés,  même  des  Donatistes  restés  donatistes^'. 
L'événement  du  jour  avait  fait  salle  comble.  Parmi  les  assis- 
tants, beaucoup  étaient  venus  là  par  scrupule  de  conscience  :  ils 
cherchaient  sincèrement  la  vérité,  résolus  à  en  finir  avec  les 


1)  Possidius,  VHa  Augustini,  14  ;  Au-  PaUadio  Tigabitano,  et  ceteris  episco- 
gustin,  Gesta  curn  Emerilo,  2;  Contra  pis,  in  exedram  processissciit...  )>{i6Jd., 
Oaudentiuni,  I,  14,  15.  1). 

2)  «  Duodecimo  Ralendas  octobres,  i)  Retract.,  11,77  iGesla  cum  Emerilo,!. 
Caesareae  in  Ecclesia  Majore  »  (Augus-  5)  u  Praesentibus  presbyteris  et  dia- 
lin,  Gesta  cura  Emerito,  1).  conibiis  et    universo   clero   ac  frequen- 

3)  ((  Cum  Deuterius  episcopus  njcLro-  tissima  plèbe  »  (Gesta  cum  Emerito,  1). 
politanus  Caesareensis,  una  ciiin  Aiypio  6)  Gesta  cum  Emerito,  1-2  ;  Contra 
Tagastensi,  Augustino  Hipponensi,  Pos-  Gandentium,  1,  14,  15  ;  Retract.,  II,  77. 
sidio  Calamensi,  Ruslico    Garteiinitauo, 


180  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Aàeux  malentendus  et  les  querelles  d'Eglises  '.  D'autres  avaient 
été  poussés  là  par  la  curiosité  :  ils  voulaient  assister  à  cette 
controverse  inattendue,  qui  «publiquement,  dans  leur  ville,  allait 
mettre  aux  prises,  avec  deux  grands  orateurs,  les  deux  g-randes 
Eglises  africaines.  Clercs  et  laïques,  tous  se  rendaient  compte 
que  la  discussion  annoncée  intéressait  l'avenir  religieux  de  la 
cité,  du  diocèse,  de  toute  .la  province. 

Pour  que  rien  ne  fût  abandonné  au  hasard,  pour  qu'aucune 
contestation  ne  fût  possible  api'ès  coup,  on  allait  procéder  sui- 
vant les  règles  admises  alors  pour  les  conciles  ou  les  conférences 
solennelles  :  des  sténographes  étaient  là,  prêts  à  enregistrer 
toutes  les  paroles,  à  noter  tous  les  gestes,  même  le  silence-. 
Grâce  à  ce  procès-verbal  sténographié,  qui  nous  est  parvenu 
intact,  nous  pouvons  suivre  encore  toutes  les  péripéties  de  cette 
conférence  restée  célèbre. 

Au  milieu  du  silence  général,  on  vit  dans  l'abside  se  lever 
l'évêque  d'Hippone.  Contre  son  habitude,  il  débuta  sur  un  ton 
assez  solennel,  que  justifiaient  d'ailleurs  les  circonstances.  Il 
réclama  l'attention  de  tous,  amis  ou  adversaires  latents:  «  Mes 
très  chers  frères,  vous  qui  dès  l'origine  avez  été  catholiques, 
et  vous  qui  avez  abandonné  l'erreur  des  Donatistes  pour  venir  au 
Catholicisme,  vous  qui  avez  iippris  à  connaître  la  paix  de  cette 
sainte  Eglise  catholique  en  vous  y  attachant  d'un  cœur  sincère, 
et  vous  qui  peut-être  doutez  encore  de  la  vérité  de  l'unité  catho- 
lique, vous  tous,  écoutez-nous,  nous  qu'inspire  seulement  notre 
charité  envers  vous  ^.  » 

Après  cet  exorde  solennel,  l'orateur  raconte  sur  un  ton  pres- 
que familier,  avec  quelques  détails  pittoresques,  les  événements 
de  l'avajit- veille.  Et  d'abord,  la  rencontre  avec  Emeritus,  l'en- 
trée dans  l'église:  «  Avant-hier,  dit-il,  quand  est  venu  dans  cette 
ville  notre  frère  Emeritus,  encore  évê(|ue  des  Donatistes,  on  nous 
annonça  tout  à  coup  qu'il  était  là.  Dans  un  esprit  de  charité, 
dont  Dieu  est  témoin,  nous  désirions  sa  présence  :  aussi  avons- 
nous  volé  aussitôt  pour  le  voir.  Nous  l'avons  trouvé  debout  sur 
la  place.  Après  les  salutations  réciproques,  nous  lui  avons  fait 
observer  (ju'il  était  pénible  et  anormal  pour  lui  de  rester  sur  la 
place,  et  nous  l'avons  invité  à  venir  avec  nous  vers  l'église.  Il 
n'a  fait  aucune  difficulté  pour  y  consentir.  Nous  avons  cru  alors 
qu'il  ne    repousserait  pas  la    communion  catholique,  puiscpi'il 


1;    l'dssidius,    \ila  Am/ustini,  14  ;  Au-        (Aiij^iistiii,  Geala  cuin  Emcvilo,  3).  —  CA. 
guslin,  Gcsiu  ruin  Emerito,  2-8.  I>ii>>itliiis,  ]'itii  Aiiyuslini,  14. 

2)  «  Dixil  riulariu  (|iii  t-xcipic-ljat...  »  3)  Au;^ii^liii,  (iesla  cum  Einerilo,  1. 


EMEIUTUS    IlE    C.ESAHEA  181 

était  venu  à  nous  spontanément,  et  qu'il  n'avait  pas  hésité  à  se 
diriger  vers  l'église.  Mais  lui,  môme  à  l'intérieur  de  l'église 
catholique,  a  persisté  dans  ses  erreurs  d'hérétique.»  Suit  un 
résumé  du  sermon  de  l'avant-veille  :  «  Alors,  continue  Augus- 
tin, alors,  j'ai  harangué  votre  Charité,  comme  vous  daignez 
vous  en  souvenir.  J'ai  dit  bien  des  choses,  que  vous  avez  enten- 
dues, et  que  sans  doute,  autant  que  possible,  vous  vous  rappe- 
lez. J'ai  parlé  beaucoup  delà  paix,  beaucoup  de  la  charité, beau- 
coup de  l'unité  de  la  sainte  Eglise  catholique,  cette  unité  que 
Dieu  a  promise  et  réalisée.  »  Malgré  toutes  ces  exhortations, 
le  schismatique  n'a  pas  renoncé  à  son  attitude  intransigeante  : 
«  Même  après  notre  sermon,  poursuit  l'orateur,  Emeritus  a 
persisté  dans  son  obstination.  Pourtant,  nous  n'avons  pas  cru 
devoir  désespérer  :  d'aucun  homme,  tant  qu'il  vit  dans  son  corps, 
on  ne  doit  désespérer,  croyons-nous.  Et,  si  j'ai  dit  avant-hier 
([ue  je  ne  désespérais  pas_,  ce  n'est  pas  pour  désespérer  aujour- 
d'hui '.  »  C'est  précisément  parce  qu'il  espère  encore,  que  l'ora- 
teur a  provoqué  la  réunion  de  la  présente  conférence. 

Cette  conférence,  Dieu  seul  sait  ce  c|ui  doit  en  sortir.  Mais, 
de  toute  façon,  elle  achèvera  de  rétablir  la  paix  dans  l'Église 
locale.  Elle  aura  pour  résultat,  soit  de  convaincre  Emeritus  lui- 
même  et  de  constater  sa\Conversion,  soit,  tout  au  moins,  d'éclairer 
définitivement  les  derniers  schismatiquesdela  ville  ouïes  ralliés 
sur  la  vanité  des  protestations  de  leur  ancien  évêque.  Après  les 
grands  débats  de  Garthage  et  la  condamnation  de  son  parti, 
Emeritus  a  répété  mainte  Fois,  dans  ses  sermons  ou  ses  con- 
versations, que  les  Donatistes  n'avaient  pu  s'expliquer  alors  en 
toute  liberté,  qu'ils  avaient  été  injustement  frappés  par  un  juge 
partial.  Qu'il  parle  donc  maintenant,  tout  à  son  aise,  devant  ses 
compatriotes  de  Csesarea,  devant  ses  anciens  fidèles,  et  pour 
eux.  Bien  entendu,  ses  déclarations  n'engageront  pas  son  parti, 
dont  il  n'est  plus  mandataire.  Qu'il  parle  en  toute  franchise, 
sans  réticence  aucune,  sans  crainte,  pour  le  salut  de  ses  fidèles, 
de  ses  compatriotes,  de  ses  amis,  de  ses  parents  ~. 

A  ce  moment,  tous  les  regards  sont  fixés  sur  l'évêque  schis- 
matique ;  anxieusement,  on  attend  sa  réponse.  Comme  il  ne 
parait  pas  entendre,  Augustin  lui  demande  ironiquement  pour- 
quoi il  est  venu,  et  le  somme  de  s'expliquer:  «  Allons,  frère 
Emeritus,  tu  es  présent.  Tu  as  assisté  aux  séances  delà  Confé- 
rence. Si  tu  as  été  vaincu  alors,  pourquoi  es-tu  venu  maintenant.*^ 


1)  Gesta  cum  Emerito,  1.  —  Cf.  Sermo  2)  Gesta  cum  Emerilo,  2. 

ad  Caesareensis  Ecdesiae  plebem,  l  et  9. 


182  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Mais,  si  tu  crois  n'avoir  pas  été  vaincu,  dis-nous  pourquoi  tu  te 
considères  comme  le  vainqujeur.  Tu  as  été  vaincu,  si  tu  l'as  été 
par  la  vérité.  Mais  si  tu  penses  avoir  été  vaincu  parle  pouvoir 
et  vainqueur  par  la  vérité,  eh  bien  !  il  n'est  pas  ici,  ce  pouvoir 
par  lequel  tu  crois  avoir  été  vaincu.  Que  tes  concitoyens  appren- 
nent de  toi  pourquoi  tu  te  prétends  vainqueur.  ^lais,  si  tu  re- 
connais que  la  vérité  a  triomphé  contre  toi,  pourquoi  repousses- 
tu  encore  l'unité  '  ?  ^>  Sur  l'entêté  schismatique,  qu'on  aurait 
pu  croire  sourd,  ce  mot  seul  d'unité  va  produire  un  effet  mira- 
culeux. 

Cette  fois,  donc,  Emeritus  va  répondre,  mais  pour  déclarer 
qu'il  ne  répondra  pas.  Entre  les  deux  adversaires  s'eno^age  ce 
court  dialogue  :  «  Les  Gesta  indiquent,  dit  Emeritus,  si  j'ai  été 
vaincu  ou  vainqueur,  si  j'ai  été  vaincu  par  la  vérité  ou  opprimé 
par  le  pouvoir  -.  »  —  «  Pourquoi  donc  es-tu  venu  ?  »  reprend 
Augustin.  —  «  Pour  te  dire  ce  que  tu  demandes  »,  réplique  Eme- 
ritus. —  «  Je  te  demande,  insiste  Augustin,  pourcjuoi  tu  es 
venu  ;  je  ne  te  le  demanderais  pas,  si  tu  n'étais  pas  venu.  » 
Gomme  le  greffier,  naïvement,  se  tourne  vers  Emeritus,  atten- 
dant sa  réponse  pour  la  sténographier,  le  Donatiste  renvoie  le 
pauvre  homme  à  ses  tablettes,  d'un  mot  impérieux,  énigmatique 
et  sec,  en  trois  lettres  :  «  Fac  '^  «.  Et  c'est  le  dernier  mot  que 
prononcera  l'orateur  schismatique,  redevenu  sourd  et  muet. 

De  ce  mutisme  trop  prudent,  x\ugustin  va  naturellement 
triompher.  Cette  réponse  qu'il  ne  peut  arracher  à  son  adversaire, 
c'est  lui-même  qui  va  la  donner.  Regardant  le  Donatiste  bien  en 
face,  il  lui  assène  ce  coup  de  massue  :  «  Puisque  la  vérité  t'a 
imposé  silence,  ce  n'est  donc  pas  sans  motif  ([ue  tu  es  venu  : 
tu  voulais  tromper  les  fidèles'».  »  Long  silence,  note  le  sténo- 
graphe •''.  Lassé  d'attendre  la  riposte,  Augustin  prend  à  témoin 
les  assistants  :  «  Vous  voyez,  mes  frères,  comme  il  continue  à 
se  taire.  Je  vous  engage  à  faire  des  vœux  pour  sa  conversion, 
mais  je  vous  conjure  de  ne  pas  le  suivre  dans  la  mort^  ».  Puis, 
constatant  que  l'adversaire  se  dérobe  définitivement,"  Augustin 
se  résigne  à  parler  tout  seul. 

Dès  lors,  la  conférence  tourne  au  sermon.  Le  Donatiste  ayant 
invoqué    les  Gesta  de  Carthage,    l'évêque  d'Ilippone  va  com- 


1)  Gesta  cuin  Emerito,  3.  siac  causa  venisli,  iii>i  quia   istos  deci- 

2)  «    Gesta    indicant,    si    vicliis    siim  peru  v(jluisti  »(///((/.,  4). 

uul  vici,  si  verilale  victiis  siiin    aiil  pu-  6)  x  (^uiuquf  diu  reliccrcl...  »  (ibid., 

leslalc  opi)rcssus  siiin  »  (ibid.,  3).  4). 

3)  Geslu  curn  Einerilu,  3.  (1)  Gesta  cuin  Emerito,  4. 

4)  «  Si  ergy  sub  verilale  lacuisti,  imu 


EMERITUS    DE    C.ESaREA  183 

menter  pour  le  public  ce  dossier  de  411.  Il  explique  aux  assis- 
tants comment  la  question  a  été  tranchée  à  Carthaere.  Il  eno-asre 
l'évêque  catholique  de  Ca^sarea  à  Taire  lire  cha({ue  année  dans 
son  église,  comme  on  le  fait  ailleurs,  les  procès-verbaux  de  la 
grande  Conférence.  En  attendant,  il  va  signaler  un  document 
qui  s'y  rapporte  ^ 

Sur  la  demande  d'Augustin,  son  ami  Alype  de  Thagaste  com- 
mence la  lecture  de  la  lettre  synodale  adressée  à  Marcellinus  eu 
411,  avant  la  Conférence,  par  les  évéques  catholiques  ~.  On  se 
souvient  que  les  signataires  de  cette  lettre  s'engageaient  à  dé- 
missionner, s'ils  étaient  vaincus,  et,  dans  le  cas  contraire,  à 
partager  leurs  diocèses  avec  les  Donatistes  ralliés.  Voulant 
insister  sur  cette  abnégation  de  ses  confrères,  Augustin  inter- 
rompt la  lecture  du  document,  pour  raconter  comment  les  évéques 
catholiques,  avant  l'ouverture  de  la  Conférence,  et  presque  à 
l'unanimité,  avaient  décidé  de  renoncer  à  leur  dignité,  s'ils  per- 
daient leur  cause  devant  le  juge  '^.  Puis,  Alype  achève  la  lecture 
de  la  lettre  :  lecture  coupée  encore  par  quelques  observations 
d'Augustin  ''.  Enfin,  l'évêque  d'Hippone  résume  l'histoire  des  dé- 
mêlés entre  Primianistes  et  Maximianistes,  telle  qu'on  l'avait 
établie  à  la  Conférence  de  Carthage.  Il  montre  comment  les  Do- 
natistes se  sont  condamnés  eux-mêmes  parleur  conduite  envers 
leurs  propres  schismatiques  ^. 

Au  milieu  de  tous  ces  exposés  de  faits,  AugustiiS  ne  perd  pas 
de  vue  Emeritus,  dont  il  rappelle  ou  prévient  les  objections 
pour  les  réfuter.  De  temps  en  temps,  il  le  met  en  scène  :  «  Grâce 
à  Dieu  !  s'écrie-t-il,  jeparleen  présence  d'Emeritus  lui-même'^.  » 
En  passant,  il  lui  décoche  un  trait  ou  lui  lance  un  défi  :  «Tenez, 
le  voilà,  Emeritus  ;  il  m'écoute  ;  si  je  mens,  qu'il  me  réfute, 
qu'il  me  force  à  prouver  ".  »  Ailleurs,  il  l'interpelle  directement, 
non  sans  ironie.  Par  exemple,  il  rappelle  qu'Emeritus  a  rédigé 
la  sentence  de  Bagai,  et  il  ajoute  :  «  Allons,  frère  Emeritus,  tu 
as  bien  embrassé  ton  frère  Felicianus,  après  l'avoir  condamné  et 
foudroj^é  de  ton  éloquence  :  maintenant,  reconnais  comme  ton 
frère  notre  Deuterius,  qui  en  outre  est  ton  parent  par  la  nais- 
sance 8.    »  Pendant  toute   cette  conférence,   même  quand  il  ne 


1)  Gesta  cum  Emerito,  4.  6)  «  Deo  gratias,  quia    ipso  pracsenti; 

2)  Gesta  ciiin  Einerllo,  5.    —    Cf.    Col-  loquor  »  (ibid.,  8). 

lat.  Carlhaij.,  I,   16;  Augustin,    Brevic.  7)  «  Ecce  hic  est,  audit  me:  si    men- 

Collal.,  I,  5  ;  Epist.   128.  tior,    redarguat,    x^robare    me    compel- 

3)  Augustin,  Gesta  cum  Emerito,  6.  lat  »  {ibid.,  S). 

4)  Ibid,  7.  S)  Jbid.,  10. 

5)  Ibid.,  8-11. 


184  LITTÉRATURE    DONÂTISTE 

nomme  pas  le  Donatiste  ou  ne  semble  pas  le  voir,  c'est  encore 
à  lui  que  songe  l'orateur.    ^ 

La  conférence  finit  sur  une  manifestation  de  charité  chrétienne, 
([ui  dut  étonner  et  déconcerter  un  peu  le  schismatique  :  une 
prière  pour  Emeritus.  L'évêque  d'Hippone  venait  de  faire  appel 
à  la  concorde.  Tout  à  coup,  il  invita  les  assistants  à  prier  en- 
semble pour  la  conversion  de  l'intransigeant  Donatiste  :  «  J'ai  • 
beaucoup  parlé,  au  point  de  me  fatiguer,  dit  l'orateur.  Et  pour- 
tant notre  frère,  à  cause  de  qui  je  vous  dis  tout  cela,  et  à  qui  nous 
le  disons  également,  et  pour  qui  nous  nous  donnons  tant  de  mal, 
notre  frère  persiste  dans  son  obstination.  Courage  bien  cruel, 
qui  se  croit  fermeté  !  Qu'il  ne  se  glorifie  plus  de  son  vain  et 
faux  courage...  Prions  pour  lui.  Connaissons-nous  la  volonté  de 
Dieu  ?  ft  II  y  a  beaucoup  de  pensées,  dit  l'Ecriture,  dans  le  cœur 
de  l'homme  ;  mais  la  sagesse  du  Seigneur  dure  éternellement  '.  » 
Et  toute  l'assistance  se  mit  à  prier  pour  le  schismatique.  Cette 
prière  en  commun  dut  causer  quelque  embarras  à  l'évêque  Eme- 
ritus. Pria-t-il,  lui  aussi,  pour  sa  propre  conversion  ?  Ou  bien, 
seul  dans  l'église,  refusa-t-il  de  prier  ?  Le  procès-verbal  ne  le 
dit  pas. 

Il  ne  dit  pas  non  plus,  et  pour  cause,  qu'Emeritus  ait  capi- 
tulé. Sur  l'entêté  Donatiste,  la  conférence  du  20  septembre 
n'eut  pas  plus  de  prise  que  le  sermon  du  18.  Après  sa  dêfaitr 
personnelle^  Ciêsarea,  comme  après  ia  condamnation  de  son 
Eglise  à  Carthage,  il  resta  fidèle  à  l'ombre  de  Donat  :  il  voulut 
mourir,  comme  il  avait  vécu,  dans  l'impénitence  schismatique-. 

Cependant,  le  bruit  de  sa  conversion  courut  en  Afrique  :  avec 
assez  de  persistance,  pour  que  des  discussions  pussent  s'engager 
sur  la  réalité  du  fait'^.  Deux  ans  plus  tard,  au  moment  où  Gau- 
dentius,  évêquc  donatiste  de  Thamugadi,  menaçait  de  se  brûler 
vif  plutôt  que  de  céder,  le  tribun  Dulcitius,  commissaire  impé-       ^ 
rial,  l'engageait  à  suivre  l'exemple   d'Enieritus,  son  collègue  de      a 
Csesarea,  qui,  disait-on,  avait  l'ait  sa  paix  avec  l'Église  catho-      H 
lique.  Contre  cette   assertion  du  tribun,   Gaudentius  protestait 
avec  indignation  :  «  Sur  notre  saint  Emeritus  de  (îa^sarea,  lui 
écrivait-il,   vous  vous   trompez  certainement  ;  c'est  une  fausse 
nouvelle  «pii  vous  est   parvenue  '.    »  Discutant  à  son  tour  avec 


1)  Gesla  cum  Emerilo,  12.  —  Cl'.  /Vo-  adliiic  pcriinax  consislil  »  {ibid.,  12  . 
verb.,  lî),  21.  H)  Cuntra  Gaiulenlium,  I,  14,15. 

2)  ((  Kli.'iin  j)ost  seriiiuiieiii  iinslriiin  4)  «  De  sanclo  Riiiui"it<j  Cneswconsi 
i;iim  :idliuc  in  illa  sua  [jcrdurarcl  per-  l'.ilsa  ad  \os  pro  cerli»  l'aiiia  perveiiit  » 
liiiacia...  »  (Augustin,    Gcsta   ruin   Jùiie-  {ibid.,  I,  14,  1.")). 

rilo,    1).  —  ((  l'A    taniun    IVatcr  nosicr... 


EMERITUS  DE  G.ESAHEA  185 

Gaiideiitius,  Augustin  reconnaissait  que  la  nouvelle  était  in- 
exacte, et  qu'Emeritus  n'était  pas  devenu  catholique  K 

D'ailleurs,  l'entêtement  de  l'évéque  schismatique  ne  changeait 
rien  au  cours  naturel  des  événements.  La  conférence  de  418 
avait  eu  pour  conséquence  la  déroute  définitive  du  Donatisme  à 
Cœsarea  et  dans  toute  la  région.  Eclairés  enfin  par  le  mutisme 
désemparé  de  leur  évêque,  les  derniers  dissidents  s'étaient 
presque  tous  ralliés  à  l'Eglise  catholique.  x\ugustin  prenait  plai- 
sir à  noter  l'effet  produit  sur  la  population  par  l'attitude  d'Eme- 
ritus  :  «  Si  Emeritus  était  passé  à  la  paix  catholique,  vous  auriez 
dit  de  lui,  non  pas  que,  par  l'effet  de  la  commisération  divine,  il 
avait  ouvert  les  yeux  à  la  lumière  de  la  vérité,  mais  que,  par 
faiblesse  humaine,  il  avait  plié  sous  le  poids  de  la  persécution. 
Si  l'on  s'était  emparé  de  lui  pour  l'amener  de  force,  vous  auriez 
crié  bien  haut,  suivant  votre  interprétation  arbitraire,  qu'il  s'était 
tu,  non  par  impuissance  de  répondre,  mais  pour  échapper  à  ses 
persécuteurs.  Mais  il  est  venu  de  lui-même  :  donc,  s'il  s'est  tu, 
ce  n'est  assurément  pas  sa  parole  qui  s'est  dérobée,  c'est  sa  cause. 
S'il  a  refusé  de  passer  à  l'unité  catholique,  c'est  l'effet  de  la 
confusion  qui  a  rendu  intraitable  son  âme  orgueilleuse.  Mais 
cette  obstination,  si  elle  a  entraîné  sa  perte  et  son  supplice  à 
venir,  a  été  fort  utile  pour  l'affermissement  et  le  salut  des  autres. 
En  effet,  si  ceux-ci  avaient  vu  Emeritus  entrer  en  communion 
avec  nous,  ils  auraient  soupçonné  que  l'homme  avaiteu  peur.  Mais 
ils  l'ont  vu,  en  même  temps,  et  rester  dans  le  parti  de  Donat  et 
devenir  muet  en  face  des  Catholiques  :  alors,  son  silence  leur 
est  apparu  comme  une  éloquente  condamnation  de  son  parti. 
Quand  on  l'a  vu  demeurer  immobile  en  dépit  d'une  entière  liberté 
de  parole  et  de  langage,  ne  déposait-il  pas  contre  vous  pour  notre 
cause,  témoin  compétent,  ce  fameux  Emeritus,  cet  Emeritus, 
dis-je,  resté  notre  ennemi  et  devenu  muet  ~  ?  »  i\.insi,  pour  la 
propagande  catholique,  le  mutisme  impuissant  del'évêque  schis- 
matique avait  eu  plus  d'efficacité  que  n'en  aurait  eu  sa  conver- 
sion. 

En  raison  des  circonstances,  surtout  à  cause  de  la  réputation 
des  deux  adversaires,  cette  conférence  de  Cœsarea  eut  dans 
toute  la  contrée  un  long  retentissement.  Deux  ans  plus  tard,  on 
discutait  en  Numidie  sur  la  réalité  de  la  conversion  d'Emeritus. 
Augustin  lui-même,   qui,   en  dépit  de  son  humilité  chrétienne, 


1)  «   Falsa  quidem    de   illo   fama  jac-        Possidius,   Vita  Auguslini,  14. 
tata    est,    quod    catholicus   factus   sit    »  2]  Avignstin,  Contra  Gaudenlliun,  1,14, 

(ibid.,  I,  14,  15).  —  Cf.  Retract.,  II,  77  ;       15. 


186  LITTÉRATURE    DONATISTE 

n'était  pas  insensible  aux  succès  de  son  éloquence,  Augustin 
aimait  à  se  rappeler  et  à  rappeler  aux  autres  sa  victoire  écla- 
tante sur  le  Donatiste  de  Cêesarea.  Ce  triomphe,  il  en  évocjuaitle 
souvenir,  A^ers  420,  au  cours  de  ses  controverses  avec  Gauden- 
tius  :  «  Donc,  écrivait-il,  Emeritus  vint  à  Cœsarea,  quand  j'y 
étais.  Il  y  vint,  non  point  appréhendé  par  la  main  et  le  flair  d'un 
policier,  non  point  amené  là  par  la  volonté  d'autrui.  Non,  il  y  vint 
poussé  par  sa  propre  volonté  :  il  voulait  me  voir.  Je  le  vis, nous 
nous  dirigeâmes  ensemble  vers  l'église  catholique,  où  afflua  une 
très  grande  foule.  Là,  il  ne  put  rien  dire  pour  sa  défense  ou 
la  vôtre  ;  il  refusa  d'entrer  en  communion  ;  malgré  le  délai 
accordé,  il  s'obstina;  convaincu  d'erreur,  il  resta  muet  ;  il  se 
retira  sans  être  inquiété  '.  »  Longtemps  après,  dans  ses  Rétrac- 
tations, l'évêque  d'Hippone  rappelait  encore  sa  victoire  mémo- 
rable sur  le  schismatique  de  Ca'sarea,  et,  parmi  ses  traités  ori- 
ginaux, réservait  une  place  aux  Gesta  cum  Emerito  -.  Au  len- 
demain de  la  mort  d'Augustin,  son  biographe,  interprète  fidèle 
de  sa  pensée,  consacrait  tout  un  chapitre  aux  conférences  de 
(]œsarea,  et  recommandait  la  lecture  du  procès- verbal  -^  Evi- 
demment, ces  conférences  avaient  marqué  une  date,  même  dans 
la  vie  d'Augustin  et  dans  sa  carrière  de  polémiste,  si  pleine  de 
grands  événements. 

Ce  fut  une'  date  aussi,  pour  d'autres  raisons,  dans  la  vie 
d'Emeritus  :  la  date  d'une  déroute  définitive,  qui,  pour  l'Eglise 
de  Donat,  équivalait  à  une  banqueroute,  et,  pour  l'un  de  ses  chefs, 
à  une  désertion  ou  un  suicide.  Les  résultats  furent  si  lamen- 
tables pour  l'évêque  schismatique  et  pour  ses  derniers  fidèles, 
([u'on  ne  peut  s'empêcher  de  se  demander  comment  un  homme 
d'esprit  avait  pu  s'exposer  bénévolement  à  une  si  cruelle  mésa- 
venture. On  se  souvient  qu'Augustin,  au  milieu  de  la  conférence 
de  (ja.'sarea,  voyant  sonadversairese-dérober,  lui  disait  ironique- 
ment, à  plusieurs  reprises  :  «  Pourquoi  donc  es-tu  venu  '  ?  » 
De  même,  aujourd'hui,  en  face  du  dossier  de  cette  affaire,  on  se 
demande  encore  au  sujet  d'Emeritus  :  «  Pounjuoi  donc  est-il 
venu  ?  » 

En  rapprochant,  en  éclairant  l'un  par  l'autre  certains  mots 
échappés  alors  ou  plus  tard  à  Augustin,  on  peut  avec  quelque 
vraisemldance  répondre  à  cette  question  indiscrète. 

1)  Viisiislia,  Conlra  Gaudentiiim,  I,  4)  «  Nobis  dignetur  diccrc  (juarc  ad- 
14,  1."..  —  Cf.  I,  1"),  Ifi  ;  32,41  ;  :W,  'A  ;  voiicrit  »  (Augustin,  Gesla  cani  Emerilo 
11,  4  il  ").                                                                  2).  —  «  Qunre    vonisli?...    Quare    ergo 

2)  Hctracl.,  H,  77.  venisli   ?...    Roquiro    (piarf     xciioris    » 

3)  Possidius,  ]'ila  Auguslini,  11.  (ibid., 'i). 


EMERITUS    DE    C.ESAREA  187 

Au  moment  où  l'évêque  d'Hippone  arrivait  en  mission  à  Cœ- 
sarea,  Emeritus,  dépossédé  de  sa  chaire  épiscopale  et  proserit 
en  principe  par  un  gouverneur  qui  ne  cherchait  pas  à  l'arrêter, 
Emeritus  se  tenait  caché  aux  environs  de  ki  ville.  Ce  qui  le 
poussa  à  y  rentrer,  c'est  presque  sûrement  la  curiosité  :  une  cu- 
riosité que  justifiait  la  réputation  d'Augustin,  et  qu'avivait  la 
hantise  de  vieux  souvenirs.  «Il  voulait  me  voir  —  Videre  nos 
voluit  »,  dit  Augustin  lui-même,  avec  une  amusante  bonhomie 
d'homme  célèbre  '.  En  411,  pendant  les  séances  orageuses  de  la 
(«onférence  de  Carthage,  Emeritus  avait  souvent  combattu 
Augustin,  lui  avait  hardiment  tenu  tête.  Depuis  qu'il  avait  vu 
s'écrouler  son  Eglise  et  qu'il  était  lui-même  hors  la  loi,  il  vivait 
sur  le  souvenir  de  ces  journées-là,  qui  avaient  été  les  grands 
jours  de  son  éloquence.  Depuis  sept  ans,  avaient  grandi  encore 
la  renommée  d'Augustin  et  l'autorité  de  sa  parole.  L'occasion 
se  présentant,  le  vieux  comhattant  de  411,  maintenant  proscrit, 
voulut  revoir  celui  qui,  avant  d'être  son  vainqueur,  avait  été  son 
loyal  adversaire  et  son  rival  '-. 

Etant  venu  pour  vqir,  il  resta  pour  entendre.  Avant  d'être 
schismatique,  avant  même  d'être  évêque,  il  était  orateur.  Comme 
tel,  il  prenait  un  plaisir  infini  aux  jeux  de  la  parole  ;  il  admirait 
l'éloquence,  même  chez  ses  contradicteurs.  Encore  une  fois, 
une  dernière  fois  avant  de  mourir,  il  voulut  entendre  le  confrère  si 
éloquent,  qui  jadis  l'avait  charmé  en  l'exaspérant.  Or  l'évêque 
d'Hippone,  pendant  ce  séjour  à  Cœsarea,  ne  parlait  que  dans 
l'église  et  pour  les  fidèles  ■^.  Fasciné  par  ses  souvenirs  de  Car- 
thage, sans  prendre  le  t(imps  de  la  réflexion,  sans  songer  à  son 
imprudence,  le  schismatique  suivit  le  grand  orateur,  si  séduisant 
et  si  courtois,  dans  le  seul  endroit  où  il  pouvait  alors  l'entendre  : 
dans  l'église  catholique  '*.  Il  le  regretta  sans  doute,  quand  il  se 
vit  le  point  de  mire  d'un  sermon  '^.  Il  resta  pourtant,  par  respect 
humain,  par  bravade,  par  crainte  du  jugement  des  Donatistes 
intransigeants  ou  ralliés  dont  les  regards  ne  le  quittaient  pas. 
Pour  les   mêmes  raisons  et  devant  les  instances  de  ses  anciens 

1)  «   Venit  ergo  Emeritus  Caesaream,        pum  Donaiislarum  post  CoUationem.   Cf. 
illic  positis  et    praeseiitibiis  nobis.  Ve-        Relract.,    H,  72. 

iiil  aiituin  iiou  apprehensus  cujiisquain  8)  De  docirtna  christiana,  l\,  24,  53. 

sagacitatc,  non  adductus  alteriiis  potes-  4)  <(  Facta  inviceni  salutatione,  aduio- 

lale,  sed    excitatus    propria   voluntate  :  niiimus...    ut    ad    ecclesiam    nobiscum 

videre  nos  volait  »  (Contra  Gaudeiilitiin,  veniret.  At  ille   nobis  sine  ulia  recusa- 

I,  14,  15).  lione   consensit   »   [Gesta    cuin    Emerito, 

2)  Uappei(jns  d'ailleurs  que  depuis  la  1). 

(Conférence  de   Carthage,  vers   416,  Au-  5)  Sermo  ad  Caesarcensis  Ecclesiaeple- 

gustin    avait    dédié  à  Emeritus  l'un  de        bem,  1. 
ses  livres  :  le  Liber  ad  Emeritum  episco- 


188  LITTÉRATURE    DOiNATISTE 

fidèles,  il  se  résigna  à  revenir,  le  surlendemain,  pour  la  confé- 
rence solennelle  que  proposait  Augustin  '.  Et  ce  jour-là  encore, 
en  dépit  de  ses  mécomptes,  il  eut  du  moins  le  plaisir  amer  d'en- 
tendre l'orateur  ennemi  qu'il  admirait  malgré  lui. 

Mais  pourquoi  n'a-t-il  pas  répondu  ?  A  en  croire  Augustin,  si 
Emeritusn'a  rien  dit,  c'est  qu'il  ne  trouvait  rien  à  dire'-.  On  ne 
peut  guère  s'en  tenir  à  cette  explication  ironique,  par  trop  simple. 
Nous  aA^onsvu  Emeritus  à  l'œuvre  en  411.  Il  aurait  pu  reprendre 
à  Ciesarea  la  thèse  et  les  arguments  qu'il  avait  développés 
jadis  à  Cartilage  ;  en  tout  cas,  quand  il  voulait  plaider  une 
cause,  bonne  ou  mauvaise,  il  n'était  pas  homme  à  rester  court. 
Donc,  s'il  n'a  rien  répondu  à  Gœsarea,  c'est  qu'il  n'a  pas  voulu 
répondre.  Il  ne  l'a  pas  voulu,  pour  une  raison  qu'Augustin  lui- 
même,  et  au  moment  même,  indiquait  indirectement  :  n'étant 
pas  mandataire  de  son  parti,  Emeritus  craignait  de  l'engager 
ou  de  le  compromettre  par  ses  déclarations  personnelles,  dans 
cette  conférence  improvisée,  devant  cette  foule,  en  présence  de 
tant  d'évêques  catholiques  "^  Peut-être  aussi,  dans  sa  résolution 
de  se  taire,  entra-t-il  quelque  découragement  :  il  savait  trop  bien 
que  la  bataille  était  perdue  d'avance  '*. 

Par  là,  sans  doute,  on  peut  expliquer  l'attitude  du  Donatiste 
dans  la  conférence  de  418.  Mais,  cette  attitude,  rien  de  tout  cela 
ne  la  justifie.  En  venant  à  Cai^sarea  pour  voir  Augustin,  en  en- 
trant dans  l'église  catholique  pour  l'entendre,  en  y  revenant  pour 
la  conférence,  Emeritus  commit  évidemment  une  série  d'impru- 
dences, puisqu'il  était  résolu  à  ne  pas  céder,  et  même  à  ne  pas 
discutei'.  De  ces  fautes  de  tactique,  il  fut  cruellement  puni: 
frappé,  non  seulement  dans  sa  foi  de  Donatiste,  qu'exaspéraient 
les  railleries  d'Augustin,  ou  dans  sa  conscience  d'évêque,  qui 
voyait  le  mal  fait  par  lui-même  à  son  parti,  mais  encore  dans 
son  orgueil  d'orateur  et  dans  sa  vanité  de  bel-esprit,  dont  la  re- 
nommée sombrait  sous  le  flot  des  sarcasmes.  Uien  de  plus 
piteux,  assurément,  que  son  attitude  à  la  conférence  deCa>sarea: 
lui  qui,  en  411,  s'était  montré  un  orateur  plein  de  ressources,  à 
la  faconde  intarissable,  et  qui  depuis  n'était  dcAcnu  ni  sourd 
ni  muet,  il  s'était  condamné  lui-même,  ce  jour-là,  par  les  mala- 

1)  Possidius,  ri/a  Aitrjuslini,  14  ;  Au-  »  Nullas  vinihi  modo  pars  mca  partes 
guslin,  Gesta  cuin  Emerito,  1-2  ;  Cnnlni  dcfeusioiiis  imposiiil  »  {Gesta  cum  l'mi'- 
Gaudenlium,  1,14,1.5.  /i/o,  2). 

2)  Aiiu:iistiii,  Gfsla  ram  Emvr'Uo,  1-4;  4)  Telli' est  rimprcssion  que  laissoiil 
Contra  Gau<lcnliuiii,  I,  14,  1.5  ;  fh'lnict.,  plusieurs  de  ses  mots  {Ssriiin  ad  C'ncsw- 
11,  77.  recnsis  Ecclesiae  plebem,  1  ;    Gesta    cum 

3)  ((  Hoc  proplorea  dixi,  no  iden  loqtii  Emerito,  '^). 
nolit    (Euicrilus)    quia    potest    tlioerc  : 


EMERITUS    DE    C.ESAREA  189 

dresses  et  les  inconséquences  de  ses  résolutions,  à  jouer  publi- 
quement un  rôle  malencontreux  de  sourd-muet  '.  Et  cela,  dans  sa 
ville  épiscopale,  devant  ses  derniers  fidèles,  en  face  d'Augustin 
ironique  et  triomphant,  dont  les  sténographes  notaient  tous  les 
mots  pour  égayer  l'Afrique  attentive. 

Ainsi,  l'éloquence  d'Emeritus  finit  dans  le  mutisme.  Sa  mé- 
saventure est  comme  un  symbole.  Au  moment  où  l'Eglise  de 
Douât  s'écroule  sous  les  coups  du  pouvoir  temporel,  Téloquence 
donatiste  sombre  partout  dans  le  silence.  A  la  Conférence  de 
Carthage,  la  victoire  des  Catholiques  avait  été  facilitée  par  le 
mutisme  de  Primianus,  chef  de  l'Eglise  schismatique,  et  par 
l'enrouement  subit  de  Petilianus,  son  principal  avocat  '.  Dans  la 
conférence  de  Caisarea,  Augustin  enlève  ses  derniers  fidèles  à 
Emeritus,  naguère  le  plus  bavard  des  orateurs  de  la  secte,  mais 
soudain,  volontairement  ou  non,  devenu  muet. 

1)  «  Clinique  diu  reticeret...  »  {Gesta  14,  15).  — «  T;uiquain    imiliis  audi\il  >» 

cum  Einerito,  i).  —   c(  Convictus  obmu-  {Retracl.,  il,  77). 
tiiit...  ille  Eineritus,  inqu.im,  et  iniini-  2)  Collai.  Carlhag.,  III,  541-542. 

eus  et  mvitus  »  (Contra    Gaudentiuin,   1, 


VI.  13 


I 


CHAPITRE    V 

GAUDENTIUS  DE  THAMUGADI 


Biographie  de  Gaudentius.  —  Thamugadi  donatiste.  —  Gaudentius  est  élu 
en  398  évêque  schismatique  de  Thamugadi.  —  Son  rôle  à  la  Conférence  de 
Carthage  en  Mi.  —  Son  attitude  intransigeante  après  la  proscription  du 
Donatisme.  —  Sa  résistance  désespérée  aux  édits  el  au  commissaire  del'em- 
pereur.  —  Il  menace  de  se  brûler  dans  son  église  avec  ses  fidèles.  —  Ses 
lettres  au  tribun  Dulcitius.  —  Ses  polémiques  contre  Augustin.  —  Son 
caractère. 

Gaudentius  de  Thamugadi  est  un  exemple  frappant  du  ca- 
price qui  préside,  non  pas  seulement  aux  réputations  littéraires, 
mais  encore,  tout  simplement,  à  la  survie  des  noms  dans  l'his- 
toire. On  saurait  à  peine  que  cet  évêque  a  existé,  si  un  jour, 
dans  un  accès  de  fanatisme  macabre,  il  n'avait  imaginé  ou  me- 
nacé de  se  brûler  vif  '.  Il  n'en  fallut  pas  plus  pour  rendre  popu- 
laire, dans  toute  l'Afrique,  ce  mort- vivant.  Comme  le  bûcher 
épiscopal  fut  long  à  s'allumer,  le  supplicié  volontaire  eut  le 
temps  d'engager  toute  une  controverse,  où  intervint  Augustin. 
Et  voilà  comment  l'évêque  schismatique  de  Thamugadi  est  en- 
tré dans  l'histoire,  même  dans  la  littérature. 

On  sait  peu  de  chose  sur  sa  vie  ;  mais,  dans  tout  ce  que  nous 
savons  de  lui,  son  nom  est  inséparable  du  nom  de  sa  ville  épis- 
copale.  Thamugadi,  la  cité  de  Gaudentius,  c'est  notre  Timgad, 
miraculeusement  sorti  de  terre  depuis  trente  ans.  Tout  autour 
du  Timgad  primitif,  de  la  colonie  de  Trajan,  aux  rues  droites  et 
régulières  dessinant  une  sorte  de  damier,  les  fouilles  récentes 
nous  ont  révélé  une  autre  ville,  aussi  vaste  sans  doute,  mais  ir- 
régulière et  moins  ancienne:  le  Timgad  des  faubourgs,  qui  était 
surtout  un  Timgad  chrétien"-.  On  y  a  déblayé  déjà  une  douzaine 
de  basiliques  ou  de  chapelles,  dont  quelques-unes  avec  des  dé- 

1)  Augustin,  Contra  Gaudentium,  1,1  ;  Recueil  des  Rapports  annuels  de  l'Ecole 
Retract.,  H,  85.  pratique     des     Hautes-Etudes,     Section 

2)  Voyez     notre     mémoire     intitulé       des  Sciences  religieuses,  année  1S)11). 
Timgad    chrétien,    Paris,    1911    (dans  le 


192  LITTÉHATUUE    DONATISTE 


« 


pendances  considérables  et  de  riches  décorations  en  mosaïque; 
on  y  a  trouvé  jusqu'à  un  monastère.  Toutes  ces  ruines  attestent 
que  le  christianisme  s'est  largement  développé  dans  la  ville  de- 
puis le  début  du  quatrième  siècle.  Il  y  avait  là  une  Eglise 
importante.  Il  y  en  avait  même  deux  :  une  communauté  schis- 
matique,  en  face  de  la  communauté  catholique. 

Pendant  tout  le  quatrième  siècle  et  le  début  du  cinquième, 
Thamugadi  fut  Tune  des  places  fortes  du  Donatisme.  A  plu- 
sieurs reprises  s'y  sont  déroulés  des  événements  d'importance 
pour  riiistoire  de  la  secte.  C'est  là,  dans  l'enquête  sur  Silvanus 
de  Gonstantine,  le  8  décembre  320,  que  vinrent  s'entre-déchirer 
les  schismatiques  pour  la  grande  joie  de  leurs  adversaires'.  A 
la  fin  du  quatrième  siècle,  c'est  là  que  régna  l'un  des  plus  fa- 
rouches parmi  les  Donatistes,  un  évêque  guerrier,  despote  et 
brigand  :  ce  terrible  Optatus,  surnommé  «  le  Gildonien  »,  qui 
prit  part  à  la  révolte  du  comte  Gildon,  et  qui,  pendant  dix  ans, 
fit  gémir  ou  trembler  l'Afrique-.  Ses  satellites  disaient  de  lui: 
«  Il  a  Dieu  pour  compagnon  —  Habet  comiteni  Deum  »  ;  ce 
que  d'autres  traduisaient  ainsi  :  «  Il  a  pour  dieu  le  comte '^  » 
Optatus  avait  fait  de  Thamugadi  son  château-fort,  le  repaire 
de  ses  Circoncellions,  l'entrepôt  de  son  butin.  De  là,  il  rayon- 
aait  sur  la  Numidie  pour  la  piller  ou  l'exploiter.  De  là,  il  partit 
un  jour  pour  sa  campagne  de  Proconsulaire,  où  il  imposa  la 
paix  primianiste  aux  xMaximianistes  récalcitrants^.  Là  vinrent 
lui  rendre  hommage,  à  l'occasion  de  son  anniversaire  épiscopal, 
la  pkipart  des  évoques  de  son  parti,  leur  primat  en  tète '.  Là 
enfin,  dans  un  concile,  en  397,  fut  réglée  l'affaire  du  Maximia- 
nisine''.  En  ces  temps-là,  Thamugadi  semblait  devenu  la  capi- 
tale du  Donatisme.  D'ailleurs,  il  en  était  l'un  des  centres  par  l'im- 
portance de  la  communauté.  Quand  on  leur  disait  que  l'Eglise  ca- 
tholi<}ue  rayonnait  sur  le  monde  entier,  les  schismati(iues  de 
Numidie  répliquaient  avec  une  fierté  naïve  :  «  Notre  l'église  aussi 
est  grande.  Que  vous  semble  de  liagaï  et    de  Thamugadi^?    » 

;    \)  Gesla  apitil  Zenopliituni,  <l,iris   IMp-  4)  Epist.  5H,  3,  6;    Coiiliu  lillerns   Pc- 

pendjx    d'Oplat,  ii.   1,  p.   18.")-r.<7  Ziwsa.  liUuni,    1,    10,   11;   II,   83,    IHt  ;    Contra 

Cf.  Oplat,  1,  14  ;  Augustin,  Episl.  43,  6,  Crc.'iconiiim,  III,  GO,  66  ;  Gcsla  cuin  Emc- 

17  ;  .53,  2,  4;  Contra  Cresconiuni,  III,  28,  rito,  !». 

32  l'I  siiiv.  ;  l\,  ,">6,  6(i. — Sur  reiuiiirlc  5)   Efiist.    108,    2,    .ô  ;    Contra    litteras 

de  Tliamiigaili,   xujez  plus    li.uil,   loiiic  PelUiniii,  il,   23,  .")3. 

IV,  p.  228  et  suiV.  6)  Coiilra  Ep'astiiliim  Parmeniani,  I,  4, 

2)  Augustin,  (Montra  litlenia  PclU'utni,  it;  11,3,  7;  Conlrii  <:resconiiini,  III,  16, 
J,  24,  26  ;  II,  23,  Ô3-55.;  37,  88  ;  3i),  94  ;  18  ;  IV,  2.-),  32  ;  .'.1,  61  ;  Contra  Gau- 
p2,  120;  83,  184  ;  1U3,  237,  denlium,  I,  .S!t,  54. 

3)  /fcù/.,    H,    23,  53  ;    28,  65  ;  33,  78;  7)  Enurr.  Il  in  J'saim.  21,  26. 
37',  88  ;  103,  237. 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  193 

Toute  la  vie  de  Gaudentius  s'est  écoulée  dans  cette  aimable 
cité  de  Thamugadi,  dont  l'ironie  des  choses  avait  fait  une  ville 
de  sectaires,  la  ville  d'Optatus.  Gaudentius  y  était  né  sans 
doute,  vers  355.  Nous  ne  savons  rien  de  sa  jeunesse,  ni  de  son 
éducation,  ni  de  sa  famille.  Selon  toute  apparence,  il  fréquenta 
les  écoles  de  grammairiens  et  de  rhéteurs;  car  ses  ouvrages  et 
son  style  ne  sont  pas  d'un  ignorant.  Mais  il  ne  semble  pas  s'y 
être  beaucoup  passionné  pour  les  études  libérales  ;  il  n'y  devint 
ni  un  orateur,  ni  un  érudit,  ni  un  très  habile  écrivain.  Son  es- 
prit était  ailleurs  :  tourné  dès  l'abord  vers  les  choses  de  la  reli- 
gion. Presque  sûrement,  il  fut  élevé  dans  un  milieu  de  sectaires 
fanatiques,  où  l'on  ne  vivait  que  pour  la  foi,  la  foi  donatiste,  et 
où  Ton  vénérait  la  mémoire  de  Donat.  De  ce  milieu,  il  garda 
toujours  l'empreinte.  Pour  lui,  toute  la  science  était  dans  la 
Bible,  et  dans  la  Bible  donatiste  :  aux  Livres  saints,  ce  qu'il 
demandait  surtout,  c'était  la  justification  des  principes  et  des 
prétentions  du  parti.  Avec  ces  préoccupations  et  ce  tour  d'es- 
prit, il  dut  entrer  de  bonne  heure  dans  le  clergé,  et  y  gravir 
rapidement  les  degrés  de  la  hiérarchie.  Il  vit  alors  autour  de 
lui  des  choses  étranges,  qui  auraient  pu  révolter  sa  conscience 
d'honnête  homme,  mais  que  sans  doute  il  excusait  dans  l'inté- 
rêt de  la  secte,  ou  qu'il  couvrait  ingénument  d'un  voile  dans  la 
candeur  d'une  conviction  de  plus  en  plus  fanatique.  On  aime- 
rait, pourtant,  à  savoir  ce  qu'il  pensait  de  son  évêque,  que 
toute  l'Afrique  considérait  comme  un  forban.  Il  fut  prêtre  ou 
diacre  dans  le  clergé  d'Optatus;  il  l'était  encore,  quand  il  fut  élu 
évêque  de  Thamugadi. 

On  peut  fixer  la  date  de  cette  élection.  Gaudentius  fut  le  suc- 
cesseur immédiat  d'Optatus  K  Ce  dernier,  qui  avait  été  le  lieu- 
tenant de  Gildon,  fut  atteint  naturellement  par  la  défaite  du 
comte  rebelle.  C'était  au  début  de  l'année  398  :  Optatus  fut  im- 
pliqué dans  les  poursuites,  arrêté,  emprisonné,  et  mourut  en 
prison  presque  aussitôt'.  Gaudentius  le  remplaça  vers  la  fin 
de  398. 

Durant  les  douze  premières  années  de  son  épiscopat,  il  paraît 
s'être  contenté  de  gouverner  en  paix  sa  grande  et  riche  com- 
munauté. S'effacer,  se  laisser  oublier,  c'est  ce  que  pouvait  faire 
de  mieux  le  successeur  d'Optatus.  Rien  n'indique  que  Gauden- 
tius ait  été  atteint  par  l'édit  d'union  de  405,  qu'il  ait  été  alors 
dépossédé  de  son  siège,  exilé  ou  inquiété.  Il  fut  protégé  proba- 

])  Contra    Gaadentluin,  1,  38,  52;  39,  2)   Contra  litterns  Petiliani,  11,^2,  20d; 

54.  Epbt.  7(5,  3. 


194  LITTÉRATURE    DONATISTE 

blement  par  l'ombre  d'Optatus,  les  agents  de  l'empereur  ne  se 
souciant  guère  de  s'aventurer  dans  ce  nid  de  sectaires  qu'était 
Thamugadi.  Il  avait  pour  collègue  ou  pour  rival,  dans  la  com- 
munauté catholique,  un  certain  Faustinianus,  qui  ne  semble  pas 
avoir  été  très  belliqueux.  Quand  les  deux  évêques  rivaux  se 
trouvèrent  face  à  face  à  la  Conférence  de  Cartilage,  ils  ne  s'adres- 
sèrent mutuellement  aucun  reproche'.  On  peut  donc  supposer 
qu'ils  n'avaient  pas  eu  de  querelles,  qu'ils  n'avaient  pas  cher- 
ché à  s'enlever  réciproquement  leurs  basiliques  ou  leurs  fidèles, 
préférant  se  consacrer  au  bien  de  leurs  communautés  respec- 
tives, se  supportant  l'un  l'autre,  affectant  de  s'ignorer.  C'était 
le  cas  dans  bien  des  villes;  et  plus  tard,  même  après  la  proscrip- 
tion théorique  du  Donatisme.des  conciles  se  plaignaient  de  cette 
tolérance-. 

En  411,  Gaudentius  sort  un  peu  de  l'ombre,  pour  un  instant. 
Il  fut  un  des  sept  adores  ou  avocats-mandataires  du  parti 
donatiste  à  la  Conférence  de  Carthage-^  Assurément,  il  ne  dut 
cet  honneur  ni  à  sa  réputation  ni  à  ses  talents  ;  inconnu  comme 
il  l'était  encore,  il  fut  choisi  à  cause  du  siège  qu'il  occupait,  en 
souvenir  d'Optatus,  en  raison  de  l'importance  de  Thamugadi 
dans  le  monde  des  schismatiques.  D'ailleurs,  il  ne  fit  rien  pour 
justifier  ce  choix.  A  côté  de  ses  bruyants  confrères  Emeritus 
et  Petilianus,  il  ne  joua  dans  les  controverses  qu'un  rôle  très 
effacé,  presque  muet  :  il  n'y  prit  qu'une  ou  deux  fois  la  parole  '•. 

Pendant  les  neuf  ou  dix  années  qui  suivirent,  il  mena  une 
existence  de  proscrit.  La  défaite  de  son  parti  à  la  Conférence 
avait  eu  pour  conséquence  un  édit  d'union,  dont,  cette  fois,  le 
gouvernement  poursuivit  sérieusement  l'exécution.  Partout,  on 
supprimait  les  communautés  donatistes,  on  confis([uait  leurs  ba- 
siliques et  tous  leurs  biens,  on  frappait  d'exil  les  clercs  récalci-      d 
trants.  Mais  la  secte  était  trop  solidement  enracinée  en  Numidie,     9 
pour  qu'on  put  l'en  extii-per  comj)h"3tement.  L'un  des  prinei[)aux       » 
centres  de  résistance  fut  la  Numidie  méridionale  et  la  région  de 
l'Aurès.  Sans   doute,   dans   cette   contrée  comme  ailleurs,  les 
conversions  plus  ou  moins  volontaires  furent  très  nombreuses  *  ; 
on  vit  inême  des  Circoncellions  se  rallier  à  l'Eglise  catholi({ue, 
et,  du  même  coup,  renonc(!r  au  brigandage  poui-  se  remettre  à 
cultiv(!r  les  cham[)s  ''.  Des  évêques  scliismati<iues  furent  touchés 

\)  Collai.  Carlhari.,\,\m.  dentium,     I,    H,    4;       lU-IrncL.     Il,     8."). 

2)  Codex    canon.    Fcdei.    ufric,    cati.  4)  Ci, Ihil.  Carlha;!.,   I,  l--'8  :  III,  102. 
12:^-124.  .5)  Auîj;iislin,  Conlrn  (hiudanliiuu,  I,  11, 

3)  Cotlut.  CiirUiay.,  I,  148  el  208  ;  II,  12  ot  siiiv.  ;  33,  42-43. 
2  et  12  ;   111,  2  ;  Aii^nistiii,  Conlra  Guu-  G)  //;«/.,  1,  2!»,  àS. 


GAUDENTIUS    DE    ÏHAMUGADI  195 

de  la  grâce,  d'autant  mieux  qu'on  leur  facilitait  la  transition  en 
leur  conservant  leur  dignité  et  leurs  fonctions;  parmi  eux,  on  ci- 
tait un  certain  Gabinus ',  qu'on  doit  probablement  identifier 
avec  un  Donatiste  présent  à  la  Conférence  de  411,  Gavinus, 
évêque  de  Vegesela-.  Néanmoins,  les  intransigeants  étaient 
nombreux  aussi.  Beaucoup  d'évêques  se  cachaient  dans  les  cam- 
pagnes, où  souvent  leurs  fidèles  n'osaient  leur  donner  asile  •\ 
D'autres  évêques  se  brûlaient  vifs  ^.  A  Thamugadi,  la  persécu- 
tion sévit  comme  partout,  mais  avec  des  intermittences,  avec 
des  périodes  de  tolérance  relative,  qui  s'expliquent  probablement 
par  la  lassitude  des  persécuteurs,  et  qui  permettaient  aux  schis- 
matiques  un  retour  offensif.  C'est  ainsi  que  Gaudentius,  après 
avoir  été  obligé  de  quitter  sa  ville  épiscopale,  put  y  revenir  et 
rentrer  en  possession  d'une  au  moins  de  ses  basiliques.  Dans 
l'intervalle,  il  s'était  tenu  caché  aux  environs  de  la  cité  5.  Il  était 
de  ceux  qui  refusaient  de  s'incliner  devant  l'édit  d'union  et 
l'ordre  de  l'empereur.  Il  résistait,  la  tète  haute,  protestant  contre 
les  persécutions  et  invoquant  la  liberté  de  conscience ''.  Vers 
418,  il  assistait  à  un  concile  des  dissidents,  tenu  en  Numidie '. 

Enfin  sonna  pour  lui  l'heure,  sinon  de  la  revanche,  du  moins 
de  la  gloire.  Il  reparut  brusquement  en  pleine  lumière,  vers 
420,  dans  une  affaire  qui  fit  grand  bruit  en  Afrique,  et  qui  le 
mit  aux  prises  avec  le  tribun  Dulcitius,  puis  avec  Augustin. 

Le  tribun  Dulcitius,  qui  fut  l'un  des  correspondants  d'iA-U- 
gustin^,  avait  été  chargé  par  l'empereur  de  faire  exécuter  en 
Numidie  les  lois  contre  les  Donatistes  ^.  Il  promulgua  succes- 
sivement deux  édits,  l'un  très  menaçant,  l'autre  moins  rigoureux 
de  ton,  où  il  sommait  les  schismatiques  de  rendre  leurs  églises 
et  de  se  soumettre  'o. 

Quand  on  reçut  à  Thamugadi  notification  de  ces  édits,  Gau- 
dentius était  absent,  caché  sans  doute  aux  environs  ".  Dès  que 
la  nouvelle  lui  parvint,  il  rentra  dans  la  ville,  s'enferma  dans 
sa  basilique  avec  ses  fidèles,  et  déclara  qu'il  s'y  brûlerait  plutôt 
que  de  la  rendre'-.  Inquiet  de  ce  fâcheux  contre-temps  et  du 
scandale  qui  pouvait  en  résulter,  Dulcitius  adressa  à  l'évêque 


1)  Augustin,  Contra  Gaudentium,  I,  11,           8)   Epist.    204.     —    L'évc<iiic    d'flip- 
12  et  suiv.  pone    dédia   plus    lard   à    Dulcitius    un 

2)  Collât.  Carthag.,  I,  135  et  187.  ouvrage  intitulé  De    Mil  Dulciti    qaues- 

3)  Augustin,    Contra    Gaudentium,  I,        tionibus  liber.  Cf.  Retract.,  Il,  iU. 

14,  15  et  suiv.  ;  18,  19.  9)  Contra    Gaudentium,    1,    1  ;  Episl. 

4)  Ibid.,  I,  37,  47.  204,  3  ;  Retract.,  Il,  85. 

5)  Ihid.,  I,  16,  17.  10)  Epist.  204^,  3. 

6)  Ibid.,  ],  19,  20.  U)  Contra  Gaudentium,  l,  10,  ]l;  16,  17. 

7)  Ibid.,  I,  37,  47-48.  12)  Ibid.,  I,  1  ;  Retract.,  II,  85. 


19G  LITTK1VA.TUHE    DONATISTE 

donatiste-une  lettre  modérée  de  ton,  bien  que  ferme  au  fond,  où 
il  cherchait  à  le  détourner  de  sa  résolution  désespérée  '. 

A  ce  message  du  tribun,  Gaudentius  fit  une  double  réponse, 
pour  notifier  sa  décision  irrévocable.  Le  jour  même,  au  courrier 
qui  avait  apporté  la  lettre  de  Dulcitius,  il  remit  un  billet,  où  il 
annonçait  en  termes  énergiques  son  refus  catégorique.  Puis  il 
rédigea  à  loisir  une  longue  lettre,  où  il  cherchait  à  justifier  sa  réso- 
lution par  des  citations  bibliques  et  des  arguments  de  tout  genre-. 

Ces  lettres  redoublèrent  l'embarras  du  tribun.  Répugnant  à. 
employer  la  force,  pris  entre  la  crainte  du  scandale  et  la  néces- 
sité d'appliquer  la  loi,  Dulcitius  eut  l'idée  de  consulter  l'oracle 
de  l'Afrique  chrétienne,  l'évêque  d'Hippone.  Il  écrivit  à  Augus- 
tin, lui  demandant  son  avis  sur  la  tactique  à  suivre  ;  il  lui  en^ 
voyait  les  deux  lettres  de  Gaudentius,  en  le  priant  de  les  ré- 
futer ■'.  • 

Augustin  conseilla  au  commissaire  impérial  de  poursuivre 
l'application  de  la  loi,  mais  avec  modération,  sans  mettre  à  mort 
ni  menacer  de  mort  les  Donatistes  rebelles^.  Il  promit  d'écrire 
la  réfutation  demandée  '.  Peu  de  temps  après,  il  s'acquitta  de  sa 
promesse,  en  publiant  l'ouvrage  qui  est  devenu  le  livre  I  Contra 
Gaudentiuiiï . 

Dans  l'intervalle,  Gaudentius  avait  sans  doute  réfléchi.  En 
tout  cas,  il  avait  ajourné  l'exécution  de  ses  menaces'.  Il  ne  vou- 
lut pas  se  brûler  avant  d'avoir  réfuté  la  réfutation  de  l'évêque 
d'Hippone:  d'autant  mieux  que  son  adversaire  l'avait  mis  au 
défi  de  répondre^.  Gaudentius  tenta  de  se  justifier  dans  une 
sorte  de  pamphlet,  qui  avait  la  forme  d'une  lettre  à  Augustin  ~. 
Celui-ci  répliqua  par  une  longue  lettre  à  Gaudentius  :  c'est  le 
livre  II  Contra  Gaudentiuni. 

Ici  s'arrêtent  nos  renseignements  sur  cette  curieuse  affaire. 
A  la  fin  de  son  deuxième  livre,  Augustin  avait  de  nouveau  mis 
l'évêque  donatiste  au  défi  de  lui  répondre'*^.  Nous  ne  savons  si 
Gaudentius  a  répondu  une  seconde  fois,  ni  s'il  s'est  brûlé  avec 
ses  fidèles  dans  son  église  de  Thamugadi.  Depuis  sa  fière  dé- 
claration au  tribun,  bien  des  mois  avaient  passé  au  milieu  des 
correspondances  et  des  polémiques.  Ajourné  toujours,  l'héroïsme 
tournait  au  burlesque. 


1)  Epim.    20i,     3;    Retract.,    Il,    85;  4)  Episl.  20A,  2-3. 
Conlru  (iiiudeiiliuin,  1,  1  ;    II,  11,12,  etc.  ô)  Ihid.,  204,  9. 

2)  ('onirii   (iuudenlinin.    I,    1;    11,    12:  (îj  Contra  Guudenlliim,   1,  3'.l.  0+. 
HcIritcL,  11,  S").  7|    Helnicl.,    Il,   85  ;    Honlra    Gauden- 

3)  lipisl.    2IJJ,    1    cl    y  ;    lielnicl.,    Il,  linin,  II,  l.etc. 

85.  8)  Contra  Gaudentimit,  11,  ]:5,   14. 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  197 

Nul  doute,  cependant,  que  l'évêque  de  Thamugadi  ait  eu  réel- 
lement l'intention  de  se  brûler.  La  résolution  farouche  de  ré- 
sister jusqu'à  la  mort,  s'accorde  bien  avec  le  caractère  de 
l'homme.  Quant  à  la  forme  du  suicide,  elle  lui  était  suggérée 
par  l'exemple  de  plusieurs  collègues,  qui  tout  récemment,  eux 
aussi,  avaient  fini  volontairement  sur  un  bûcher  '.  Si  l'évêque  de 
Thamugadi  a  longtemps  ajourné  son  suicide,  c'est  l'effet  des 
circonstances.  D'abord,  le  martvr  attendait  ses  bourreaux,  troD 
discrets,  qui  ne  se  montraient  pas.  Puis,  l'orgueilleux  sectaire 
préférait  ne  pas  disparaître  avant  d'avoir  eu  le  dernier  mot  dans 
ses  controverses,  où  lui  paraissaient  engagés  l'honneur  et  l'in- 
térêt de  son  parti. 

Tout  dans  sa  vie,  comme  dans  son  œuvre^  s'explique  par 
l'ardeur  concentrée  de  sa  conviction  religieuse.  Cette  foi  vi- 
brante était  comme  l'aimant  de  sa  pensée,  de  ses  résolutions, 
de  ses  actes.  Tout,  chez  lui,  était  fonction  du  caractère,  et  le 
caractère  lui-même  était  fonction  de  ce  sentiment  exclusif  :  le 
dévouement  aveugle  à  son  Eglise,  un  fanatisme  intégral-.  Mé- 
diocrement instruit,  étranger  à  toute  curiosité,  Gaudentius  était 
l'homme  d'un  seul  livre  :  la  Bible  donatiste,  c'est-à-dire  la  Bible 
telle  qu'on  la  comprenait  dans  son  monde,  telle  que  la  présen- 
tait la  tradition  déjà  séculaire  du  parti  de  Donat.  Hors  de  là, 
pour  l'évêque  de  Thamugadi,  la  vie  intellectuelle  n'existait  pas  ; 
il  parait  n'avoir  rien  écrit  avant  son  héroïque  aventure,  et  à 
cette  aventure  se  rapportent  entièrement  les  trois  ouvrages  de 
lui  que  nous  connaissons.  Elevé  dans  un  milieu  fanatique  et 
fermé  à  toute  autre  influence,  confiné  ensuite  dans  ce  même  mi- 
lieu par  ses  fonctions  de  clerc  ou  d'évêque  et  par  l'étroitesse  de 
son  intransigeance  sectaire,  il  n'a  vécu  que  pour  sa  foi,  pour 
son  parti.  Honnête  homme,  d'ailleurs,  et  très  différent  en  cela 
de  son  prédécesseur  Optatus  ;  sans  ambition,  sans  intrigue,  ne 
demandant  qu'à  vivre  en  paix  dans  l'horizon  borné  de  son 
Eglise;  et,  ce  qui  surtout  était  rare  dans  la  secte,  tolérant 
pour  autrui.  Mais  candide,  un  peu  naïf,  dans  son  aveugle  entê- 
tement. Avant  tout,  buté  dans  sa  foi  de  sectaire;  brave  homme, 
inoffensif  et  quelconque  en  apparence,  mais  capable  de  pousser 
sa  placide  intransigeance  jusqu'à  l'héroïsme,  et  l'héroïsme  jus- 
qu'au martyre  volontaire  '^. 

1)  Contra  Gaudentiiim,  I,  .37,  47.  3)  a  Haec  igitur  fides  nos  hortatur  ut 

2)  Il  prêtait  à  son  Eglise  toutes  les  libenter  pro  Dec  in  ista  pcrsecutione 
vertus  [Collai.  Carthag.,  III,  102).  Et  il  raorianiur  »  (Contra  Gaudenlium,  I,  36, 
était  prêt  à  tout  pour  la  défendre  (Au-  46).  —  «  Incendium  quo  se  ac  sues 
gustin,  Contra  Gaudenliiun,  1,  6,  7  ;  20,  cuin  ipsa  in  qua  eral  ecclesia  consu- 
29  ;  36,  46).  mcre  minabatur  »  (lielracL,  II,  Sô). 


198  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Mieux  que  les  grands» hommes  de  son  parti,  mieux  que  les 
plus  éloquents  ou  les  plus  brillants  de  ses  collègues  orateurs  ou 
écrivains,  Gaudentius  de  Thamugadi  peut  être  considéré  comme 
une  sorte  de  personnification  du  parti  de  Donat.  Il  est  le  type 
presque  symbolique  des  milliers  de  braves  gens,  un  peu  bornés, 
qui  composaient  le  gros  de  la  secte  et  en  faisaient  la  force  ;  sur- 
tout des  centaines  d'évêques,  ignorants  du  monde  et  de  la 
science,  qui  administraient  les  communautés  schismatiques,  tout 
à  leur  tâche,  ne  connaissant  que  leur  Eglise,  mais  prêts  à  mou- 
rir pour  elle  '.  Entre  les  protagonistes  du  parti  et  la  tourbe  des 
Girconcellions  ou  des  vulgaires  coquins  de  la  secte,  Gaudentius 
représente  bien  le  Donatiste  moyen  :  honnête  homme,  d'ins- 
truction médiocre,  d'esprit  quelconque,  désirant  la  paix  à  la 
condition  de  ne  pas  céder,  restant  dans  l'ombre  jusqu'au  jour 
où  gronde  la  persécution,  mais  se  dressant  ce  jour-là  pour  af- 
firmer sa  foi,  sincère  et  naïf  dans  son  intransigeance,  têtu  tou- 
jours, têtu  jusqu'à  la  mort. 

*  II 


Le  dossier  de  Gaudentius.  —  Date  de  l'affaire.  —  Reconstitution  du  dos- 
sier. —  Premier  édit  de  Dulcitius.  — •  Second  édit.  — ■  Lettre  de  Dulci- 
tius  à  Gaudentius.  — ■  Double  réponse  de  Gaudentius  à  Dulcitius.  — 
Lettre  de  Dulcitius  à  Augustin.  —  Envoi  d'une  copie  des  deux  lettres 
de  Gaudentius.  —  Réponse  d'Augustin  à  Dulcitius.  —  Premier  livre 
d'Augustin  Contra  Gaudentium.  —  Lettre  de  Gaudentius  à  Augustin.  — 
Réponse  d'Augustin  dans  le  second  livre  Contra  Gaudentium. 

A  l'aA'^enture  pittoresque  de  Gaudentius,  à  ses  démêlés  avec 
le  tribun  Dulcitius,  à  ses  polémiques  avec  Augustin,  se  rap- 
porte un  dossier  assez  considérable,  que  nous  pouvons  i-econs- 
tituer,  et  que  l'on  doit  connaître  pour  s'orienter  dans  les  ou- 
vrages de  l'évêque  donatiste '-.  D'ailleurs,  ce  curieux  dossier 
présente  un  véritable  intérêt  pour  l'histoire  des  controverses 
d'Augustin,  comme  pour  l'histoire  du  Donatisme  et  de  Tancion 
Thamugadi. 

La  date  d(;s  incidents  et  du  dossier  ne  p(!ut  être  déterminée 
qu'approximativement.  Dans  l'ouvrage  d'Augustin  qui  s'y  rap- 
porte, on  relève  des  allusions  nombreuses,  non  si!ulement  à  la 

1)  Voir  le  défilé  piUorcsque  ol  les  Dosxicr  de  Gnudmliiix,  l'-vrijin-  ilonnlir^lc. 
propos  truculents  de  tous  ces  évèques  de  Tluimugadi,  restiliilion  ou  Ira-^mLiils 
donatistcs  à  la  Conférence  do  Carlha^e  de  ses  ouvrages  et  des  documents  (jui 
(CoUiit.  Curduig.,  I,  ll(;-14:î  ;  14y-21()).  s'y  rattachent,  Paris,  l'.lO?  (dans  la  Revue 

2)  Voyez  notre  nicnioirc  intitulé:  Le       de  pliUohjijie,  1907,  p.  111-133). 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  199 

grande  Conférence  de  411  ',  mais  encore  à  la  conférence  de  Cœ- 
sarea,  qui  en  418  mit  l'évêque  d'Hippone  aux  prises  avec  Eme- 
ritus'.  D'après  les  Rétractations,  les  deux  livres  d'Augustin 
Contra  Gaiidentium  sont  postérieurs  à  tous  ses  autres  ou- 
vrages contre  les  Donatistes,  même  à  beaucoup  de  ses  traités 
contre  les  Pélagiens  ;  ils  sont  mentionnés  par  l'auteur  après  les 
Gesta  cuni  Emerito  de  Tannée  418'',  et  avant  un  traité  contre 
les  Pélagiens  que  l'évêque  d'Hippone  dédia  au  pape  Bonifatius, 
mort  en  422^.  L'affaire  de  Gaudentius  se  place  donc  entre  418 
et  422  ;  elle  dut  commencer  vers  420,  et  les  dernières  pièces  du 
dossier  ne  doivent  pas  être  postérieures  à  421. 

A  cette  affaire  se  rapportent  dix  documents  qui  se  sont  suc- 
cédé dans  l'ordre  suivant  :  1"  premier  édit  de  Dulcitius  ;  2"  second 
édit;  3"  lettre  de  Dulcitius  à  Gaudentius;  4"  première  réponse 
de  Gaudentius  à  Dulcitius  ;  5°  seconde  réponse  de  Gaudentius  à 
Dulcitius  ;  6"  lettre  de  Dulcitius  à  Augustin,  avec  copie  des  deux 
lettres  précédentes  ;  7"  réponse  d'Augustin  à  Dulcitius  ;  8»  pre- 
mier livre  d'Augustin  Contra  Gaudentium  ;  'è"  réponse  de  Gau- 
dentius à  Augustin  ;  10"  second  livre  d'Augustin  Contra  Gau- 
dentium. 

Trois  de  ces  documents  (n.  7,  8  et  10)  sont  conservés  dans 
l'œuvre  d'Augustin.  Nous  avons  pu  en  reconstituer  entièrement 
deux  autres  (n.  4  et  5)  ;  et  nous  avons  réuni  des  fragments  im- 
portants de  deux  autres  encore  (n.  3  et  9).  Des  trois  autres 
pièces  (n.  1,  2  et  6),  nous  connaissons  seulement,  et  en  gros,  le 
contenu. 

Nous  passerons  successivement  en  revue  les  dix  pièces  du 
dossier,  pour  en  indiquer  sommairement  la  nature  et  la  portée. 
Nous  mentionnerons  d'un  mot,  à  leur  rang  chronologique,  les 
trois  ouvrages  de  Gaudentius,  qui  seront  étudiés  plus  loin. 

1°  Premier  édit  de  Dulcitius'-^. 

Par  cet  édit,  le  tribun  Dulcitius  rappelait  aux  Donatistes  les 
clauses  des  lois  qui  les  avaient  frappés  après  leur  condamnation 
à  la  Conférence  de  411;  il  les  sommait  de  se  soumettre,  et  les 
avisait  des  mesures  qu'il  comptait  prendre  pour  assurer  l'appli- 
cation de  ces  lois.  L'édit  était  rédigé  en  termes  assez  menaçants, 
d'un  ton  qu'Augustin  jugeait  un  peu  déplacé   et  de  nature  à 


1)  Augustin,  CoAj/rfl  GaadeiUium,  1,3,  5)  Episl.  204,  3;  Retract.,  II,  85  ; 
4  ;  11,  12  ;  33,  42  ;  37,  47  ;  39,  54  ;  II,  3  Contra  Gaudentium.  I,  1  ;  11,  12  ;  19,21  ; 
et  4  ;  10,  11  ;  11,  12  ;  13,  14.  31,  40  ;  33,  43  ;  39,  53  ;  H,  12,  13.  —  Les 

2)  Ibid.,  1,  14,  15  ;  32,  41  ;  39^  54.  fragments  de  cet  édit  sont  réunis  dans 

3)  Retract.,  II,  77  et  85.  notre  Dossier  de  Gaudentius,  p.  114-1 10. 

4)  tbid.,  II,  87. 


200  LITTÉUATL'KE    DONATISTE 

exaspérer  les  Donatistes.  Il  nous  est  connu  seulement  par  les  al- 
lusions d'Augustin. 

2°  Second  é dit  de  Dulcitiuf:^. 

Par  ce  second  édit,  Dalcitius  se  proposait  de  corriger  le  mau- 
^-ais  effet  produit  en  Afrique  par  le  ton  menaçant  du  premier 
édit.  Tout  en  restant  ferme  sur  le  fond,  le  tribun  se  montrait 
plus  conciliant  dans  la  forme.  Il  invitait  les  Donatistes  à  se 
soumettre  sans  résistance,  à  fuir  au  besoin,  et  laissait  voir 
qu'il  cherchait  à  éviter  l'emploi  de  la  force. 

3"  Lettre  de  Didcitiiis  à  Gaudentiiis'-. 

Dulcitius  dut  être  avisé  par  ses  agents,  ou  par  les  magis- 
trats de  Thamugadi,  de  l'accueil  fâcheux  fait  à  ses  édits  par  les 
Donatistes  de  cette  ville,  un  des  centres  de  la  secte  rebelle.  Il 
sut  que  l'évéque  schismatique  de  la  cité  parlait  de  se  brûler 
dans  son  église  plutôt  que  de  la  livrer '^  Par  humanité  ou  par 
crainte  des  complications  ou  du  scandale,  il  essaya  de  la  dou- 
ceur. Il  écrivit  donc  à  Gaudentius  pour  tenter  de  le  ramener, 
pour  l'exhorter  à  s'incliner  devant  la  loi,  pour  lui  démontrer  que 
l'Ecriture  elle-même  lui  ordonnait  de  se  soumettre.  Nous  con- 
naissons par  Augustin  le  contenu  et  bien  des  fragments  de  cette 
lettre,  qu'avait  réfutée  Gaudentius.  Elle  était  assez  modérée  de 
ton,  et  se  composait  de  trois  parties:  exhortation  à  rentrer  dans 
l'Eglise  catholique  ;  exhortation  à  abandonner  le  projet  de  sui- 
cide ;  textes  de  l'Ecriture,  fixant  le  devoir  du  chrétien. 

4"  Première  réponse  de  Gaudentius  à  Dulcitius'*.  —  Voyez 
plus  loin. 

b"  Seconde  réponse  de  Gaudentius  à  Dulcitius'.  —  Voyez 
plus  loin. 

6"  Lettre  de  Dulcitius  à  Augustin^'. 

La  double  réponse  de  Gaudentius  mit  Dulcitius  dans  un  grand 
eml)ari'as.  Le  tril)un  était  décidé  à  ai)pli([U('r  la  loi,  et  cependant 
il  iiésitait  à  employer  la  force.  C'est  alors  qu'il  imagina  de 
consulter  par  lettre  l'évoque  catholique  d'IIippone,  qui,  pendant 


1)  Augustin,    Epist.    204,    3;    Co/i//v/  11,  11,   12  ;  Ih'Irncl.,   II,  S").  —  Texte  de 
,Gaudenliiim,    I,    11,  12  ;  19,  21  ;  31,  40;  celte   lettre    h    la   lin  de    notre   tome  \, 

33,  43  ;  39,  Ô3  ;  II,  12,  13.  Appendice  II. 

2)  fietnirl.,  Il,  85  ;  Episl.  204,3;  Con-  '>)  Aiijïiistin,  Caiilra  Gimdcnlinm,  I,  1  ; 
Ira  (iaudettliiim,  I,  1  et  siiiv.  ;  10,  11  et  9,  10  et  siiiv.  ;  llelrail..  Il,  85;  Epist. 
siiiv.  ;  II,  11,  12.  —  Fragments  de  cette  204,  (5.  —  Texte  complet  de  celte  lettre, 
lettre  ilaiis  nuire  Dossier  de  Ciaudenlius,  tome  V,  Appendice  IL 

p.  117-1  i;i.  G)  Aiisuslin,  Epist.  204,  1-4  et  9  ;  lie- 

3)  Aiigu.slin,  Contrit  (îaudriiliiiiii.  I,  1  ;  Inirl.,  II,  80.  —  Fragments  de  cetle 
Hetract.,  Il,  85.  lettre  dans  notre  Dossier  de  Gaudentius, 

4)  Contra  Gaudentinm,  I,  l,2rlhui\.;  j).  125-126. 


GA.UDENTIUS    DK    THAMUGADI  201 

plus  de  vingt  ans,  avait  mené  la  campagne  contre  le  Donatisme  '. 
Cette  lettre  de  Dulcitius  est  perdue.  Mais  nous  en  connaissons 
le  contenu  par  la  réponse  d'Augustin.  Le  tribun  exposait  à  son 
correspondant  les  débuts  de  l'affaire,  analysait  ses  deux  édits  et 
sa  lettre  à  Gaudentius;  puis,  il  parlait  des  deux  réponses  de 
l'évèque  dissident,  annonçait  l'envoi  d'une  copie  de  ces  deux 
lettres,  et  priait  Augustin  de  réfuter  les  arguments  du  Dona- 
tiste  ;  enfin,  il  demandait  conseil  sur  les  mesures  à  prendre. 

7°  Lettre  cV Augustin  à  Dulcitius-. 

C'est  la  réponse  à  la  lettre  précédente.  Elle  est  conservée  tout 
entière  dans  la  correspondance  d'Augustin.  Il  suffira  d'en 
donner  ici  une  analyse  sommaire  :  folie  des  Donatistes,  qui  se 
tuent  eux-mêmes  (chap.  1)  ;  on  doit  appliquer  néanmoins  la  loi 
(chap.  2);  cette  loi,  d'ailleurs,  n'ordonne  pas  de  mettre  à  mort 
les  Donatistes,  et  Dulcitius  a  déjà  montré  de  la  modération  dans 
ses  dernières  mesures  (chap.  3)  ;  Augustin  a  déjà,  et  bien  sou- 
vent, combattu  les  Donatistes  (chap.  4-5)  ;  il  réfutera  seule- 
ment ici  l'argument  tiré  par  Gaudentius  de  la  mort  volontaire 
de  Razius  dans  le  livre  des  Macchabées  (chap.  6-8)  ;  dès  qu'il 
en  aura  le  loisir,  il  discutera  en  détail  les  deux  lettres  de  Gau- 
dentius (chap.  9). 

8'^  Premier  livre  cC Augustin  «  Contra  G audentium''  ». 

Ce  livre  contient  la  réfutation,  annoncée  dans  la  réponse  à 
Dulcitius,  des  deux  lettres  de  Gaudentius.  Il  nous  est  parvenu 
intact  parmi  les  œuvres  d'Augustin.  En  voici  l'analyse  très 
sommaire.  Dans  un  préambule,  l'auteur  expose  l'origine  et  les 
péripéties  de  l'affaire  ;  il  indique  la  méthode  qu'il  suivra''.  Puis, 
il  reproduit  et  discute,  phrase  par  phrase,  les  deux  lettres  du  Dona- 
tiste-'.  En  terminant,  il  développe  son  objection  favorite,  tirée 
du  schisme  maximianiste,  et  défie  Gaudentius  de  lui  répondra^; 

9"  Lettre  de  Gaudentius  à  Augustin'.  —  Voyez  plus  loin. 

10'^  Second  livre  d' Augustin  «  Contra  Gaudentium^  ». 

Ce  deuxième  livre,  qui  nous  est  parvenu  entier,  contient  la 
réponse  d'Augustin  à  la  lettre  de  Gaudentius.  Il  a  dû  être  com- 
posé quelques  mois  après  le  livre  I  Contra  Gaudentiuni,  au- 
quel il  fut  joint  par  Augustin  lui-même'-',  et  auquel  il  reste  joint 


1)  Augustin,  Retract.,  Il,  85.  Retract.,  II,  85.  —  Fragments  de  cette 

2)  Epist.  204.  lettre  dans  notre  Dossier  de  Gaudentius, 

3)  Cf.  Retract.,  II,  85.  p.  127-132. 

4)  Contra  Gaudentium,  I,  1.  8)  Cf.  Augustin,  Retract.,  H,  85. 

5)  Ibid.,  I,  1,  2  et  suiv.  ;  9,  10  et  suiv.            9)  «   Hinc  factum  est  ut  hi   nostri  ad 

6)  Ibid.,  I,  39,54.  illuin  duo  libri  essent  »  (ibid.,  II,  85). 

7)  Contra  Gaudentium,  II,  1  et  suiv.  ;  '      ,      '    .  .        o     •       "' 


202  LITTÉH\TUHE    DONATISTE 

dans  les  éditions  modernes.  En  voici  le  contenu.  L'évêque 
d'Hippone  constate,  tout  d'abord,  que  le  Donatiste  n'a  pas  ré- 
pondu à  ses  objections  1.  Puis,  il  reproche  à  son  contradicteur 
ses  affirmations  téméraires  sur  la  doctrine  de  Cyprien,  dont  au- 
raient hérité  les  schismatiques  -  ;  l'insuffisance  de  ses  explica- 
tions sur  la  pratique  du  second  baptême  ou  sur  l'exception  ad- 
mise en  faveur  des  Maximianistes  '^,  sur  la  légitimité  du  schisme 
et  sur  la  doctrine  donatiste  du  baptême  ^  Augustin  répond  en- 
suite à  une  critique  sur  l'interprétation  d'un  passage  de  la  lettre 
écrite  par  Dulcitius^\  Il  justifie  l'intervention  des  empereurs 
dans  les  affaires  religieuses".  Enfin,  il  exhorte  l'évêque  de 
Thamugadi  à  rentrer  dans  l'Eglise  universelle,  que  n'ont  pu 
compromettre  les  fautes  de  quelques  pécheurs,  même  les  pré- 
tendus crimes  de  prétendus  traditeurs  ;  et  il  engage  Gaudentius, 
en  cas  de  réponse  nouvelle,  à  ne  plus  se  perdre  en  vaines  diva- 
gations". 

Avec  le  second  livre  d'Augustin  Contra  Gaudentiiun,  se 
clôt  pour  nous  le  dossier  de  Gaudentius,  comme  l'histoire  de 
ses  aventures.  Nous  ne  savons  si  le  Donatiste  a  relevé  une 
deuxième  fois  le  défi  de  son  adversaire,  qui,  de  nouveau,  le  som- 
mait ironiquement  de  répondre,  et  qui  lui-même  songeait  à  re- 
prendre la  question  dans  un  traité  plus  étendu^. 

De  ces  dix  pièces,  toutes  intéressantes  à  divers  titres,  qui 
constituent  le  dossier  de  Gaudentius,  ti'ois  seulement  doivent 
nous  arrêter  ici,  parce  qu'elles  sont  de  la  main  de  Gaudentius 
lui-même:  les  deux  lettres  au  tribun  Dulcitius,  et  la  réplique  à 
Augustin. 


III 


Les  œuA'res  de  Gaudcnilius.  —  L'orateur.  —  Discours  à  la  Conférence 
(ie  ili.  —  Sermons  à  Thamugadi.  —  Les  lettres  dt'  Gaudentius  à  Dulci- 
tius. —  Commenl  ou  peut  les  reconstituer  complètement. —  La  première 
lettre.  —  La  seconde  lettre.  —  Traité  sur  le  devoir  des  Donatistes  eu 
temps  de  persécution.  —  Préambule.  —  Gaudentius  veut  justifier  par 


1)  Conlra  Gaudentiiim,  II,  1.  denliiis  :    <(  Ad  Gaiulcntiuiii   Donatisla.- 

2)  Ihid.,  II,  2  et  siiin.  rum    episcoimm    cpisliila    una  »  \lndic. 

3)  Ihid.,  II,  7.  nper.  AïKjiialini,  8).  C'csl  sans  doute  le 
i)  Ihid.,  II,  8  et  siiiv.  liNre  II  Conlra  Caiidenliiim,  (jiii  a  la 
.5)  Ihid.,  II,  11,  12.  forme  d'une  lettre.  Fins  liant,  en  effet, 

6)  Ihid.,  Il,  12,  13.  parmi  les  traités  d'Augnstin,  Possidius 

7)  Ihid.,  II,  18,  14.  ne  cite  qu'un  sent  li>re  Conlra  Gauden- 

8)  Ihid.,  Il,  1;    13,14.    —  Possidins        liant. 
merilionae  une  lettre  d'Augustin  à  (Jau- 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  203 

des  textes  de  l'Écriture  sa  réponse  antérieure.  —  Les  Donatistes  ne  doi- 
vent pas  suivre  le  conseil  qu'on  leur  donne  de  se  rallier  ou  de  fuir.  — 
Le  cas  de  Gabinus  et  d'Emeritus.  —  La  fuite.  —  Revendication  de  la 
liberté  de  conscience  et  de  culte.  —  Éloge  des  martyrs  donatistes.  —  Un 
chrétien  a  le  droit  de  se  donner  la  mort  pour  échapper  aux  persécuteurs. 
—  Les  autorités  civiles  ne  doivent  pas  intervenir  dans  les  affaires  de 
l'Église.  —  Les  Donatistes  sont  prêts  à  mourir  pour  leur  foi.  —  La  lettre 
de  Gaudentius  à  Augustin.  —  Occasion  de  cette  lettre.  —  Fragments  et 
reconstitution  partielle.  —  Principaux  thèmes.  —  Autorité  de  Cyprien, 
dont  l'Église  donatiste  suit  la  tradition.  —  Justification  du  schisme.  — 
Attaques  contre  les  traditeurs.  - —  Justification  du  baptême  donatiste.  — 
Réponse  aux  objections  sur  le  schisme  maximianiste.  —  Protestation 
contre  l'intervention  des  empereurs  dans  les  affaires  religieuses.  — 
Attaques  contre  Augustin.  —  Gaudentius  écrivain  et  polémiste.  —  Inté- 
rêt historique  de  ses  œuvres.  —  La  littérature  à  Timgad. 


x\vant  de  devenir  un  polémiste,  Gaudentius  avait  été  un 
orateur.  Du  moins,  il  aurait  pu  l'être  :  entendons  par  là  qu'il 
avait  eu  bien  des  occasions  de  montrer  son  éloquence,  mais 
que,  ces  occasions,  il  semble  les  avoir  toujours  manquées. 

Dans  la  Conférence  de  Garthage,  au  même  titre  qu'Emeritus 
ou  Petilianus,  il  fut  un  des  sept  avocats-mandataires  de  son 
parti'.  Mais,  par  contraste  avec  ces  deux  collègues,  il  y  fut 
d'une  discrétion  extraordinaire.  Durant  ces  interminables  débats, 
il  ne  prit  la  parole  que  deux  fois. 

La  première  fois,  il  ne  prononça  que  deux  mots.  C'était  le 
l"""  juin  411,  pendant  la  vérification  des  signatures.  L'évêque 
catholique  de  Thamugadi,  Faustinianus,  venait  de  s'avancer  à 
l'appel  de  son  nom,  et  de  répondre  :  «  Présent  ».  —  «  Je  le 
reconnais  —  Agnosco  illiim  »,  dit  Gaudentius-.  Et  ce  fut  tout 
pour  ce  jour-là,  si  le  procès-verbal  est  complet. 

A  la  seconde  séance,  Gaudentius  n'ouvrit  pas  la  bouche.  A 
la  troisième,  le  8  juin,  il  se  mit  un  peu  plus  en  frais,  sans  se 
fatiguer  pourtant.  Il  intervint  dans  la  controverse,  mais  une 
seule  fois.  Les  deux  partis  se  disputaient  le  titre  d'Église  catho- 
lique. Augustin  venait  de  s'expliquer  sur  ce  point,  quand  Gau- 
dentius demanda  la  parole  et  prononça  ce  petit  discours  :  «  Le 
nom  de  catholique,  suivant  nos  adversaires,  se  rapporterait  à 
l'extension  de  l'Eglise  dans  les  provinces  ou  les  nations.  En 
réalité,  ce  mot  de  catholique  désigne  la  plénitude  des  sacre- 
ments, la  perfection,  la  pureté,  non  l'extension  chez  les  nations. 
En  tout  cas,  nos  adversaires  devraient  prouver  qu'ils  sont  en 


1)  CoUat.    Carthag.,  I,    148  et  208  ;  II,        dentium,  1,  .S,  4  ;  II,  4  ;  Relract.,  II,   85. 
2  et  12  ;  111,2      Augustin,    Conlra    Gau-  2)  Coliat.  Carthag.,  I,  128. 


204  LITTÉHATURE    DONATISTE 

communion  avec  toutes^les  nations,  avant  de  revendiquer  le 
titre  de  catholiques.  ^Ims^  tout  d'abord,  ils  doivent  dire  ce 
qu'ils  ont  demandé  à  l'empereur,  ce  qu'ils  ont  obtenu',  » 
L'évêque  de  Thamugadi  n'avait  pas  inventé  cette  interprétation 
ingénieuse  du  mot  catholique  ;  elle  était  de  tradition,  et,  pour 
des  raisons  faciles  à  comprendre,  fort  à  la  mode  chez  les  schis- 
niatiques  africains,  comme  chez  d'autres  adversaires  de  la 
grande  Eglise  universelle.  L'intervention  de  Gaudentius  n'était 
donc  pas  de  nature  à  orienter  la  discussion  vers  des  horizons 
inexplorés.  L'orateur  s'en  aperçut  probablement,  puisqu'il  ne 
renouvela  pas  sa  tentative.  Après  cet  effort  unique,  qui  était 
surtout  un  effort  de  mémoire,  il  rentra  dans  Tombre  et  le 
silence  derrière  les  protagonistes  de  son  parti. 

Pendant  les  vingt-deux  ans  de  son  épiscopat,  l'évêque  de  Tha- 
mugadi dut  parler  bien  souvent  dans  sa  chaire.  Mais,  de  toutes 
les  homélies  qu'il  a  pu  prononcer  jusque  vers  l'année  420, 
aucune  trace  ne  s'est  conservée.  Les  seuls  sermons  de  lui,  sur 
lesquels  nous  ayons  quelques  données,  datent  du  temps  où  il 
songeait  à  se  brûler  dans  son  église'.  Avec  lui,  dans  la  basi- 
lique, s'étaient  volontairement  enfermés  nombre  de  fidèles, 
décidés  à  partager  son  sort.  Naturellement,  dans  ces  jours  de 
fièvre  dévote  où  l'on  attendait  les  persécuteurs,  l'évêque  exhor- 
tait souvent  les  compagnons  dé  son  martyre  volontaire.  D'abord, 
il  voulait  s'assurer  que  tous  étaient  bien  résolus  à  le  suivre 
jusqu'au  bout  dans  la  mort.  Pour  éprouver  leur  vocation,  peut- 
être  aussi  par  scrupule,  il  les  engageait  à  se  retirer,  à  sauver 
leur  vie  par  la  fuite.  C'est  lui-même  qui  l'atteste  :  «  Quant  à 
ceux  qui  sont  avec  nous,  écrivait- il  alors,  j'atteste  Dieu  et  tous 
ses  sacrements,  que  je  les  ai  exhortés,  que  j'ai  fait  tous  mes 
efforts  pour  les  décider  à  partir.  J'ai  invité  ceux  qui  voudraient 
sortir,  à  le  déclarer  publiquement  sans  rien  craindre.  Car  nous 
ne  pouvons  pas  retenir  les  gens  malgré  eux,  nous  qui  avons 
appris  que  personne  ne  doit  être  contraint  à  la  fidélité 
envers  Ditîu'\  »  On  peut  supposer  que  bien  des  schismatiques 
de  Thamugadi  se  laissèrent  convaincre,  qu'ils  profitèrent  de  la 
permission  pour  aller  prier  ailleurs.  Mais  la  plupart  restaient 
groupés  autour  de  leur  évêque  et  du  bûcher.  Ceux-là,  Gauden- 
tius les  soutenait  de  sa  parole  :  il  leur  prêchait  la  vérité  dona- 
tîste,  les  droits  de  la  conscience,  le  devoir  de  résistance  à  l'op- 
pression, la  légitimité  du  suicide  en  face  des  persécuteurs,  la 


1)  Collai.  Carlha'j.,  III.  102.  lirlracl..  Il,  Mo. 

2}  AugLislin,  Con(ra  Gaudentiiun,  I,  1  ;  3)  Cunlra  Caudcnliuin,  1,  7,  8. 


GAUDENTIUS    DE    ÏHAMUGADl  205 

grandeur  du  sacrifice  et  la  récompense  à  escompter,  le  Paradis 
ouvert  aux  martyrs.  Quelle  qu'ait  pu  être  la  valeur  de  Gaudea- 
tius  comme  sermonnaire,  on  doit  regretter  qu'aucun  sténo- 
graphe n'ait  recueilli  ces  sermons  improvisés  :  le  thème  ne 
pouvait  être  banal  dans  ce  cadre  original,  dans  cette  église  parée 
pour  l'incendie,  en  face  de  ces  fanatiques  du  martyre  par  le  feu, 
devant  ce  bûcher  de  délivrance,  prêt  à  flami)er  dès  l'apparition 
des  bourreaux. 

Si  nous  connaissons  mal  le  sermonnaire  et  l'orateur  de 
concile,  en  revanche,  nous  pouvons  apprécier  le  polémiste. 
Nous  possédons  aujourd'hui  deux  ouvrages  complets  de  Gau- 
dentius,  ses  lettres  à  Dulcitius,  et  des  fragments  d'un  troisième, 
sa  lettre  à  Augustin. 

On  se  rappelle  les  circonstances  :  la  persécution  annoncée  à 
Thamugadi,  les  deux  édits  de  Dulcitius,  les  menaces  de  Gau- 
dentius,  la  lettre  où  le  tribun  cherchait  à  apaiser  l'évêque,  à  le 
détourner  de  sa  farouche  résolution  '.  Le  jour  où  Gaudentius 
reçut  à  Thamugadi  la  lettre  de  Dulcitius,  il  y  répondit,  séance 
tenante,  par  une  fin  de  non-recevoir  :  un  billet  assez  court, 
écrit  à  la  hâte,  qu'il  remit  au  courrier  du  tribun,  et  où  il  noti- 
fiait sèchement  son  refus  d'obéir.  Le  lendemain,  il  entreprit  de 
rédiger  une  seconde  réponse,  beaucoup  plus  longue,  où  il  déve- 
lopperait à  loisir  ses  raisons  2. 

Nous  avons  pu  reconstituer  d'un  bout  à  l'autre  le  texte  inté- 
gral des  deux  lettres  :  texte  qu'Augustin  a  reproduit  et  réfuté 
phrase  par  phrase,  sans  la  moindre  lacune,  dans  son  premier 
li\re  Cont/-a  GaudentiiunK    - 

La  restitution  est  certaine.  Augustin  déclare  lui-même  qu'il 
a  cité  méthodiquement,  au  cours  de  sa  réfutation,  toutes  les 
parties  des  deux  lettres,  tous  les  mots,  sans  rien  omettre  : 
«  Avec  l'aide  du  Seigneur,  dit-il,  j'ai  entrepris  de  réfuter  les 
lettres  de  Gaudentius;  et  ceux-là  mêmes  qui  ont  l'esprit  lent, 
ne  pourront  douter  que  j'aie  répondu  sur  tous  les  points.  En 
effet,  je  transcrirai  d'abord  les  paroles  de  Gaudentius,  puis  j'y 
joindrai  ma  réponse  ;  mais  non  comme  je  l'ai  fait,  quand  je 
répondais  cà  la  lettre  pastorale  de  Petilianus.  Alors,  pour  chaque 
passage,  quand  sont  reproduites  les  paroles  de  Petilianus, 
j'avais  mis  :  «  Petilianus  dit  —  Petilianus  dixit  »  ;  quand  c'est 


1)  Episl.  204,  3  ;  Contra   GaudeuLiuin,  II,    notre   restitution  des    deux  lettres. 
I,  1  ;  BetracL,  II,  85.  A  cette  édition  se  rapportent,  dans  les 

2)  Retmct.,Il,  85;  Contra  Gaudentium,  pages  suivantes,  les    numéros  des  clia- 
I,  ]  et  suiv.  ;  y,  10  et  suiv.  pitres  des  Epislulae  ad  Diilciiiam. 

B)  A'oir  plus  haut,  toine  V,  Appendice 

VI.  14 


20G  LITTÉHATLKE    DONATISTE 

moi  qui  parle  :  «  Augitstin  répondit  —  Augustlnus  respon- 
dit  '.  »  Gela  m'a  valu  une  accusation  de  mensonge,  mon  adver- 
saire déclarant  que  jamais,  de  vive  voix,  il  n'avait  discuté 
avec  moi.  Gomme  si,  vraiment,  il  n'avait  pas  dit  ce  qu'il  a 
écrit,  parce  que  ces  mots,  au  lieu  de  les  lui  entendre  pronon- 
cer, je  les  ai  lus  dans  son  ouvrage  !  ou  comme  si,  moi,  je  ne 
lui  avais  pas  répondu,  parce  que  je  n'ai  point  parlé  en  sa  pré- 
sence et  que  j'ai  répondu  par  écrit  à  ses  écrits  !  Que  faire  avec 
des  gens  animés  d'un  tel  esprit,  ou  portés  à  attribuer  ces 
mêmes  dispositions  aux  personnes  à  qui  ils  désirent  faire  con- 
naître leurs  ouvrages?  Enfin,  même  à  ces  gens-là,  donnons 
satisfaction.  Ici,  chaque  fois  que  je  reproduis  les  paroles  de 
(iaudentius,  je  ne  mettrai  pas  :  v  Gaudentius  dit  —  Gauden- 
tiiis  dixit  »,  mais  :  «  Texte  de  la  lettre  —  Verba  epistulae  ». 
Quand  c'est  moi  qui  réponds,  je  ne  mettrai  pas  :  «  Augustin 
répondit  —  Augustinus  respondit  »,  mais  :  «  A  cela,  voici 
la  réponse  —  Ad  liaec  responsio  ».  Commençons  donc  à  réfu- 
ter ainsi  la  première  lettre  de  Gaudentius,  la  plus  courte-.  » 
Conformément  aux  indications  de  l'auteur,  on  voit  alterner, 
jusqu'au  bout  du  livre,  le  Verba  epistulae  et  le  Ad  Juiec  re- 
sponsio -K  Quand  la  double  réfutation  est  terminée,  Augustin 
fait  encore  remarquer  à  Gaudentius  qu'il  a  reproduit  et  discuté 
le  texte  entier  des  deux  lettres  :  «  J'ai  pleinement  répondu,  dit- 
il,  à  tes  lettres,  sans  omettre  un  seul  passage  —  nullias  loci 
praelerniissione''.  »  On  ne  saurait  être  plus  explicite.  D'ail- 
leurs, la  lecture  des  deux  pièces,  telles  que  nous  les  avons 
reconstituées,  suffirait  à  prouver  que  la  restitution  est  absolu- 
ment complète,  y  compris  les  en-tête  et  les  salutations  finales. 
La  première  lettre  à  Dulcitius  est  un  simple  billet.  L'en-tête 
est  ainsi  conçu  :  «  A  l'honorable  et  (si  tu  le  veux)  au  t>rès 
désiré  tribun  et  notaire  Dulcitius,  moi,  Gaudentius,  évéque''.  » 
Après  cette  formule  de  salutation,  Gaudentius  accuse  réception 
de  la  lettre  du  tribun,  où  il  relève  une  contradiction  :  «  La 
lettre  de  Ton  Honneur,  dit-il,  m'a  été  remise  par  des  gens  que 
leur  caractère  et  leur  vie  rendent  manifestement  chers  à  tous. 
Dans  cette  lettre.  Ta  Grandeur  a  dit  bien  des  choses  que  je 
passe  maintenant  sous  silence.  Je  relève  seulement  une  contra- 
diction qui  a  échappé  à  la  pénétration  de  ton  esprit  :  tu  n'au- 


1)   AugiisUii,  Conlni  /i//t'/v/,s  Petiliani,  4)   Conlni  GaïKlciiliuin,  I,  :{9,  5H. 

II,  1,  2  ft  siiiv.  5)  (iaiidcnlius,  Kphtula  I  ad  Dulcilium, 

2|  Contra  (i(nidi'nliuin,  1,1.  1. 

3)  ll>i(t.,  I,  1,  2  et  sui\. 


GAUDENTIUS    DE    THAML'GADI  207 

rais  pas  dû,  dans  la  même  lettre,  nous  déclarer  et  tout  à  fait 
innocents  et  franchement  coupables.  Si  tu  nous  crois  criminels, 
vous  devez  fuir  la  société  de  gens  compromettants.  Si  tu  nous 
crois  innocents,  comme  tu  l'as  dit  toi-même,  eh  bien!  nous 
devons,  nous,  fidèles  au  Christ,  résister  joyeusement  aux  per- 
sécuteurs '.  »  L'évêque  déclare  ensuite  qu'il  est  décidé  à  mou- 
rir dans  son  église,  si  l'on  veut  appliquer  l'édit  :  «  Dans  l'église 
où  nous  sommes,  le  nom  de  notre  Dieu  et  de  son  Christ,  comme 
tu  l'as  dit  toi-même,  a  toujours  été  célébré  en  toute  vérité. 
Nous  y  restons  donc,  ou  vivants,  tant  qu'il  plaira  à  Dieu,  ou 
pour  y  mourir,  comme  il  convient  à  la  famille  de  Dieu.  C'est 
ici,  dans  le  camp  du  Seigneur,  que  se  terminera  notre  vie  : 
à  une  condition,  toutefois,  c'est  que  la  violence  s'en  mêle,  et 
alors  cela  pourra  bien  arriver.  En  effet,  personne  n'est 
assez  fou  pour  se  hâter  vers  la  mort,  sans  qu'on  l'y  pousse  2.  » 
Gaudentius  ajoute  que,  d'ailleurs,  il  ne  force  personne  à 
l'imiter  ;  il  a  même  invité  les  fidèles  à  se  retirer  :  «  Quant  à 
ceux  qui  sont  avec  nous,  j'atteste  Dieu  et  tous  ses  sacrements, 
que  je  les  ai  exhortés,  que  j'ai  fait  tous  mes  efforts  pour  les 
décider  à  partir.  J'ai  invité  ceux  qui  voudraient  sortir  à  le  décla- 
rer publiquement  sans  rien  craindre.  Car  nous  ne  pouvons  pas 
retenir  les  gens  malgré  eux,  nous  qui  avons  appris  que  per- 
sonne ne  doit  être  contraint  à  la  fidélité  envers  Dieu  '^  » 

Telle  est  la  réponse  proprement  dite,  dictée  par  Gaudentius 
à  l'un  de  ses  clercs.  Mais  l'évêque  ajouta  de  sa  main,  en  guise 
de  salatation,  ce  souhait  de  circonstance  :  «  Je  te  souhaite  de 
ne  pas  éprouver  de  mal,  de  réussir  dans  l'exercice  de  tes  fonc- 
tions publiques,  et  de  cesser  d'inquiéter  les  chrétiens  4.  »  Les 
premiers  mots  du  compliment  final  devaient  avoir  surtout  pour 
objet  de  faire  passer  les  derniers. 

Après  avoir  notifié  au  tribun  sa  résolution,  Gaudentius  en- 
treprit de  la  justifier.  C'est  l'objet  de  la  seconde  lettre,  écrite  à 
loisir,  où  il  exposait  copieusement  ses  raisons  et  les  appuyait 
de  nombreux  textes  bibliques.  Cette  seconde  lettre,  de  propor- 
tions assez  considérables,  est  une  sorte  de  traité  sur  le  devoir 
des  Donatistes  en  temps  de  persécution. 

Le  cadre  est  le  même  que  dans  le  billet  antérieur.  L 'en-tête    ' 
est  presque   identique  :    «  A   l'honorable,  au  très  cher  et  très 
désiré  Dulcitius,  moi,  Gaudentius,  évêque  ^.  »    Dans   un  petit 
préambule,   d'intention   ironique,  est  personnellement    visé   le 

1)  Gaudentius,  Êpistala  lad  Dulciliam,2.  4)  Gaudentius,  Epistala  lad  Dulcithim  ,5- 

2)  Ibid.,  3.  5)  Gaudentius,   Epislula  II  ad  Dulci- 

3)  Ibid.,  4.  tium,  1. 


208  LITTÉRATUllE    DONATISTE 

tribun.  Dulritius  avait  ^éclaré  qu'il  s'était  félicité  d'abord  en 
apprenant  l'absence  de  l'évèque,  mais  qu'il  s'était  ensuite 
aît'ligé  en  apprenant  son  retour.  Là-dessus,  (iaudentius  plai- 
sante assez  lourdement  :  «  Les  gens,  dit-il,  qui  se  connaissent 
seulement  de  réputation,  ou  qui  se  connaissent  vaguement  de 
vue,  désirent  ordinairement  lier  conversation  ;  ceux  qui  s'igno- 
rent complètement  ne  redoutent  pas  du  moins  avec  horreur  de 
se  trouver  face  à  face.  •  Toi,  tu  procèdes  autrement  dans 
tes  blâmes  :  de  mon  absence  tu  t'es  félicité,  de  mon  retour  tu 
t'es  attristé,  à  ce  que  tu  déclares  dans  ta  lettre  '.  »  Après  ce 
préambule  ironique,  l'auteur  annonce  sa  dissertation. 

il  se  propose,  dit-il,  de  compléter  et  de  justifier  sa  réponse 
précédente,  qui  a  été  forcément  très  sommaire  :  «  L'autre 
jour,  ne  voulant  pas  me  taire,  j'ai  répondu  par  lettre.  Mais, 
les  porteurs  étant  pressés,  j'ai  dû  m'en  tenir  à  de  succinctes  et 
brèves  déclarations.  Mamtenant,  à  la  lettre  de  Ton  Honneur, 
je  dois  répondre  par  les  paroles  de  la  sacro-sainte  Loi  di- 
vine ''.  »  C'est  donc  à  coups  de  textes  bibliques,  que  l'évèque 
va  combattre  le  tribun.  Aussitôt,  en  effet,  se  déchaîne  l'ava- 
lanche. De  chapitre  en  chapitre  rouleront  et  s'entasseront  les 
citations  massives  de  l'Ecriture. 

Sans  s'attarder  aux  précautions  oratoires,  Gaudentius  va 
droit  à  la  question  essentielle.  Les  Donatistes,  affirme-t-il,  ne 
doivent  pas  suivre  le  conseil  qu'on  leur  donne  de  se  rallier  à 
l'Eglise  officielle  ou  de  fuir.  En  vain,  le  tribun  allègue  l'exemple 
de  certains  évèques  qui  se  seraient  récemment  convertis  :  no- 
tamment Emeritus  de  Gtesarea  et  Gabinus.  En  ce  qui  concerne 
Emeritus,  le  fait  est  inexact  :  rien  de  vrai  dans  ce  qu'on  ra- 
conte sur  sa  prétendue  conversion  '■'■.  Quant  à  (jabinus  et  autres 
ralliés,  leur  cas  est  surtout  de  nature  à  mettre  en  pleine  lu- 
mière toute  l'iiiconsé([uence  des  persécuteurs  :  «  Certainement, 
dit  Gaudentius,  ih^vant  le  tribunal  de  Dieu,  on  est  également 
criminel,  également  coupable,  si  l'on  absout  un  coupable,  ou  si 
l'on  tue  un  innocent.  Si  donc  étaient  coupables,  avant  de  ren- 
trer eu  communion  avec  vous,  ce  Gabinus  nommé  par  toi,  et 
tous  les  autres  naufragés  de  la  foi,  compagnons  de  sa  cluite,  eh 
bien  !  suivant  les  paroles  de;  Dieu,  ils  n'auraient  pas  dû  être 
absous.  Si  au  contraire  ils  ont  été  accueillis  par  vous  cimime 
des  innocents  ou  des  saints,  pourquoi  frappez-vous  les  gens 
fidèles   à   cette  foi,    d'où  vous  viennent  des    saints  '.'  Pourquoi 

1)  Gaiidcnlius,    l^iiisluhi    II   ml    Diilri-  3)    (laudcntius,  Epislula    11    dd    Dulci- 
liuin,  2.                                                                      liuni,  i. 

2)  Ihid. 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  209 

tuez-vous  des  innocents  ^  ?  »  Singulier  sopliisme,  qu'Augustin 
n'aura  pas  de  peine  à  démasquer.  Rien  n'était  plus  logique  que 
l'accueil  fait  aux  ralliés  :  on  devait  les  recevoir  comme  des 
frères,  puisqu'on  reprochait  seulement  aux  schismatiques  do 
s'obstiner  dans  le  schisme. 

A  ceux  qui  s'entêtaient  dans  leur  fidélité  envers  l'Eglise  de 
Donat,  Dulcitius  avait  conseillé  de  fLÙr,  d'éviter  les  villes,  de 
se  cacher.  Et  l'astucieux  tribun,  qui  espérait  ainsi  se  tirer 
d'affaire,  alléguait  le  précepte  de  l'Evangile  sur  la  fuite  en 
temps  de  persécution.  A  cette  invite,  Gaudentius  répond  que, 
le  voulùt-on,  la  fuite  est  maintenant  impossible,  puisque  la 
persécution  s'étend  partout,  jusque  dans  les  campagnes,  où  l'on 
n'ose  donner  l'hospitalité  aux  fugitifs  :  «  Dans  quels  lieux  fuir  ? 
s'écrie-t-il.  Au  milieu  de  cette  tempête  de  la  persécution,  la 
tranquillité  est  troublée  partout  :  où  est  le  port  sûr  qui  pourrait 
recevoir  et  sauver  les  évêques  ?...  Jadis,  les  Apôtres  pouvaient 
fuir  en  sécurité,  parce  que  l'empereur  n'avait  pas  ordonné  de 
proscrire  personne  à  cause  d'eux.  Maintenant,  les  hôtes  des 
chrétiens,  épouvantés  par  les  proscriptions,  redoutant  le  péril, 
non  seulement  ne  leur  donnent  pas  asile,  mais  encore  craignent 
de  voir  ces  fugitifs  qu'ils  vénèrent  en  silence"-.  »  C'était  sans 
doute  exagérer  ;  tout  au  moins,  c'était  présenter  l'exception 
comme  la  règle.  A  notre  connaissance,  aucun  des  édits  de  ce 
temps-là  n'interdisait  d'ouvrir  sa  porte  aux  clercs  schisma- 
tiques. Et  l'on  a  peine  à  croire  que  tous  ces  évêques  fugitifs, 
nullement  inquiétés  par  la  police,  Petilianus  autour  de  Constan- 
tine,  Emeritus  autour  de  Cœsarea,  Gaudentius  lui-même  au- 
tour de  Thamugadi,  aient  toujours  couché  à  la  belle  étoile. 

Au  reste,  les  chrétiens  n'ont  pas  à  fuir  ni  à  se  cacher.  Gau- 
dentius revendique  hautement  une  entière  liberté  de  conscience 
et  de  culte.  Sous  aucun  prétexte,  on  ne  doit  contraindre 
l'homme,  qui  a  reçu  de  Dieu  le  libre  arbitre.  Imposer  une  reli- 
gion par  la  violence,  c'est  faire  injure  à  Dieu  lui-même  :  «  Le 
Dieu  tout-puissant,  qui  a  créé  l'homme  à  son  image,  l'a  aban- 
donné à  son  libre  arbitre...  Pourquoi  maintenant  la  tyrannie 
humaine  m'enlève-t-elle  ce  que  Dieu  m'a  donné  ?  Songe, 
homme  illustre,  quels  sacrilèges  on  commet  ainsi  envers  Dieu. 
Ce  qu'il  a  accordé,  la  présomption  humaine  le  ravit;  et  c'est 
pour  Dieu  qu'elle  prétend  le  faire  !  C'est  pour  Dieu  une  grande 
injure  d'être  défendu  par  des  hommes.   Que  pense-t-il  de  Dieu, 


1)   Gaudentius,  Epistula  II  ad    Dulci-  2)   Gaudentius,  Epislula   II  ad   Dulci- 

tium,  3.  tium,  6. 


210  ~  LITTÉIIATCKE    DO>ATISTE 

celui  qui  veut  le  défendre»  par  la  violence  ?  C'est  que  Dieu  ne 
peut  venger  lui-même  ses  injures  '.  »  Les  violences  contre  les 
vrais  chrétiens  ont  été  annoncées  par  le  Christ  et  par  les  apôtres  ■^. 
La  prétendue  paix,  que  prêchent  aujourd'hui  les  persécuteurs, 
est  une  «  paix  de  guerre  »  ;  leur  unité  est  une  «  unité  san- 
glante ».  Au  contraire,  la  paix  du  Christ  «  invite  et  ne  con- 
traint pas -^  ».  Voilà  ce  qu'oublie  l'Eglise  officielle. 

Tout  en  maudissant  les  persécuteurs,  Gaudentius  bénit  la 
persécution,  qui  est  pour  son  Eglise  une  garantie  de  vérité, 
pour  tous  les  fidèles  une  épreuve,  pour  les  privilégiés  la  con- 
dition du  martyre  :  «  Nous  nous  réjouissons,  dit-il,  de  la  haine 
du  monde  ;  dans  ses  persécutions,  nous  ne  succombons  pas, 
mais  nous  sommes  joyeux.  Ce  monde  ne  peut  aimer  les  servi- 
teurs du  Christ,  puisqu'il  n'a  pas  aimé  le  Christ^.  »  De  là,  tous 
ces  martyrs  dont  s'enorgueillit  l'Eglise  de  Donat.  Ceux  qui  se 
sont  frappés  eux-mêmes,  n'en  sont  pas  moins  des  victimes  de  la 
persécution.  Un  chrétien  a  le  droit  de  se  donner  la  mort  pour 
échapper  aux  bourreaux  :  «  N'est-ce  pas  une  persécution,  ces 
A'iolences  qui  ont  acculé  à  la  mort  tant  de  milliers  d'innocents 
martyrs  ?  Ces  chrétiens  étaient,  conformément  à  l'Evangile, 
«  d'esprit  prompt,  mais  de  chair  faible  •''  ».  Pour  échapper  à  une 
contamination  sacrilège,  ils  ont  trouvé  la  voie  courte  du 
bûcher,  où  ils  ont  sacrifié  leur  vie,  suivant  en  cela  l'exemple 
du  prêtre  Razias  dans  les  livres  des  Macchabées^.  Et  leurs 
craintes  n'étaient  pas  vaines.  En  effet,  quiconque  est  tombé 
dans  les  mains  des  persécuteurs,  n'a  pas  échappé.  Mais  que 
ceux-ci  fassent  ce  qu'ils  voudront  :  à  coup  sur,  ils  ne  peuvent 
être  de  Dieu,  ceux  qui  agissent  contre  Dieu '.  »  Par  cette  apo- 
logie du  martyre  volontaire,  qui  était  si  fort  en  honneur  dans 
son  Eglise,  l'évêque  de  Thamugadi  justifiait  d'avance  son 
propre  suicide. 

L'empressement  avec  lecjuel  les  victimes  accueillent  le  mar- 
tyre n'est  pas  une  excuse  pour  les  persécuteurs.  Gaudentius 
entreprend  de  démontrer  à  Dulcitius  ([ue  «  l'office  d'exécuteur 
ne  convient  pas  à  sa  sagesse  ^  ».  Cett(i  intervention  d'un  repn> 
sentant  de  l'empereur  est  d'autant  moins  légitime,  qu'elle  se 
produit  en  faveur  d'une  Eglise  d'idolàlres  :  les  soi-disant  Ca- 
tholi(|ues  sont  de  véritables  païens,  qui  ont  fait  de  leur  Eglise 

1)  (iamlciiliii^,    E]iistul(i    II  wl  Dulci-  5)  M;il1iiL'ii,  Evanq.,  26,  41. 
t'mm,  1.     .                                                                   fi)  //   Miiccluil,.,  14.  41. 

2)  Ibid.,  8.  7)  CiMidciitiiis,   Kjjislitta  II    ad    Dulci- 
8)  Ibid.,  !).                                                           tiuin,  11. 

4)  Ibid.,    lu.  S)   Ibid.,  12. 


GAUDENTIUS    1»E    THAMUGADI  211 

une  idole,  et  qui  forcent  les  ralliés  à  adorer  cette  idole.  Mais  ils 
seraient  les  vrais  chrétiens,  qu'ils  ne  seraient  pas  fondés  da- 
vantage à  réclamer  l'appui  du  gouvernement.  Sous  aucun  pré- 
texte, le  pouvoir  civil  ne  doit  intervenir  dans  les  affaires  de 
l'Eglise  :  «  Pour  instruire  le  peuple  d'Israël,  le  Dieu  tout-puis- 
sant donnait  mission  aux  prophètes,  jamais  aux  rois.  Le  Sau- 
veur des  âmes,  le  Seigneur  Christ,  pour  enseigner  la  foi,  a 
envoyé  des  pécheurs,  non  des  soldats.  Des  milices  de  ce 
monde,  jamais  Dieu  n'a  attendu  l'aide,  lui  qui  seul  peut  juger 
les  vivants  et  les  morts'.  »  On  reconnaît  ici  la  thèse  soutenue 
par  tous  les  Donatistes  :  depuis  le  jour  où,  sommé  par  eux 
d'intervenir,  l'empereur  Constantin  s'était  prononcé  contre 
eux. 

Cependant,  continue  Gaudentius,  il  y  a  des  gens  qui  font 
profession  d'ignorer  les  leçons  de  l'Ecriture.  Ce  sont  les  soi- 
disant  Catholiques,  «  ces  usurpateurs  du  bien  d'autrui,  qui 
n'écoutent  pas  même  cette  parole  de  Dieu  :  Tu  ne  convoiteras 
pas  le  bien  de  ton  prochain.  »  Ces  gens-là,  pour  mettre  la 
main  sur  les  basiliques,  poussent  à  la  persécution.  Dès  lors,  le 
devoir  des  vrais  chrétiens  est  tout  tracé  :  «  Notre  foi  nous 
exhorte  à  mourir  volontiers  pour  Dieu  dans  cette  persécu- 
tion -.  »  Sur  cette  héroïque  déclaration  se  termine  la  lettre. 

Ou,  du  moins,  la  lettre  proprement  dite,  la  réponse  au  tri- 
bun, telle  que  l'évêque  l'a  dictée  à  quelqu'un  de  ses  clercs. 
Mais,  suivant  l'usage,  il  y  ajouta  de  sa  propre  main  une  salu- 
tation finale.  Dans  sa  brutalité  agressive,  cette  salutation  ne 
manque  point  de  piquant  :  «  Je  te  souhaite  de  ne  pas  éprouver 
de  mal,  de  découvrir  la  vérité,  d'apaiser  ton  âme,  et  de  ne  pas 
mettre  à  mort  des  innocents  '.  »  Gaudentius  tenait  évidemment 
à  ce  trait  :  il  l'avait  déjà  brandi  antérieurement  à  la  fin  de 
son  billet  ;  mais,  dans  l'intervalle,  il  l'avait  encore  aiguisé. 

Quand  il  signa  cette  longue  lettre  au  tribun,  l'évêque  de 
Thamugadi  croyait  assurément  qu'il  n'écrirait  plus  à  personne. 
Désormais,  il  n'avait  plus  qu'à  attendre  les  bourreaux  et  le 
martyre.  Il  vivait  dans  sa  basilique,  ne  cessant  de  prier  que 
pour  exhorter  ses  compagnons  d'infortune  et  de  gloire.  Le  bû- 
cher était  prêt;  des  fidèles  montaient  la  garde,  pour  être  sûrs 
de  ne  pas  manquer  la  visite  des  persécuteurs.  Cependant,  les 
bourreaux  ne  se  montraient  pas;  et  les  jours  passaient,  puis  les 


1)  Gaudentius,  Epislula    II  ad  Dulci-  8)    Oaudentius,    Epistula  11  ad   Dulci- 
tium,   13.                                                                  iiuin,  L". 

2)  Ibid.,  14. 


212  LITTÉRATURE    DONATISTE 

semaines,  puis  les  mois. ^ Le  Donatiste  dut  penser  qu'on  l'avait 
oublié. 

11  n'en  était  rien,  pourtant.  Mais  le  tribun,  hésitant  toujours 
à  employer  la  force,  soucieux  surtout  d'éviter  les  responsabi- 
lités dangereuses,  avait  trouvé  un  bon  prétexte  pour  ajourner 
l'affaire  sans  le  dire.  Afin  d'éclairer  sa  conscience,  il  avait 
consulté  Foracle  de  l'Eglise  africaine,  l'évèque  d'Hippone,  qui 
était  de  ses  amis.  Il  lui  avait  envoyé  une  copie  des  deux  lettres 
de  Gaudentius,  en  le  priant  de  les  réfuter'.  En  attendant,  il 
faisait  le  mort.  Voilà  pourquoi  les  bourreaux  tardaient  tant. 

Un  jour,  enfin,  l'évèque  de  Thamugadi  reçut  un  volumineux 
ouvrage,  où  étaient  discutées  et  réfutées  d'un  bout  à  l'autre, 
phrase  par  phrase,  ses  deux  lettres  à  Dulcitius.  Vers  la  fin  de 
son  traité  (c'est  le  livre  I  Contra  Gaudentiuiiï) ,  Augustin  en- 
gageait son  collègue  schismatique  à  lui  répondre,  non  sans  se 
moquer  un  peu  de  lui  :  «  A  cela,  disait  Augustin,  si  tu  te  pré- 
pares à  répondre  quelque  chose,  lis  encore  le  procès-verbal  de 
la  conférence  avec  Emeritus...  Réponds  à  cela;  tu  as  le  temps  de 
réfléchir  à  ce  que  tu  diras.  En  ceci,  du  moins,  tu  nous  seras 
redevable  d'un  bienfait  :  tandis  que  tu  songeras  à  ta  réponse, 
tu  ne  songeras  pas  à  te  brûler"-.  »  Railler  un  martyr,  après 
l'avoir  contredit  !  Vraiment,  c'en  était  trop.  On  ne  pouvait 
quitter  ce  monde  sans  avoir  dit  son  fait  au  téméraire.  Avant  de 
se  brûler  dans  son  église,  Gaudentius  voulut  avoir  le  dernier 
mot  dans  la  controverse.  A  son  tour,  il  entreprit  donc  de  réfuter 
Aug'ustin. 

Ce  futl'objet  d'un  traité,  en  forme  de  lettre,  qu'il  lui  adressa  '^. 
L'ouvrage  est  perdu  ;  mais  nous  en  connaissons  le  contenu,  le 
plan  et  divers  fragments,  par  les  citations  ou  les  résumés 
d'Augustin,  qui,  dans  sa  réponse  (livre  II  Contra  Gaiidentium)^ 
a  suivi  pas  à  pas  son  adversaire,  discutant  ses  affirmations  ou 
ses  récriminations  ''. 

Le  traité  débutait  par  un  éloge  pompeux  de  saint  Cyprien''. 
A  en  croire  l'auteur,  l'Eglise  de  Donat  était  la  véritable  Eglise 
catholique,  parce  qu'elle  était  l'Eglise  pure  et  parfaite,  telle  que 
l'avait  connue  et  définie  le  grand  évêque  de  Carthage'*;  et  les 
Donatistes  étaient  ses  disciples,  ses  héritiers  en  toute  chose, 


1)  Aiifiiisliii,  Ei)isL  2114,  !).  dnns  noire  Dossier  de  (iaiiilrnliiix,  p.  127- 

21  Conlni  Gainlentiuiii,  1,  ;}!),  04.  1:^2. 

;})  Hrtmrl.,\\,  H'>  ;  Contra  Gaudenliuin,  '>)  Aiig\istin,    Contra    Gaiidentium,   II, 

II,  1  (ilsuiv.                                     ,  IH,  14. 

4)  Voyez  les  fragmciils  de  cet  ouvrage  (i)  Ibid.,  K,  2;  13,  U. 


GAUDEM'IUS  DE  THAMUGADI  213 

notamment  dans  la  doctrine  sur  le  baptême  i.  Gaudentius  invo- 
quait à  tout  propos  l'autorité  de  Cyprien-.  Il  plaçait  son  Eglise 
et  lui-même  sous  le  patronage  de  l'illustre  évêque-martyr, 
du  Saint  que  vénéraient  tous  les  partis.  C'était  une  tactique  tra- 
ditionnelle chez  les  schismatiques  africains  :  elle  ne  laissait  pas 
que  d'impatienter  les  Catholiques,  même  de  les  embarrasser  un 
peu. 

L'Eglise  de  Donat,  suivant  les  prétentions  de  la  secte,  se 
rattachait  donc  directement  à  l'Eglise  de  Cyprien.  Il  y  avait, 
cependant,  une  grosse  difficulté  :  la  rupture  avec  les  chrétientés 
d'outre-mer,  avec  l'Eglise  universelle.  Gaudentius  essayait  de 
justifier  le  schisme,  mais  sans  apporter  de  raisons  sérieuses.  Il 
affirmait  la  nécessité  de  cette  rupture  :  «  La  nécessité,  disait-il, 
nous  a  forcés,  nous  les  justes,  à  quitter  les  impies-'.  »  Pourex- 
pliquer  cette  prétendue  «nécessité  »,  il  rééditait  les  calomnies 
traditionnelles  contre  Cfecilianus  et  les  traditeurs^.  Surtout,  il 
invoquait  des  textes  bibliques.  Il  en  tirait  cette  conclusion  extra- 
vagante, que  «  même  s'ils  ignoraient  l'existence  des  pécheurs, 
et  dans  le  monde  entier,  des  chrétiens  avaient  pu  être  perdus  par 
les  péchés  d'autrui ''  ».  Sur  ce  point,  l'évêque  de  Thamugadi 
s'écartait  de  la  doctrine  officielle  de  la  secte,  qui  subordonnait 
du  moins  à  la  connaissance  des  péchés  la  solidarité  avec  les 
pécheurs. 

Sans  s'inquiéter  de  ce  que  ses  amis  pourraient  en  penser,  il 
poussait  son  idée  jusqu'aux  extrêmes  conséquences.  Il  formulait 
ainsi  sa  théorie  générale  :  «  Tout  pécheur  est  perdu  par  ses 
propres  péchés,  et  tout  chrétien  peut  l'être  par  les  péchés  d'au- 
trui,  même  s'il  les  ignore.  »  Avec  cette  théorie,  on  se  demande 
comment  il  pouvait  y  avoir  encore  un  seul  chrétien.  Gaudentius 
affirmait,  en  effet,  que  «  seule  dans  le  monde  avait  poussé 
l'ivraie  »,  et  que  «  dans  le  monde  presque  entier  avait  disparu 
le  froment*^  ».  Ce  «  presque  »  avait  naturellement  pour  objet  de 
réserver,  même  au  prix  d'une  contradiction,  les  droits  et  privi- 
lèges du  parti  de  Donat.  Partout  ailleurs,  il  n'y  avait  plus  de  véri- 
tables chrétiens  ;  car  «  former  avec  les  coupables  une  seule  et 
même  société,  c'est  en  même  temps  schisme  et  hérésie"  ».  En 
dehors  de  son  Eglise,  Gaudentius  n'apercevait  que  des  coquins 
et  leurs  complices  plus  ou  moins  inconscients. 


1)  Augustin,  Co/W/'rt  G((Uf/('/U((/m,  II,  8.  4)    Augustin,    Conlra    Gauderdiuni,    II, 

2)  Ihid.,    II,    2    et   suiv.  ;    8  et  sniv.  ;        13,  14. 

13,  14.  ô)  Ibid.,  11,4. 

3)  Ibid.,  11,3.  6)  Ibid.,  H,  5. 

7)  Ibid.,  II,  9,  10. 


214  LITTÉRATURE    DONATISTE 


* 


Du  schisme,  il  passait  à  la  question  du  baptême.  Il  procla- 
mait que  u  sur  cette  question  on  devait  suivre  les  conciles 
d'Agrippinus  et  de  Cyprien  '  ».  Ce  sacrement  ne  pouvant  être 
conféré  que  par  l'Eglise,  l'évêquedonatiste  reprochait  aux  Catho- 
liques d'être  illogiques  en  ne  rebaptisant  pas  les  hérétiques 
convertis.  Mais  il  s'embrouillait  lui-môme  dans  ses  explications 
sur  le  cas  des  !Maximianistes  ralliés  au  Primianisme,  comme 
Felicianus  de  Musti,  dont  le  baptême  avait  été  déclaré  valable. 
11  cherchait  à  se  tirer  d'affaire,  en  prétendant  que  Felicianus 
était  de  ceux  auxquels  on  avait  accordé  un  délai-.  Malheureu- 
sement, c'était  là  une  erreur  défait,  dont  la  constatation  suffisait 
pour  ébranler  toute  la  théorie. 

Mal  à  l'aise  sur  ce  terrain,  Gaudentius  se  retournait  contre 
Augustin  pour  lui  chercher  noise.  L'évêque  d'Hippone,  en  déve- 
loppant la  thèse  catholique,  avait  cité  un  texte  de  saint  Paul  sur 
la  vérité  qui  pouvait  se  trouA^er  parfois  chez  les  païens  eux- 
mêmes.  Là-dessus,  Gaudentius  prenait  feu.  11  sommait  son  ad- 
versaire de  montrer  «  ce  que  rx\pôtre  n'avait  pas  retranché 
dans  le  sacrilège  des  Gentils,  ce  qu'il  ne  condamnait  pas  dans 
leur  rite  profane  -^  ».  C'était  triompher  trop  aisément,  en  dépla- 
çant la  question. 

Sur  un  autre  point,  Gaudentius  cherchait  encore  querelle  à 
l'évêque  d'Hippone,  qu'il  accusait  même  de  mauvaise  foi.  Il  lui 
reprochait  d'avoir  mal  interprété  un  passage  de  la  lettre  de 
Dalcitius.  Dans  sa  première  réponse,  le  Donatiste  avait  prétendu 
que  le  tribun  lui-même  reconnaissait  dans  son  Eglise  «  l'Eglise 
de  vérité  ».  Augustin,  commentant  ce  passage,  avait  fait 
remarquer  que  le  mot  «  vérité  »  ne  se  trouvait  pas  dans  la  lettre 
du  tribun^.  Devant  cette  observation,  Gaudentius  s'emportait: 
«  Tu  te  trompes,  s'écriait-il,  tu  te  trompes,  ou  plutôt,  tu  trompes. 
Voici  les  paroles  du  tribun  :  «  Respecte  ce  grand  édifice  de  la 
«  maison  du  Seigneur,  où  tu  as  invoqué  souvent  le  nom  de  Dieu 
M  et  de  son  Christ  :  qu'on  ne  dise  pas  que  cet  édifice,  confié  à  tes 
«  soinSj'a  été  brûlé  par  ta  religion.  »  Comprends  donc  que /'e/i- 
^io/z  signifie  vérité,  comme  superstition  signifie  mensonge'.  » 
On  voit  qne  Gaudentius  avait  tort  de  se  fâcher  :  il  avouait  lui- 
même  implicitement  que  la  critique  de  son  contradicteur  était 
parfaitement  fondée. 

L'ouvrage  se  terminait  par  des  protestations  contre  l'inter- 


1)  Aiigiislin,  Contrit  liuiKlenliiint .  Il,  8.  -Il  ^lll:l^^till,   C<iiilru  Gnutlfiitiuin,  1,6, 

2)  n>i<l.,  II.  7.  7. 

à)  liid..  Il,  J(»,  U.  :>)   ll'id..   Il,    11,   12. 


GAUDEiNTIUS    DE    THAMUGADI  215 

vention  de  l'empereur  et  de  ses  agents  dans  les  affaires  reli- 
gieuses. C'était  l'occasion  de  nouvelles  atta([ues  personnelles. 
L'évèque  d'Hippone,  pour  justifier  par  les  Livres  saints  l'action 
du  pouvoir  civil,  avait  rappelé  entre  autres  l'exemple  du  roi  de 
Ninive,  qui  avait  prêté  son  concours  au  prophète  Jouas  pour  la 
conversion  de  ses  sujets  '.  A  ce  propos,  Gaudentius  traitait 
Augustin  d'imposteur  :  «  Pourquoi,  lui  disait- il,  pourquoi  trom- 
per les  malheureux  ?  C'est  à  Jouas  que  Dieu  a  donné  des  ordres, 
c'est  le  prophète  que  le  Seigneur  a  envoyé  vers  le  peuple  ;  au 
roi,  il  n'a  donné  aucune  mission  de  ce  genre-.  »  Au  lieu  d'éclater 
en  injures,  le  Donatiste  aurait  mieux  fait  de  relire  l'histoire  de 
Jouas  :  il  y  aurait  vu  que  l'auteur  de  la  méprise,  l'imposteur, 
comme  il  disait,  c'était  lui-même.  Jusqu'au  bout,  il  avait  joué 
de  malheur  dans  ses  charges  contre  son  confrère  d'Hippone. 
Toujours  prompt  à  la  riposte,  Augustin  n'a  pas  manqué  de 
relever  ces  erreurs,  comme  de  signaler  tous  les  points  faibles 
de  l'ouvrage  dirigé  contre  lui:  le  vague  des  réponses,  les  am- 
plifications oiseuses,  les  dissertations  à  côté,  les  lieux  communs, 
l'effort  pour  se  dérober,  les  affirmations  téméraires,  les  coups 
portant  à  faux,  l'injure  substiTUée  au  raisonnement  3.  A  plusieurs 
reprises,  l'évèque  d'Hippone  a  parlé  durement  du  factum  que 
lui  avait  adressé  l'évèque  de  Thamugadi.  Il  lui  écrivait  :  «  J'ai 
reçu  ta  réponse,  Gaudentius  :  si  toutefois  l'on  doit  appeler  cela 
une  réponse.  Situ  as  tenu  à  me  répondre,  c'est  que  tu  craignais, 
en  te  taisant,  de  nous  autoriser  à  dire  que  tu  avais  été  confondu. 
Mais  répondre  n'est  pas  la  même  chose  que  ne  pas  se  taire.  Si 
c'était  la  même  chose,  ta  réponse  serait  merveilleuse.  Mais  tu 
n'as  obtenu  que  ce  résultat:  maintenant,  ceux-là  mêmes,  qui 
pouvaient  espérer  de  toi  quelque  chose,  savent  que  tu  n'as  rien 
trouvé  à  répondre,  et  que  pourtant  tu  as  répondu  pour  ne  pas  te 
taire.  Donc,  en  voulant  empêcher  que  l'on  ne  pût  te  dire  vaincu, 
tu  as  montré  que  tu  l'étais.  Pour  le  prouver,  il  suffit  de  tes 
propres  ouvrages,  s'ils  sont  lus  par  des  lecteurs  intelligents  qui 
les  comparent  attentivement  aux  miens  ^.  »  Dans  les  derniers 
mots  qu'il  ait  adressés  à  Gaudentius,  Augustin  précise  sa  cri- 
tique :  a  Si  tu  songes  à  répondre,  garde-toi  d'oublier  le  sujet 
et  de  te  perdre  en  propos  superflus.  Considère  ce  qui  a  été  dit  : 
réponds  à  ce  qui  a  été  dit,  non  pas  en  cherchant  à  l'éluder  falla- 
cieuseraent,  mais  en  discutant  avec  raisons  à  l'appui.   Dans  ta 

1)  Augustin,  Contra  Gaudentium,  1,25,  3)  Augustin,  Contra  Gaudentium,  \l,  1 
28;  34,  U.  —Cf.Joiia.9,  3,6-9.  et  suiv.  ;   13,  14;  Retract.,    II,  85. 

2)  Augustin,    Contra    Gaudentium,  H,  4)  Contra  Gaudentium,  II,  1. 
12,  13. 


216  LITTÉRATURE    DO^ATISTE 


/ 


dernière  réponse,  si  prolixe,  tu  n'as  pas  dit  grand'chose,  ou 
plutôt,  tu  n'as  rien  dit  :  si  cela  parait  nécessaire,  et  si  le  Sei- 
gneur me  le  permet,  je  le  démontrerai  plus  en  détail  dans  un 
autre  ouvrage  ^  »  C'étaient,  on  le  voit,  de  vrais  coups  de  massue. 

D'après  les  derniers  mots  cités,  Augustin  supposait  donc  que 
Gaudentius  répondrait  de  nouveau  ;  et  lui-même  songeait  à 
reprendre  la  discussion  dans  un  traité  plus  étendu.  Cependant, 
rien  n'autorise  à  croire  -qu'aucun  des  deux  adversaires  ait 
recommencé  l'attaque  :  autrement,  nous  le  saurions  par  les  Rc- 
Iractations-^  qui  sont  postérieures  de  plusieurs  années.  D'ail- 
leurs, l'évèque  d'IIippone  avait  alors  des  préoccupations  plus 
pressantes  :  c'était  le  temps  de  ses  grandes  controverses  contre 
les  Pélagiens'^.  Quant  au  Donatiste,  il  se  décourageait  sans 
doute  à  constater  l'échec  assez  piteux  de  ses  ripostes.  Et  puis, 
son  bûcher  l'attendait  toujours,  dans  cette  basilique  pleine  de 
candidats  anxieux  au  martyre  :  ce  bûcher,  où  il  allait  chaque 
jour  admirer  son  héroïsme,  où  il  voyait  briller  comme  des 
reflets  du  Paradis,  et  où  peut-être  il  n'est  jamais  monté. 

Abstraction  faite  des  critiques  et  des  railleries  d'Augustin,  on 
doit  i-econnaître  que  le  dernier  ouvrage  de  Gaudentius  ne  conte- 
nait rien  de  décisif  ni  de  bien  nouveau.  Le  fond  est  à  peu  près 
le  même  que  dans  les  lettres  à  Dulcitius,  où  la  matière,  déjà, 
n'était  pas  neuve.  Dans  tout  ce  qui  nous  est  parvenu  du  Dona- 
tiste de  Thamugadi,  on  trouve  simplement  le  fond  commun  de 
toute  la  controverse  donatiste.  Sans  doute,  on  pourrait  presque 
faire  la  même  observation  pour  les  meilleurs  des  polémistes  de 
la  secte  ;  mais,  le  fond  d'idées  restant  le  même,  il  y  a  la  ma- 
nière de  s'en  servir.  Petilianus  et  d'autres,  qui  avaient  de  l'ori- 
ginalité dans  l'esprit,  renouvelaient  sans  y  songer  la  contro- 
verse en  rajeunissant  les  vieux  thèmes.  Gaudentius  ne  renou- 
velait et  ne  rajeunissait  rien  du  tout.  11  faisait  miroiter  le  cliché 
dans  toute  son  horreur,  quand  il  ne  le  brisait  pas  par  ses  mala- 
dresses. 

Les  seules  choses  ([ui  lui  appartiennent  en  propre  dans  ses 
polémiques,  ce  sont,  en  effet,  ses  maladresses  et  ses  erreurs.  Il 
commet  de  lourdes  bévues.  Il  cite,  sans  les  vérifier,  des  textes 
bibliques  qu'il  interprète  de  travers''.  Il  allègue,  sans  les  con- 
trôler, des  faits  historiques  qu'il  connaît  mal  et  qu'il  altère  •'. 
Quand  il  se  mêle  d'exposer  la  doctrine,  il  la  fausse  en  -y  faus- 

1)  Contra  Gaudentium,  11,  Ui,  14.  I,  2S,  :V2  ;  3(t,  'M  ;  'M,  :Ui  cl  siiiv.  ;  II,  4  ; 

2)  fielracl.,  Il,  »:,.  10,  1]  ;  12,  IS. 

:?)  Ihid.,  Il,  87-88  ;  '.i2-'.r^.  5)  Contra  Caudenthim.  Il,  7  ;  1:5.  14. 

4)  Epist.  204,  (j  ;    Contra    Gaudeniuuu, 


G.VUDRNTIUS    DE    THAMUGADI  217 

sant  les  proportions,  ou  en  poussant  jusqu'à  l'absurde  les  théo- 
ries donatistes.  Il  laisse  alors  échapper  des  déclarations  impru- 
dentes, qui  sont  en  désaccord  avec  les  principes  soutenus  par 
ses  amis  à  la  Conférence  de  411,  et  qu'auraient  sûrement  désa- 
vouées les  habiles  du  parti.  Par  exemple,  il  étend  la  solidarité 
chrétienne  à  tous  les  péchés  commis  dans  le  monde  entier, 
même  aux  péchés  ignorés  commis  par  des  inconnus  :  ce  qui 
était  une  hérésie,  même  au  point  de  vue  des  Donatistes'.  Il 
n'est  guère  plus  heureux,  quand  il  développe  les  plus  beaux 
thèmes,  de  tradition  dans  les  controverses  de  la  secte  :  reven- 
dication des  droits  de  la  conscience,  liberté  de  croyance  et  de 
culte,  protestations  contre  les  persécutions,  contre  toute  inter- 
vention du  pouvoir  séculier.  Même  alors,  il  compromet  sa  cause 
par  des  affirmations  erronées,  des  chicanes  intempestives  ou 
les  récriminations  mesquines  de  sa  rancune  ~. 

On  pourrait  être  tenté  de  faire  exception  pour  un  élément  de 
ses  polémiques,  qui,  à  première  vue,  peut  sembler  plus  person- 
nel et  original  :  l'apologie  du  martyre  volontaire '^  Cependant, 
ici,  l'originalité  n'est  qu'apparente;  elle  vient  des  circonstances, 
non  de  l'homme.  Elle  risquerait  même  de  paraître  banale,  si 
l'on  se  représentait  bien  le  polémiste  dans  son  milieu  de  fanati- 
ques, si  l'on  se  souvenait  de  la  place  qu'avait  toujours  tenue  le 
martyre  volontaire  dans  les  dévotions  de  la  secte.  Même  quand 
il  parle  de  se  brûler  vif,  l'évêque  de  Thamugadi  ne  fait  encore 
qu'imiter  des  confrères  :  et  des  confrères  qui,  eux,  s'étaient 
réellement  brûlés i.  Et  puis,  vraiment,  il  parle  trop  de  son  sui- 
cide :  surtout  pour  un  homme  qui,  avant  de  se  jeter  dans  le  feu 
(s'il  s'y  est  jeté),  eut  le  temps  d'écrire  trois  ouvrages. 

Passons  condamnation  sur  la  banalité  du  fond,  sur  les  erreurs, 
les  maladresses  ou  les  rodomontades.  Mais  la  méthode  de  polé- 
mique ne  vaut  guère  mieux.  Malgré  ses  airs  d'apôtre  bourru, 
Gaudentius  manque  de  franchise  et  de  netteté  dans  la  contro- 
verse. Il  songe  plus  à  se  dérober  qu'à  se  défendre;  il  élude  les 
questions  embarrassantes,  ou  y  fait  des  réponses  évasives  ;  il 
querelle  ses  contradicteurs  sur  des  détails  insignifiants  ;  il 
multiplie  les  chicanes,  les  accusations  vagues,  les  récrimina- 
tions, les  injures  ;  et,  naturellement,  il  n'admet  pas  qu'il  ait  pu 
se  tromper  j.  On  ne  sait  jamais  exactement  où  il  en  est  dans 
ses  dissertations,  et  l'on  ne  sait  pas  toujours  ce  qu'il  veut  dire; 

1)  Contra  Gaadcnlium,  If,  4-5.  Epist.  204,  6. 

2)  Ibid.,  I,  19,  20;  24,  27  et  suiv.  ;  26,  4)  CoiUra  Gaudenlium,   I,  37,  47. 

29  ;  34,44  et  suiv.  ;  II,  12,  13.  .5)  Ibid.,  II,    1    et  suiv.  ;    13,   14  ;    Re- 

3)  Ibid.,   I,    28,  32;   30,    34    et    suiv.  ;        tract.,  Il,  85. 


218  LITTÉKÂTURE    DONATISTE 

on  n'oserait  affirmer  qu  il  l'ait  su  lui-même.  A  tout  moment, 
il  semble  oublier  ce  dont  il  voulait  parler;  mais  il  parle  de  tout 
à  propos  de  tout,  parfois  en  termes  sibyllins.  Si,  dans  les  lettres 
à  Dulcitius,  il  traite  à  peu  près  la  question  posée  par  le  tribun, 
en  revanche,  dans  la  lettre  à  Augustin,  il  va  comme  au  hasard, 
dissertant  à  coté,  polémiquant  dans  le  vide,  mêlant  aux  atta- 
ques personnelles  ou  aux  critiques  de  détail  tous  les  lieux  com- 
muns du  parti,  avec  des- considérations  vagues  et  intempes- 
tives sur  l'Eglise  de  Donat.  Lui  qui  affecte  de  dédaigner  l'argu- 
mentation de  ses  contradicteurs,  il  ne  raisonne  guère  pour  son 
compte.  Aux  raisonnements  ou  aux  faits,  il  oppose  des  textes 
bibliques,  qu'il  comprend  de  travers,  des  digressions  où  il 
s'égare,  des  dilemmes  qui  cachent  mal  des  sophismes,  des  sub- 
tilités inintelligibles,  des  aphorismes  ou  de  tranchantes  affirma- 
tions, sans  compter  les  injures'.  L'évêque  de  Thamugadi,  déci- 
dément, est  un  médiocre  polémiste. 

C'est  un  écrivain  presque  aussi  médiocre.  S'il  était  passé  par 
les  écoles,  il  n'y  avait  pas  appris  l'art  de  la  composition.  Sa 
longue  lettre  à  Augustin,  si  Ton  en  juge  par  les  analyses  et  les 
appréciations  du  destinataire,  était  d'une  singulière  incohérence  : 
mélange  informe  d'amplifications  et  de  chicanes,  de  hors-d'œuvre 
et  de  lieux  communs  -,  Les  deux  lettres  à  Dulcitius  semblent 
d'abord  mieux  ordonnées.  Cependant,  la  composition  y  est  en- 
core très  heurtée.  L'auteur  n'y  marque  jamais  la  transition 
d'une  idée  à  l'autre  :  il  procède  par  bonds,  et  ne  retombe  pas 
toujours  sur  ses  pieds  3.  Quant  à  la  langue,  elle  est  quelconque. 
C'est  le  latin  courant  des  Africains  de  ce  temps-là  :  manié  par 
un  homme  qui,  visiblement,  était  un  demi-lettré,  qui  ne  respec- 
tait pas  toujours  la  propriété  des  termes,  et  qui  abusait  des 
formes  analytiques  ou  autres  tours  populaires''.  On  remarque 
une  certaine  maladresse  dans  la  construction  des  phrases,  sou- 
vent embarrassées,  parfois  obscures ''.  Dans  le  style,  oii  manque 
ordinairement  la  précision  et  toujours  l'élégance,  on  voit  alterner 
la  platitude  et  la  recherche.  Tantôt  l'idée  se  traîne  dans  une 
période  verbeuse,  sans  couleur  et  sans  vie  ;  tantôt  elle  prend 
quel([ue  relief  dans  une  antithèse,  dans  une  formule,  dans  un 
trait,  même  dans  un  trait  d'esprit,  malheureusement  d'une  ironie 
assez   lourde.    A  l'occasion,    ce  style  a  du  mouvement.    Mais 


1)  Contra   Gaudeiitium,  1,28,32;    30,  3)  Gamlciiliiis,  £/>is/(i/</   //    <i,l    Dulci- 
40  ;  II,  1  et  suiv.  ;  4  cl  siiiv.  ;  10,  11  et  tiuin,  2-:>  ;  12-14. 

suiv.  ;  12,  13  et  siùn.  4)  Ibid.,  :VG  ;  8-9  ;  12-15. 

2)  Conlra  Gaudeiitium,  II,   ]    cl  suiv.  ;  5)  Ibid.,  2-3  ;  11-12. 
13,  14. 


GAUDENTIUS    DE    THAMUGADI  219 

d'ordinaire,  quand  il  n'est  pas  plat,  il  est  tendu  et  raide  dans 
l'âpreté  du  ton  '. 

Aussi  bien  comme  écrivain  que  comme  polémiste,  Gauden- 
tius  n'a  droit  qu'à  une  place  très  modeste  dans  la  littérature  du 
pays,  même  de  la  secte.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  ses  œuvres 
soient  entièrement  négligeables.  jNIédiocres  en  elles-mêmes,  elles 
présentent  cependant  un  véritable  intérêt  historique  :  non  seu- 
lement pour  l'étude  du  Donatisme  ou  des  polémiques  d'Augus- 
tin, mais  pour  la  connaissance  de  la  civilisation  africaine  en 
ces  temps -là.  Elles  nous  révèlent  un  aspect  assez  curieux  de  ce 
Thamugadi  chrétien,  qui,  de  nos  jours,  est  sorti  de  terre.  Elles 
nous  font  assister  aux  péripéties  d'une  persécution,  qui  ne  paraît 
pas  avoir  été  bien  terrible,  mais  qui  ne  manquait  ni  d'imprévu 
ni  de  pittoresque.  Enfin,  dans  ce  Timgad  désert  des  archéolo- 
gues, aux  églises  vides,  aux  longues  rues  bordées  de  portiques 
silencieux,  elles  nous  font  entrevoir  des  hommes,  même  un  drame 
de  la  conscience  humaine,  avec  un  coin  de  littérature. 

])  Gaadeutius,  Epistala  II  ad  Dnlcilium,  3  ;  9-10  ;  13-14. 


0 


CHAPITRE   VI 


FULGENTIUS   LE  DONATISTE 


I 


Le  donatisto  Fulgentius.  —  Ce  qu'on  sait  de  lui.  —  Il  était  Africain  et 
vivait  au  temps  d'Augustin.  —  Il  n'est  mentionné  que  dans  un  traité 
anonyme  dirigé  contre  lui.  — ■  Le  dialogue  Contra  Falgentiam  donatistam. 
—  Comment  on  peut  reconstituer  l'ouvrage  de  Fulgentius.  —  Date  approxi- 
mative de  cet  ouvrage. 

Sur  le  doiiatiste  Fulgentius,  on  ne  sait  rien  de  précis.  On  a 
pourtant  tout  lieu  de  croire  qu'il  est  l'auteur  d'un  traité  Sur  le 
baptême^  longtemps  oublié,  disparu  pendant  des  siècles,  et 
récemment  reconstituée 

D'après  le  contenu  de  l'ouvrage,  on  voit  que  l'auteur  était 
Africain,  qn'il  vivait  au  temps  d'Augustin,  et  qu'il  était  pro- 
bablement clerc  dans  l'Eglise  schismatique.  A  ces  indications 
sommaires  se  réduisent  nos  données  sur  la  biographie  de  ce 
Fulgentius  donatiste,  qui,  assurément,  ne  peut  être  identifié 
avec  aucun  des  évêques  homonymes,  avec  aucun  des  autres 
écrivains  du  même  nom. 

Si  nous  connaissons  l'existence  du  donatiste  Fulgentius,  si 
même  nous  pouvons  restituer  son  traité  Sur  le  baptême^  c'est 
grâce  à  un  dialogue  anonyme,  où  il  est  nommé,  cité,  combattu, 
réfuté  phrase  par  phrase. 

Parmi  les  ouvrages  attribués  à  saint  x\ugustin,  figure  le  dia- 
logue intitulé  Contra  Fulgeiitium  donatistam'^.  Assurément, 
l'attribution  est  plus  que  suspecte  ;  mais  l'opuscule  est  sûre- 
ment d'origine  africaine,  et  du  temps  d'Augustin.  On  ne  sau- 
rait admettre  l'hypothèse  d'érudits  anciens,  qui  y  voyaient  une 


1)  Revue  de  philologie,  1907,  p.  245-250. 
—  Voyez  plus  haut,  tome  V,  Appendice 
III.  A  notre  édition  se  rapijorlent  les 
renvois  au  De   baptisino  de   Fulgentius. 

2)  CoiiLra  Fulgeiitium  Donatistam  in- 
certi  auctoris  liber,  dans  Ja  Patrol.  lut. 

VI. 


de  Migne,  tome  43,  p.  763-774.  —  Edi- 
tion critique  de  Petschenig,  Vienne  et 
Leipzig,  l'.UO  (dans  le  Corpus  scriptor. 
eccles.  lat.  de  l'Académie  de  Vienne, 
tome  LUI,  p.  289-310). 


If) 


222  LITfÉUATURE    DONATISTE 

œuvre  de  Vigilius,  pieux  faussaire  et  évèque  de  Thapsus  à  la 
fin  du  cinquième  siècle  K  Sans  parler  des  autres  raisons  d'écar- 
ter cette  opinion,  on  ne  s'explique  pas  quel  intérêt  cette  contro- 
verse antidonatiste  aurait  pu  présenter  pour  des  contemporains 
de  ^^ig•ilius,  sous  la  domination  des  Vandales  ariens.  Au  con- 
traire, par  le  sujet  et  le  contenu,  par  la  méthode  de  discussion, 
par  l'allure  du  développement,  le  Contra  Fiilgentiuiu  se  rat- 
tache étroitement  aux  polémiques  du  temps  d'Augustin. 

On  en  peut  même  fixer  la  date  approximative,  d'après  les 
indications  chronologiques  que  contient  l'opuscule.  L'auteur 
fait  allusion  au  schisme  des  Alaximianistes  et  à  leurs  querelles 
avec  les  Primianistes,  enti'e  392  et  410  -.  Il  mentionne  égale- 
ment les  procès-verbaux  de  la  Conférence  de  4113.  \\  connaît 
les  documents  authentiques  produits  à  cette  conférence  ;  il  est 
même  le  seul  qui  nous  ait  conservé  le  texte  littéral  du  vote  de 
Marcianus  au  concile  schismatique  tenu  à  Carthage  en  312  *. 
D'autre  part,  il  ne  fait  allusion  ni  aux  conquérants  vandales,  ni 
aux  persécutions  des  Ariens  contre  les  Catholiques,  ni  même 
iiux  dernières  mesures  de  rigueur  prises  contre  les  Donatistes 
vers  420,  lors  de  l'affaire  de  Gaudentius  à  ïhamugadi"'.  D'après 
cela,  l'ouvrage  a  été  écrit  sûrement  après  411,  et  probablement 
avant  420,  c'est-à-dire  dans  les  années  qui  ont  suivi  la  célèbre 
Conférence  de  Carthage  où  fut  condamné  le  schisme  africain. 

On  s'accorde  à  penser  que  le  dialogue  n'est  pas  d'Augustin. 
D'abord,  il  ne  figure  pas  dans  les  Rétractations,  où  sont  énu- 
mérés  à  leur  date  tous  les  traités,  même  postérieurs,  contre  les 
Donatistes.  Puis,  le  style  et  le  ton  ne  sont  pas  dans  la  manière 
de  l'évêque  d'Hippone.  On  remarque  même  des  divergences 
dans  l'interprétation  de  plusieurs  textes  bibliques,  comme  dans 
l'appréciation  des  doctrines''.  Pourtant,  l'influence  directe  du 
maître,  du  grand  adversaire  des  Donatistes,  se  reconnaît  par- 
tout :  dans- les  idées,  dans  la  méthode  de  polémique,  dans  la 
disposition  du  dialogue,  dans  le  choix  d(^s  arguments,  jusque 
dans  le  détail  du  style.  Tout  porte  à  croire  que  le  Contra  Fui- 
gentium  a  été  écrit  du  vivant  d'Augustin,  peu  après  411,  par 
un  clerc  de  son  entourage  ou  de  son  école. 

Sur  les  circonstances  de  la  controverse,  l'auteur  du  Contra 
Falgenlium  nous  renseigne  avec   précision,  dès  ses   premiers 

1)  Patrol.    lai.    de    Migne,   lomo    43,  ô)  Aiigiisliii,  £/)(.<<.  204  ;   Coiilru    Gau- 
p.  7G3.                                                                      denlium,   1,1;   llclnicL.  II,  S"). 

2)  Conlrn  Fuljcnliain,  22  ;  24-2,").  ti)  Palrol.    lai.    do    Migiic,   loiiie    43, 

3)  «  Miirrelliiii  Goslis  »  (Uml.,  22).  p.  761   cl  siiiv. 

4)  //'(V.,  2(î. 


FULGENTIUS    LE    DONATISÏE  223 

mots  :  «  J'ai  reçu,  frère  Fulgentius,  le  livre  {libelluiu)  qui  m'a 
été  adressé  par  Ta  Piété  ;  et  je  l'ai  reçu  de  bonne  grâce.  Est-ce 
toi-même  qui  l'as  composé,  ou  le  tiens-tu  d'un  autre?  Je  ne  m'en 
inquiète  guère.  C'est  un  devoir  de  notre  religion,  de  ne  point 
considérer  les  personnes,  mais  de  chercher  en  toute  chose  la 
vérité,  de  la  reconnaître  après  l'avoir  trouvée,  de  la  garder 
après  l'avoir  reconnue^  ».  Le  Contra  Fulgentiu/n  est  donc  une 
réponse  à  un  traité  sur  le  baptême,  qui  avait  été  envoyé  à  l'au- 
teur catholique  par  le  donatiste  Eulgentius,  et  qui  était  sans 
doute  l'œuvre  de  ce  Fulgentius.  A  première  vue,  l'opuscule  a 
la  forme  d'un  dialogue.  En  réalité,  c'est  une  réfutation  directe 
du  traité  donatiste,  dans  un  cadre  analogue  au  cadre  des  ou- 
vrages d'Augustin  contre  Petilianus  ou  contre  Gaudentius. 

La  plus  grande  partie  du  dialogue  met  en  scène  un  Donatiste 
et  un  Catholique  -.  Les  formules  emplo^^ées  pour  indiquer  Jes 
changements  d'interlocuteur  {Donatista  di.rit  —  Cotholicus 
respoiidii),  rappellent  l'alternance  des  Petilianus  dixit  et  des 
Aiigiistiniis  respo n di t  dsins]e  second  livre  C outra  litteras  Peti- 
liani'^.  Ici,  comme  dans  l'ouvrage  d'Augustin,  le  dialogue  n'a 
d'une  conversation  ou  d'un  débat  que  l'apparence  ;  il  se  réduit  à 
deux  monologues  qui  s'entrecoupent  et  se  poursuivent  paral- 
lèlement. Seul,  le  Catholique  discute  les  affirmations  ou  les 
citations  bibliques  de  son  adversaire.  Le  Donatiste  continue 
sans  rien  entendre  ;  il  ne  répond  jamais  aux  objections.  Toutes 
ses  tirades  se  relient  étroitement  l'une  à  l'autre  :  ce  sont  sim- 
plement les  fragments  successifs  du  traité  donatiste.  Il  suffit  de 
mettre  bout  à  bout  ces  fragments,  pour  reconstituer  tout  l'opus- 
cule. En  effet,  le  plan  du  traité  ainsi  restitué  correspond  exacte- 
ment à  l'analyse  qui  en  est  faite  au  début  par  l'auteur  catholique'*. 

Cependant,  la  fin  du  Contra  Fidgentiiun  diffère  sensiblement 
du  reste.  Brusquement,  les  interlocuteurs  changent,  ou  plutôt, 
ils  sortent  de  l'anonymat  :  le  Donatiste  est  remplacé  par  Ful- 
gentius lui-même,  et  le  Catholique  par  Augustin-'.  Même  chan- 
gement dans  l'allure  du  dialogue,  qui  désormais  est  plus  coupé, 
plus  vif.  Ce  n'est  plus  un  monologue  donatiste,  interrompu  de 
temps  à  autre  par  les  objections  d'un  Catholique  ;  c'est  presque 
une  véritable  discussion,  où  le  sourd  parait  entendre,  écouter 
son  adversaire  et  même  lui  répondre  ^. 


1)  Contra  Fulgentiuin,!.  4)  Contra  Fuhjentium,  1. 

2)  IbUL,  2-20.  5)    <(  Fulgentius  dixit   —    August     u 

3)  Augustin,  Contra  litteras  Petiliani^  respondit  »  (ibid.,  21  et  suiv.). 
H,  1,  2  et  suiv.  —  Cf.  Contra  Gauden-  G)  Contra  Fiilgentiiun,  21-26. 
tium,  I,  1. 


224  LlTr»R\TLHK   DONATISTE 

On  est  tenté  d'abord  de  supposer  que  les  deux  parties  ne  sont 
pas  de  la  même  main.  Pourtant,  ni  dans  le  ton,  ni  dans  le  sys- 
tème d'argumentation,  ni  dans  la  langue,  on  ne  relève  rien  qui 
justifie  cette  hypothèse.  L'introduction  brusque  des  noms  de 
Fulgentius  et  d'Augustinus  doit  être  le  fait  d'un  copiste.  Le 
sujet  traité  à  la  fin  (indignité  des  Catholiques)  est  annoncé  dès 
le  début,  dans  l'analyse  préalable  de  l'ouvrage  donatiste'.  Le 
changement  dans  l'allure  du  dialogue  peut  s'expliquer  par  la 
différence  des  questions.  Jusque-là,  c'étaient  des  exposés  de 
doctrine,  des  réfutations  fondées  sur  des  textes  bibliques  :  on 
pouvait  procéder  par  tirades.  Vers  la  fin,  on  arrive  à  la  ques- 
tion de  fait  et  de  personnes  :  les  Catholiques  sont-ils  des  pé- 
cheurs ?  La  discussion  prend  aussitôt  un  tour  plus  vif  ;  mais 
elle  a  toujours  pour  point  de  départ,  et  pour  limite,  les  phrases 
de  l'opuscule  à  réfuter.  Bref,  dans  les  derniers  chapitres,  l'au- 
teur du  Contra  Fulgentiiim  reproduit  encore  le  texte  du  traité 
donatiste,  avec  quelques  modifications  insignifiantes,  nécessi- 
tées par  le  dialogue. 

S'il  eu. fallait  une  dernière  preuve,  on  la  trouverait  dans  la 
comparaison  des  nombreuses  citations  bibliques  faites  par  les 
deux  adversaires.  Sauf  quelques  variantes  sans  importance, 
l'interlocuteur  catholique  suit  toujours  la  Vulgate,  dont  l'usage 
commençait  à  se  répandre  en  Afrique  dans  le  premier  tiers  du 
cinquième  siècle.  Au  contraire,  le  Donatiste,  comme  tous  les 
sectaires  de  son  Eglise,  s'en  tient  aux  vieux  textes  «africains», 
ceux  du  temps  de  saint  Cvprien'.  On  observe  le  même  contraste 
entre  les  citations  des  Catholiques  (textes  italiens  revisés  ou 
Vulgate)  et  les  citations  des  Douatistes  i^vieux  textes  africains), 
dans  les  ouvrages  polémiques  d'Augustin  et  dans  les  procès- 
verbaux  de  la  Conférence  de  4113. 

Avec  les  fragments  épars  dans  le  Contra  Fiilgentium,  on 
peut  donc  reconstituer  le  texte  entier  de  l'opuscule  donatiste, 
dont  l'ouvrage  catholique  est  une  réfutation. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  l'auteur  du  Contra  Fnlgcntiunt 
avait  reçu  de  Fulgentius  le  traité  donatiste.  11  supposait,  mais 
sans  en  avoir  la  ])reuve,  que  l'opuscule  avait  été  composé  par 
Fulgentius  lui-même  '.  En  tout  cas,  il  procède  et  discute  comme 


1)  <i    Et    peccalort's    oniiiiiu)    imii    da-  12-llVz^  Kiilgcnlius,  Dt'6«p(iSHio,5)  ;  etc. 

buiit  »  (ihid.,  1).  —  Toutes  ces  citations  sont  conformes 

2;  Par  exemple  :  Jérûniie,  2,    Vii   (cité  au  texte  i)il)Ii(pic-  tle  s.  Cyprien. 

par   Fulgentius,  Dr  l>iipli.-<mo,  2)  ;    Isaïe,  3)  Voyez  plus  liaul,  Ujinc  I,  p.  130  et 

33,    14-lH,    et   Jérémic,   ]">,  18  (==   Fui-  suiv.  ;  p.  157  et  sui^. 

gentii'is,  ï)c  ba[jlismo,  3)  ;    —  Canlic,  4,  4)  Contra  Fulgenlinm,  ]. 


FULGENTIUS    LE    DO^NATISTE  225 

si  Fulgentiiis  était  l'auteur.  Telle  était  aussi  l'opinioa  des  pre- 
miers copistes,  qui  paraissent  avoir  imaginé  le  titre  Contra 
Fiilgentium  donatisiani^  et  qui,  à  la  fin  du  dialogue,  ont  iden- 
tifié l'interlocuteur  donatiste  avec  Fulgentius  '.  Nous  n'avons 
pas  de  raison  pour  rejeter  cette  tradition,  pas  plus  que  nous 
ne  pouvons  la  justifier.  Nous  ne  connaissons  d'ailleurs,  au 
temps  d'Augustin,  aucun  Donatiste  du  nom  de  Fulgentius  : 
nom  commun  en  Afrique,  où  ont  vécu  Fulgentius  de  Ruspaj  et 
Fulgentius  Ferrandus.  Le  personnage  qui  nous  occupe  ne  de- 
vait pas  être  un  évêque  ;  car  il  ne  figure  pas,  dans  les  longues 
listes  d'évêques  donatistes,  au  procès-verbal  de  la  grande 
Conférence  de  Carthage.  C'était  probablement  un  prêtre  ou  un 
diacre  de  la  secte. 

Le  traité  de  Fulgentius  Sur  le  baptême,  qui  ne  renferme 
aucune  indication  chronologique,  peut  néanmoins  être  daté 
indirectement.  L'auteur  du  Contra  Fulgcntium  avait  reçu  du 
Donatiste  lui-même  l'opuscule  qu'il  réfutait,  et  qui  venait  de 
paraître'.  Les  deux  ouvrages  sont  donc,  à  peu  près,  du  même 
temps.  Or,  nous  avons  vu  que  le  Contra  Fiilgentiuni  a  été 
sûrement  écrit  après  411,  et  probablement  avant  420.  L'opus- 
cule de  Fulgentius  a  dû  être  compbsé  aussi  entre  les  années 
412  et  420. 


II 


Le  Libellas  de  baptisino  de  Fulgentius.  —  Titre  et  forme  de  l'opuscule.  — 
Sujet.  —  Conti'overse  sur  le  baptême.  —  Commentaire  de  textes  bibliques. 

—  Contenu  et  plan  de  l'ouvrage.  —  Théorie  du  baptême.  —  La  source 
de  vie.  —  Réfutation  de  la  doctrine  catholique  sur  les  sacrements.  — 
L'onction.  —  Indignité  des  Catholiques.  —  Pourquoi  on  doit  les  rebap- 
tiser. —  Caractères  de  l'ouvrage.  —  Le  fond.  —  La  mise  en  œuvre.  — 
Langue  et  style.  —  Violence  du  ton.  —  Allure  populaire  de  la  polémique. 

—  Intérêt  historique  de  ce  pamphlet. 

Du  livre  de  Fulgentius,  le  titre  n'est  pas  indiqué  par  le  Con- 
tra Fulgentiiim  ;  on  ne  peut  donc  restituer  ce  titre  que  d'après 
les  vraisemblances.  L'opuscule  traitait  presque  exclusivement 
du  baptême  :  comme  l'ouvrage  analogue  de  Petilianus,  il  devait 
être  intitulé  De  unico  baptismo  ou  De  baptisnio  '^.  Il  est  qua- 
lifié de  libellas  ;  et  il  avait  la  forme  d'une  lettre^. 


1)  Contra  Fulgentium,  21-26.  Pellliaitnm,  ]  ;  Retracl.,  JI,  60. 

2)  Ibid.,  1.  i)  Contra  Fulgeiilium,  l. 
?)  Augustin,  De  unico  baptismo  contra 


226 


MTfÉHATUHE    DONATISTE 


Le  sujet,  c'était  l'éternelle  controverse,  entre  Donatistes  et 
Catholiques,  sur  la  question  du  ])aptème.  La  discussion  se  pour- 
suivait surtout  à  coups  de  textes  bibliques.  Ici,  la  transcription 
et  le  commentaire  de  ces  textes  occupent  une  place  tellement 
prépondérante,  que  tout  y  semble  subordonné,  jusqu'au  plan  de 
l'ouvrage. 

Voici  comment  l'auteur  du  Contra  Fulgentium,  s'adressant 
<à  Fulgentius  lui-même,  résume  le  contenu  du  traité  donatiste  : 
«  Je  vais  indiquer  brièvement  ce  que  tu  as  développé  ingénieu- 
sement dans  ta  lettre.  Donc,  tu  as  dit  :  «  Ilyaun  seul  baptême, 
que  le  Samaritain,  c'est-à-dire  l'hérétique,  ne  possède  pas.  Il  y  a 
un  seul  jardin  clos,  qui  est  l'Eglise,  où  est  une  source  close, 
interdite  à  tout  profane.  Il  y  a  une  seule  huile,  qui  est  l'onc- 
tion très  sainte,  que  corrompent  les  mouches  mourantes,  et  que 
ne  donneront  nullement  les  pécheurs  ^.  »  Cette  analyse  corres- 
pond bien  au  contenu  de  l'opuscule,  tel  que  nous  l'avons  recons- 
titué. Le  plan,  assez  artificiel,  est  fondé  sur  le  commentaire  de 
certains  passages  de  l'Ecriture,  dont  l'interprétation  était  l'ob- 
jet d'incessantes  controverses  entre  les  deux  Eglises  rivales. 
Malgré  des  incertitudes,  des  redites  et  quelque  confusion,  on  y 
distingue  quatre  parties  :  baptême-,  source  de  vie 3,  onction'*, 
indignité  des  Catholiques^. 

Dès  ses  premiers  mots,  Fulgentius  pose  brutalement  la 
question  du  ÎDaptême,  en  plaçant  sa  doctrine  sous  le  patronage 
du  Christ  lui-même  :  «  Notre-Seigneur  et  Sauveur  Jésus-Christ, 
docteur  et  gardien  du  baptême  unique,  a  voulu  empêcher  que 
les  âmes  altérées  ne  fussent  entraînées  à  travers  des  lacs  des- 
séchés par  l'erreur  de  l'esprit.  Il  a  proclamé  qu'il  avait  une 
source  intarissable.  Il  l'a  attesté  dans  son  Evangile...  El  il  ne 
permet  pas  de  dire  qu'on  puisse  boire  au  hasard  et  partout  : 
il  a  distingué  lui-même  entre  les  eaux,  en  condamnant  dans  sa 
source  l'origine  de  l'apostasie  Samaritaine  ''.  »  Il  y  a  donc 
«  deux  genres  de  baptême  ^  ».  Ou  plutôt,  il  y  a  un  vrai  bap- 
tême, celui  que  confère  la  véritable  Eglise,  et  un  faux  baptême, 
celui  qui  est  administré  en  dehors  d'elle,  et  qui  du  vrai  a  seule- 
ment l'apparence.  Ce  faux  baptême,  qui  est  nul,  c'est  celui  des 
hérétiques,  des  schismatiques,  même  des  soi-disant  Catholiques. 

Fulgimtius  s'indigne  à  l'idée  ([u'on  puisse  })lacer  sur  le 
même   i-ang  le  sacrement  authentirjue  et  sa  contrefaçon  :  «  Si, 


1)  C.onlra  Fiiliji  iiliiuii ,   1. 

2)  Kiil^ciiliiis,  iJf  haplisino,  1-4. 

3)  Ihicl.,  5-8. 

4)  Ibid.,  9-14. 


.5)   FiilgenUus,  De  l)a[ilisiito,  15-10. 
(>)  Ibid.,  1. 

7  <(  Viclos  orgo  duo  gcnera  cssc  bap- 
tismalum...  »  (ibid.,  2). 


FULGENTIUS    LE    DONATISTE  227 

comme  tu  l'affirmes,  une  même  foi  conTère  la  même  efficacité  à 
l'un  et  l'autre  sacrement,  pourquoi  donc  Dieu  a-t-il  établi  une 
juste  séparation  entre  l'eau  de  la  foi  et  l'eau  de  la  perfidie  ^  ?  » 
Et  il  allègae  plusieurs  passages  des  Prophètes.  Puis  il  s'em- 
porte contre  les  gens  qui  ferment  l'oreille  à  la  vérité  :  «  Dé- 
mence inouïe  des  perfides,  qui  refusent  de  croire  aux  paroles 
divines,  et  qui,  dans  l'abîme  de  leur  erreur,  ne  veulent  pas 
garder  la  doctrine  simple  de  l'Apôtre-  !  »  On  devine  qui  sont 
les  perfides. 

De  ces  divers  témoignages,  l'auteur  tire  la  doctrine  dona- 
tiste  :  il  y  a,  en  réalité,  un  «  baptême  unique  »,  qui  appartient  à 
Dieu,  donc  à  son  Eglise^.  Ce  sacrement  ne  peut  être  admi- 
nistré par  des  schismatiques  ou  des  hérétiques;  et  le  prétendu 
baptême  des  soi-disant  Catholiques  n'en  est  qu'une  caricature. 

Dans  la  seconde  partie  de  son  opuscule,  Fulgentius  déve- 
loppe la  même  théorie  sous  une  autre  forme  :  celle  d'un  sym- 
bole emprunté  à  la  Bible,  surtout  au  Cantique  des  cantiques'*. 
Il  y  a  une  seule  source  de  vie,  qui  appartient  à  la  véritable 
Eglise,  c'est-à-dire  à  l'Eglise  de  Donat,  et  qui  est  interdite  à 
tous  les  profanes,  à  tous  les  non-donatistes  ^.  A  l'idée  seule  que 
les  Gatiioliques  osent  approcher  de  cette  source,  Fulgentius 
entre  en  fureur  :  «  Si  donc,  s'écrie-t-il,  la  véritable  Eglise  se 
glorifie  d'une  source  unique,  alors  la  prétendue  Eglise  des  tra- 
diteurs  n'est  qu'une  caverne,  elle  qui  se  vante  de  ses  eaux  mul- 
tiples, elle  qui  s'enivre  de  son  baptême,  puis  fornique  avec  les 
rois,  suivant  le  mot  de  Jean  :  «  Viens,  je  te  montrerai  la  con- 
«  damnation  de  la  grande  courtisane  qui  siège  sur  des  eaux  mul- 
<(  tiples  ;  et  tous  les  habitants  de  la  terre  ont  été  enivrés  du  vin 
«de  sa  fornication»  [ApocaL,  17,  1-2).  Je  le  demande,  quelles 
sont  ces  eaux  multiples,  sinon  la  pluralité  des  baptêmes?  quelle 
est  cette  courtisane,  sinon  la  caverne  des  traditeurs.,  qui  s'as- 
servit aux  plaisirs  des  rois,  qui  boit  à  la  coupe  des  persécu- 
tions, et  qui,  aveuglée  par  l'ivresse,  se  mêle  aux  peuples  pour 
entraîner  dans  la  folie  ceux  qu'elle  abreuve'^?  »  Grisé  lui- 
même  par  son  éloquence,  l'auteur  voit  trouble.  Il  prétend  assi- 
miler les  Catholiques,  non  seulement  aux  schismatiques,  mais 
aux  hérétiques,  même  aux  Manichéens  :  «  Donc,  il  est  clair  que 
chez  les  traditeurs  se  trouvent  les  eaux  multiples  :  là,  sont  les 
semences   diverses  des  schismes,  les  pestes   multiformes    des 

1)  Fulgentius,  De  baptisino,  3.  i)  Cuiitic,  4,  12-13. 

2)  Ibid.,  i.  5)  Fulgentius,  De  baptisino,  5-6. 

3)  «  Hinc  sibi  Deiis  unicum  baptisma  ('))  Ibid.,  7. 
sse  j)roclamat  )>  (ibid.,  5). 


228  LITTÉRATURE    DONATISTE 

hérétiques,  les  épouvantables  immondices  des  Manichéens.  Là, 
les  âmes  sont  précipitées  au  fond  d'un  lac  de  boue,  et  englou- 
ties dans  le  gouffre  d'une  mort  éternelle,  qui  jette  aux  flammes 
dévorantes  l'huile  de  l'extermination  ^  »  Comparer  quelqu'un 
aux  Manichéens,  c'était,  chez  les  Donatistes,  la  suprême  in- 
jure. 

Après  la  source,  l'huile  et  les  parfums.  Le  symbole  a 
changé,  mais  non  l'esprit,  de  l'auteur,  qui,  cette  fois,  va  ap- 
peler à  l'aide  les  Harpies-.  Le  prétexte  de  cette  galante  évoca- 
tion, c'est  le  rôle  de  l'onction  dans  le  sacrement.  11  y  a,  dit 
P'ulgentius,  une  seule  onction  valable,  celle  que  donne  la  véri- 
table Eglise,  et  que  ne  peuvent  donner  les  pécheurs  :  «  Ecoute 
la  parole  de  Salomon  :  «  Les  mouches,  en  mourant,  détruisent 
«  la  suavité  des  parfums  »  [Eccles.,  10, 1).  L'huile  a  son  parfum 
propre,  qui,  s'il  est  touché  par  un  coquin,  se  corrompt  malgré 
tous  les  soins.  Vous,  traditeurs,  vous  traitez  l'Esprit-Saint 
comme  ces  oiseaux  immondes  (les  Harpies),  qui  se  précipitent 
méchamment  sur  la  table  d'autrui  et  gâtent  le  parfum  de 
l'huile  par  leur  contact  impur.  C'est  ce  qu'enseigne  nettement 
le  très  saint  David  ;  il  fixe  la  règle  de  notre  foi,  en  nous  appre- 
nant que  l'huile  du  pécheur  n'apporte  point  le  salut  et  ne  doit 
toucher  la  tête  de  personne  :  «  Que  l'huile  du  pécheur,  dit-il, 
«ne  touche  pas  ma  tête»  [Psalm.,  140,  5).  Il  faut  donc  examiner 
avec  soin  la  personne  du  pécheur,  s'il  est  vrai  que  le  Seigneur 
n'a  pas  parlé  du  prêtre  sacrilège,  comme  le  prétendent  les  pro- 
fanes-^. »  Assurément,  ce  qui  manque  le  plus  dans  cette  dia- 
tribe amphigourique  sur  Fonction  liturgique^  c'est  l'onction 
oratoire. 

Ainsi,  le  baptême  et  ses  rites,  la  source  de  vie  et  l'onction, 
appartiennent  exclusivement  à  la  véritable  Eglise,  celle  de 
Donat.  Les  pécheurs,  comme  tous  les  profanes,  n'y  peuvent 
toucher  sans  profaner  le  sacrement  et  le  rendre  nul.  D'où  la 
fureur  de  Fulgentius  contre  les  Catholiques,  qui  osent  croire  à 
la  vertu  de  leur  baptême.  Il  les  déclare  plus  impudents  que  les 
pires  des  bandits  :  «  Jamais  brigand,  s'écrie-t-il,  n'a  montré  au 
grand  jour  son  butin  ;  toujours  les  travailleurs  de  la  nuit  ont 
eu  horreur  de  cette  lumièrç  qu'aiment  tous  les  honnêtes  gens. 
Seul,  le  traditeur  n'(;st  pas  ébranlé  par  les  menaces  de  Dieu,  et 
se  pavane  dans  les  vêtements  volés  à  autrui  ^.  »   Il  dénonce  en 

1)  Fulgentius,  De  baplismo,  8.  vil;itein    iimmmdis    laclil)us    lu-dent    » 

2)  <(  Spirilum  sanctmn  iiiiiniindis  nii-        (il/iit.,   9). 

libus  Iraditoros  ac-quatis,  ((uuil  in  aliuna  3)  Fulgentius,  De  6o/)<is/Ho,  9. 

mensa  iniprohi    corruant   et    olci    sua-  4)  Ibid.,  11. 


rULGENTIUS    LE    DONATISTE  229 

Qux  des  coquins  qui  «  détournent  le  bien  d'autrui  »,  qui  «  ac- 
cumulent les  nuées  du  mensonge  »,  qui  «  s'avancent  par  les 
replis  tortueux  des  collines  '  ».  Dans  tous  les  coins  de  la  Bible, 
il  découvre  la  preuve  de  leurs  méfaits. 

Sans  cesse,  il  fulmine  contre  leur  indignité.  Il  les  traite, 
non  seulement  de  pécheurs,  mais  de  schismatiques  ou  d'héré- 
tiques. 11  ne  se  lasse  pas  de  répéter  que  leur  faux  baptême  est 
complètement  inefficace,  qu'on  doit  les  exorciser  et  les  rebap- 
tiser à  leur  entrée  dans  la  véritable  Eglise  :  «  Je  condamne 
ton  baptême,  dit-il,  et,  pour  cette  raison,  j'exorcise  tes  fidèles. 
A  Dieu  ne  plaise  que  je  les  laisse  libres  de  partir  !  car  Dieu  a 
dit  :  «  Forcez-les  tous  d'entrer,  pour  que  ma  maison  soit 
«  pleine  »  (Luc,  14,23).  11  a  dit  tous;  il  n'a  fait  exception  pour 
personne.  Je  vous  apprendrai  c^ue  mon  Eglise  est  la  plus  sûre. 
Je  dirai  qu'elle  se  compose  d'une  élite.  Je  montrerai  que  la  véri- 
table Eglise  est  celle  qui  souffre  la  persécution,  non  celle  qui 
persécute.  Je  prouverai,  suivant  le  mot  de  l'Apôtre  [EpJies., 
5,  27),  que  mon  Eglise,  seule,  n'a  pas  de  rides  ni  de  taches-.  » 
En  terminant,  il  résume  les  principaux  griefs  de  son  parti 
contre  l'Eglise  officielle  :  «  Tu  as  livré  les  Ecritures,  tu  as  sa- 
crifié aux  idoles.  Ton  père  l'a  fait  ;  je  dis  ton  père,  Caecilia- 
nus  :  il  a  livré,  il  a  sacrifié,  il  a  commis  tous  les  crimes.  Toi, 
son  fils,  tu  n'as  pas  livré,  sans  doute,  mais  tu  nous  as  persé- 
cutés... Vous  êtes  des  schismatiques,  vous  qui  avez  sacrifié  et 
livré  les  Ecritures  ^  ».  Sur  ce  refrain  de  liaine  s'arrête  brus- 
quement, comme  essoufflé,  le  théoricien  forcené  du  baptême  do- 
natiste. 

D'un  bout  à  l'autre  du  traité,  dans  chaque  partie,  presque 
dans  chaque  paragraphe,  on  voit  se  mêler  ou  se  succéder  ré- 
gulièrement trois'  éléments  divers,  mais  toujours  les  mêmes  : 
citations  de  l'Ecriture,  commentaire  de  ces  textes,  attaques 
contre  les  Catholiques.  Dans  aucun  de  ces  compartiments,  on 
ne  rencontre  rien  d'original,  rien  qui  appartienne  vraiment  à 
l'auteur  :  sauf,  peut-être,  l'allusion  aux  Harpies  ^.  Ces  textes 
dont  Fulgentius  fait  si  grand  état,  ces  textes  sur  le  baptême, 
sur  la  source  de  vie,  sur  l'onction,  ce  n'est  pas  lui  qui  les  avait 
découverts  ;  ce  n'est  même  pas  lui»  qui  avait  imaginé  de  les 
transformer  en  engins  de  guerre.  Il  les  avait  pris  tout  simple- 
ment dans  le  vieil  arsenal,  ouvert  à  tous,  de  la  controverse  do- 
natiste.  Avant  lui,  bien  d'autres  polémistes  s'en  étaient  servis, 


1)  Fulgentius,  De  baptismo,  12.  8)  Fulgentius,  De  haplhmo,  16. 

2)  Ibid.,  14-15.  4)  Ibid.,  9. 


230  LITTÉRATURE    DONATISTE 

avec  plus  ou  moins  de  succès  :  surtout  Parmeniaaus,  le  primat 
de  Cartilage,  dans  le  grand  ouvrage  qu'a  réfuté  saint  Optât'. 
Le  commentaire,  assez  maigre,  souvent  obscur,  que  Fulgen- 
tius  donne  de  ces  textes,  ne  contient  non  plus  rien  de  personnel, 
pas  même  les  obscurités.  Quant  aux  déclamations  sur  l'indi- 
gnité des  Catholiques,  elles  étaient  de  tradition  chez  tous  les 
écrivains  de  la  secte  :  malgré  la  violence  des  invectives  et 
l'àpreté  du  ton,  elles  s'étalent  ici  dans  leur  banalité  naïve 2.  Des 
trois  éléments  dont  se  compose  l'opuscule  de  Fulgentius,  on 
serait  embarrassé  de  dire  lequel  était  le  moins  neuf.  Et  voilà 
pour  le  fond. 

Dans  ces  controverses  de  sectaires,  où  les  thèmes  et  les 
moyens  étaient  presque  imposés  d'avance  par  la  tactique  et  les 
traditions  du  parti,  l'originalité  du  polémiste  pouvait  s'affirmer 
du  moins  par  la  mise  on  œuvre.  Malheureusement,  par  l'usage 
qu'il  fait  de  ses  matériaux,  Fulgentius  traiiit  une  singulière 
maladresse.  On  ne  sait  s'il  a  voulu  composer  un  A'^éritable 
traité,  ou  un  simple  recueil  de  textes  bibliques,  méthodique- 
ment classés  et  commentés.  Toujours  est-il  que  les  citations 
de  l'Ecriture  ont  envahi  tous  les  coins  de  son  opuscule.  Maté- 
riellement, elles  occupent  la  moitié  du  livre  3.  Logiquement, 
elles  dominent  la  pensée  de  l'auteur,  décident  du  plan,  règlent 
la  marche  des  discussions.  Ordinairement,  dans  ce  genre  d'ou- 
vrages, les  textes  bibliques  viennent  à  l'appui  des  raisonne- 
ments ou  des  théories  ;  ici,  on  dirait  qu'ils  sont  toute  la  théorie, 
tout  le  raisonnement.  D'après  cela,  on  s'attend  du  moins  à  ce  que 
l'exégèse,  une  exégèse  personnelle,  ingénieuse  ou  rajeunie, 
règne  en  maîtresse  dans  le  développement  de  la  controverse. 
Par  surcroît  de  malechance,  l'exégèse  est  ici  très  superficielle  et 
banale,  notoirement  insuffisante,  toujours  trop  sommaire,  souvent 
nulle.  En  vain  l'auteur  accumule  les  textes  ;  il  tient  au  nombre, 
plus  qu'à  la  qualité  ou  à  la  valeur  rationnelle.  Ces  textes, 
c'est  à  peine  s'il  les  interprète  ou  les  explique.  Il  se  contente 
de  les  brandir  en  menaçant  l'ennemi.  De  chacun  d'eux,  il  se 
fait  une  arme,  dont  il  tourne  aussitôt  la  pointe  contre  les  Ca- 
tholiques détestés''.  D'ailleurs,  il  frappe  souvent  à  côté;  il  di- 
minue lui-même  ses  chances  de  toucher  juste,  par  le  retour 
trop  ponctuel  et  la  violence  presque  rituelle  de  ses  invectives, 
qui  trahissent  trop  évidemment  le  parti-pris,  et  qui  par  là  met- 

1)  Optai,  I,  r.  ;  II,  ll-i;5  ;  IV,  1  el  suiv.;        des  (■Ii;ii)itres   ,  iilicrs.  Cf.  ihiil.,  H-4  ;  (1- 
V,  1  et  suiv.  7  ;  10  ;  13. 

2)  Fiilgoriliiis,  Dr  hiiplismo,  lô-lG.  I)  Fiilgeulius,  Uc  bujjlisini),i  ;  ()-S  ;  12; 

3)  Les  citiilioiis  ijibliqucs  romplisseiil        11. 


FULGENTIUS    LE    DOiNATISTE  23 1 

teiit  en  défiance.  Même,  ces  textes  cfui  sont  le  tout  de  sa  pensée 
et  son  seul  moyen  d'attaque,  il  ne  sait  pas  toujours  les  classer, 
les  disposer  en  ordre  de  bataille.  11  n'évite  pas  le  désordre  ni 
les  doubles  emplois;  d'où  bien  des  répétitions,  des  redites,  de  la 
confusion  '.  On  ne  peut  dire  que  le  polémiste  brille  par  la  clarté  : 
c'est  peut-être  pour  cela  qu'il  a  toujours  l'air  de  rendre  des 
oracles. 

Il  ne  rachète  guère,  par  les  mérites  de  la  forme,  la  banalité 
du  fond  et  les  maladresses  de  la  mise  en  œuvre.  La  langue  ne 
présente  rien  de  particulier,  ni  dans  le  vocabulaire  ni  dans  la 
syntaxe,  sauf  un  goût  prononcé  pour  les  tours  analytiques,  les 
constructions  populaires,  les  mots  sonores,  les  grands  mots  et 
les  gros  mots-.  Le  style  est  d'un  demi-lettré  qui  se  croit  un  fin 
lettré,  qui  cherche  l'effet,  et  qui  trouve  surtout  l'obscurité  ou  le 
ridicule.  Çà  et  là,  quelques  formules  assez  l)ien  frappées, 
quelques  traits  bien  aiguisés.  Mais  trop  d'expressions  abstraites, 
et  trop  abstraites,  qui  sont  loin  d'être  lumineuses  ;  des  anti- 
thèses forcées,  purement  verbales;  des  métaphores  incohé- 
rentes. Des  comparaisons  banales  :  trop  de  sources  et  de 
fleuves,  trop  de  lacs  et  de  gouffres,  trop  de  cavernes  et  trop 
de  brigands  3.  Un  mauvais  goût  agressif  :  des  façons  déplai- 
santes d'insister  sur  les  images  tirées  de  l'odorat  ou  autres 
sens,  sur  les  parfums,  sur  l'huile  et  les  mouches,  sur  les  coui-- 
tisanes,  sur  les  ripailles  et  l'ivresse,  sur  les  odeurs  immondes^. 
Un  style  constamment  tendu,  redondant  et  déclamatoire,  em- 
phatique et  A^erbeux,  vulgaire  dans  sa  préciosité.  Et,  dominant 
tout  cela,  cette  impression  de  monotonie,  que  dégagent  tant 
d'œuvres  donatistes,  malgré  les  tons  violents  chers  à  la  secte. 

Dans  le  st^de  comme  dans  la  pensée,  dans  l'exégèse  comme 
dans  la  polémique,  ce  qu'il  faut  noter  surtout,  c'est  l'allure  po- 
pulaire, au  mauvais  sens  du  mot  :  la  brutalité,  la  violence,  les 
instincts  grossiers,  les  éclats  de  colère  aveugle,  la  rancune  se 
déchaînant  en  injures.  Ce  traité  sur  le  baptême,  qui  d'abord 
semble  une  mosaïque  de  textes  sacrés,  est  aussi  un  pamphlet 
brutal  :  une  œuvre  de  haine,  de  haine  fruste  et  maladroite  ■'. 

C'est  par  là  que  l'opuscule,  médiocre  en  lui-même,  prend  un 
intérêt  historique.  Sorti  de  la  main  d'un  clerc  quelconque,  d'un 


1)  Fulgentius,    De    baplàino,  3-4;    7;  (ibid.,  -l).   — «  Aperta  confessio  perfido- 
9-10  ;  13-14.  riun  »  (ibid.,  6).   —   <(  Tradilorum    spe- 

2)  Ibid.,  2;  4;  6-9;  11.  lunca,     inulier    foraicaria,     iiieretrix  » 

3)  Ibid.,  1-2  ;  7-8  ;  11-12.  (ibid.,  7).  —  «  Falsa  Catholica  mcnclacii 
'4)  Ibid.,  2  ;  6-7;  9;  14.  nebalas  con?,tur  obtugere  »  (ibid.,  ï'2). 
5)  ((  Inaudita  dementia   perfidorum  » 


• 


232  LITTÉRATURE    DONATISTE 

demi-lettré,  ce  pamphlet  naïf  nous  montre  la  querelle  entre  les 
deux  Eglises,  entre  les  évêques,  se  prolongeant  dans  la  caste 
inférieure  de  la  hiérarchie  ecclésiastique;  et  là,  au  contact  des 
milieux  populaires,  s'envenimant  encore  dans  l'ardeur  exaspérée 
des  conflits  quotidiens,  des  haines  instinctives,  des  rancunes  et 
des  préjugés  du  vulgaire. 


i 


CHAPITRE    VII 

ANONYMES  DONATISTES. 
TRAITÉS,  PAMPHLETS,  CHRONIQUES 


Traités  anonymes.  —  Ouvrage  remis  à  Augustin  par  le  Donatiste  Centurius. 
—  Recueil  de  textes  bibliques  avec  commentaire.  —  Traité  donatiste, 
dirigé  contre  Augustin,  et  réfuté  par  lui  dans  le  Contra  Donatistam 
nescio  quem.  —  Occasion  et  objet  de  ce  traité.  —  Ouvrage  donatiste  sur 
Cyprien  et  le  baptême,  réfuté  par  Augustin  dans  le  De  baplismo.  — 
Fragments  conservés.  —  Contenu  de  l'ouvrage.  —  La  question  du 
baptême.  —  Le  schisme  et  l'unité  catholique.  —  Les  Donatistes  ont  pour 
eux  l'autorité  de  Cyprien.  —  Caractère  de  l'ouvrage. 

En  dehors  des  ouvrages  dont  nous  avons  parlé  jusqu'ici,  et 
dont  les  auteurs  sont  connus  en  toute  certitude,  l'Afrique  dona- 
tiste a  produit  pendant  la  même  période,  qui  correspond  à  l'épis- 
copat  d'Augustin,  toute  une  littérature  anonyme  :  tantôt  ano- 
nyme d'intention,  de  parti-pris^,  tantôt  anonyme  de  fait,  par 
suite  de  l'insuffisance  de  nos  renseignements -.  Cette  littérature 
ne  nous  est  guère  connue  qu'indirectement,  de  façon  très  in- 
complète et  très  inégale.  Elle  présente  à  peu  près  les  mêmes 
o(aractères  et  les  mêmes  tendances  que  les  ouvrages  étudiés 
précédemment.  On  n'y  relève  rien  de  bien  original  ni  de  bien 
nouveau. 

Cependant,  elle  n'est  pas  indifférente.  D'abord,  elle  atteste 
l'activité  polémique  des  dissidents  africains  en  ces  temps-là. 
Surtout,  elle  nous  montre  la  controverse  s'étendant  à  d'autres 
milieux  sociaux,  gagnant  de  proche  en  proche  les  classes 
moyennes,  presque  populaires,  de  la  contrée.  Après  les  chefs 
d'Eglise  et  les  polémistes  de  marque,  adversaires  presque  offi- 
ciels  des    Catholiques,    nous    voyons   à    l'œuvre  la   foule    des 

1)  Augustin,  Relract.,  1(,  45;  53-54.  5,  9;  Ad  Donatistas  post  Collât.,  1;    16, 

2)  De    baptisino   conlru    Donalistas,    I,        20;  19,  25;  20,   32;    21,  aS  ;  Epist.  141, 
10,  18  ;  11  ,  15  ;  14,  22  ;  11,    1,  2,    etc.  ;        1  ;  Relruci.,  II,  iU>. 

Ad  Culliolicos  Epistula  contra  Donatistas, 


234  LITTÉRATURE    DONATISTE 

obscurs  et  des  inconnus.  C'étaient  de  modestes  clercs,  même 
des  laïques,  peu  lettrés.  Mais  tous  étaient  animés  des  mêmes  pas- 
sions, des  mêmes  rancunes,  du  même  fanatisme.  Tous  étaient 
entraînés  dans  la  querelle  des  Eglises  par  une  ardente  convic- 
tion :  non  par  leurs  fonctions  ni  par  l'ambition  d'une  gloire 
personnelle,  mais  par  un  dévouement  désintéressé  à  leur  parti, 
par  le  désir  de  travailler  pour  la  secte.  Et  cela,  sans  sortir  de 
l'ombre,  sans  même  attacher  leur  nom  à  leur  œuvre. 

Abstraction  faite  des  sermons,  dont  nous  parlerons  plus 
loin',  tous  les  ouvrages  dont  se  compose  cette  littérature  ano- 
nyme appartiennent  à  l'une  ou  l'autre  des  trois  catégories  sui- 
vantes :  traités,  pamphlets,  chroniques. 

A  plusieurs  reprises,  Augustin  eut  à  réfuter  des  traités  do- 
natistes  dont  il  ignorait  l'auteur'-.  Un  jour,  vers  l'année  400,  à 
Hippone,  un  Donatiste  se  présenta  devant  la  porte  de  la  cathé- 
drale des  Catholiques.  C'était  un  certain  Centurius,  un  laïque, 
qui  probablement  habitait  la  ville  ou  les  environs.  De  la  part 
de  ses  amis,  il  apportait  un  petit  livre,  qu'il  remit  aux  clercs, 
et  qui  lui  paraissait  de  nature  à  éclairer  les  Catholiques  sur 
les  mystères  de  la  vérité  donatiste.  Nous  ne  serions  pas  surpris 
d'apprendre  que  ce  Centurius  était  lui-même  l'auteur,  discret  ou 
lionteux,  du  libelle  ;  mais  ce  n'est  là  qu'une  hypothèse.  D'après 
ce  qu'on  nous  en  dit,  l'opuscMle  était  un  recueil  assez  court, 
avec  commentaire,  des  principaux  textes  bibliques,  que  les 
schismatiques  produisaient  à  l'appui  de  leurs  doctrines  et  pour 
la  justification  de  leur  schisme.  L'évêque  d' Hippone,  toujours 
aux  aguets  pour  dépister  ses  adversaires,  crut  devoir  répondre 
à  leur  libelle.  Il  le  fit,  «  très  brièvement  »,  nous  dit-il,  dans  un 
traité  qui  était  intitulé  «  Contre  le  livre  apporté  par  Centurius, 
de  la  part  des  Dônatistes —  Contra  quod  adtulil  Centurius  ci 
Donatistis  -^  ».  Gomme  l'opuscule  de  Centurius,  la  réfutation. 
d'Augustin  est  perdue.  Nous  en  connaissons  seulement  le 
début  '.  De  ces  quelques  mots,  l'on  peut  conclure  que  l'-ouvrage 
donatiste  touchait  notamment  à  la  question  du  baptême. 

(^ut'lques  années  [)lus  tai'd,  vers  406,  nous  entendons  })arler 
d'un  trailé  analogue,  également  écrit  par  un  schismatique  dmis 
la  région  d'Iiippone  •"'. 

C'était  après  l'édit  d'union  de  405.  En  vertu  de  cet  édit,  les 
magistrats  de  la  cité  avaient  dissous  la  communauté  des  dissi- 

1)  Cli.ipilre  i\,  §  2.  Siiloinmip:  \h  aqua  aliiria   alisliiio  te  » 

2)  Aiif^iisliii,  Rctmrf.,  IF.  45  ;  .5:ir)4.  {ihid.,  Il,  45). 

3)  Ibid.,  Il,  4r..  5)  Ih-tracL,  II,  -,3:A. 

4)  ((   Uicis   co    i|iiim1    xriiilum    i>l    iii 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  235 

dents  et  confisqué  leur  l)asilique,  dont  l'évèque  calliolique  avait 
pris  possession.  Pour  justifier  ces  mesures,  pour  rassurer  la 
conscience  des  ralliés,  et  pour  convaincre  les  indécis,  Augustin 
avait  composé  un  ouvrage  spécial,  intitulé  «  Preuves  et  témoi- 
gnages contre  les  Donatistes.  —  Probationuin  et  testitno- 
niorani  contra  Donatistas  liber  ».  C'était  un  recueil  de  pièces 
justificatives,  versets  bibliques,  documents  de  toute  sorte,  tirés 
des  archives  publiques  ou  ecclésiastiques,  sur  le  schisme  afri- 
cain et  la  querelle  des  deux  Eglises  :  le  tout  expliqué,  éclairé, 
commenté  dans  une  Introduction.  Cet  ouvrage  de  circonstance, 
l'évèque  d'Hippone  avait  eu  l'idée  originale  de  le  faire  transcrire 
tout  entier  «  sur  les  murs  de  la  basilique  qui  avait  appartenu 
aux  Donatistes  '  »  :  si  bien  que  tous  les  gens  de  la  ville,  les 
passants  amenés  là  par  la  curiosité,  les  schismatiques  eux- 
mêmes  ramenés  par  l'habitude,  étaient  comme  forcés  de  s'ins- 
truire en  lisant  les  affiches. 

Comme  bien  l'on  pense,  cet  ingénieux  moyen  de  propagande 
ne  fut  pas  du  goût  de  tout  le  monde.  Parmi  les  Donatistes  qui 
étaient  passés  par  là,  ou  qui  avaient  eu  connaissance  des  docu- 
ments, beaucoup  durent  se  fâcher.  L'un  d'eux  consigna  ses 
observations  dans  un  factum  adressé  à  l'évèque  catholique.  Ce 
factum,  l'auteur  se  garda  bien  de  le  signer  ;  mais  il  ne  réussit 
pas  pour  cela  à  cacher  sa  qualité  de  schismatique.  «  Il  s'en 
trouva  un,  nous  dit  Augustin,  qui  écrivit  contre  moi  en  taisant 
son  nom  ;  mais  il  s'avouait  donatiste,  tout  comme  s'il  s'était  at- 
tribué cette  qualité  2.  »  Au  factum,  l'évèque  d'Hippone  répondit 
par  un  nouvel  ouvrage,  intitulé  «  Contre  un  Donatiste,  je  ne 
sais  lequel —  Contra  nescio  queni  Donatistani  ^  »,  La  réfuta- 
tion est  perdue,  comme  le  livre  réfuté.  D'après  les  circonstances 
et  le  témoignage  d'Augustin,  on  entrevoit  cependant  quel  était 
le  contenu  du  traité  donatiste  :  des  discussions  sur  la  portée  ou 
l'authenticité  des  documents  d'archives,  des  chicanes  sur  les 
textes  bibliques,  des  récriminations  sur  la  légitimité  du 
schisme,  le  tout  entremêlé  d'invectives  contre  l'évèque  d'Hip- 
pone^. 

Sur  les  traités  anonymes  dont  il  a  été  question  jusqu'ici, 
nous  n'avons  que  des  indications  assez  sommaires.  Nous  sommes 
mieux  renseignés  sur  un  autre  ouvrage  donatiste,  relatif  au 
baptême,  qui  fut  composé  en  ces  temps-là  dans  la  même  région. 

1)  ({  Eumque   (libelkim)  sic  edidi,  ut  2)  Relracl.,  II,  53. 

in  p;irielibus  basilicae,  quac  Doiiatista-  3)  IhkL,  II,  54. 

riun  l'iierat,  prias  propositus  legeretur  »  i)  Ibid.,  II,  53-54. 
libid.,  Il,  53). 


236  LITTKllATURE    DONATISTE 

Vers  400,  Augustin  publia  son  gros   traité,  en  sept  livres, 
qui  est  intitulé  :  «  Sur  le  baptême  contre  les  Donatistes  —  De 
baptisino  contra  DoiKitistas^  ».  Il  s'attachait  surtout  à  y  dé- 
montrer que  les  schismatiques  n'étaient  nullement  fondés  à  in- 
voquer l'autorité  de  Cyprien,  pour  justifier  leur  doctrine  sur  le 
baptême.  La  question  était  alors  très  discutéeen  Afrique,  au  moins 
à  Hippone.  Des  Catholiques  de  cette  ville  avaient  instamment  prié 
leur  évêque  de  s'expliquer  là-dessus '^   L'évêque  avait  promis 
de  le  faire.  Au  cours  de  ses  controverses  contre  Parmenianus, 
il  annonçait  son  intention  de  consacrer   à  ce  sujet  une  étude 
spéciale,  approfondie'^.  Peu  de  temps  après,  il  s'acquitta  de  sa 
promesse,  en  donnant  ses  sept  livres  sur  le  baptême^.  D'après 
toutes  les  circonstances  de  cette  publication,  émotion  des  Ca- 
tholiques d' Hippone,  promesses  de  l'évêque,  importance  de  l'ou- 
vrage, ton  et  allure  de  la  controverse,  réponse  à  des  objections 
précises,  reproduction  et  discussion  de  phrases  où  était  exposée 
la  thèse  contraire,  on  ne  peut  douter  qu'Augustin,  dans  le  De 
baptisnio,  ait  pris  à  ])artie  un  polémiste  de  la  contrée  :  il  y  ré- 
futait point  par  point  un  traité  donatiste,  tout  récemment  paru, 
trop  bien  accueilli  autour  de  lui.  Dans  les  sept  livres  de  Tévêque 
catholique,   on   retrouve   non  seulement  la  substance   de  l'ou- 
vrage donatiste,  mais  jusqu'à  des  fragments  du  texte  ^. 

Ce  traité  donatiste  parait  avoir  été  écrit  à  Hippone  ou  dans 
la  région,  vers  l'année  400,  peu  de  temps  avant  la  réponse 
d'Augustin.  Comme  cette  réponse,  il  devait  avoir  pour  titre 
«  Sur  le  baptême  —  De  baptisnw'^^  ».  On  en  peut  reconstituer, 
à  peu  près,  le  contenu.  L'auteur  s'était  proposé  d'établir,  textes 
en  mains,  que  la  conception  donatiste  du  baptême  était  celle  de 
Cyprien.  De  là,  deux  séries  de  développements  :  des  exposés 
de  la  doctrine  des  schismatiques,  et,  parallèlement,  des  cita- 
tions de  Cyprien,  destinées  à  justifier  la  thèse. 

Dans  ses  exposés  de  doctrine,  l'auteur  procédait  moins  en 
docteur  ou  en  exégète  qu'en  polémiste  et  en  homme  d'école. 
C'est  en  minant  le  système  adverse,  qu'il  défendait  son  propre 
système.  Dans  les  prétendues  contradictions  et  inconséquences 
des  Catholiques,  il  découvrait  un  aveu  implicite  de  leur  erreur, 
un  témoignage  involontaire  en  faveur  de  la  vérité  donatiste. 
Pour    démasquer    ces    inconséciuences    et    ces    contradictions, 


1)  Relract.,   II,  44.  4)  De  baplisino    coiiLra    Doiiatistas,    1, 

2)  ((   Fl;ij,Ml.inlilMis  fratribus  «  (De  hup-  1. 

tismo  contrii  Jjoiialisliis,  I,  1).  5)  lOid.,  I,  10,  13  ;  11,   là  ;  14,  22  ;  II, 

3)  Coiilrn   Epislulam   Panneniani,   II,  1,  2  ;  7,  10;  III,  2;  olc. 
14,32.  6)  Ibid.,  I,  1  ;  II,  l  et  siiiv. 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPIILKTS,    CHRONIQUES  2o7 

il    appelait    à    la    rescousse    tous    les    raisonnements    d'écolo. 

Par  exemple,  il  opposait  à  ses  adversaires  ce  dilemme,  ([u'il 
jugeait  triomphant.  Oui  ou  non,  le  baptême  donatiste  est-il  va- 
lable ?  S'il  l'est,  l'Eglise  de  .Donat  est  la  véritable  Eglise  ;  et, 
comme  l'Eglise  est  une,  les  soi-disant  Catholiques  sont  des 
hérétiques  ou  des  schismatiques.  S'il  n'est  pas  valable,  pour- 
quoi les  Catholiques  ne  rebaptisent-ils  pas  les  convertis  ?  Eu 
admettant  dans  leurs  communautés  des  intrus  non  baptisés,  ils 
avouent  implicitement  qu'ils  ne  sont  même  pas  des  chrétiens  '. 

Ailleurs,  la  même  objection,  ou  le  même  sophisme,  reparais- 
sait sous  une  autre  l'orme.  Les  péchés,  demandait  l'auteur, 
sont-ils  remis  par  le  baptême  donatiste  ?  S'ils  le  sont,  les  Do- 
natistes  ont  avec  eux  l'Esprit-Saint  ;  donc,  leur  Eglise  est  la 
véritable,  et  les  soi-disant  Catholiques  sont  convaincus  d'être 
des  schismatiques.  Si  les  péchés  ne  sont  pas  remis,  alors  le 
baptême  donatiste  ne  compte  pas  ;  mais  les  Catholiques  doivent 
rebaptiser  les  convertis.  Puisqu'ils  ne  le  font  pas,  ils  recon- 
naissent qu'ils  ne  représentent  pas  la  véritable  Eglise-.  De 
toute  façon,  ils  sont,  pour  le  moins,  des  schismatiques  ;  et  leur 
baptême,  à  eux  non  plus,  ne  compte  pas -^ 

De  sa  théorie  sur  le  baptême,  l'auteur  prétendait  conclure  à 
la  légitimité  du  schisme  africain.  Les  Catholiques  eux-mêmes 
reconnaissant  comme  valable  le  baptême  de  leurs  adversaires, 
ceux-ci  n'avaient  aucune  raison  de  se  réconciliei"  avec  l'Eglise 
officielle  :  «  Du  moment  que  vous  acceptez  notre  baptême,  dé- 
clarait le  polémiste,  que  nous  manque-t-il  ?  Pourquoi  penser  que 
nous  devions  nous  rallier  à  votre  communion^  ?  »  Au  reste, 
ajoutait-il,  les  fidèles  de  Donat  ne  doivent  des  comptes  qu'à 
Dieu^.  Ils  ont  le  droit  et  le  devoir  de  se  tenir  à  l'écart  des 
pseudo- Catholiques,  qui  sont  eux-mêmes  hors  de  l'Eglise, 
comme  héritiers  et  complices  des  traditeurs ''. 

Ces  discussions  doctrinales,  avec  leur  cortège  ordinaire  de 
récriminations  et  de  sophismes,  n'étaient  dans  le  traité  dona- 
tiste qu'un  élément  accessoire  :  une  Introduction  à  la  démons- 
tration historique  qui  était  l'objet  même  du  livre.  La  préoccu- 
pation principale  de  l'auteur,  c'était  de  mettre  en  lumière 
l'identité  fondamentale  de  la  doctrine  donatiste  sur  le  baptême 
avec  la  doctrine  de  Cyprien  ". 

1)  De  bapiismo  contra  Donalisias,  I,  5)  De  baplismo  contra  Donatistas,  II. 
10,  13.                                                                   7,  10. 

2)  IhkL,  I,  11,  15.  6)  Ibid.,  VII,  2,  3  ;  25,  4Î). 

3)  Ibid.,  I,  n,  17.  7J  Ibid.,  I,  1  ;  II,  1,  2  ;  III,  2  cl    sui\. 

4)  Ibid.,  I,  14,  22. 

VI.  ■  16 


238  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Dès  les  premières  pages,  le  polémiste  posait  nettement  la 
question  :  «  Cyprien,  disait-il,  Gyprien,  dont  nous  connaissons 
le  mérite  si  éclatant  et  la  doctrine  si  autorisée,  Cyprien,  sié- 
geant avec  de  nombreux  évêques  ses  collègues  qui  lui  appor- 
taient leurs  suffrages,  a  fait  promulguer  dans  un  concile  la 
déclaration  suivante  :  Les  hérétiques  ou  les  schismatiques, 
c'est-à-dire  tous  ceux  qui  sont  hors  la  communion  de  l'Eglise 
unique,  ne  peuvent  conférer  le  baptême,  et,  en  conséquence, 
quiconque  vient  à  l'Eglise,  après  avoir  été  baptisé  par  eux, 
doit  être  baptisé  dans  l'Eglise'.  »  C'était  exactement  la  thèse 
donatiste.  Aussi  le  polémiste  couvrait-il  de  fleurs  l'illustre 
évêque  de  Carthage,  resté  le  grand  Saint  des  schismatiques,  et 
devenu  leur  prophète.  Il  ne  se  lassait  pas  de  le  louer,  d'invo- 
quer son  témoignage,  de  citer  ses  paroles''.  Il  passait  en  revue 
tous  les  ouvrages  de  Cyprien  où  était  consignée  sa  doctrine  sur 
le  baptême  des  hérétiques:  la  lettre  à  Jubaianus'^,  la  lettre  à 
Quintus',  la  lettre  aux  Numides"',  la  lettre  à  Pompeius  s,  les 
Actes  du  grand  concile  de  Carthage  où  figuraient  les  votes 
motivés  et  unanimes  de  tous  les  évêques  ^.  De  toutes  ces  cita- 
tions, qu'il  commentait  abondamment  avec  des  cris  de  triomphe, 
il  tirait  toujours  la  même  conclusion,  qui  retentissait  comme 
un  refrain  :  les  Donatistes  avaient  conservé  religieusement  la 
doctrine  traditionnelle  de  l'Eglise  africaine  ;  et  c'étaient  les 
soi-disant  Catholiques  qui  l'avaient  réniée,  pour  tomber  dans  A 
l'erreur  et  s'égarer  dans  le  schisme.  M 

Il  V  avait,  pourtant,  une  difficulté  :  en  ouvrant  le  concile  ^ 
de  256,  C3'prien  avait  déchiré  (ju'il  respectait  l'opinion  de  tous 
ses  collègues  sur  la  question  du  baptême,  et  que  les  divergences 
possibles  dans  les  votes  ne  devaient  entrainer  personne  à  une 
rupture.  Cette  déclaration  solennelle  du  chef  de  l'Eglise  afri- 
caine, (jui  d'avance  avait  réprouvé  toute  idée  de  schisme,  ne 
laissait  pas  que  d'embarrasser  notre  schismatique.  Celui-ci  es- 
sayait de  se  tirer  d'affaire,  mais  par  un  détour  assez  fâcheux, 
qui  était  de  nature  à  compromettre  sa  cause.  A  l'en  croire, 
l'évêque  de  Carthage  avait  joué  au  concile  une  véritable  co- 
médie :  en  proclamant  son  respect  de  toutes  les  opinions,  il 
voulait  seulement  amener  les  opposants,  s'il  y  en  avait,  à   se 


1)  De lidiiHyinii  coiilra  l)()iialisliif:,\\A,2.  5)    iJe  baplismo  conlr<i  Donalislas,    V- 

2)  IOhI.,  I,  1  ;  11,  1,1-2  :  111,2.  2-:{  ;  Vil,  20,  28  et  siiiv. 

1  ;  17,  Sa  ;  2.5,  4<»  ;  41),  97.  (i)  Ibid.,  V,  2.S,  31   et  suiv. 

8)  Ibid.,    m,  3,  4    et  suiv.;    IV,  1    et  7)  //>/(/.,    11,2,3  et  sui\.  ;  VI,   (1,  *.)  et 

suiv.  ;  V,  1  et  suiv.  suiv.  ;   VII,  2  et  suiv. 

4j  Ibid.,  V,  18,  24  et  suiv. 


THAITPÏS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  239 

trahir,  et  il  se  réservait  de  les  excommunier  ensuite'.  Explica- 
tion inattendue,  qui  ne  s'accorde  guère  avec  les  allures  franches 
et  la  droiture  de  Cyprien,  mais  qui  dénonce  chez  le  schismatique 
une  conception  singulière  des  prérogatives  épiscopales  et  des 
libertés  à  prendre  envers  la  vérité.  Par  son  hypothèse  inju- 
rieuse, notre  polémiste  n'avait  que  trop  justifié,  par  avance, 
cette  dure  réplique  d'Augustin  :  «  Prêter  à  un  tel  homme  une 
telle  perfidie,  Ten  louer  même,  c'est  déclarer  que  soi-même  on 
en  est  capable'.  »  En  voulant  trop  prouver,  le  Donatiste  avait 
découvert  le  point  faible  de  son  argumentation  :  en  admettant 
que  le  grand  évoque  martyr  de  Carthage  eût  pu  jouer  une  odieuse 
comédie  du  mensonge,  il  avait  autorisé  ses  lecteurs  à  douter 
un  peu  de  sa  bonne  foi. 

Son  ouvrage  «  Sur  le  baptême  »  n'en  présentait  pas  moins 
un  réel  intérêt.  Même  dans  l'exposé  des  doctrines,  on  surprend 
un  effort  personnel  pour  renouveler  un  peu  la  controverse.  La 
thèse  donatiste  y  est  développée  avec  des  arguments  ingé- 
nieux, trop  ingénieux  môme,  et  qui  trahissent  les  souvenirs 
d'école  avec  un  goût  prononcé  pour  le  sophisme  ^.  Mais  ce  qui 
surtout  était  nouveau,  au  moins  dans  une  certaine  mesure, 
c'était  l'idée  génératrice  du  livre  :  l'idée  de  placer  hardiment 
la  doctrine  de  la  secte  sous  le  patronage  de  Cyprien ^.  Sans 
doute,  dans  l'Eglise  de  Donat,  cette  prétenticn  était  aussi  an- 
cienne que  cette  Eglise  elle-même  ;  mais  jamais  jusqu'alors,  à 
notre  connaissance,  elle  n'avait  été  soutenue  avec  tant  d'insis- 
tance et  de  ressources.  Par  là,  elle  prenait  un  relief  tout  nou- 
veau. D'où  l'émotion  causée  à  Hippone,  même  dans  les  cercles 
catholiques-':  émotion  d'autant  plus  naturelle,  que  les  Dona- 
tistes  avaient  raison,  historiquement,  ^'oilà  pourquoi  Augus- 
tin s'émut  à  son  tour.  La  preuve  que  l'ouvrage  réfuté  par  lui 
avait  de  l'importance,  c'est  qu'il  a  cru  devoir  le  discuter  point 
par  point,  dans  un  long  traité  en  sept  livres. 


II 

Pamphlets  donatistes  relatifs  à  la  Conférence  de  411.  —  Fragments  con- 
servés, et  contenu  de  ces  pamphlets.  —  Justification  du  rôle  joué  par  les 
mandataires    donatistes    à    la   Conférence.  —  Histoire  des   origines   du 

1)  De  baptisnio   contra   Donatistas,  III,  3)   De  hapfismo  contra  Donalistas,!,  10, 
3,  5.  13;  11,  15;  14,22. 

2)  (c  Qui  lioc   de   tali  viro  quasi   cum  4)  Ibid.,  I,  1  ;  II,  1,  2  ;   II,. 3,    4  ;   III, 
cjus  laude  sentiunl,nihil  aliud  quam  se  2  et  saiv. 

ipsos  taies  esse  profileiitur  »  (ibid.,  III,  5)  Ibid.,  I,  1  ;  Retract. ^  II,  44. 

3,  5|. 


240  .  LITTÉRATURE    DONATISTE 

schisme.  --  Eloge  de  Doiiat  le  Grand.  —  Attaques  contre  C.ecilianus  de 
Cartilage  et  contre  le  pape  Milliade.  —  Justification  du  schisme.  —  Pro- 
testations contre  la  persécution.  —  Accusations  contre  le  président  de  la 
Conférence.  —  Partialité  de  Marcellinus.  —  11  a  été  acheté  par  les  Ca- 
tholiques.   —  Action  de  ces  pamphlets  donatistes  sur  l'opinion. 

Si,  dans  le  monde  donatiste,  l'auteur  d'au  traité  de  contro- 
verse oubliait  parfois  designer  son  œuvre,  à  plus  forte  raison 
les  auteurs  de  p:\mplilets  aimaient  à  garder  l'anonyme. 

Ce  genre  de  littérature  avait  toujours  été  en  honneur  dans  la 
secte,  oîi  l'on  avait  souvent  mauvais  caractère,  et  où  l'on  vivait 
ordinairement  sur  le  pied  de  guerre.  Dès  l'origine,  cet  instinct 
batailleur  s'était  révélé  dans  les  pamphlets  contre  Ca-cilianus 
de  Cartilage'.  Plus  tard,  à  toutes  les  époques  critiques  de 
l'histoire  du  Donatisme,  on  voit  la  colère  ou  la  sourde  ran- 
cune des  sectaires  se  manifester  par  l'éclosion  de  libelles,  qui 
souvent  contenaient  de  véritables  réquisitoires  contre  les  Ca- 
tholiques, même  des  dénonciations  contre  des  personnes,  et  qui 
se  glissaient  sournoisement  jusque  dans  les  salles  d'audience 
des  magistrats  ou  dans  les  bureaux  des  gouverneurs  africains. 
Ces  libelles  diffamatoires,  qqs  famosi  libeili,  comme  on  les  ap- 
pelait, pullulaient  au  point  que  la  chancellerie  impériale  dut 
intervenir  :  cà  bien  des  reprises,  sous  le  règne  de  Constantin, 
puis  sous  Constance,  sous  Valentinien,  sous  Théodose,  des  lois 
spéciales  interdirent  au.x;  magistrats  de  tenir  aucun  compte  des 
dénonciations  anonymes  contenues  dans  les  famosi  libelli .,  or- 
donnant même  d'en  rechercher  et  d'en  punir  les  auteurs-. 

Cette  guerre  de  pamphlets,  qui  avait  commencé  avec  le 
schisme,  se  poursuivait  encore  à  la  fin  du  quatrième  siècle  et 
au  début  du  cinquième.  Plusieurs  des  grands  ouvrages  étudiés 
plus  haut  étaient  de  véritables  pamphlets  :  notamment,  les 
lettres  à  Augustin,  ou  contre  Augustin,  de  Petilianus,  de  Cres- 
conius,  de  Gaudentius  3.  Mais  il  ne  s'agit  ici  que  des  anonymes. 
La  mode  n'était  point  passée,  de  ces  libelles  diffamatoires  dont 
les  auteurs  cachaient  bi'avement  leur  nom  :  témoin  une  consti- 
tution de  rem[)(;reur  Théodose  ^  Tandis  ([uc  les  protagonistes 
du  parti  de  Douât  combattaient  à  visage  découvert  leur  redou- 
table adversaire  d'ilippone,  des  pamphlétaires  obscurs,  et  plus 
[)rudents,  menaient  dans  l'ombre  la  petite  guerre  d'intiuiida- 
tion,  de  dénonciations,  de  défis,  de  protestations  et  d'injures.  Ce 


1)  Acia  SaUiniini,   l(;-20  Haliize  ;   Pax-  2)  Cod.  Thcod.,  I\,  34,  M». 

sio  JjiJiiali,  2  cl  siiiv.  ;   Augustin,   Episl.  3)  Aiiçfiistiu,  Hetnicl.,  11,  i"Jl-r)2  ;  85. 

43,  5,  1.5;  88,  2  ;  93,  4,  13.  4)  Cod.  Tlieod.,  1\,  34,  9. 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHUONIQUES  241 


I 


l'ut  bien  pire  après  la  déroute  du  parti  dans  la  grande'  Onfé- 
rence  do  Garthage  :  alors,  depuis  l'été  de  411,  et  pendant  plu- 
sieurs années,  la  haine  et  la  rancune  des  schismatiques  éclatè- 
rent rag'eusemeut,  dans  toute  l'Afrique  donatiste,  en  une  mi- 
traille de  painpiilets  '. 

La  condamnation  du  Donatisme  à  la  Conférence,  les  édits 
qui  suivirent,  et  dont  les  autorités  poursuivaient  rigoureuse- 
ment l'exécution,  avaient  porté  un  coup  mortel  à  l'Eglise  dissi- 
dente, ({ui  partout  voyait  dissoudre  ses  communautés  et  tra- 
quer ses  fidèles.  On  confisquait  les  biens  et  les  lieux  de  cuite; 
on  exilait  les  évêques  et  les  clercs  qui  refusaient  de  s'incliner  ; 
on  frappait  d'amendes  et  l'on  inquiétait  de  mille  façons  les 
laïques  récalcitrants  -.  Aussi,  les  conversions  se  multipliaient''. 
Mais  les  intransigeants,  aussi,  étaient  nombreux  :  d'autant 
plus  raidis  dans  leur  intransigeance,  qu'ils  pi'otestaient  ainsi 
contre  les  défections"  et  les  trahisons.  Sauf  quelques  élus  tou- 
chés de  la  grâce  ou  U«s  d'une  vie  errante,  les  Girconcellions 
montraient  plus  d'ardeur  que  jamais  dans  les  pratiques  tradi- 
tionnelles de  leur  dévotion,  pillage  ou  guet-apens,  incendie  ou 
massacre,  sûrs  de  venger  ainsi  leur  Dieu  de  sectaires  contre  le 
Diable  officiel '.  Sans  désavouer  nettement  ces  compromettants 
collaborateurs,  les  chefs  de  la  secte  agonisante,  les  éA'éques, 
ceux  du  moins  qui  avaient  pu  échapper  à  l'exil  en  se  cachant, 
ou  ceux  qu'on  n'osait  aller  relancer  dans  leurs  montagnes  au 
milieu  de  populations  prêtes  à  l'insurrection,  les  évoques  donc, 
et  d'autres  clercs  avec  eux,  menaient  une  campagne  d'un  autre 
genre  :  une  campagne  de  sermons  et  de  libelles  ^'. 

Ils  s'inquiétaient  naturellement  de  voir  tant  de  leurs  anciens 
fidèles  se  détourner  d'eux  ;  ils  s'inquiétaient  aussi  d'entendre 
dire  qu'on  les  rendait  l'esponsables  de  la  catastrophe.  Ils  cher- 
chaient donc  à  agir  sur  l'opinion  pour  réserver  l'avenir,  à  ra 
mener  les  convertis,  à  convaincre  les  indécis,  en  se  justifiant 
aux  dépens  de  leurs  adversaires,  surtout  aux  dépens  du  juge, 
qu'ils    accusaient    de    partialité,  d'injustice,    de    vénalité^.   Ils 


1)  Augustin,  Ad  Donalistas  post  Col-  i)  Episl.  133,  1  ;  134,  2  ;  139,  1-2; 
lut.,  1  et  suiv.  ;   Epist.  141,  1  :  Relract.,  185,  7,  30  ;  Gesta  ciun  Emerito,  9. 

H,  66.  5)  Episl.  141,  1  et   12  ;  Brevic.  Collât.. 

2)  Contra  Gaiulenlium,  1,  6,  7;  ]4,  15  ;  III,  18,  36;  Ad  Donatistas  post  Collai., 
!<;,  17  ;  18,  19  ;  36,  46  ;  37,  50  et  suiv.  ;  1  ;  4,  6  ;  11,  1.5  et  suiv.  ;  16,  20  et  suiv.  ; 
In  lohannis  Evanyelium  tracialus,  VI,  19,  25  ;  23,  39;  34,  À7  et  suiv.  ;  fie/nicL, 
25.                              '  II,  66. 

3)  Epist.  142  ;  144  :  185,  2,  7  ;  185,  8,  6)  Ad  DonatUkts  post  Collai.,  1  et 
32-33  ;  204,  1  ;  208  ;  209,  2  ;  Contra  Gau-  suiv.  ;  Gesla  cum  Emerilo,  2  ;  Episl.  141, 
dentium,  1,24,  27  ;  Sernto  360.  1  et  12. 


242  LITTÉRATURE    DOXATISTE 

avaient  deux  moyens  d'action,  qui  leur  permettaient  d'atteindre 
deux  publics  assez  différents,  la  foule  et  les  classes  plus  ou 
moins  lettrées.  Ils  prêchaient  tant  qu'ils  pouvaient,  là  où  ils 
pouvaient,  dans  leur  basilique,  s'ils  avaient  réussi  à  la  con- 
server, sinon,  dans  quelque  coin  mystérieux  des  faubourgs  ou 
des  campagnes  :  et  toujours  sur  le  même  thème,  malheurs  im- 
mérités de  leur  Eglise  qui  malgré  tout  était  la  véritable  Eglise 
catliolique,"  justification  de  ses  défenseurs,  protestations  contre 
la  sentence  et  contre  l'iniquité  du  juge.  De  ces  homélies,  qui 
n'avaient  rien  d'évangélique,  nous  possédons  un  spécimen  dans 
les  sermons  qu'Emeritus  de  G;esarea  prononçait  en  ces  années- 
là  K  Mais  ces  schismatiques  intransigeants  ne  se  contentaient 
pas  de  prêcher,  A  plusieurs  reprises,  on  nous  parle  de  leurs 
«  écrits  —  scripta  »,  de  leurs  libelles,  qui  circulaient  dans  toute 
la  contrée,  et  qui  partout,  dans  les  cercles  de  proscrits,  appor- 
taient le  réconfort  de  leurs  protestations  ou  de  leurs  espé- 
rances ^. 

De  cette  littérature  batailleuse,  toute  frémissante  de  haine, 
divers  fragments  nous  sont  parvenus,  mais  pas  d'ouvrages  en- 
tiers. D'aucun  des  pamphlétaires,  nous  ne  pouvons  dire  le  nom 
ou  dégager  la  physionomie  individuelle.  Augustin,  qui  avait  lu 
plusieurs  de  leurs  libelles,  et  qui  en  connaissait  d'autres  par 
ouï-dire,  ne  distingue  pas  dans  ses  réfutations  entre  les  divers 
écrits.  Nous  ne  pouvons  donc  les  étudier  qu'en  bloc.  Dans  tous, 
d'ailleurs,  la  matière  parait  avoir  été  identique  :  évidemment, 
ces  tirailleurs  de  la  secte  obéissaient  à  un  mot  d'ordre  du 
primat  ou  du  concile.  Sur  tous  les  points  de  l'Afrique,  ^ils 
disaient  et  répétaient  à  peu  près  les  mêmes  choses,  presque 
dans  les  mêmes  termes.  Et  nous  savons  assez  bien  ce  qu'ils 
disaient. 

Leur  souci  dominant,  c'était  de  justifier  le  rôle  joué  à  la  Con- 
férence par  les  évoques  mandataires  du  parti.  Ce  serait  peut- 
être  une  raison  de  supposer  que,  parmi  ces  [)ampldétaires,  figu- 
raient des  mandataires  de  411  :  notamment  Emeritus  et  Peti- 
lianus -^  Quoi  qu'il  en  soit,  les  auteurs  de  libelles  s'acharnaient 
d'autant  plus  dans  l'apologie  de  leurs  représentants,  que  la 
tâche  était  plus  ingrate  :  en  somme,  toute  la  belle  tactique  des 
avocats,  tous  leurs  discours  et  toutes  leurs  cliicanes,  avaient 
abouti  à  une  déroute  complète.  On  devait  donc  [trouver  (|ue  les 

1)  Serino  lul  Caesareensis  EccU'siac jile-  3)  Hetract.,  ][,  72;  Ad  Doiuitislas  poAl 
hem,  8;  Ges<«  cum  Emerilo,  2.  Collai.,   19,   25;  Gcsla   ciim   EincrUo,2  ; 

2)  Ad  Donntistaf:  posl    Collai.,  Ki,  20;  Conlra  Gaudeiitiiiiii ,  1,  37,  47. 
19,  25;2U,  32  ;  21,  33. 


TRAITÉS    AîStONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  243 

orateurs  n'étaient  pour  rien  dans  la  défaite,  qu'ils  avaient 
manœuvré  pour  le  mieux.  La  cause  étant  excellente  aux  yeux 
de  tous  les  sectaires,  les  avocats  étant  d'une  habileté  incompa- 
rable aux  yeux  de  leurs  apologistes,  on  ne  pouvait  s'en 
prendre  qu'au  juge.  Et  l'on  n'y  manquait  pas  K 

Pour  démontrer  que  la  cause  avait  été  plaidée  à  merveille, 
les  polémistes  reprenaient  à  leur  compte  l'argumentation  des 
mandataires  du  parti  sur  la  question  de  droit  et  sur  la  ques- 
tion de  fait.  Ils  racontaient  à  leurs  lecteurs  les  circonstances 
de  la  rupture  ;  puis  ils  leur  expliquaient  la  légitimité  du 
schisme,  qui  seul  avait  permis  de  sauvegarder  la  véritable 
Eglise  catholique. 

Leurs  récits  sur  les  circonstances  de  la  rupture  s'accor- 
daient mieux  avec  la  tradition  de  leur  secte  qu'avec  la  réalité 
des  faits.  Ils  affirmaient,  sans  pouvoir  le  prouver,  que  leur 
grand  Donat,  devant  le  tribunal  de  l'empereur  Constantin, 
avait  fait  condamner  Giecilianus  de  Carthage  :  c'était  naturel- 
lement l'occasion  d'un  dithyrambe  en  l'honneur  du  fondateur 
et  organisateur  de  leur  Eglise'-.  Ils  fulminaient  contre  Cseci- 
lianus  et  les  prétendus  traditeurs.  Ils  poursuivaient  même  de 
leurs  anathèmes  le  président  du  concile  de  Rome,  le  pape  Mil- 
tiade,  qu'ils  accusaient  d'avoir  faibli,  lui  aussi,  dans  la  persé- 
cution; ils  en  donnaient  pour  preuve  les  démarches  faites  en 
son  nom,  d'après  des  pièces  du  temps,  par  deux  de  ses  clercs, 
Gassianus  et  Straton-^  La  conclusion  s'imposait  :  le  pape 
avait  été  complice  de  l'évêque  de  Carthage,  et,  seule,  l'Eglise 
de  Donat  avait  conservé  la  vraie  tradition  catholique. 

Après  avoir  justifié  le  schisme  dans  ses  origines  historiques, 
on  cherchait  à  le  justifier  en  principe.  Ici  reparaissaient  les 
théories  donatistes  sur  la  contamination  des  justes  par  les  pé- 
cheurs, sur  la  nécessité  de  rompre  avec  les  coupables.  A  l'ap- 
pui de  ces  théories,  on  citait  force  textes  bibliques^. 

Malheureusement,  l'effet  de  ces  textes  avait  été  fort  com- 
promis d'avance  par  une  déclaration  inattendue,  qu'avait  faite, 
à  la  Conférence  de  Carthage,  l'un  des  mandataires  du  parti, 
l'un  de  ses  orateurs  les  plus  autorisés.  Pressé  de  s'expli- 
quer sur  l'affaire  du  Maximianisme,  Emeritus  de  Cœsarea 
avait  laissé  échapper  ce  mot  malencontreux  :  «  Une  causé  ne 
préjuge  pas   pour   une  cause,  ni  une   personne  pour  une  per- 

1)  Eplsi.   Ul,  1  et   12:   Ad  Donalislas  3)  Ad  Donalistas  post  Collai. ,,1S,  17; 
post  Collai.,   1  et  sLiiv.  ;  Gesla  cum  Eme-       Brevic.  Collai.,  111,  18,  3G. 

rlto,  2.  4)  Ad  Donalislas  posl  Collai.,  20,  26- 

2)  Ad  Donalislas  post  Collai.,  16,    20.        32  ;  21,  33. 


244  LITTÉRATURE    DONATISTE 

sonne  '.  «  Ce  mot-là,  les  dissidents  auraient  bien  voulu  le  rat- 
traper ou  l'effacer;  car  c'était  le  désaveu,  la  condamnation 
formelle,  du  principe  sur  lequel  reposait  tout  le  Donatisme. 
Mais  le  mot  avait  été  lâché  ;  il  figurait  au  procès-verbal  des  dé- 
bats, avec  la  signature  de  l'orateur  responsable.  Ne  pouvant 
supprimer  ou  nier  cette  déclaration  si  maladroite,  on  s'évertuait 
après  coup  à  l'expliquer,  au  mieux  des  intérêts  du  parti.  Voici 
comment  l'un  de  nos  pamphlétaires  essayait  de  se  tirer  d'em- 
barras :  «  Nous  avons  dit  qu'une  cause  ne  préjuge  pas  pour 
une  cause,  ni  une  personne  pour  une  personne  :  on  l'a  rappelé, 
et  c'est  exact.  Voici  ce  que  nous  entendons  par  là.  A  nous  ne 
porte  pas  préjudice  la  conduite  de  ceux  que  nous  avons  rejetés 
ou  condamnés.  Mais  ceux  qui  descendent  de  l'ordination  de 
Cœcilianus,  ceux  que  le  crime  originel  de  leur  prédécesseur 
voue  au  péché,  comment  ne  seraient-ils  pas  solidaires  des 
crimes  de  leur  ordinateur  ?  D'anneau  en  anneau,  la  chaîne  des 
péchés  rend  nécessairement  complices  du  péché  tous  ceux  qu'elle 
lie  par  le  lien  de  la  communion  '.»  Ainsi,  le  principe  vaut  contre 
les  ennemis  de  la  secte,  mais  il  ne  vaut  pas  pour  la  secte  elle- 
même.  Devant  cette  explication  ingénue,  plus  naïve  encore  que 
cynique,  on  ne  peut  que  répéter  avec  Augustin  :  «  Oh!  l'admi- 
rable défense  !  —  O  mira  defensio  ^  .'  » 

Forts  de  ce  qu'ils  considéraient  comme  leur  bon  droit,  cer- 
tains de  représenter  la  véritable  Eglise  catholique,  les  polé- 
mistes se  plaignaient  amèrement  de  la  persécution.  Ils  protes- 
taient contre  les  violences  et  contre  l'intervention  du  pouvoir 
séculier  '*  ;  ils  invoquaient  la  liberté  de  conscience,  ils  se  récla- 
maient de  l'édit  de  tolérance  rendu  jadis  en  faveur  de  leur  secte 
par  l'empereur  Constantin  •'.  Puis,  par  une  étrange  contradic- 
tion, ils  vantaient  le  nombre  et  la  puissance  de  leurs  commu- 
nautés ;  ils  proclamaient  avec  orgueil  que  leur  Eglise  comptait 
encore  «  plus  de  quatre  cents  éA'êques'^  ».  C'était  beaucoup 
pour  une  Eglise  persécutée.  C'était  beaucoup  plus  ([uc  la  vrai- 
semblance n'autorisait  à  le  croire  :  un  concile  donatiste,  qui  sié- 
geait en  Numidie  vers  ces  temps-là,  ne  réunit  qu'une  tren- 
taine d'évêques  ". 

A  ces  protestations,  à  ces  revendications,  à  ces  apologies  de 
la  secte  et  des  mandataires  du  parti,  se  mêlaient  d'âpres  invec- 

1)  C.oUnl.   Ciirlltwi.,   III,    :-572  :    Aiisn;*-  ■^)  ■•''  l'onalisUis posl  Collai.,   VJ,  2ô. 
tiii,  lirevic.  Collai.',  111,  U\,  28;  Ad  Do-           4)  tl>id.,  17,  21. 

lallslas  posl  Collât.,  2  etsiin.  ;  4,  tJ.  5)  Ibid.,  17,  23. 

2)  Autrnstiii,  Ad  DoiHitislits  jkisI    (loi-  <i    Ihid.,  24,  41. 

naL,  19,  25.  7)  Conira  Gaudentium,  I,  :}7,  17. 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  245 

tives,  d'un  caractère  tout  personnel  :  des  récriminations  contre 
l'iniquité  du  juge.  On  accusait  nettement  Marcellinus,  le  pré- 
sident de  la  Conférence,  d'avoir  odieusement  prévariqué.  On  lui 
reprochait  sa  partialité  :  d'autant  plus  évidente,  disait-on,  qu'il 
était  lui-même  Catholique,  et  acquis  d'avance  aux  Catlioliques '. 
On  prétendait  qu'il  n'avait  pas  permis  aux  avocats  des  Dona- 
tistes  de  plaider  librement  leur  cause  "-.  On  faisait  remarquer 
qu'il  avait  tenu  les  évoques  enfermés,  comme  en  prison'',  qu'il 
avait  rendu  sa  sentence  de  nuit,  comme  honteux  de  lui-même, 
et  contrairement  aux  usages^.  On  allait  jusqu'à  insinuer,  même 
à  affirmer,  qu'il  avait  été  acheté  par  les  Catholiques  ■'.  Ainsi, 
les  malheurs  qui  frappaient  l'Eglise  de  Douât  étaient  un 
exemple  éclatant  de  l'injustice  humaine  ;  et  la  cause  restait  ou- 
A'erte  devant  le  tribunal  de  Dieu,  comme  devant  le  tribunal  de 
Ihistoire. 

Sur  tout  cela,  sur-  ces  invectives,  sur  ces  protestations,  sur 
ces  apologies  forcenées,  que  l'on  jette  la  draperie  miroitante  et 
bariolée,  aux  tons  violents  et  criards,  du  style  cher  aux  Dona- 
tistes  ;  et  l'on  aura  quelque  idée  de  ces  pamphlets  qui  couraient 
l'x4.frique  après  la  Conférence  de  Carthage,  y  surexcitant  l'opi- 
nion, y  inquiétant  même  un  peu  les  évêques  catholiques  jusque 
dans  leur  victoire''. 

On  ne  peut  douter,  en  effet,  que  cette  campagne  de  pamphlets, 
complétée  par  une  campagne  de  sermons,  ait  eu  des  résultats. 
Augustin  lui-même  en  a  noté  l'action  sur  les  foules.  Il  écrivait 
au  début  de  412  :  «  Comment,  Donatistes,  comment  vous  lais- 
sez-vous séduire  encore  par  vos  évêques  ?  Pourtant,  les  ténèbres 
de  leurs  mensonges  ont  été  dissipées  parla  lumière  de  la  vérité  ; 
leur  erreur  a  été  démasquée,  leur  obstination  a  été  vaincue. 
Comment  peuvent-ils  vous  lancer  encore  la  fumée  de  leurs 
mensonges  ?  Comment  pouvez-vous  croire  encore  des  vaincus  ? 
Ils  vous  disent  que  le  juge  a  été  corrompu  à  prix  d'argent  :  la 
belle  nouveauté!  C'est  l'habitude  de  tous  les  vaincus  :  quand 
ils  ne  veulent  pas  se  rallier  à  la  vérité,  ils  accusent  mensongè- 
rement  l'iniquité  du  juge'.  »  Quelques  mois  plus  tard,  par- 
lant au  nom  d'un  concile,  il  disait  encore  aux  Donatistes  : 
«  Souvent  a  retenti  à  nos  oreilles  un  bruit  qu'on  fait  courir. 
Vos  évêques  vous   diraient  que  le    juge  avait  été  corrompu*  à 


1)  Possidius,   Vita  Augusiini,  14.  57;  Episl.  141,  1  et  12. 

2)  Augustin,    Gcsla  cuni    Emerilo,  2-3.  6)  Témoin  la  synodale  du  concile  de 

3)  Ad  Dcnatistas  post  Collât.,    35,  58.  Numidie  {Epist.  141). 

■i)Iljid.,  12,  16;   16,  20  ;  35,  58.  7)  Ad  Donalislas  posl  Collai.,  1. 
5)   lbid.,'l  ;  4,  6  ;   11,  15  ;  23,  39;  34, 


246  LITTÉRATURE    DONATISTE 

prix  d'argent  pour  prononcer  contre  eux  sa  sentence;  et  vous, 
vous  ajouteriez  foi  à  cette  fable,  et  c'est  pour  cela  que  beaucoup 
d'entre  vous  refuseraient  encore  de  s'incliner  devant  la  vérité  '.  » 
L'insistance  d'Augustin  montre  assez  qu'on  lisait  partout  en 
Afrique  les  pamphlets  sur  la  Conférence,  et  que  bien  des  gens 
y  ajoutaient  foi. 

Tous  ces  libelles,  qui  flattaient  les  passions  populaires,  con- 
tribuaient évidemment  à  surexciter  le  fanatisme  des  sectaires. 
Chaque  jour,  on  apprenait  de  nouveaux  attentats,  des  crimes 
de  tout  genre.  L'une  après  l'autre,  s'écroulaient  dans  les 
flammes  les  basiliques  de  Carthage  enlevées  aux  scliisma- 
tiques*.  Des  bandes  de  Circoncellions  terrorisaient  les  cam- 
pagnes, s'en  prenant  surtout  aux  clercs  et  aux  convertis,  atta- 
quant de  nuit  les  fermes,  brûlant  les  maisons  et  les  récoltes, 
saccageant  les  églises,  détruisant  les  Livres  saints,  tuant  ou 
mutilant  des  évêques  et  des  prêtres '.  Le  13  septembre  413,  les 
Donatistes  prirent  même  une  revanche  éclatante,  par  le  procès 
et  l'exécution  de  Marcellinus,  leur  juge  de  411,  qu'ils  avaient 
dénoncé  et  réussi  à  compromettre  dans  la  révolte  du  comte 
Heraclianus  ^.  On  peut  croire  que  les  attaques  des  pam|>hlé- 
taires  furent  pour  quelque  chose  dans  ce  dénouement  tragique. 
Par  toutes  ces  violences  de  parole  ou  de  fait,  les  dissidents 
intimidaient  leurs  adversaires  :  certains  évêcjues  catholiques, 
redoutant  une  explosion  de  fanatisme,  hésitaient  à  rétablir 
l'unité  dans  leur  diocèse''. 

Contre  cette  campagne  d'intimidation,  les  chefs  de  l'Eglise 
africaine  luttaient  de  leur  mieux.  Augustin,  en  ces  années- là, 
ne  négligeait  rien  pour  éclairer  le  public.  11  })rêcliait  sui'  h- 
schisme  à  Carthage,  à  Hippo  Diarrhytos,  à  Constantine,  à  Hip- 
pone,  en  bien  d'autres  villes^'.  Il  entretenait  une  active  corres- 
pondance, notamment  avec  des  convertis'.  Il  publiait  divers 
ouvrages,  destinés  spécialement  à  renseigner  les  fidèles  des 
deux  Eglises  sur  la  Conférence  de  (^arthau'e.  Vers  la  fin 
de  411,  dans  le  Brevicalus  CoUalionis,  il  donnait  un  résumé 
clair  et  précis  des  débats  *^.  Plus  tard,  au  nom  d'un  concile  de 
Numidie,  il  rédigeait  un  «  Avertissement  aux  Donatistes  »,  qui 

1)  Ephl.  141,  1.  G)  Aiionstiii,  Serin.  10;  i)9  ;  112  ;  138  ; 

2)  Conlra  Gaudcnliuiii,  1,  6,  7.  KU  ;    1<S2-183  ;    Enarr.    in    J\-i(ilm.    G7  ; 

3)  Epist.  133,1;    134,    2;    139,    1-2;        147;  Episl.  144,  1-3. 

18"),  7.  30  :  Gesla  cnm  Emerilo,  9.  7)  Ephl.  86  :  133-i:M  :  139;  1-12;  144  : 

A)  Ephl.    151,3-9;    Jérôme,    Advev^us  151  ;   L*);")  ;  185  ;  204. 

PelxKjianos,  III,  C  ;  Orosc,  VII,  42.  8)   lietract..  11.  <)5  ;    Brevic.  Collai..   I. 

5)    Codex   canon.    Ecclea.    ufric,    c;iii.  Prai'fat. 

123-124. 


TRAITÉS    AXONYMES,    PAMPHLETS,    CHROMQUES  247 

contenait  un  abrégé  encore  plus  succinct  de  la  grande  contro- 
verse '.  Enl'in,  vers  le  début  de  412,  dans  le  livre  intitulé  «  Aux 
Donatistes  après  la  Conférence  —  Ad  Doiiatistas  posl  Colla- 
tioiiem  »,  il  ciierchait  à  convaincre  les  dissidents  que  leurs 
évêques  les  trompaient,  et  répondait  avec  précision  aux  alléga- 
tions de  leurs  polémistes -.  Cette  activité  multiple  d'Augustin, 
dans  les  années  qui  suivirent  la  Conférence  de  Carthage,  est 
un  hommage  indirect  rendu  par  lui  aux  pamphlétaires  du  parti 
de  Donat  :  sinon  à  leur  talent,  du  moins  à  leur  énergie  et  au 
succès  de  leur  campagne. 

III 

« 

Chroniques  donatistes.  —  Rôle  de  l'iiistoire  et  de  la  chronique  dans  les 
controverses  entre  les  deux  partis.  —  Les  recensions  africaines  et  dona- 
tistes du  Liber  genealogiis.  —  Origine  et  forme  primitive  de  l'ouvrage.  ^- 
Remaniements  successifs  et  additions.  —  Première  recension  donatiste 
entre  405  et  411.  —  Epilogue  sur  les  persécutions.  — ■  Seconde  recension 
en  427.  — •  Troisième  recension  en  438.  —  Dernières  recensions  en  455 
et  463.  —  Comment  s'expliquent  ces  remaniements  et  la  popularité  de 
l'ouvrage  dans  les  communautés  donatistes. 

Les  chroniques  dont  nous  allons  parler,  et  qni  sont  conser- 
vées intégralement,  sont  pour  nous  les  seuls  témoins  de  la  lit- 
térature historique  du  Donatisme  ^. 

L'histoire  et  la  chronique  ont  tenu  certainement  une  place 
importante  dans  les  préoccupations  des  chefs  de  la  secte  et 
dans  l'activité  intellectuelle  de  ses  écrivains.  En  effet,  la  con- 
troverse entre  les  deux  Eglises  ne  portait  pas  seulement  sur 
une  question  de  droit  ;  elle  portait  aussi  sur  une  question  de 
fait.  C'est  d'abord,  et  avant  tout,  dans  les  circonstances  mêmes 
de  la  rupture,  que  les  dissidents  prétendaient  trouver  la  justi- 
fication de  leur  schisme  ;  et  c'est  sur  les  événements  historiques 
qui  avaient  suivi,  sur  les  circonstances  de  l'opposition  irréduc- 
tible entre  les  deux  Eglises  rivales,  de  leurs  luttes  et  de  leurs 
persécutions  mutuelles,  qu'ils  fondaient  leurs  revendications, 
leurs  protestations,  leur  ferme  résolution  de  repousser  toutes 
les  avances  de  leurs  adversaires  et  toute  idée  d,e  réconciliation, 
de  retour  à  l'unité^.   Donc,  l'histoire  était  à  la  base  de  la  con- 


1)  Epist.  Hl.  Mommsen,  BerUn,  1892). 

2)  Retract.,     Il,  6(5  ;  Ad  Donatislas post  4)  Opt.tt,  I,  6-7  ;  13  et  suiv.  ;  II,  3-4  ; 
■Collât.,  1  et  suiv.  14    et    suiv.;    III,  1    et   suiv.;    VI,  1  et 

3)  Ce   sont  des  recensions    africaines  suiv. 
et  donatistes    du    Liber  geiiealogus  (éd. 


248  LITTÉhATURE    UON\TISTE 

troverse,  au  moins  pour  une  moitié.  Saint  Optât  et  saint  Augus- 
tin ne  s'y  sont  pas  trompés.  Ils  n'ont  cessé  de  bataille)'  sur  le 
terrain  des  faits.  En  même  temps  qu'ils  discutaient  la  concep- 
tion donatiste  de  l'Eglise,  ils  reconstituaient,  pièces  en  mains, 
riiistoire  des  orio-ines  du  schisme,  et  toute  l'histoire  de  l'Eo'lise 
dissidente  depuis  Donat  le  Grand  jusqu'à  Parmenianus  et  Pri- 
mianus'.  Les  schismatiques  étaient  bien  forcés  de  suivre  leurs 
adversainîs  sur  ce  terrain.  •Comme  on  l'a  Vu  parla  plupart  des 
ouvrages  étudiés  plus  haut,  ils  discutaient  abondamment,  eux 
aussi,  sur  les  circonstances  de  la  rupture,  et  des  persécutions, 
et  des  querelles  entre  sectaires.  Ainsi  que  les  Catholiques,  ils 
cherchaient  des  documents  dans  les  archives  de  leurs  Eo-lises 
ou  dans  les  archives  publiques.  A  la  Conférence  de  411,  les 
deux  partis  firent  assaut  de  documents"-.  On  reprochait  même 
aux  schismatiques  de  produire  trop  souvent  des  pièces  fausses 
ou  suspectes,  fabriquées  ou  altérées  pour  les  besoins  de  la 
polémique  3.  INIais  l'industrie  des  faussaires  est  encore  un  hom- 
mage indirect  à  la  vérité  historique  :  elle  atteste  du  moins  le 
désir  d'étayer  les  affirmations  sur  des  documents  d'histoire. 

D'après  cela,  on  s'attendrait  à  trouver  chez  les  Donatistes 
une  abondante  littérature  historique.  Nous  sommes  loin  de 
compte.  Jusqu'au  début  du  cinquième  siècle,  nous  ne  rencon- 
trons dans  la  secte  aucun  historien,  aucun  chroniqueur,  aucun 
écrivain  ni  aucun  érudit  dont  la  préoccupation  principale  ait  été 
létude  des  documents  et  des  faits.  A  notre  connaissance,  et 
jusqu'au  temps  d'Augustin,  le  seul  Donatiste  qui,  incidem- 
ment, ait  l'ait  œuvre  d'historien,  c'est  Tyconius  ;  et,  par  une 
ironie"  singulière,  Tyconius  ne  s'est  servi  de  Thistoire  que 
contre  ses  amis,  pour  leur  démontrer  l'inconsistance  de  leurs 
d  jctrines  par  les  inconséquences  de  leur  politique,  par  le  spec- 
tacle de  leurs  dissensions  intérieures  et  de  leurs  décisions  con- 
tradictoires''.  Après  Tyconius,  et  jusqu'à  la  disparition  com- 
plète de  la  secte,  la  littérature  historique  est  restée  tout  aussi 
stérile  dans  l'Eglise  de  Donat.  Elle  n'y  est  pas  représentée  alors 
j)ar  un  seul  nom.  Et  l'on  ne  peut  guère,  ici,  mettre  en  cause 
Tinsuffisance  de  nos  renseignements  :  s'il  v  avait  eu  alors 
quel<[ue  historien  donatiste,  nous  le  saurions  presc[ue  "sûrement 
]>ar  Augustin,  qui  était  au  courant  de  tout,  et  qui  nous  fait  con- 


1)  Oiilal,   [,  13-27  ;  II,  4  cl  15-lî»;  lil,  !».  27  ;  44,  2,  4  :  44,  3,  6  ;  Hrevic.  Collât. 
H-4.  m,  17,  32  ;  18,  34-30  ;  2(1.  38. 

2)  Voyez  plu>  liaul,  loiiic  l\",   p.    3^8  4)  Gciiiiadiiis,  De  vir.  ///.,  18  ;  Augiis- 
ct   sui\.  lin,   Coiilra  Fpisliilam  l'annriiioni,  \,  l  ; 

3)  Optai,   I,  22  ;  Aii-ii>liii,   Hpisi .  43,  11,  22,  42  ;  III.  3.  17  [Kpisl.  93,  10,  43-44. 


\ 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPllLKTS,    CHRONIQUES  249 

naitre  SOUS  tant  d'aspects  l'Eglise  dissidente.  Bref,  toute  l'œuvre 
historique  du  Donatisme  se  réduit  pour  nous  à  ces  chroniques 
du  cinquième  siècle  que  nous  allons  étudier,  et  dont  jusqu'ici. 
par  une  étrange  distraction,  la  critique  lapins  érudite  ne  semble 
pas  avoir  reconnu  l'origine  donatiste. 

C'est  un  groupe  de  recensions  plus  ou  moins  divergentes 
d'un  même  ouvrage,  qui  a  été  en  honneur  pendant  plus  d'un 
demi-siècle  dans  les  cercles  schismatiques  de  Carthage,  et  qui, 
à  plusieurs  reprises,  y  a  été  remanié  ou  complété.  Avant  d'étu- 
dier en  elles-mêmes,  et  dans  leurs  rapports  mutuels,  ces  re- 
censions diverses,  il  est  indispensable  d'expliquer  avec  préci- 
sion comment  elles  nous  sont  parvenues,  sous  quelles  formes, 
dans  quels  manuscrits,  et  pourquoi  elles  sont  certainement 
l'œuvre  de  schismatiques  africains. 

Parmi  les  vieilles  chroniques  chrétiennes  des  premiers  siècles, 
figure  l'ouvrage  connu  sous  le  nom  de  Liber  Geiiealogas  '.  Tel 
est  le  titre  ordinaire.  Mais  la  Chronique,  primitivement,  parait 
s'être  appelée  Origo  Jiumani  generis  ;  et,  plus  tard,  dans  les 
chfféreuts  manuscrits,  elle  porte  aussi  d'autres  titres,  comme 
De  aenerationibus  ou  Genealomae  ~.  D'ailleurs,  sous  ses 
diverses  formes,  elle  présente  à  peu  près  les  mêmes  caractères. 
(]'est  un  recueil  de  généalogies,  extraites  de  l'Ecriture,  depuis 
Adam  et  Eve  jusqu'à  Joseph  et  Marie,  les  parents  du  Christ. 
A  ces  compilations  bibliques  se  mêlent  des  synchronismes  tirés 
de  l'histoire  profane,  auxquels  s'ajoute,  dans  un  groupe  de  ma- 
nuscrits, un  long  épilogue  sur  les  persécutions.  Considéré  dans 
son  ensemble,  l'ouvrage  offre  des  rapports  AYecle  Liber genera- 
tionis,  adaptation  latine  de  la  Chronique  d'Hippolyte.  Mais  il 
en  diffère  sur  bien  des  points  par  le  contenu  ;  et  il  s'en  distingue 
complètement  par  les  origines,  par  les  destinées,  par  la  tradi- 
tion manuscrite. 

Quatre  manuscrits  du  Liber  genealogus  sont  à  retenir  poui- 
l'histoire  du  texte  :  un  Codex  Taurinensis^  du  septième  siècle  ; 
un  Codex  Lucensis,  daté  de  l'année  796  ;  un  Codex  Sangallensis, 
du  neuvième  siècle  ;  un  Codex  Florentinus^  connu  seulement 
par  deux  copies  florentines  du  dixième  et  du  onzième  siècle-^. 
D'un  manuscrit  à  l'autre,  varient  les  dimensions  du  texte,  les 
additions,  les  interpolations.  Ce  qui  est  surtout  à  noter  ici,  ce 
sont  les  indications  chronologiques  qu'on  relève  dans  les  trois 


1)  Liber    (jenealo(jus,    éd.    iMommsen  ;  2)    Liber    (jenealogua,     p.    160.    —   Cf. 

dans  les  Chronica  minora,  loiae  I  (Ber-       p.  15t. 
lin,  1892),  p.  160-196.  3)  Ibid.,  p.  156-159. 


250  LITTÉRATURE    DONATISTE 

derniers  manuscrits,  et  qui  nous  fournissent  des  renseignements 
précis  sur  la  date  des  rédactions  correspondantes  :  consuls  de 
l'année  427,  dans  le  Sangallensis  ;  consuls  de  438,  dans  le 
Florentinus  ;  seizième  année  du  règne  de  Genséric  (=455  de 
notre  ère),  et  mort  de  Yalentinien  III  (également  en  455),  dans 
le  Lucensis,  puis,  dans  des  additions  postérieures  du  même 
manuscrit,  vingt-quatrième  année  du  règne  de  Genséric  (=463 
de  notre  ère)  '.  Dans  l'histoire  du  texte,  on  peut  donc  distinguer 
au  moins  cinq  recensions  successives.  Une  seule  n'est,  pas 
datée  :  celle  du  Taurinensis.  Les  quatre  autres  s'échelonnent, 
au  cinquième  siècle,  sur  une  période  de  trente-six  ans.  Celle  du 
Sangallensis  est  de  427  ;  celle  du  Florentinus,  de  438.  Enfin, 
dans  le  Codex  Lucensis,  se  mêlent  de"ux  recensions  successives  : 
l'une  de  455,  l'autre  de  463. 

Voici,  maintenant,  les  conclusions  du  dernier  éditeur  sur  la 
date  de  l'ouvrage  primitif  et  sur  l'auteur-.  Le  Liber  Genealo- 
gus  paraît  avoir  été  composé  en  Afrique  dans  le  premier  tiers 
du  cinquième  siècle  :  soit  en  427,  soit  entre  405  et  427.  En 
effet,  la  plus  ancienne  reeension  datée  est  de  427  ;  et  la  dernière 
des  persécutions  mentionnées  est  la  persécution  de  405  contre 
les  Donatistes  •'.  Quant  à  l'auteur,  c'est  sans  doute  Q.  Julius 
Hilarianus,  dont  nous  possédons  deux  petits  traités  écrits 
en  397,  le  De  duratione  niundi  et  le  De  ratione  Paschae.  La 
tradition  manuscrite  semble  favorable  à  cette  attribution.  Le 
Taurinensis  contient  à  la  fois  le  Z)e  ratione  PascJiae  d'Hilaria- 
nus  et  le  Liber  genealogus.  En  outre,  le  De  ratione  Paschae 
a  été  pillé  par  l'auteur  du  Liber  Paschalis,  de  455,  qui,  dans 
le  Codex  Lucensis,  précède  le  Liber  genealogus.  En  résumé, 
notre  chronique  aurait  été  écrite  en  Afrique,  par  Hilarianus, 
soit  en  427,  soit  entre  405  et  427. 

A  notre  avis,  ces  conclusions  du  savant  éditeur  doivent  être 
rectifiées  sur  un  point,  et  largement  complétées  sur  d'autres. 
Dans  ce  que  nous  savons  d' Hilarianus,  rien  ne  nous  le  montre 
en  rapport  avec  l'xA.frique.  De  plus,  l'un  des  manuscrits,  le 
Taurinensis,  ne  renferme  absolument  rien  d'africain  :  rien  sur 
l'histoire  de  ce  pays,  ni  sur  le  règne  de  (jenséric,  ni  sur  la  per- 
sécution contre  les  Donatistes^.  Evidemment,  on  doit  établir 
une  distinction  nette  entre  la  reeension  du  Taurinensis  et  le 
groupe  de  recensions  qui  se  sont  succédé  en  Afrique  de  427  à 

1)  Liber  (jenriilogus,  c.  I2S:  141:  VM)  ;  I)  11  s'agit  iiaturcliemciil  dv  la  per- 
628.                                                                        séculion    qui  suivit    l'édil  d'union    de^ 

2)  Ibid.,  p.  l,->4-l.").  405. 

3)  Liber  (jenealoyus,  c.  G27. 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  251 

403.  Enfin,  comme  nous  le  monti'erons,  la  concordance  ou  les 
divergences  des  quatre  recensions  africaines  sur  la  plupart  des 
détails  africains,  et  certaines  données  chronologiques,  nous  con- 
duisent à  intercaler  dans  la  série  et  à  reconstituer  dans  ses 
grandes  lignes  une  première  recension  africaine,  antérieure  à 
toutes  les  recensions  africaines  conservées,  et  plus  ou  moins 
rejy'oduite  dans  toutes  '. 

Le  Codex  Tanruiensis,  nous  l'avons  dit,  ne  contient  aucune 
indication  de  date,  ni  rien  qui  se  rapporte  au  Donatisme  ou  à 
l'Afrique.  D'autre  part,  le  texte  y  est  ordinairement  plus  court 
et  plus  sobre  que  dans  toutes  les  autres  rédactions.  Le  Taiiri- 
nensis  représente  pour  nous  la  forme  la  plus  ancienne  de  l'ou- 
vrage :  une  forme  antérieure  aux  additions  africaines  et  dona- 
tistes.  C'est  une  recension  italienne  ou  européenne,  qui  s'oppose 
au  groupe  des  recensions  africaines.  D'ailleurs,  c'est  une  raison 
do  plus  pour  attribuer  à  Hilarianus,  que  rien  ne  rattache  à 
l'Afrique,  la  première  rédaction  du  Liber  génealogas. 

Quant  à  nos  quatre  recensions  africaines,  elles  dérivent  toutes, 
par  deux  voies  différentes,  d'une  première  recension  faite  à 
Carthage  par  un  Donatiste  entre  les  années  405  et  411. 
Ecartons  provisoirement  les  textes  de  455  et  de  463,  qui  sont 
des  éditions  nouvelles,  plus  ou  moins  remaniées  et  complétées, 
du  texte  de  438.  Mais  la  comparaison  méthodique  des  deux 
autres  recensions,  celles  de  427  et  de  438,  montre  en  toute 
évidence  qu'elles  sont  indépendantes  l'une  de  l'autre,  tout  en  se 
rattachant  à  une  origine  commune  :  par  exemple,  dans  l'épi- 
logue sur  les  persécutions,  on  constate  entre  elles  autant  de 
divergences  que  de  concordances  2.  Donc,  il  nous  manque  un 
intermédiaire  :  une  première  recension  africaine,  aujourd'hui 
perdue. 

Cette  première  recension  africaine,  on  en  peut  déterminer 
l'origine,  les  caractères  et  les  nouveautés,  même  la  date 
approximative. 

On  doit  la  placer  entre  405  et  411.  En  effet,  le  rédacteur 
mentionnait  expressément  l'édit  d'union  de  405  et  la  persécution 
qui  suivit  contre  les  Donatistes  :  persécution  dont  il  fixait 
même  le  début,  pour  Carthage,  au  26  juin  de  cette  année-là  3. 
Mais  il  écrivait  sûrement  avant  l'été  de  411;  car  il  ne  faisait 
pas  la  moindre  allusion  à  la  grande  Conférence  de  Carthage, 
aux  persécutions  bien  plus  graves  qui  en  furent  la  conséquence, 


1)  Cette  première  recension  africaine  2)  Liber  génealogas,  611-628. 

a  été  faite  à  Carthage  vers  l'année  406.  3)  Ibid.,  627. 


252  LITTÉRATURE    DONATISTK 

aux  derniers  édits  d'union  qui  portèrent  un  coup  mortel  à 
l'Eglise  de  Donat,  et  que  ne  pouvait  oublier  un  sectaire  afri- 
cain. On  peut  tirer  la  même  conclusion  d'un  autre  passage,  sur 
le  «  schisme  »  entre  les  deux  Eglises,  sur  les  batailles  qui 
«  tous  les  jours  de  la  vie  »  se  livraient  «  entre  les  vrais  chré- 
tiens et  les  faux  Catholiques'  ».  Cela  encore  n'a  pu  être  écrit 
qu'avant  la  Conférence  de  Carthage  et  la  proscription  générale 
du  Donatisrae.  C'est  donc -entre  405  et  411,  probablement  vers 
406,  qu'a  été  exécutée  cette  recension  du  Liber  genealogus. 

Elle  l'a  été  certainement  en  Afrique,  et  par  un  Donatiste. 
C'est  ce  que  montre  clairement,  sans  parler  d'autres  passages, 
l'examen  du  long  épilogue  sur  les  persécutions  qui  fut  ajouté 
alors  à  l'ouvrage  primitif  :  épilogue  qui  manc[ue  dans  le  Tau- 
rinensis,  mais  dont  tout  l'essentiel  est  passé  dans  toutes  les 
recensions  postérieures"^.  Nul  doute  que  l'addition  soit  d'un 
schismatique  africain.  Cet  épilogue  est  consacré  presque  tout 
entier  à  l'Afrique  :  mention  des  plus  célèbres  martyrs  de  la 
contrée,  Saturus,  Saturninus  et  Revocatus,  Félicitas  et  Per- 
pétua, saint  Cyprien,  Montanus,  Nemesianus  de  Tubunae  ; 
iraditio  des  évêques  de  Carthage,  Mensurius  et  Ca^cilianfus  ; 
persécution  de  405  contre  les  Donatistes,  et  date  du  début  des 
poursuites  à  Carthage'^.  (^ue,  seul,  un  Donatiste  ait  pu  rédiger 
cet  épilogue,  c'est  ce  que  prouvent  bien  le  contenu  et  les  allures 
sectaires  du  récit.  Ces  accusations  contre  C;<'eilianus  et  Men- 
surius  de  Carthage,  ou  contre  le  pape  Marcellinus '*  ;  cette  idée 
d'assimiler  aux  persécutions  des  païens  contre  les  chrétiens  la 
persécution  des  Catholiques  contre  les  dissidents,  et  cette  façon 
de  terminer  une  chronique  [)ar  la  mention  des  lois  de  405 
contre  l'Eglise  de  Donat""  ;  cette  prétention  de  réserver  pour  les 
schismatiques  le  titre  de  «  chrétiens  »  ou  do  «  vrais  chrétiens  », 
en  face  des  «  faux  Catholiques  »  de  l'Eglise  officielle'.'  :  tout 
cela,  c'est  comme  la  signature  authentique  d'un  Donatiste. 

Ces  constatations  jettent  une  vive  lumière  sui'  les  origines  du 
Liber  geneaioi^us^  et  permettent  de  compléter,  en  les  rectifiant, 
les  conclusions  admises  jus(|u'ici.  Antérieurement  à  la  première 
des  recensions  datées,  celle  de  427,  nous  saisissons  deux  foi'mes 
plus  anciennes  de  l'ouvrage  :  une  première  recension  africaine, 
faite  vers  406,  qui  a  servi  de  base  aux  quatre  suivantes,  et  la 
chronique  primitive,    composée  hors  d'Afrique,  dont  cette  pre- 


1)  l.ihcr  (jeiicfiloijux,  'A6.  4)  Liher  iiencuUvjus,  ()2G. 

2)  //>(■(/., '()ll-tJJ8.  5)  m,L,  627. 

3)  Ibid.,  (528-027.  (i)   Ibid.,  .-.4ti  cl  027. 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  253 

mière  recension  africaine  était  elle-même  un  remaniement. 
D'après  cela,  on  peut  reconstituer  l'histoire  du  texte,  des 
diverses  éditions  ou  rédactions,  pendant  près  d'un  siècle.  Dans 
cette  longue,  et  curieuse  évolution,  le  Liber  genealogiis  se  pré- 
sente à  nous  sous  six  formes  successives,  dont  les  cinq  der- 
nières appartiennent  à  la  littérature  africaine  et  à  l'Eglise 
dissidente. 

Sous  sa  forme  première,  la  chronique  a  été  composée,  vers 
la  fin  du  quatrième  siècle,  par  un  Catholique  d'Italie  ou  de 
Gaule,  sans  doute  par  Q.  Julius  Hilarianus,  dont  nous  avons 
deux  opuscules,  écrits  en  397,  le  De  duratione  miuidi  et  le 
De  rations  Paschae.  Elle  ne  contenait  alors  rien  de  particulier 
à  l'Afrique  ni  au  Donatisme.  Elle  était  intitulée  Origo  Jiumcmi 
generis^  peut-être  avec  le  sous-titre  De  generationihus.  Elle 
donnait  seulement  la  série  des  généalogies  bibliques,  et  se  ter- 
minait avec  la  fin  de  ces  généalogies,  sur  la  mention  des 
parents  du  Christ  •.  Elle  empruntait  presque  toutes  ses  données 
à  l'Ecriture,  y  compris  certains  apocryphes,  comme  le  troi- 
sième livre  d'Esdras.  Dans  les  citations,  elle  reproduisait  un 
texte  latin  antérieur  à  la  version  de  Jérôme,  se  rattachant  au 
groupe  des  textes  dits  «  italiens  revisés  ».  Cette  première  forme 
de  l'ouvrage  est  représentée  pour  nous,  sauf  quelques  altéra- 
tions ou  additions  de  détail,  par  le  plus  ancien  des  manu- 
scrits, le  Tanrinensis,  qui  donne  le  texte  le  plus  court,  qui  ne 
renferme  aucun  élément  africain,  et  où  l'on  constate  seulement 
des  interpolations  faites  plus  tard  à  l'aide  du  Liber  gène  ratio  ni  s  ^ 
adaptation  latine  de  la  Chronique  grecque  d'Hippolyte. 

Cette  compilation  catholique,  originaire  d'Italie  ou  de  Gaule, 
arriva  en  Afrique  au  début  du  cinquième  siècle.  Elle  tomba 
entre  les  mains  d'un  Donatiste  de  Carthage.  Celui-ci  la  remania, 
et  crut  devoir  la  compléter  à  sa  façon,  d'après  ses. idées  de 
sectaire,  entre  les  années  405  et  411,  probablement  vers  406. 
D'abord,  il  en  changea  le  titre,  sans  doute  pour  avoir  l'air  de 
publier  un  ouvrage  personnel  :  de  VOrigo  Jnunani  generis,  il 
fit  le  Liber  généalogies  sive  Genealogiae.  Puis,  à  la  compi- 
lation biblique,  il  mêla  des  données  relatives  à  l'histoire  de 
l'Afrique  ou  de  sa  secte.  Voici,  par  exemple,  une  addition 
sur  la  fondation  de  Carthage  :  tandis  que,  dans  l'ouvrage  pri- 
mitif, on  lisait  seulement  que  «  les  Tyriens  occupèrent  Car- 
thage à  titre  de  colons  »,  le  Carthaginois  joignit  à  cette  phrase 
les  passages  de  Virgile  sur  la  colonisation  tyrienne  de  la  ville  -. 

1)  Liber  genealogiis,  610.  2)  Liber  ijencaloijas,  19(). 

VI.  ""  17 


254  LITTÉRATURE    DONÂTISTE 

D'autres  additions  visaient  les  querelles  du  temps  entre  les 
deux  Eglises  africaines.  A  propos  du  «  schisme  »  entre  Roboam 
et  Jéroboam,  le  Donatiste  se  trahissait  par  cette  comparaison 
de  sectaire  :  «  Il  y  avait  combat  entre  eux  tous  les  jours  de 
leur  vie,  comme  maintenant  entre  les  vrais  chrétiens  et  les  faux 
(Catholiques  ' .  » 

^Nlais  la  grande  nouveauté  de  la  recension  de  406,  c'est  le 
long  épilogue  sur  les  empereurs  et  les  persécutions,  dont  s'enri- 
chit alors  la  chronique  primitive"-.  Après  quelques  mots  sur  la 
naissance  et  la  Passion  du  Christ,  sur  les  règnes  d'Auguste  et 
de  Tibère'^,  l'auteur  arrive  à  la  persécution  de  Néron,  au 
martyre  des  apôtres  Pierre  et  Paul'',  puis  aux  persécutions  de 
Domitien  et  de  Trajan '\  A  partir  du  troisième  siècle,  il  ne 
s'intéresse  plus  guère  qu'aux  destinées  de  l'Eglise  africaine. 
Pour  la  persécution  de  Septime  Sévère,  il  note  le  martyre  des 
saintes  de  Thuburbo,  Perpétue  et  Félicité,  avec  leurs  compa- 
gnons''; pour  celles  de  Dèce  et  de  Valérien,  les  martyres  de 
saint  Cyprien,  de  Montanus,  de  Nemesianus*;  pour  celles  de 
Dioclétien  et  de  Maximien,  les  capitulations  de  Mensurius, 
évoque  de  Garthage,  de  son  diacre  Ca^cilianus,  même  du  pape 
Marcellinus  avec  ses  diacres  Straton  et  Gassianus,  qui  «  pu- 
bliquement, au  Gapitole,  ont  brûlé  l'encens  et  les  EA\angiles'^  ». 
A  ces  persécutions  des  païens  contre  les  chrétiens,  le  sectaire 
joint  la  persécution  de  405  contre  les  Donatistes,  qui,  dit-il, 
commença  le  26  juin'*.  Ot  événement,  alors  tout  récent,  avait 
pour  lui  tant  d'importance,  qu'il  y  voyait  comme  la  fin  des 
temps.  G  était,  du  moins,  la  fin  de  sa  chronique. 

Gette  première  recension  africaine,  faite  à  Garthage  vers  406, 
a  été  la  base  des  deux  recensions  suivantes,  celles  de  427  et  de 
438.  Mais  on  doit  noter  avec  soin  que,  si  ces  deux  recensions 
ont  le  même  point  de  départ,  elles  n'en  restent  pas  moins,  entre 
elles,  complètement  indépendantes.  Gliacun  des  rédacteurs,  dans 
son  travail  de  remaniement,  n'a  eu  sous  les  yeux  que  la 
recension  do  400.  G'est  ce  qui  explique  leurs  divergences,  aussi 
frappantes  que  leur  étroite  parenté. 

1)   Lihcr  iicnraloijus,  TilG.                                    conis)    vciiil    pcrsecutin   Cliristiaiiis    VI 

2|   Ihid.,  tJll-O'iS.  k.  luli«s,  data  i)ri(lie   [idiisj    Febr.   Ka- 

3)  ihid.,  (ill-CilS-  MMinae  ».  —  Au  lieu  de  Cltrisli(inis,les 

4)  Ihid.,  GH-615.  rereusions  de  4.55  el  de  403  donnent 
."))  lliid.,  (i21-622.  thiiialistis.  C'est  évidi-mnicnl  une  cor- 
<>)  H'iil.,  (■>23.  rcction  poslôricurc  d'un  co|)isl(,'  callio- 

7)  Ihid.,  ()2l-()25.  liqiic  ;  car  jamais  les    Donalisics    ne  se 

8)  Ihid.,  (■)2().  sont  eux-mêmes  appelés  ainsi. 
!>)   Ihid.,  ((27:  i<  Ipso  consulalii  (Slili- 


TRAITÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  255 

La  recension  de  427  [Codex  Sangnllensis)  est  la  plus  courte 
des  recensions  africaines  conservées.  Elle  ne  présente  rien  de 
bien  nouA^eau  :  quelques  variantes,  quelques  additions  sans 
importance,  et  la  date  consulaire  qui  en  fixe  l'époque'.  Le 
titre  ou  l'en-tête  est  beaucoup  plus  développé  que  précé- 
demment :  «  Au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Ici 
commence  le  Liber  genealogus,  avec  les  noms  des  pères  et  des 
fils  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  ;  ouvrage  composé 
par  saint  Jérôme,  prêtre'...  ».  Ainsi,  le  rédacteur  plaçait  la 
chronique  sous  le  patronage  de  saint  Jérôme,  mort  depuis  sept 
ans.  On  peut  se  demander,  il  est  vrai,  si  ce  n'est  pas  là  une 
interpolation  postérieure  ;  car  on  sait  que,  de  bonne  heure, 
apparaissent  les  attributions  fantaisistes  à  saint  Jérôme. 

On  relève  plusieurs  nouveautés  intéressantes  dans  la  re- 
cension de  438  [Codex  Florentinus).  L'intention  du  rédacteur 
s'affirme  déjà  dans  l'en-tête,  très  différent  de  celui  de  427,  et 
encore  plus  développé  :  «  Ici  commencent  les  Genealogiae^ 
toute  une  bibliothèque,  tirées  de  tous  les  livres  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  où  sont  marquées  les  prophéties 
avec  les  noms  et  les  temps  de  tous  les  prophètes  jusqu'à  saint 
Cyprien,  et  où  l'on  montre  clairement  ce  qui  s'est  passé 
jusqu'à  notre  temps 3...  »  On  remarquera,  d'abord,  qu'ici  la 
chronique  n'est  pas  attribuée  à  saint  Jérôme.  En  revanche, 
saint  Cyprien  est  mis  au  rang  des  Prophètes  :  témoignage 
flatteur,  et  un  peu  compromettant,  de  la  popularité  dont 
jouissait  dans  l'Eglise  dissidente  le  grand  évêque  martyr  de 
Cartilage. 

Ce  qu'il  faut  noter  surtout,  c'est  le  dessein,  qu'annonce  le 
rédacteur,  de  pousser  le  récit  jusqu'à  son  temps.  Malheureuse- 
ment, il  n'a  guère  tenu  sa  promesse.  A  la  compilation  biblique, 
il  s'est  contenté  d'ajouter  çà  et  là  quelques  données,  la  plupart 
empruntées  à  d'autres  auteurs,  notamment  au  Liber  genera- 
tionis  et  à  Victorinus^.  La  plus  importante  et  la  plus  curieuse 
de  ces  additions  se  trouve  au  milieu  de  l'épilogue  sur  les 
persécutions  "'.  Elle  se  rapporte  à  l'Antéchrist,  et,  par  contre- 
coup, à  Genséric,  roi  des  Vandales,  qui  poursuivait  alors  la 
conquête  de  l'Afrique  romaine.  L'auteur  se  perd  en  savants 
calculs,  plus  bizarres  encore  que  savants,  pour  trouver  dans 
le  nom  de  Genséric  le  nombre  mystique  correspondant  au  nom 


1)  Liber  genealogiis,  028.  .  4)  Liber  genealogus,  616  et  619. 

2)  Ibid.,  1  (Codex  SangaUensls).  B)  Ibid.,  616-620". 

3)  Ibid.,  1  [Codex  Florentinus). 


256  LITTÉRATURE    DO?<ATISTE 

de  l'Antéchrist'.  A  ce  moment,  Carthage  était  encore  romaine  ; 
c'est  l'année  suivante,  en  439,  qu'elle  tomba  au  pouvoir  des 
Vandales.  La  recension  de  438  est  encore  datée,  naturellement, 
d'après  les  noms  des  consuls'.  Deux  ans  plus  tard,  le  rédacteur 
carthaginois  aurait  hésité  sans  doute  à  reconnaître  l'Antéchrist 
en  Genséric.  En  tout  cas,  les  recensions  suivantes  sont  datées 
d'après  les  années  de  règne  du  roi  vandale,  comptées  depuis 
la  prise  de  Carthage'^  :  le  temps  des  invectives  était  passé, 
désormais  la  chronologie  elle-même  rendait  hommage  au  barbare. 

Vers  le  milieu  du  cinquième  siècle,  c'est  la  recension  de 
438  qui  resta  en  honneur  dans  les  cercles  donatistes  de  Car- 
thage. La  recension  de  455  {Codex  Lucensis)  n'en  est  qu'un 
remaniement,  une  autre  édition,  avec  un  en-tête  à  peu  près 
identique.  Elle  n'en  est  pas  moins  intéressante,  et  par  ce  qu'elle 
omet,  et  par  ce  qu'elle  ajoute.  Elle  supprime  naturellement  les 
parallèles  entre  Genséric  et  l'Antéchrist  :  parallèles  devenus 
dangereux,  depuis  que  Genséric  régnait  à  Carthage.  En 
revanche,  elle  renferme  de  nombreuses  et  longues  additions. 

D'une  façon  générale,  le  texte  y  est  beaucoup  plus  développé 
qu'en  438.  L'auteur  multiplie  les  synchronismes  avec  l'histoire 
profane,  et  les  détails  d'érudition,  empruntés  à  divers  écri- 
vains, notamment  à  Solin^.  A  l'occasion,  il  enregistre  une  tra- 
dition africaine.  Par  exemple,  à  propos  de  Josué,  il  note  l'émi- 
gration en  Afrique  des  Cananéens  chassés  de  leur  pays  par  les 
Hébreux"'.  On  reconnaît  làunevieille  tradition  judéo-chrétienne, 
qu'on  retrouve  dans  le  Talmud  comme  chez  saint  Jénmie,  et  que 
Procope  a  recueillie,  vivante  encore,  en  Numidie'''.  Suivant  Pro- 
cope,  les  descendants  de  ces  Cananéens  fugitifs  avaient  con- 
servé leur  physionomie  et  leur  langue  jusqu'au  sixièmes  siècle  de 
notre  ère  :  «  Ils  habitent  encore  le  pays,  dit-il,  et  ils  se  servent 
de  la  langue  phénicienne.  Ils  construisirent  un  fort  dans  wnc 
ville  de  Numidie,  là  où  est  maintenant  Tigisi.  On  y  voit,  près 
d'une  grande  fontaine,  deux  stèles  de  pierre  blanche,  couvertes 
de  caractères  phéniciens  qui  signifient:  «  Nous  sommes  ceux 
qui  ont  fui  devant  Josué.  fils  de  Xavé'.  »  Le  JAber  gcncalogas 
<le  455  montre  que  cette  tradition  était  connue  également  dans 
la  Carthacrii  des  Vandales. 

De  toutes  les  additions  faites  par  le  chroniqueur  de  455,  les 


( 


1)  lÀlivr  iieiifulnijn-i,  OlCi  et  (US.  (>)   Voyez  noire  iniMimirc  ■>\ir  Les  cnlo- 

2)  lliid.,  (>2S  [c.iiilc.r  Florcnlinus).  niea  juives  dans  l'Afrhiiie  romaine  :  — 
S)  Ibid., i2ii;  ■i\)[i;i;2ti((:(HlexJ-iirrii^is,  .laiis  l;i  Revue  des  Htiides  jiiiees,  1902, 
4)  //ji(/.,  7r.  et  132.  p.  2olstii\. 

r>)Ihid.,  499.  7)   Procope,    De  bellu  Vundal.,  II,   20 


TRATTÉS    ANONYMES,    PAMPHLETS,    CHRONIQUES  257 

plus  importantes  et  les  plus  curieuses  sont  celles  qui  lui  lurent 
inspirées  par  les  événements  dramatiques  de  l'année  même  où 
il  écrivait:  assassinat  de  l'empereur  Yalentinien  III,  anarchie 
dans  la  capitale  et  dans  tout  l'Empire,  prise  et  sac  de  Rome 
parGenséric,  retour  triomphant  à  Carthage  des  barbares  vain- 
queurs, avec  les  dépouilles  de  la  ^'ille  éternelle  et  des  milliers 
de  captifs,  parmi  lesquels  l'impératrice  et  ses  filles.  Sur  les 
Romains  d'Afrique,  ces  nouvelles  et  ces  spectacles  avaient  pro- 
duit un  effet  de  stupeur.  L'écho  de  leurs  lamentations  retentit 
encore  dans  cette  chronique  carthaginoise  de  455.  L'auteur  sai- 
sit avec  empressement  toutes  les  occasions  de  parler  de  Rome^ 
Il  note  la  fondation  de  la  ville,  sa  puissance  et  sa  longue  durée  ~; 
sa  grandeur  au  temps  des  rois,  puis  des  consuls,  puis  des  em- 
pereurs'. 11  constate  que  «  depuis  C.  Julius  Ca'sar  jusqu'au 
dernier  naufrage  de  la  vie  de  Yalentinien,  pendant  cinq  cent 
huit  ans...,  par  la  volonté  de  Dieu,  l'empire  romain  est  toujours 
resté  debout,  conformément  à  la  prophétie  de  Daniel  sur  la  sta- 
tue que  Nabuchodonosor  avait  vue  en  songe  ^  ».  —  «  Au  lecteur, 
de  comprendre.  —  Qui  legit,  intellegat  »,  ajoute  le  chroni- 
queur. Pour  plus  de  sûreté,  il  s'explique.  Alors,  il  donne  libre 
cours  à  ses  réflexions  mélancoliques.  Il  voit  les  temps  accom- 
plis pour  la  puissance  romaine  :  pour  le  «  règne  de  la  Roma- 
nia —  Ronianiae  regnum  »,  comme  il  dit.  i\.utour  de  lui,  dans 
le  monde  entier,  il  n'aperçoit  que  des  catastrophes,  des  mas- 
sacres, le  fracas  des  guerres,  des  fléaux  et  des  douleurs  de  tout 
genre.  11  conclut  tristement  :  «  Tandis  que  tous  ces  maux  se 
déchaînent  sur  le  monde,  tout  finit  avec  les  assassins  et  leurs 
victimes"'.  »  Pour  le  clironiqueur,  cette  année  455  marquait  ou 
annonçait  la  fin  du  monde. 

Cette  même  année-là,  dans  la  Carthage  vandale,  on  n'avait 
pu  se  mettre  d'accord  sur  la  date  de  la  Pâques.  Au  cours  de  la 
controverse,  parut  un  opuscule  sur  la  question.  Ce  Liber  Pas- 
clialis,  dans  le  Codex  Lucensis,  précède  immédiatement  le 
Liber  genealogus.  On  peut  se  demander  si  les  deux  ouvrages 
ainsi  réunis,  publiés  tous  deux  à  Carthage  la  même  année,  ne 
sont  pas  du  même  écrivain  :  l'auteur  anonyme  du  Liber  Pas- 
chalis,  qui,  à  son  opuscule  sur  la  Pâques,  aurait  joint  sa  recen- 
sion  de  la  chronique. 

On  peut  soupçonner  aussi  que  le  même  écrivain  est  l'éditeur 
responsable  de  la  dernière  recension  connue  du  Liber  genealo- 

1)  Liber  genealoyus,  426-442.  4)  Liber  (jenealogus,  441. 

2)  Ibid.,  427-428.  5)  Ibid.,'U2. 

3)  Jbid.,  4bO-441. 


258  LITTÉRATURE    DONATISTE 

gits  :  celle  de  463.  Cette  recension  se  mêle  à  la  précédente  dans 
le  Codex  Liicensis.  Elle  n'en  différait  que  par  des  détails  sans 
importance.  Aujourd'hui,  elle  ne  s'en  distingue  nettement  que 
par  les  indications  chronologiques  relatives  à  la  vingt-quatrième 
année  du  règne  de  Genséric,  c'est-à-dire  au  moment  même  de 
la  publication  ^  C'est  l'ouvrage  édité  jadis  et  réédité  sous  le 
titre  assez  inexact  de  «  Généalogies  des  Patriarches.  —  De  Ge- 
nealogiis  Patriarcliarum'^-  ». 

En  terminant  cette  histoire  séculaire  des  transformations  et 
recensions  du  Liber  geiiealogus,  on  se  demande  naturellement 
quelle  a  pu  être  la  raison  de  tous  ces  remaniements  successifs. 
D'oîi  vient  la  popularité  persistante  de  cette  chronique  dans  les 
cercles  donatistes  de  Carthage  ? 

Ce  succès,  semble-t-il,  s'explique  par  deux  sortes  de  rai- 
sons: les  unes,  d'ordre  pédagogique  ;  les  autres,  d'ordre  polé- 
mique. Le  Liber  genealogiis  était  un  manuel  commode  d'his- 
toire sainte,  avec  synchronismes  d'histoire  profane  :  à  ce  titre, 
il  pouvait  être  utile  dans  l'enseignement  et  apprécié  dans  les 
écoles.  C'était  aussi  une  arme  de  guerre,  en  ces  temps  où  l'on 
se  battait  à  coups  de  versets  bibliques.  Ce  qui  dut  contribuer 
au  succès,  c'est  cet  épilogue  sur  les  persécutions,  qu'avait 
ajouté  vers  40G  Tauteur  de  la  première  recension  africaine.  Les 
Donatistes  y  étaient  désignés  comme  les  chrétiens  par  excel- 
lence, les  seuls  vrais  chrétiens  ;  et  la  persécution  dirigée  contre 
eux  y  était  présentée  comme  la  dernière  des  grandes  persécu- 
tions contre  l'Eglise '^  C'était  bien  l'avis  de  tous  les  dissidents  : 
ils  avaient  d'autant  plus  do  plaisir  à  en  retrouver  le  témoignage 
dans  leur  manuel. 

Un  jour  donc,  vers  le  début  du  cinquième  siècle,  entre  les 
mains  d'un  schismatique  de  Carthage,  le  hasard  fit  tomber 
cette  chronique,  récemment  composée  en  Italie  ou  en  Gaule  par 
un  Catholi(]ue.  Le  Donatistc  remania  Touvrage,  en  changea  le 
titre,  y  ajouta  le  chapitre  sur  les  persécutions.  Dès  lors,  le 
Liber  genealogiis  fut  adopté  par  la  secte,  tenu  à  jour,  souvent 
réédité.  D'où  la  curieuse  série  de  ces  recensions  anonymes,  les 
premières  d'époque  romaine,  les  dernières  d'époque  vandale, 
qui  seules  ont  échappé  au  naufrage  de  la  littérature  historique 
du  Donatisme. 

1)  Liher  (jcnealoqua,  428  et  628.  p.  r)28-,'")4"). 

2)  l'ati-'il.    lai.    (le    Migrie,    loine    âO,  '^}  Lilicr  (jcncaloiju!;,  Cy27. 


CHAPITRE  Vin 
LITTÉRATURE  ÉPISTOLAIRE 


I 

Activité  épistolaire  des  Donatistes  au  temps  d'Augustia.  —  Lettres  pasto- 
rales. —  Lettres  synodales.  —  Lettres  circulaires  des  primats.  —  Lettres 
d'évèques  donatistes  à  Primianus.  —  Lettres  des  seniores  de  l'Eglise  de 
Cartilage.  —  Ouvrages  eu  forme  de  lettre.  • — •  Correspondances  propre- 
ment dites.  —  Numidie.  —  Maurétanie.  —  Région  d'Hippone. 

La  littérature  épistolaire  semble  avoir  été  toujours  prospère 
et  féconde  dans  le  monde  donatiste,  où  l'on  aimait  à  se  sentir 
les  coudes,  où  l'on  était  toujours  prêt  à  partir  en  guerre  contre 
l'ennemi  commun,  et  où,  comme  il  arrive  chez  les  sectaires,  le 
dévouement  trop  exclusif  au  parti  avait  souvent  pour  consé- 
quence une  sorte  de  défiance  instinctive,  môme  à  l'égard  des 
amis,  une  suspicion  universelle,  un  régime  de  mutuelle  inquisi- 
tion. 

Dans  chaque  diocèse,  l'évèque  exerçait  une  surveillance 
jalouse  sur  les  prêtres  et  les  diacres  de  la  ville  ou  des  paroisses 
rurales,  sur  tous  les  clercs,  même  sur  les  laïques*.  A  tous,  il 
prodiguait  les  conseils  ou  les  menaces,  dans  des  admonesta- 
tions écrites  comme  dans  ses  homélies.  Fréquemment,  pour  les 
maintenir  ou  les  ramener  dans  la  bonne  voie,  il  lançait  des 
lettres  pastorales,  oii  la  parole  évangélique  éclatait  en  répri 
mandes.  D'un  diocèse  à  l'autre,  on  s'observait  d'un  air  méfiant, 
pour  prévenir  ou  réprimer  tout  manquement  aux  principes  du 
parti,  toute  complaisance  envers  l'Eglise  rivale.  A  la  moindre 
incartade,  au  moindre  soupçon,  se  croisaient  les  lettres  d'aver- 
tissement et  de  menace  ou  de  justification. 

Entre  les  primats  et  leurs  subordonnés,  se  poursuivait  une 
correspondance  encore  plus  active.  L'Église  de  Donat  eut  tou- 

])  On  sait  que  les  évêques  donatistes  vos    vester    populus    mittat,    laiidando 

gouvernaient     leurs     diocèses    en    des-  felices    appellant  et    bene  nominant   et 

potes,  et  inspiraient  à  leurs  fidèles    une  per  vos  jurant  et  persouas  vestras  jani 

vénération    idolâtrique.  Optât    disait   à  pro  deo  habere  noscunlur  »  (11,  21). 
ses  confrères  dissidents  :  «  Utinerrorem 


260  LITTÉHATURE    DONATISTE 

jours  une  centralisation  très  puissante,  avec  un  respect  supers- 
titieux de  la  hiérarchie.  Rien  ne  se  faisait  en  Nuniidie  sans 
l'agrément  du  chef  religieux  de  la  province.  Quant  au  chef 
suprême,  le  primat  de  Carthage,  c'était  un  dieu  pour  tout  le 
parti'.  D'un  bout  à  l'autre  de  l'i^frique,  sur  toutes  les  commu- 
nautés dissidentes,  il  exerçait  une  autorité  despotique  :  prompt 
toujours  à  notifier  des  arrêts,  à  ouvrir  des  enquêtes,  à  censurer 
des  collègues,  à  réprimander,  à  condamner,  à  lancer  l'ana- 
thème,  à  réprimer  toute  velléité  d'indépendance.  Dans  les  cas 
graves,  s'il  n'agissait  pas  en  son  nom  personnel,  il  s'abritait 
derrière  l'autorité  du  concile  :  de  ce  concile  qu'il  convoquait  et 
présidait,  dont  il  dirigeait  les  débats  à  sa  guise,  dont  il  inspi- 
rait et  souvent  rédigeait  lui-même  les  lettres  synodales'-. 

Ce  contrôle  incessant  qui  s'étendait  à  tous  et  à  tout,  du  haut 
en  bas  de  la  hiérarchie,  cette  surveillance  jalouse  de  l'évêque 
sur  ses  fidèles  et  son  clergé,  des  évêques  entre  eux,  des  primats 
sur  leurs  collègues,  et,  chez  tous  les  sectaires,  cette  enquête 
malveillante,  toujours  ouverte,  sur  les  actes  ou  sur  les  paroles 
des  Catholiques  comme  sur  l'attitude  des  magistrats,  donc  ce 
contrôle  universel  s'exerçait  par  divers  moyens.  Mais  l'instru- 
ment ordinaire,  c'était  la  lettre  :  lettres  de  protestations  aux 
autorites  civiles,  d'injures  aux  Catholiques,  de  conseils  ou  de 
reproches  aux  gens  du  parti,  parfois  de  dénonciation  ou  d'ana- 
thèmes,  toujours  de  récriminations  ou  de  menaces.  Jamais,  dans 
l'Eglise  de  Donat,  cette  littérature  n'a  été  plus  active  et  plus 
j'iche  qu'au  temps  d'Augustin  :  temps  d'épreuves  pour  le  parti, 
temps  de  luttes  passionnées,  de  querelles,  de  schismes  et  de 
persécutions. 

De  cette  littérature  épistolaire,  il  reste  peu  de  chose  :  du 
moins  en  ce  qui  concerne  les  correspondances  proprement  dites, 
au  sens  étroit  et  précis  du  mot'\  Les  fragments  conservés  n'en 
sont  pas  moins  nombreux  et  intéressants  ;  on  y  voit  se  dessiner 
des  figures  assez  curieuses  d'épistoliers,  dont  la  préoccupation 
ordinaire  était,  d'ailleurs,  de  se  dérober  -aux  avaWes  et  aux 
questions  des  Catholiques.  Mais,  avant  d'étudier  les  débris  de 
cette  littérature,  il  importe  d'en  circonscrire  nettement  le  do- 
maine, en  écartant  tout  ce  qui,  d'une  lettre,  a  seulement  le 
cadre:  lettres  pastorales  ou  synodales,  circulaires  des  primats 
et  pièces  analogues,  ouvrages  en  forme  de  lettre. 

1)  f)|)l;il,  ill,    3   ;    Aiijiustin,    Coiitni        ciles  dans  l'K^rlise  dniialisic.  \ oyez  plus 
Crcaconium,    II,  1,  2  ;    Enurr.    in    Psulin.        haut,  loinc  IV,  p.  145  et  suiv. 

(i:),  .")  ;  Scnnii  1!)7,  4.  3)  AbstracUoii  faite  des  ouvrages    ou 

2)  Sur  le   rôle   du  luiiiiat  et  dus  cou-       ilocuiucuts    en    forme    de  lettres,  dont 


CORRESPONDANCES 


261 


Des  lettres  pastorales  do  l'Église  donatiste,  nous  possédons 
un  spécimen  fort  intéressant  et  très  complet  dans  une  pièce, 
étudiée  plus  haut,  que  nous  avons  pu  reconstituer  intégrale- 
ment :  YEpistiiLd  ad  presbyteros  el  diacoiios,  ce  mandement 
original  et  agressif  que  Petilianus  de  Constantine  adressa,  vers 
399,  aux  prêtres  et  aux  diacres  de  son  diocèse  '.  Si  curieux  que 
soit  en  lui-même  ce  document,  il  ne  se  rattache  qu'en  appa- 
rence, surtout  par  l'en-tête,  à  la  littérature  épistolaire. 

A  plus  forte  raison  en  est-il  de  môme  pour  les  lettres  syno- 
dales. Ce  genre  de  pièces,  dans  l'Église  de  Donat,  apparaît  avec 
cette  Eglise  elle-même  :  témoin  la  synodale  par  laquelle,  en 
312,  le  concile  carthaginois  des  dissidents  notifia  aux  Eglises 
africaines  la  déposition  de  Caîcilianus  et  l'ordination  de  Majo- 
rinus^.  De  la  fin  du  quatrième  siècle  datent  plusieurs  pièces 
analogues.  L'une  d'elles  nous  est  parvenue  tout  entière  :  la 
synodale  maximianiste  de  Gabarsussa  en  393^.  D'autres  sont 
connues  par  des  analyses  et  des  fragments,  comme  les  syno- 
dales des  Maximianistes  de  Garthage  en  392'*  et  des  Primia- 
nistes  de  Bagaï  en  394  ^  Du  concile  donatiste  qui  siégeait  à 
Garthage  vers  le  milieu  de  l'année  411,  avant  la  réunion  et 
pendant  les  entr'actes  de  la  Gonférence,  émanent  trois  lettres 
au  président  Marcellinus,  qui  sont  intégralement  conservées  : 
la  Notaria  du  25  mai,  réponse  au  second  édit  du  commissaire '5; 
celle  du  2  juin,  qui  avait  pour  objet  de  réclamer  une  copie  du 
mandatam  des  Gatholiques";  celle  du  7  juin,  qui  contenait  une 
réfutation  détaillée  de  ce  mandatum^.  Ge  sont  là  des  docu- 
ments de  premier  ordre  pour  l'histoire  du  schisme,  mais  où  Ton 
ne  découvre  rien  qui  ressemble  à  une  correspondance. 

Même  observation  pour  une  autre  catégorie  de  pièces,  qui 
n'est  pas  sans  rapport  avec  la  précédente  :  les  lettres  circulaires 
des  primats.  On  se  rappelle  la  circulaire  impertinente  que 
Donat  le  Grand,  vers  347,  envoyait  à  toutes  les  Eglises  dona- 
tistes,  pour  leur  interdire  d'accepter  les  secours  des  commis- 
saires impériaux''.  Du  même  genre  était  la  circulaire  adressée 


plusieurs  nous  sont  parvenus  ou  ont  pu 
être  restitués. 

1)  Augustin,  Contra  litleras  PelUiani, 
I,  1  et  suiv.  ;  II,  1  et  suiv.  ;  Retract.,  Il, 
51.  —  Voyez  plus  haut,  tome  V,  Appen- 
dice I  ;  toini;    VI,  chap.  i,  §  2. 

2)  Optât,  I,  20  ;  Augustin,  Ad  Catho- 
Ucos  Epistula  contra  Donatistas,  25,  73  ; 
Brevic.  Collât.,  lll,  14,  2(1. 

3)  Augustin,  Sernio  II  in  l'salm.  30,  20. 

4)  Ibid.,  36,  II). 


5)  Contra  Cresconium,  III,  53,  59  ;  IV, 
10,  12;  32,  39;  Gesta  cum  Emerito,  10- 
11  ;  Contra  Gaudentium,  II,  7. 

6)  Collât.  Carthag.,  1,  14  ;  Augustin, 
Brevic.  Collât.,  I,  4. 

7)  Collât.  Carthag.,  II,  12  ;  Augustin, 
Brevic.  Collât.,  II,  2. 

8)  Collât.  Carthag.,  III,  258;  Augus- 
tin, Brevic.  Collât.,  III,  8,  10-14;  Ad 
Donatistas  post  Collât.,  29,  49. 

9)  Optât,  III,  3. 


262  LITTÉRATURE    DONATISTE 

par  Primianus,  vers  la  fin  de  403,  à  tous  les  évêqiies  de  son 
parti,  pour  leur  notifier  sa  réponse  négative  à  Aurelius  de  Car- 
tilage sur  le  projet  de  conférence  i.  Au  début  de  411,  le  même 
Primianus,  qui  ne  se  piquait  pas  de  logique,  lançait  une  circu- 
laire toute  différente,  où  il  engageait  ses  subordonnés  à  accep- 
ter la  conférence  contradictoire,  et  où  il  les  pressait  de  se 
rendre  sans  délai  à  Cartilage 2.  Ces  pièces,  dont  nous  avons 
quelques  fragments,  ne  doivent  pas  non  plus  nous  arrêter  ici, 
ces  lettres  circulaires  n'étant  que  des  circidaires. 

Les  notifications  du  primat  impliquaient  naturellement,  pour 
les  subordonnés,  le  droit  de  réponse.  Parfois,  elles  exigeaient 
un  accusé  de  réception.  La  circulaire  de  Primianus,  au  début 
de  411,  provoqua  des  centaines  de  réponses,  par  lesquelles  les 
évéques  donatistes  annonçaient  au  chef  leur  prochain  départ  ou 
s'excusaient  en  alléguant  des  raisons  diverses-^.  A  l'occasion, 
dans  les  circonstances  graves,  l'initiative  de  ces  correspon- 
dances officielles  pouvait  venir  des  subordonnés,  même  des 
laïques.  C'est  ain-si  que,  vers  la  fin  de  392,  les  notables  de  la 
communauté  carthaginoise,  membres  du  conseil  des  seniores, 
écrivirent  à  leur  évêque  pour  protester  contre  l'excommunica- 
tion de  Maximianus  et  d'autres  diacres.  Un  peu  plus  tard,  ne 
pouvant  obtenir  satisfaction,  les  mêmes  seniores  envoyèrent 
une  supplique  à  tous  les  évéques  donatistes,  pour  demander 
une  enquête  sur  la  conduite  du  primat*.  Dans  tout  cela, 
encore,  il  s'agit  moins  de  lettres  proprement  dites  que  de  pièces 
administratives,  requêtes  ou  accusés  de  réception. 

Enfin,  les  Donatistes,  comme  d'ailleurs  les  Catholiques, 
donnaient  volontiers  à  leurs  traités  de  controverse  la  forme 
d'une  lettre.  Dès  longtemps,  les  protagonistes  de  la  secte 
avaient  adopté  ce  cadre  commode  :  témoin,  vers  336,  Donat  le 
Grand  et  son  Epistula  de  b(tplismo\  ou,  vers  378,  Pai-menia- 
nus  et  son  Epislula  ad  TyconiuDi  ''.  De  même,  au  début  du 
cinfjuième  siècle,  les  longs  ouvrages  où,  tour  à  tour,  Petilianus 
de  Constantine,  le  grammairien  Cresconius,  Gaudentius  de 
Thamugadi,  s'efforcèrent  de  réfuter  l'évêque  d'Ilippone,  se 
présentaient  au  public  dans  le  cadre  d'une  «  Lettre  à  Augustin 
—  Epislula  ad  AugiisLinufn~'  ».  Lettres,  si   l'on  veut,  par  \\\ 


1)  AiifiusLin,  Scrmo  11  in  Psalm.  36,18.  fi)  Episl.  î)3,    10,  43-45  ;  Contrit    Epis- 

2)  Ad  Dundlistus  po&i   Colbil.,  24,   41.  lulnni  l'arnieniuni,  I.  1. 

3)  CollaL  Carlhiuj.,  I,  133.  7)  fU-lracl.,  Il,  51-52  el  85  ;  Contra  lit 

4)  Aiif^iistiii,  Scrmo    II    in    I\<tilni.  3(1,  /c/v/.s-    l'eliliani,  III,     1   ot    suiv.  ;   Contrit 
20.  (U'i'sconiiim,    I,    1  cl  siii\.  ;  Contra  Gaii- 

5)  Retract.,  I,  20.  dentinm.  II.   1  et  suiv. 


CORRESPONDANCES  263 

forme,  par  l'allure  très  personnelle  de  certaines  discussions  et 
des  invectives  ;  mais  véritables  traités  de  controverse,  traités 
par  l'intention,  par  la  méthode,  par  le  fond  et  la  portée. 

Donc,  malgré  les  apparences,  toutes  ces  œuvres  polémiques 
et  tous  ces  documents  d'histoire,  traités  en  forme  de  lettre,  cir- 
culaires ou  autres  pièces  administratives,  lettres  pastorales  ou 
synodales,  tout  cela  ne  relève  pas  vraiment  de  la  littérature 
épistolaire.  Nous  ne  devons  retenir  ici  que  les  correspondances 
proprement  dites,  où  prédomine  l'élément  personnel,  où  l'on 
voit  en  présence  les  individns  autant  et  plus  que  les  doctrines 
et  les  principes.  Sans  doute,  l'inspiration  y  est  la  môme  que 
dans  les  pièces  plus  ou  moins  officielles  ;  c'est  le  môme  esprit 
sectaire,  les  mêmes  préoccupations,  le  même  fanatisme.  Mais 
l'objet  est  différent,  ainsi  que  le  ton,  l'allure  du  développement, 
les  dimensions  et  les  proportions.  La  correspondance  nait  d'un 
incident  tout  personnel  ;  et  elle  vise  réellement  à  instruire  ou  à 
convaincre  des  individus,  à  les  féliciter  ou  à  les. blâmer.  Bref, 
si  le  Donatisme  est  encore  et  toujours  à  l'arrière-plan,  ce  qu'on 
trouve  au  premier  plan,  ce  sont  les  personnes. 

Ainsi  définie,  la  lettre  tenait  depuis  longtemps  une  place 
importante  dans  la  société  donatiste.  Elle  y  apparaît  même 
avant  la  rupture  complète  :  dans  la  correspondance  de  Secun- 
dus,  l'évêque  de  Tigisi,  avec  Mensurius  de  Carthage  '.  Un  peu 
plus  tard,  après  la  rupture,  nous  avons  rencontré  tout  un 
groupe  de  correspondances  entre  schismatiques,  pleines  de  se- 
crets compromettants,  qui  furent  révélées  au  public  par  un 
procès  retentissant  :  ces  curieuses  lettres  d'évêques  numides, 
de  Purpurins,  de  Fortis,  de  Sabinus,  qui  furent  produites 
en  320  à  l'audience  de  Thamugadi,  et  qui  nous  ont  été  con- 
servées dans  le  dossier'-.  Vers  le  milieu  du  quatrième  siècle, 
Donat  le  Grand  écrivait  au  préfet  Gregorius  et  à  l'empereur 
Constant  des  lettres  d'une  impertinence  savoureuse '^  tandis 
que  les  billets  laconiques,  mais  truculents,  d'Axido  et  de  Fasir, 
chefs  des  Circoncellions,  allaient  effaroucher  au  fond  de  leurs 
villas  les  riches  propriétaires  de  Numidie  ^. 

Pendant  les  dernières  années  du  quatrième  siècle  et  les  pre- 
mières du  cinquième,  les  nécessités  de  la  lutte  contre  le  schisme, 
puis  contre  les  menaces  de  persécution,  eurent  pour  effet  de  dé- 
velopper, sous  toutes  les  formes,  l'activité  épistolaire  des  Do- 
natistes.  A  cette  période  appartiennent  toutes  ces  pièces  dont 

1)  Brevic.  Collât.,  III,  13,  25  et  suiv.  3)  Optât,  III,  3. 

2)  Gesta  upiid  Zenophilum,  p.  189-192  4)  Ibid.,  III,  4. 
Ziwsa, 


264  LITTÉRATURE    DONATISTE 

nous  avons  parlé,  et  dont  plusieurs  nous  sont  parvenues  en  en- 
tier :  les  synodales  de  Cabarsussa  et  de  Bagaï,  la  lettre  pasto- 
rale de  Petilianus,  les  circulaires  de  F*rimianus,  les  trois  lettres 
du  concile  carthaginois  de  411,  sans  compter  les  ouvrages  en 
forme  de  lettre'.  Mais  les  correspondances  proprement  dites 
des  dissidents  se  sont  beaucoup  moins  bien  conservées.  Nous 
ne  possédons  dans  son  ensemble  aucune  lettre  privée  d'un  Do- 
natiste.  C'est  d'après  des  fragments  ou  des  analyses,  qu'on 
peut  se  faire  quelque  idée  de  telle  ou  telle  correspondance  au- 
jourd'hui .perdue. 

Ces  fragments  authentiques  et  les  renseignements  complé- 
mentaires nous  sont  parvenus  dans  l'œuvre  d'Augustin.  C'est 
dire  qu'ils  se  rapportent  presque  exclusivement  aux  relations 
épistolaires  des  schismatiques  avec  les  Catholiques,  surtout 
avec  l'évêque  d'Hippone.  L'objet  de  ces  lettres  était  toujours  à 
peu  près  le  même  :  discussions  sur  le  schisme,  plaintes  contre 
les  violences  et  les  persécutions,  résistance  agressive  ou  pas- 
sive aux  efforts  vainement  tentés  pour  rétablir  l'unité  religieuse. 

Partout,  dans  ces  correspondances  donatisfes,  nous  rencon- 
trerons Augustin  :  chose  naturelle,  puis([ue  c'est  par  lui  que 
nous  connaissons  les  lettres  ou  les  démarches  de  ses  adver- 
saires. Mais  ce  n'est  pas  la  correspondance  d'Augustin  en  elle- 
même,  et  dans  tous  ses  rapports  avec  le  Donatisme,  que  nous 
entendons  étudier  ici.  Nous  laisserons  de  côté  toutes  les  lettres, 
relatives  au  schisme,  qui  sont  adressées  à  des  Catlioliques  ou  à 
des  magistrats'.  Nous  ne  retiendrons  que  les  lettres  écrites 
par  des  Donatistes  ou  à  des  Donatistes.  Ce  qui  nous  intéresse 
ici,  c'est  la  littérature  épistolairc  des  schismatiques  du  temps. 
Nous  y  verrons  défiler  une  série  de  figures  assez  curieuses,  que 
nous  n'avons  pas  rencontrées  jusqu'ici,  ou  (jue  nous  avons  à 
peine  entrevues,  parce  que  ces  gens-là  n'ont  pas  fait,  dans 
d'autres  domaines,  œuvre  littéraire.  Même  ici,  nous  constate- 
rons que  plusieurs  des  correspondants  d'Augustin  cherchaient 
surtout  à  se  dérober.  Il  n'en  est  pas  moins  intéressant  de 
savoir  pourquoi  et  comment  ils  se  dérobaient  :  refuser  de  ré- 
pondre, c'est  encore  une  façon  de  répondre. 

Les  correspondances  donatistes  du  temps  d'Augustin  se  ré- 
partissent sur  une  trentaine  d'années,  de  392  à  423  environ. 
Nous  les  étudierons  ici  région  par  région,  en  combinant  d'ordi- 
naire, pour   cha(|ue    série,  l'ordre  cluvjuologique  avec    l'ordre 

1)  Sur  ces  dociimerils  et  ces  ouvrages       i-iii  et  v. 
cil    forme  df    Icllro,  xtye/    plus   haut  :  2)    Sur    ces    corrt'spou<I;mct's,    voyez 

l(jmo  IV    (docuun'iits)  ;  louie   M,  cliap.        plus  loin,  tome  VII,  cliap.  i,  |  4^.' 


CORRESPONDANCKS  2G5 

géographi(jue.  Nous   y  distinguerons    trois    groupes  :    région 
d'Hippone,  Numidie,  Maurétanie. 


II 

Correspondances  donatistes  dans  la  région  d'Hippone.  —  Les  évoques  schis- 
maliques  d'Hippone.  —  Proculeianns.  —  Ses  démêlés  avec  Augustin  et 
les  lettres  qui  s'y  rapportent.  —  Ses  réponses  et  ses  refus  de  répondre. 
—  Macrobius  d'tlippone.  —  Ses  réponses  à  Augustin.  —  Autres  corres- 
pondants d'Augustin  dans  la  région  d'Hippone.  —  Maximinus  de  Sini- 
tum.  —  Lettres  de  prêtres  schismatiques.  —  Celer.  —  Correspondances 
avec  des  convertis.  —  Donatus  de  Mutugenaa.  —  Lettres  des  Donatistes 
convertis  de  Fussala.  —  Plaintes  à  Augustin  contre  leur  évêque  Anto- 
nius.  —  Plaintes  au  pape  Cœlestinus  contre  Augustin.  —  Une  religieuse 
donatiste  convertie  :  lettres  de  Felicia.  —  Intérêt  historique  et  psycho- 
logique de  ces  correspondances. 

Au  premier  rang  des  correspondants  d'Augustin,  figurent 
deux  Donatistes  de  marque,  qui  ont  été  l'un  après  l'autre,  dans 
sa  ville  épiscopale,  ses  collègues  et  ses  rivaux  :  deux  évèques 
schismatiques  d'Hippone,  Proculeianus  et  Macrobius  '. 

Beaucoup  plus  âgé  qu'Augustin,  et  depuis  longtemps  à  la 
tète  de  la  communauté  dissidente,  Proculeianus  le  prenait  de 
haut  avec  son  jeune  confrère  catholique,  qu'il  traitait  de 
a  conscrit  —  tiro  '-».  Il  était  peu  instruit  ;  on  nous  dit  qu'il 
«  n'avait  pas  étudié,  ou  n'avait  guère  étudié,  les  sciences  libé- 
rales ■'■  ».  C'était,  d'ailleurs,  un  honnête  homme,  dont  on  van- 
tait la  bonté  et  l'affabilité.  :  qualités  rares,  et  d'autant  plus  es- 
timables, chez  un  Donatiste^'. 

Même  à  l'égard  des  Catholiques,  Proculeianus  passait 
d'abord  pour  être  assez  conciliant.  On  croyait  découvrir  en 
lui  «  quelques  indices  de  dispositions  pacifiques  »  ;  on  ne  déses- 
pérait pas  de  le  voir  «  s'attacher  à  la  vérité,  quand  elle  lui  aurait 
été  démontrée  "M).  Le  bruit  courait  dans  Hippone  qu'il  n'était 
pas  hostile  à  l'idée  de  discussions  courtoises  avec  son  collègue 
catholique.  C'est  ce  qui  donna  confiance  à  Augustin,  et  ce  qui 
le  décida  à  saisir  la  première  occasion  d'entrer  en  correspon- 
dance avec  le  Donatiste. 

L'occasion  se  présenta  dès  les  premiers  mois  de  l'épiscopat 
d'Augustin,  vers  le  début  de  396,  quand  il  était  encore  simple 
coadjuteur  de    Valerius  '^.  Son  élève  et  ami  Evodius  rencontra 

1)  Auf;iislia,  Ep'isl.  33-35  ;  106-108.  4)  Episl.  33,  6. 

2)  Epist.  34,  6.  5)  Ibid.,  33,  1. 

3)  Ibid.,  34,  G.  6)  Ibid.,  33,4. 


266  LITTÉRATURE    DOjN'ATISTE 

l'évêque  schismatique  dans  une  maison  neutre.  Au  cours  d'une 
conA'ersation  sur  le  schisme,  Proculeianus  laissa  entendre  qu'il 
«  voulait  conférer  avec  Augustin  en  présence  de  notables'  ». 
C'est  du  moins  ce  que  comprit  son  interlocuteur  :  peut-être' 
celui-ci  avait-il  mal  compris  ou  forcé  la  note.  En  tout  cas,  dès 
le  lendemain,  Proculeianus  sembla  craindre  de  s'être  trop 
avancé  ;  il  se  plaignit  même  de  certains  mots  un  peu  vifs  qui 
avaient  échappé  à  Evodius  pendant  leur  entretien  '-. 

Sur  ces  entrefaites,  il  reçut  une  lettre  d'Aug-ustin  ^.  Ce  fut 
le  début  de  leurs  relations,  destinées  à  devenir  de  moins  en 
moins  courtoises,  de  plus  en  plus  orageuses.  La  lettre,  adressée 
«  au  seigneur  honorable  et  très  cher  Proculeianus  »,  avait 
pour  objet  d'amener  le  Donatiste  à  une  controverse.  Elle  com- 
mençait par  des  compliments  et  un  appel  à  la  concorde.  Au- 
gustin expliquait  pourquoi  il  croyait  devoir  traiter  avec  hon- 
neur le  chef  de  l'Eglise  rivale'*.  Il  faisait  allusion  à  la  conver- 
sation avec  Evodius,  aux  propos  du  Donatiste  sur  l'éventua- 
lité d'une  conférence^  ;  il  cherchait  à  excuser  les  Advacités  de 
son  ami  le  jeune  clerc  s.  H  déclarait  ensuite  qu'il  acceptait  le 
projet  de  controverse,  dans  les  conditions  que  fixerait  Procu- 
leianus :  discussion  publique  ou  privée,  devant  qui  l'on  vou- 
drait, ou  par  lettres,  sous  la  seule  réserve  que  l'on  dresserait 
un  procès-verbal  du  débat  ou  que  l'on  publierait  les  lettres  en 
les  communiquant  aux  fidèles  des  deux  communautés  ".  Pour 
décider  le  Donatiste,  x\ugustin  traçait  un  éloquent  tableau  des 
misères  nées  du  schisme  africain,  des  malentendus  et  du 
trouble  causés  dans  les  familles  par  la  divergence  des  deux 
communions  ;  il  pressait  son  collègue  de  consentir  à  discuter, 
pour  préparer  les  voies  à  une  réconciliation*^.  Il  terminait  par 
un  éloquent  appel  à  la  bonté  bien  connue  de  son"  correspon- 
dant \ 

A  cette  lettre  si  pressante,  Proculeianus  ne  se  pressa  guère 
de  répondre.  A  quelque  temps  de  là,  il  déclara  pourtant  qu'il 
accepterait  une  controverse,  oii  les  deux  évêques  seraient  as- 
sistés chacun  par  dix  notables  de  son  Eglise,  et  où  l'on  produi- 
rait seulement  des  textes  sacrés  :  «  Pour  éviter,  dit-il,  le  tu- 
multe de  la  foule,   nous  pourrions  nous  adjoindre   chacun  dix 

1)  £'/»/sl'.  33,  2.  que  des  ronscipriiemcnts  indirects. 

2)  Ibid.,  33,  3.  4)  Augustin,  Episl.iS,  1. 

3)  Episl.  33.  —  Possidius  mentionne  5)  Ibid.,  33,  2. 
quatre  lellrcs  d'Au^rustiii  ad  Proridcia-  6)  /'</</.,  33,  3. 
nuin  (Possidius,  Indic.  oper.Awjiistini,'6).  7)  Ibid.,  33,4. 
Une  scide  nous  est  parvenue.  Sur  le  8)  Ibid.,  33,  ô. 
reste  de  la  correspondance, nousii'a\ons  '.))  Ibid.,  33,  G. 


CORRESPONDANCES  267 

hommes  graves  et  honorables  de  notre  parti,  et  discuter  selon 
les  Ecritures,  pour  chercher  où  est  la  vérité  '.  »  Mais  plus 
tard,  comme  on  revenait  à  la  charge,  on  le  vit  se  dérober.  Il 
répondit  sur  un  ton  impertinent,  parlant  d'Augustin  :  «  Pour- 
quoi n'est-il  pas  allé  à  Constantine,  où  beaucoup  de  nos  évêques 
étaient  réunis  ?  Maintenant,  il  peut  aller  à  Milev,  où  nous 
allons  bientôt  tenir  concile''^.  »  Au  fond,  le  Donatiste  redoutait 
la  science  et  la  dialectique  de  son  confrère  ^  x^lors  survint  l'in- 
cident, puis  la  demande  d'enquête,  dont  nous  allons  parler. 
Déjà  mal  disposé,  Proculeianus  devint  décidément  hostile.  Jus- 
que-là, il  se  contentait  de  ne  pas  répondre  aux  lettres  d'Au- 
gustin ;  désormais,  il  refusa  môme  de  les  recevoir  ^.  Pour  at- 
teindre son  collègue  schismatique,  pour  lui  transmettre  ses 
propositions  ou  ses  plaintes,  l'évoque  catholique  dut  recourir  à 
des  intermédiaires. 

Un  gros  scandale  mit  en  émoi  les  honnêtes  gens  d'Hippone, 
sauf  les  sectaires  qu'aveuglait  le  parti-pris.  Un  jeune  Catho- 
lique, d'une  paroisse  rurale,  avait  été  sévèrement  réprimandé 
par  son  évêque,  pour  avoir  battu  sa  mère,  qu'il  avait  même 
menacée  de  mort.  Irrité  par  ces  réprimandes,  le  jeune  brutal 
s'était  fait  donatiste  ;  il  avait  été  aussitôt  rebaptisé  par  le  prêtre 
schismatique  de  l'endroit,  un  certain  Victor"'.  Augustin  déposa 
une  plainte,  en  invoquant  les  lois  qui  interdisaient  le  second 
baptême.  Dans  l'enquête,  que  dirigeaient  les  magistrats  d'Hip- 
pone, le  prêtre  Victor  allégua  pour  sa  défense  les  instructions 
de  son  évêque 'J.  Il  se  trouva  des  gens  pour  contester  l'exacti- 
tude du  procès-verbal  :  le  prêtre,  disait-on,  n'avait  pas  fait  la 
réponse  qu'on  lui  prêtait,  pas  plus  que  l'évêque  n'avait  donné 
ce  genre  d'instructions".  Augustin  demanda  donc  une  nouvelle 
enquête,  sur  le  rôle  joué  par  Proculeianus  en  cette  affaire. 

Il  s'adressa  au  plus  haut  fonctionnaire  de  la  région  :  Euse- 
bius,  un  personnage  de  rang  sénatorial,  un  vii-  clarissi- 
iniis^,  qui  était  sans  doute  légat  du  proconsul  pour  la  Numi- 
die  proconsulaire,  et  qui  passait  pour  être  l'ami  de  Proculeia- 
nus''. Il  lui  envoya  d'abord  une  députation  de  notables  i'^.  Puis, 
il  lui  exposa  sa  requête  dans  une  lettre,  qui  nous  est  parvenue  : 
il  le  priait  de  convoquer  l'évêque  donatiste  pour  l'inviter  à 
s'expliquer,  et  il  profitait  de  l'occasion  pour  renouveler  ses  pro- 

1)  Ëpist.  3i,  5.  fi)  Episl.  34,  4-5  ;  35,  1. 

2)  Ibid.,  34,  5.   -  7)  Epist.  34,  4. 

3)  Ibid.,  34,  6.  '  8)  Ibid.,  34,  5. 
4j  Episl.  35,  1.  9)  Epist.  35,  1. 
5)  Epist.  34,  2  et  5.                                           10)  Epist.  34,  5. 


268  LITTÉRATURE    DOiNATlSTE 

positions  de  conférence.  Malgré  son  amour  de  la  paix,  disait-il, 
il  ne  pouvait  tolérer  les  attentats  sacrilèges  des  dissidents'.  Il 
racontait  en  détail  toute  l'aïfaire,  insistait  sur  l'indignation 
qu'elle  avait  causée  '-.  L'enquête  avait  paru  établir  que  Procu- 
leianus  avait  donné  l'ordre  de  rebaptiser  le  coupable  ;  mais  on 
contestait  le  fait'^.  Augustin  demandait  donc  au  magistrat 
d'ouvrir  une  contre-enquête  pour  établir  la  vérité^.  Il  ajoutait 
qu'il  était  toujours  prêt  à  discuter  dans  une  conférence  pu- 
blique, mais  qu'il  jugeait  inutile  d'en  référer  à  un  concile,  l^ro- 
culeianus  n'avait  aucune  raison  de  refuser  cette  controverse. 
Avait-il  peur  de  son  collègue  d'Hippone,  dont  il  incriminait  la 
dialectique  ?  En  ce  cas,  Augustin  pourrait  se  faire  remplacer 
par  uu  de  ses  confrères  des  environs,  notamment  par  l'évêque 
Samsucius'. 

Cette  lettre  et  la  demande  d'enquête  n'eurent  pas  le  succès 
attendu.  La  réponse  d'Eusebius  trahissait  l'impatience,  et  se 
résumait  en  un  refus  assez  sec,  dont  les  termes  étaient  tout  juste 
polis.  Evidemment,  le  fonctionnaire  craignait  de  se  compro- 
mettre lui-même,  en  intervenant  dans  une  contestation  d'ordre 
religieux,  qui,  par  surcroit,  pouvait  compromettre  son  ami 
Proculeianus.  Son  premier  souci  fut  de  justifier  le  Donatiste.  Il 
répondit  à  Augustin,  au  sujet  de  l'attentat  du  jeune  gredin  : 
«  Si  Proculeianus  l'avait  su,  il  aurait  interdit  de  recevoir  dans 
sa  communion  un  jeune  homme  si  criminel.  »  Quant  à  la 
contre-enquête,  il  déclara  net  qu'il  n'avait  pas  à  prononcer  de 
«  jugements  entre  évêques  '  ». 

Cette  fois,  Augustin  fut  tout  près  de  se  fâcher.  Un  le  voit 
bien  au  ton  assez  vif  de  la  nouvelle  lettre  f[u'il  adressa  aussitôt 
à  Eusebius,  et  que  nous  possédons  également.  Il  j-épliquait 
qu'il  n'avait  pas  demandé  un  «jugement  »  :  il  avait  seulement 
invité  le  magistrat  à  poser  une  question  et  à  communiquer  la 
réponse^.  Il  dénonçait  de  nouveaux  méfaits  des  Donatistes  : 
notamment,  l'insolence  d'un  prêtre  qui  l'avait  injurié  lui-même 
pendant  une;  de  ses  tournées''.  Il  priait  Eusebius  de  nutifii'r  à 
Proculeianus  ces  nouvelles  plaintes  avec  la  précédente,  et  de 
transmettre  les  réponses  '".  En  cas  de  refus,  il  menaçait  d'inten- 
ter devant  les  tribunaux  une  véritable  action  judiciaire  ".  On  ne 


1)  /'r/f/s/.  ;?4,  1.  7)  Cl  .liidiciuiii  iiil(,'r  ('[liscupus  »  {iliid., 

2)  ibid.,  H4,  2-;^.  ■^:,,  i). 

3)  Ibid., -M,  4.  8)  Eiiist.  :«,  1. 

4)  tbid.,  34,  r>.  î»)  Ihid.,  35,  2-4. 

.■))  Ihid.,  34,  .-)-r>.  10)  Ihid.,  3.-.  :.. 

(i)  Eiù.'it.  3.-,,  1.  '  ]])  Ihid.,  3.-.,  3. 


CORRESPONDANCES  269 

sait  comment  finit  l'affaire.  Il  semble  bien  que  môme  la  ci'ainte 
d'un  procès  n'ait  pas  décidé  l'évêque  donatiste  à  répondre. 

Durant  les  six  années  qui  suivirent,  les  relations  épistolaires 
ou  autres  paraissent  avoir  été  complètement  suspendues  entre 
les  deux:  évéques  rivaux  d'Hippone.  Mais,  en  403,  Augustin 
renouvela  ses  tentatives.  II  réussit  du  moins  à  faire  parler  son 
adversaire,  et  même  à  quatre  reprises. 

Vers  le  début  de  403,  on  reçut  à  Hippone  la  nouvelle  d'un 
odieux  attentat,  commis  par  des  Donatistes  dans  un  bourg  du 
diocèse,  à  Yictoriana.  Le  prêtre  Restitutus,  un  ancien  schisma- 
tique  rallié  à  l'Eglise,  avait  été  brusquement  attaqué  dans  sa 
maison  par  une  bande  de  Girconcellions,  que  dirigeaient  des 
clercs.  On  l'avait  emmené  de  force,  meurtri  à  coups  de  bâtons, 
roulé  dans  la  fange  d'un  marais,  affublé  d'un  manteau  de  joncs. 
Puis,  sous  ce  grotesque  accoutrement,  on  l'avait  promené  à 
travers  les  campagnes,  sans  que  personne  osât  intervenir.  On 
l'avait  relâché  seulement  au  bout  de  douze  jours,  par  crainte  de 
la  police'.  Dès  qu'il  eut  connaissance  de  ces  faits,  Augustin 
déposa  une  plainte.  Convoqué  devant  les  magistrats  d'Hippone, 
et  sommé  par  son  collègue  catholique  de  châtier  les  coupables, 
Proculeianus  se  tira  d'affaire  par  des  réponses  évasives.  II  ne 
fit  même  pas  d'enquête.  Invité  de  nouveau  à  comparaître,  il  se 
présenta  en  effet,  mais  pour  déclarer  qu'il  ne  dirait  rien  de 
plus'.  C'était  peu.  Il  agit  encore  moins. 

La  scène  recommença  quelques  mois  plus  tard  :  cette  fois,  en 
vertu  des  décisions  prises  à  Carthage  par  le  concile  du  25  août. 
On  se  souvient  que,  dans  toutes  les  cités  oîi  les  deux  Eglises 
étaient  en  présence,  l'évêque  catholique  devait  négocier  avec 
son  collègue  schismatique,  et,  par  devant  les  autorités  munici- 
pales, le  mettre  en  demeure  d'accepter  le  principe  d'une  confé- 
rence générale  entre  les  deux  partis.  A  Hippone,  il  y  eut  deux 
entrevues  successives,  toutes  deux  sur  la  requête  d'Augustin. 
Une  première  fois,  au  début  de  l'automne,  Proculeianus  fut 
convoqué  devant  les  magistrats.  A  la  notification  de  son  col- 
lègue catholique  sur  le  projet  de  conférence,  il  répondit  qu'il 
ajournait  sa  réponse  :  «  Nous  allons  tenir  concile,  dit-il,  et  nous 
verrons  là  ce  que  nous  devons  répondre  3,  »  Après  le  synode 
des  schismatiques,  nouvelle  convocation  :  le  Donatiste  déclara 
net,  en  quelques  mots,  qu'il  refusait  la  conférence'*. 

Ce  sont  les  derniers  mots  connus  de  Proculeianus,  qui  déci- 

1)  Epist.    88,    (•>;  lOô,    2,  3 ';    Contra       Ëpist.  88,6. 
Cresconium,  III,  48,  53.  8)  Eplst.  88,  7. 

2)  Contra    Cresconium,    111,    48,   53  ;  4)  Ibid.,'8S,  7. 

VI.  18 


270  LITTÉRATURE    DONATISTE 

dément  n'était  pas  bavard,  du  moins  avec  les  Catholiques. 
Pourtant,  il  dut  protester,  vers  406,  quand  on  confisqua  sa  ba- 
silique d'Hippone  '.  Il  mourut  quelques  années  plus  tard,  vers 
409.  Vainement  Augustin,  depuis  le  début  de  son  épiscopat, 
avait  multiplié  les  lettres  et  les  avances.  Le  Donatiste  avait 
commencé  par  ne  pas  répondre  aux  lettres  ;  il  avait  continué 
en  refusant  de  les  reccA'oir.  Dès  lors,  il  avait  opposé  à  son  ad- 
versaire un  silence  farouche  ;  il  ne  parlait  plus  que  par  force, 
contraint  par  la  loi,  et  même  alors,  devant  les  magistrats,  cher- 
chant à  se  dérober.  A  en  juger  par  les  relations  épistolaires  ou 
autres  des  deux  évéques  rivaux,  on  pourrait  supposer  que  Pro- 
culeianus  était  devenu  successivement  aveugle,  puis  sourd,  puis 
muet  :    c'est  qu'il  devenait  de  plus  en  plus  intransigeant. 

Du  premier  coup,  son  successeur  atteignit,  en  face  d'Au- 
gustin, à  la  perfection  de  l'intransigeance  donatiste.  C'est  vers 
l'année  409  que  Macrobius  remplaça  Proculeianus  2.  Les  Catho- 
liques d'Hippone  crurent  d'abord  qu'ils  pourraient  plus  facile- 
ment s'entendre  avec  le  nouveau  chef  des  dissidents.  Macrobius 
passait  alors  pour  un  homme  de  sens  et  de  mérite.  On  lui  re- 
connaissait du  talent,  de  l'éloquence''  ;  on  le  considérait  comme 
«  un  jeune  homme  de  bonne  nature^  »  ;  on  louait  ses  «  bonnes 
dispositions''  ».  Telle  était  sa  réputation  au  début  de  son  épis- 
copat. Mais  cliez  lui,  comme  chez  bien  d'autres  sectaires,  les 
bonnes  intentions  ne  tenaient  pas  devant  la  doctrine  et  le  mot 
d'ordre  du  parti.  Macrobius  était  un  homme  à  principes  :  à 
principes  strictement  donatistes.  La  raison  n'avait  pas  sur  lui 
de  prise,  parce  que  toujours  il  se  retranchait  derrière  les  tra- 
ditions et  la  discipline  de  son  Eglise.  Qu'il  fût  ou  non  intran- 
sigeant de  nature,  tel  il  se  montra  dès  ses  premiers  actes 
d'évêque,  tel  il  se  révéla  de  plus  en  plus.  Les  Catholiques  du 
diocèse  allaient  bientôt  s'en  apercevoir,  et  même  certains  de  ses 
fidèles. 

A  peine  élu,  Macrobius  fit  une  entrée  solennelle  dans  sa 
bonne  ville  d'Hippone.  On  le  vit  arriver  en  grande  pompe, 
comme  en  triomphe,  avec  une  escorte  guerrière  et  menaçante, 
au  milieu  des  bandes  sauvages  de  Cii'concellions,  que  com- 
mandaient ou  suivaient  des  clercs  fanatiques.  Et  tous  ces 
«  Saints  »,  comme  ils  s'appelaient  eux-mêmes,  hurlaient  des 
cantiques,   (ju'iis  entrecoupaient   de   leur   sinistre   refrain   Deo 


1)  rtelract.,  Il,  :>:{,  1.  8)  /-.'pis/.  lOS,  C,  Kî. 

•2}  Eiiiil.  JU7  ;108,  :>,  14;  1U8,  tJ,   lltet  4)  Il>id.,  108,  1,  2. 

suiv.  5)  llml.,  108,  2,  4. 


CORRESPONDANCES  271 

Laudes  :  ce  refrain  redouté  dans  les  campagnes  comme  le  ru- 
gissement du  lion  '. 

Les  braves  gens  d'Hippone  durent  croire  que  le  Diable  venait 
s'installer  chez  eux  avec  tous  les  suppôts  de  l'Enfer.  Macrobius 
était  pourtant  un  honnête  homme,  qui,  personnellement,  ré- 
prouvait la  violence.  Il  eut  même  le  courage  de  déclarer  net 
qu'il  condamnait  les  attentats  de  tout  genre.  A  quelque  temps 
de  là,  dans  un  sermon,  il  osa  dire  leurs  vérités  à  ses  amis  les 
Girconcellions  ;  il  les  malmena  si  bien,  qu'ils  n'attendirent  pas 
la  fin  du  discours,  et  qu'ils  partirent  «  furibonds-  ».  Il  alla  plus 
loin  encore  :  il  annonça  qu'il  ferait  des  quêtes  et  ouvrirait  des 
souscriptions  pour  indemniser  les  victimes  des  «  Saints  »,  tous 
ces  propriétaires  lésés  par  les  incendies  ou  les  pillages''. 

Cette  modération  relative  s'expliquait  sans  doute,  avant  tout, 
par  les  circonstances  et  par  l'intérêt  bien  compris  de  la  secte, 
par  le  désir  d'apaiser  l'opinion  publique  qui  réclamait  des  me- 
sures de  répression.  Mais  elle  semblait  attester  aussi  la 
«  bonne  nature  »,  les  «  bonnes  dispositions  »,  du  successeur  de 
Proculeianus^.  C'est  ainsi  qu'Augustin  se  représentait  alors 
son  jeune  collègue  ;  et  c'est  sous  cette  impression,  qu'il  entra 
en  correspondance  avec  lui. 

L'occasion  de  cette  correspondance  fut  encore  une  histoire  de 
baptême.  Un  sous-diacre  catholique  d'une  paroisse  rurale,  un 
certain  Rusticianus,  avait  été  excommunié  par  son  prêtre  à 
cause  de  ses  mauvaises  mœurs.  Pour  se  venger,  et  aussi, 
comme  il  était  criblé  de  dettes,  pour  dépister  ses  créanciers 
avec  l'aide  des  Girconcellions,  il  était  passé  à  l'Eglise  de 
Donat^.  La  communauté  schismatique  l'avait  accueilli  comme 
l'enfant  prodigue  ;  et,  suivant  l'usage,  on  se  disposait  à  le  re- 
baptiser. C'était  au  printemps  de  l'année  410. 

Soucieux  de  prévenir  ce  nouveau  scandale,  Augustin  écrivit 
aussitôt  à  Macrobius,  pour  le  dissuader  de  rebaptiser  le  trans- 
fuge. Sa  lettre  était  courte,  mais  éloquente  dans  sa  brièveté; 
pressante,  mais  aimable  et  polie  dans  sa  fermeté.  Elle  débutait 
et  se  terminait  par  des  appels  à  la  concorde.  Aux  prières  et  aux 
protestations  anticipées,  se  mêlaient  les  arguments  de  circon- 
stance. Au  «  seigneur  son  cher  frère  Macrobius»,  l'évêque  ca- 
tholique opposait  l'exemple  des  Donatistes  eux-mêmes,  qui  na- 
guère n'avaient  pas  rebaptisé  leurs  propres  schismatiques'\ 

1)  Epist.  108,  5,  14.  3)  EpUt.  108,  6,  18. 

2)  ((  Se  de  média  congregalione...  fu-  4)  Ibid.,  108,  1,2;   108,  2,  4. 
ribundis    motibus    rapueruiit    »    [ibid.,  5)  Epist.  10()  ;  108,  6,  19. 
108,  5,  14)  6)  Ibid.,  106. 


272  LITTÉRATURE    DONATISTE 

La  lettre  fut  remise  à  Macrobius  par  deux  notables  de  la  com- 
munauté catholique,  Maximus  et  Theodorus.  Nous  possédons, 
de  la  main  de  ces  personnages  eux-mêmes,  le  procès-verbal  de 
l'entrevue.  Voici  ce  document,  qui  a  la  forme  d'une  lettre  ou 
d'un  rapport  à  Augustin  :  «  Suivant  les  instructions  de  ta 
Sainteté,  nous  nous  sommes  rendus  auprès  de  l'évèque  Macro- 
bius. Gomme  nous  lui  présentions  la  lettre  de  ta  Béatitude,  il 
refusa  d'abord  d'en  entendre  la  lecture.  Enfin,  il  se  laissa 
émouvoir  par  notre  insistance,  et  consentit  à  écouter.  Après  la 
lecture,  il  dit  :  «  Je  ne  puis  me  dispenser  d'accueillir  ceux  qui 
viennent  à  moi,  et  de  leur  donner  le  sacrement  qu'ils  ont  solli- 
cité. »  Gomme  nous  lui  demandions  son  sentiment  sur  la  con- 
duite de  Primianus,  il  dit  qu'il  avait  été  récemment  ordonné, 
qu'il  ne  pouvait  se  faire  le  juge  de  son  primat,  qu'il  s'en  tenait 
aux  règles  établies  par  ses  anciens  '.  »  Et  ce  fut  tout.  Ajoutons 
que,  si  l'attitude  de  l'évèque  avait  été  à  peu  près  correcte,  les 
sectaires  de  son  entourage  avaient  fait  mauvais  visage  aux  vi- 
siteurs. Quand  les  envoyés  d'Augustin  s'étaient  présentés,  on 
les  avait  traités  «  d'espions  —  êxploratores  »  ;  et  des  sacristains 
trop  zélés  avaient  voulu  les  malmener-. 

Gependant  Augustin,  qui  ne  laissait  rien  passer,  voulut 
avoir  le  dernier  mot.  Il  fit  remettre  à  Macrobius  une  nouvelle 
lettre,  où  il  discutait  point  par  point  ses  réponses.  Gette  lettre, 
fort  longue,  était  une  sorte  de  traité  sur  les  principales  ques- 
tions qui  divisaient  les  deux  Eglises,  avec  examen  des  textes 
par  lesquels  les  dissidents  prétendaient  justifier  leurs  principes 
et  leur  attitude.  Augustin  faisait  d'abord  remarquer  à  Macro- 
bius que  ses  déclarations  étaient  en  opposition  avec  la  conduite 
des  Primianistes  envers  leurs  propres  schismatiques  '^  puisque 
le  baptême  des  Maximianistes  avait  été  reconnu  valable  par 
leurs  adversaires  de  la  veille  ^.  D'ailleurs,  rien  ne  justifiait  le 
schisme  donatiste.  On  ne  devait  pas  rompre  avec  les  pécheurs. 
Gypi'ien,  dont  les  dissidents  invoquaient  la  tradition,  avait  dé- 
fendu l'unité  catholique  aussi  énergiquement  que  ses  idées  sur 
le  baptême';  et  les  Primianistes  eux-mêmes  s'étaient  réconci- 
liés avec  ceux  des  leurs  qu'ils  avaient  excommuniés  à  grand 
fracas''.  En  vain  les  Donatistes  se  plaignaient  d'être  persécutés 
par  les  Gatholiques  :  ils  avaient  traqué  avec  bien  plus  d'acluir- 
nement  les   déserteurs  de  leur  principale  Eglise".  Laissant  là 

1)  Ei>isl.  107.  —  Cf.  108,  1,  1-2.                        5)  /•:/</.</.  1<I8,  ?,,  7-12. 

2)  .S'mno4fi,  13.31.  (5)  Ihid.,  KiB,  4,  13. 

3)  Ephl.  lOS,  1,  1-3.  1\  Ihid.,  KiM,  r>,  H-l.->. 

4)  JIjid.,  lOîS,  2,   1-6. 


CORRESPONDANCES  273 

toutes  les  vieilles  querelles,  Augustin  proposait  à  Macrobius 
de  discuter  sincèrement  avec  lui,  pour  préparer  la  restauration 
de  l'unité  religieuse',  pour  négocier  une  entente  qui  était  dans 
l'intérêt  commun  -. 

A  cet  éloquent  appel,  que  répondit  Macrobius?  Presque  sûre- 
ment, il  ne  répondit  rien  du  tout.  Dans  les  années  suivantes, 
on  ne  trouve  plus  trace  de  correspondance  entre  les  deux 
évéques  d'Hippone.  Augustin,  sans  doute,  s'était  lassé  de 
parler  dans  le  vide.  Quant  à  Macrobius,  il  s'enfermait  dans  un 
silence  rébarbatif,  de  plus  en  plus  hostile. 

Il  assistait  en  411  à  la  Conférence  de  Carthage,  mais  en 
simple  figurant  :  il  y  prononça  seulement  quelques  mots  lors 
de  la  vérification  des  signatures  du  mandatiim'^ .  Après  la  Con- 
férence, il  prit  sa  revanche.  Vers  le  milieu  de  412,  au  moment 
du  procès  des  Circoncellions  et  des  clercs  dissidents  de  la  ré- 
gion d'Hippone,  il  groupa  autour  de  lui  des  fanatiques  des  deux 
sexes  ;  il  avait  pour  lieutenant  un  énergumène,  un  diacre 
nommé  Donatus,  ancien  colon  de  l'Eglise  catholique,  récem- 
ment compromis  dans  le  meurtre  de  pi-êtres.  A  la  tête  de  ces 
bandes,  Macrobius  envahit  les  grands  domaines  de  la  contrée, 
notamment  celui  de  Celer  :  il  y  rouvrit  de  force  les  basiliques 
de  la  secte,  qu'on  venait  de  confisquer,  et  il  y  reconstitua  ses 
communautés  4. 

Ce  furent  sans  doute  ses  derniers  triomphes.  La  police  finit 
par  avoir  raison  de  lui.  Quelques  années  plus  tard,  le  Dona- 
tisme  était  définitivement  vaincu  dans  le  diocèse  d'Augustin  ; 
les  basiliques  et  tous  les  immeubles  de  l'ancienne  communauté 
dissidente  avaient  été  attribués  à  l'Eglise  catholique^.  On  ne 
sait  ce  qu'était  devenu  Macrobius.  Assurément,  il  ne  s'était  pas 
rallié.  Mais  il  a  dû  être  à  Hippone  le  dernier  évêque  schismatique. 

Macrobius  et  Proculeianus  sont,  à  notre  connaissance,  les 
deux  seuls  Donatistes  d'Hippone  avec  qui  Augustin  ait  été  en 
relations  de  lettres  :  et  de  ces  correspondances,  comme  on  l'a 
vu,  c'est  lui  qui  fit  presque  tous  les  frais.  Sortons  maintenant 
de  la  ville  ;  aventurons-nous  dans  la  banlieue,  dans  les  paroisses 
rurales  du  vaste  diocèse  d'Hippone,  ou  dans  les  petits  diocèses 
voisins  qui  en  dépendaient  primitivement,  mais  qui  en  avaient 
été  détachés  l'un  après  l'autre.  Nous  allons  y  rencontrer  bien 
d'autres  schismatiques  qui  ont  été,  plus  ou  moins,  les  corres- 
pondants d'Augustin. 

1)  Ephl.  108,  6,  16-19.  4)  Augustin,  Epht.  139,  2. 

2)  Ih'id.,  108,  7,  20.  5)  In    lohannis    Evangeliuin    traclatus 

3)  Collât.  Carlhag.,  I,  201.  VI,  25. 


274  LITTERATURE    DONATISTE 

Tout  d'abord,  l'évêque  Maximinus,  le  doyen  de  tous  ces  cor- 
respondants donatistes  :  doyen,  sinon  par  l'âge,  du  moins  par 
l'ancienneté  des  relations  épistolaires.  La  lettre  à  Maximinus 
date  du  temps  de  la  prêtrise  d'Augustin,  probablement  de  l'an- 
née 392  <. 

Ce  Maximinus  était  évêque  à  Sinitum  ou  Castellum  Siniti, 
une  petite  ville  des  environs  d'Hippone.  C'était  un  excellent 
homme,  dont  on  louait  la  modération,  la-sagesse,  la  charité': 
bref,  aussi  étranger  à  l'esprit  de  secte,  aussi  conciliant,  que 
pouvait  l'être  un  Donatiste.  On  disait  même  que,  contrairement 
à  la  règle  fixée  par  les  conciles  du  parti,  il  se  refusait  à  rebap- 
tiser les  convertis.  Augustin,  qui  avait  entendu  parler  de  lui  par 
des  amis  communs,  estimait  beaucoup,  sans  le  connaître  per- 
sonnellement, ce  schismatique  d'une  espèce  rare.  11  «  cherchait 
une  occasion  »  d'entrer  en  relations  avec  lui-^. 

L'occasion  se  présenta,  mais  dans  des  circonstances  assez 
imprévues,  et  de  nature  à  causer  quelque  déception.  On  apprit 
soudain  qvie  Alaximinus  avait  rebaptisé  un  diacie  catholique  de 
Mutugenna.  Très  ému  de  cette  nouvelle  inattendue,  Augustin 
eut  d'abord  quelques  doutes  sur  la  réalité  des  faits  :  moins 
encore  qu'à  la  «  chute  lamentable  »  du  transfuge,  il  ne  pouvait 
croire  au  «  crime  inopiné  »  du  rebaptisant'*.  Comme  son  évêque 
Valerius  était  alors  absent -^  il  prit  sur  lui  d'ouvrir  une  enquête, 
et,  s'il  y  avait  lieu,  de  protester.  Il  se  rendit  lui-même  dans  le 
bourg  de  INIutugenna.  11  n'y  trouva  pas  le  clerc  suspect,  mais  il 
y  vit  ses  parents  :  il  apprit  d'eux  que  leur  fils  était  bien  réel- 
lement passé  à  l'Eglise  de  Donat,  et  que  même  il  y  conservait 
ses  fonctions  de  diacre''.  L'avait-on  rebaptisé?  Augustin  en 
doutait  encore.  Mais  il  voulait  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  ce 
point.  C'est  alors  qu'il  écrivit  à  Maximinus,  pour  l'inviter  à 
s'expliquer  en  toute  franchise,  et  pour  lui  proposer  en  même 
temps,  sur  la  question  du  second  baptême,  une  conférence  ou 
une  controverse  écrite. 

La  lettre  débute  par  un  commentaire  assez  contourné  des  sa- 
lutations de  l'en-tête  :  «  Au  seigneur  son  très  cher  et  honorable 
frère  Maximinus,  Augustin,  prêtre  de  l'Eglise  catholique,  salut 
dans  le  Singneur.  »  Augustin  croit  devoir  justifier  l'un  api'ès 
l'autre;  tous  les  ternies  de  cette  formule,  comme  s'il  redoutait  des 
interprétations   tendancieuses  ou  malveillantes*.    Il  expose  en- 

1)  Episl.2-^.  '  5)  Ei>isl.  2A,  S. 

2)  Ibid.,  28,  5.  «)  ll'iil.,  2A,  2. 

3)  Jhid.,  23,  2.  7)  Ihid  ,  28,  1. 

4)  «  liiipiiiatuMi  sceliis  »  (ittJ.,  28,  2). 


CORRESPONDANCES  275 

suite,  et  très  nettement,  l'objet  de  sa  démarche.  11  dit  le  bruit 
qui  court  à  Hippone,  le  résultat  de  son  enquête  personnelle  ù 
Mutugenna.  Pourtant,  il  ne  peut  croire  qu'on  ait  rebaptisé  le 
diacre  :  tant  il  a  bonne  opinion  de  Maximinus  '.  Il  prie  le  Dona- 
tiste  de  lui  faire  savoir  ce  qu'il  en  est.  Il  l'iavite  à  répondre  très 
franchement;  il  le  prévient,  en  toute  loyauté,  ([u'il  compte  lire 
sa  réponse  aux  fidèles  ~.  Il  profite  de  l'occasion  pour  exposer  la 
vraie  doctrine  sur  le  baptême  ;  il  montre  pourquoi  c'est  un  sa- 
crilège de  rebaptiser 3,  Puis  il  peint  avec  émotion  les  misères 
du  schisme,  qui  porte  le  trouble  jusque  dans  les  familles.  Il 
exprime  éloquemment  l'espoir  d'une  réconciliation  entre  les  deux 
Eglises^.  «  Laissons-là,  dit-il,  ces  vains  reproches  que  les  igno- 
rants des  deux  partis  ont  coutume  de  se  jeter  mutuellement  à 
la  tête  :  toi,  ne  me  reproche  pas  le  temps  de  Macarius,  ni,  moi, 
la  cruauté  des  Circoncellions.  Si  tu  n'es  pour  rien  dans  ceci,  je 
ne  suis  pour  rien  dans  cela^.  »  Pour  préparer  la  réconciliation, 
il  propose  à  l'évêque  donatiste  une  controverse  amicale  :  a  Je 
ne  songe  pas,  dit-il,  à  profiter  des  honneurs  de  l'Eglise  poui- 
jeter  ma  vie  au  vent;  mais  je  songe  qu'un  jour,  au  prince  de 
tous  les  pasteurs,  je  devrai  rendre  compte  des  brebis  qu'il  m'a 
confiées...  J'ai  donc  résolu,  dans  la  mesure  des  forces  et  de 
l'éloquenc^e  que  Dieu  daigne  me  donner,  de  plaider  ainsi  la 
cause  de  l'Eglise  :  par  nos  conférences  pacifiques,  tous  ceux  qui 
sont  en  communion  avec  nous  sauront  quelle  différence  il  y  a 
entre  les  hérésies  ou  les  schismes  et  l'Eglise  catholique...  Si  tu 
acceptes  volontiers  cette  conférence  avec  moi,  si  tu  consens  que 
nos  lettres  à  tous  les  deux  soient  lues  aux  fidèles,  j'en  éprou- 
verai une  joie  ineffable.  Si  tu  refuses,  je  devrai  donc,  mon  frère, 
malgré  toi,  lire  nos  lettres  au  peuple  catholique,  pour  l'instruire. 
Si  tu  ne  daignes  pas  me  répondre,  j'ai  résolu  de  lui  lire  au  moins 
ma  lettre,  pour  qu'au  moins  les  chrétiens  connaissent  votre 
défiance,  et  rougissent  de  se  laisser  rebaptiser''.  »  Aug'ustin 
ajoute  que,  pour  ramener  les  schismatiques,  il  compte  seulement 
sur  la  raison,  sur  la  puissance  de  la  vérité.  La  preuve,  c'est 
qu'il  n'engagera  point  la  controverse  publique  avant  le  départ 
des  soldats  actuellement  cantonnés  à  Hippone''.  En  terminant, 
il  s'excuse  de  la  démarche  qu'il  fait,  lui,  simple  prêtre,  en  l'ab- 
sence de  son  évèque  :  mais  il  n'a  pas  cru  pouvoir  attendre^. 
Qu'un  simple  prêtre  osât  prendre  de  telles  initiatives,  c'était 

1)  Epist.  23,  2.  5)  Epist.  23,  6. 

2)  Ibid.,  23,  3.  6)  Ihid.,  6. 

3)  Ibid.,  23,  4.  7)  Ibid.,  23,  7. 

4)  Ibid.,  2^,  5.  8)  Ibid.,  23,  8. 


2;  6  LIÏTÉRATUllE    DONATISTE 

déjà  quelque  peu  exceptionnel  dans  le  monde  catholique  du 
temps  :  aux  yeux  d'un  Donatiste,  ce  ne  pouvait  être  qu'un  scan- 
dale. A  la  lettre  éloquente  du  prêtre  d'Hippone,  l'évêque  schis- 
matique  répondit  par  un  silence  non  moins  éloquent.  Pourtant, 
l'on  peut  croire  que,  ce  jour-là,  Augustin  n'avait  pas  perdu  son 
temps.  Le  bon  grain  germa  peu  à  peu  dans  l'âme  du  sectaire. 
Après  l'édit  d'union  de  405,  en  revenant  d'un  voyage  au  delà 
des  mers,  à  Ravennes  et  à  Rome,  Maximinus  fut  touché  de  la 
grâce  :  on  apprit  tout  à  coup,  vers  le  début  de  409,  qu'il  se 
ralliait  à  l'Eglise  catholique.  Ce  fut  l'occasion  d'un  beau  tapage 
dans  les  cercles  donatistes  de  la  région.  P'urieux,  les  dissidents 
déclarèrent  le  transfuge  hors  la  loi.  Pour  signifier  l'arrêt  aux 
gens  de  Sinitum  et  des  bourgs  voisins,  un  crieur  public  hur- 
lait à  pleins  poumons  :  «  Avis  à  quiconque  aura  communiqué 
avec  Maximinus:  on  brûlera  sa  maison  ^  »  Contre  les  fidèles 
tentés  de  suivre  leur  évêque,  les  Circoncellions  se  chargèrent 
sans  doute  d'exécuter  la  sentence.  Quant  à  Maximinus  lui- 
même,  il  ne  semble  pas  avoir  été  trop  malmené.  Il  conserva 
ses  fonctions  épiscopales  à  Sinitum,  comme  évêque  catholique. 
Il  était  devenu  le  collègue  et  l'ami  d'Augustin,  avec  qui  nous  le 
voyons  cheminer  un  jour,  près  des  frontières  de  son  diocèse, 
aux  environs  de  Fussala-. 

Vers  le  temps  où,  dans  les  rues  de  Sinitum,  retentissait  la 
proclamation  des  incendiaires,  Augustin  recevait  des  lettres 
étranges,  animées  du  même  esprit,  où  l'on  parlait  tout  simple- 
ment de  l'assassiner.  Les  auteurs  de  ces  lettres  évangéliques 
étaient  des  prêtres  dissidents,  qui  ne  pouvaient  lui  pardonner 
l'ardeur  et  le  succès  de  sa  propagande.  Ils  le  menaçaient  d^ 
mort,  s'il  continuait  à  leur  enlever  leurs  fidèles.  L'un  d'eux  lui 
écrivait  textuellement,  vers  le  début  de  409  :  «  Laissez  tran- 
quilles nos  fidèles,  si  vous  ne  voulez  pas  qu'on  vous  tue  ^.  »  A 
ces  sommations  sanguinaires,  l'évêque  d'Hippone  répondit  par 
un  «  Avertissement  aux  Donatistes  »,  où  il  déclarait  hautement 
qu'il  poursuivrait  sa  propagande  ' . 

La  correspondance  avec  Celer  nous  introduit  dans  un  tout 
autre  milieu  :  l'aristocratie  foncière  du  Donatisme'\ 

Ce  Geler  était  un  personnage  de  haut  rang  [vir  clarissinius , 
vlr  spectabilis  '^),  qui  fut  plus  tard  proconsul  d'Africjue,  Au  mo- 
ment de  sa  correspondance  avec  Augustin,  vers  l'année  400,  il 


1)  Ephl.  105,  2,4.  4(  A'/a's/.  KC). 

2j  De  civilatc  Dei,  WU,  8.  '>)  Ei>i^t.  ôii-âZ. 

S]  hiiisl.   Wô,  1.  0)  Ejtlsl.  139,  2  ;  209,  .">. 


CORRESPONDANCES  277 

exerçait  déjà,  dans  la  région,  des  fonctions  administratives  fort 
importantes  ;  il  était  probablement  légat  du  proconsul  pour  la 
Numidie  proconsulaire.  Africain  de  naissance,  il  était  l'un  des 
plus  riches  propriétaires  de  la  contrée,  où  il  possédait  de  vastes 
domaines.  Augustin,  qui  le  connaissait  de  longue  date,  et  qui 
lui  témoignait  beaucoup  de  déférence  ^,  estimait  fort  son  carac- 
tère et  son  instruction  libérale,  sa  «  liberté  généreuse  »,  son 
«  cœur  viril  »,  son  érudition  et  sa  sagesse". 

Celer  était  donatiste.  Mais  il  semblait  se  détacher  peu  à  peu 
de  la  secte,  et  se  rapprocher  de  l'Eglise  catholique-^.  Augustin, 
qui  s'en  était  aperçu,  entreprit  de  le  convertir;  en  même  temps, 
il  se  servirait  de  lui  pour  sa  propagande.  D'où  les  lettres  qu'il 
lui  adressa  vers  400,  et  dont  deux  nous  sont  parvenues. 

Dans  la  première  de  ces  lettres,  l'évéque  d'Hippone  s'excuse 
d'abord  de  n'avoir  pu  rendre  visite  à  son  ami,  comme  il  le  lui 
avait  promis  :  il  en  a  été  empêché,  dit-il,  par  ses  tournées  pas- 
torales. Il  lui  envoie  le  prêtre  Optatus,  qui  lui  lira,  à  ses  heures, 
l'ouvrage  promis  sur  le  schisme^.  Augustin  ajoute  qu'il  espère 
la  conversion  prochaine  de  Geler.  En  attendant,  il  lui  prêche  le 
mépris  de  la  vie  présente,  comparée  à  la  vie  éternelle^. 

Quelque  temps  après,  l'évéque  d'Hippone  reçut  la  visite  de 
Cjecilius,  fils  de  Celer.  Au  cours  de  la  conversation,  le  jeune 
homme  dit  que  son  père  avait  exprimé  le  désir  de  connaître  un 
autre  ouvrage,  nous  ne  savons  lequel,  relatif  encore  à  la  que- 
relle des  deux  Eglises.  Augustin  s'empressa  d'envoyer  le  livre 
souhaité.  Il  profita  de  l'occasion  pour  tenter  d'achever  la  con- 
version de  Celer  et  pour  en  préparer  d'autres.  Tel  est  l'objet  de 
sa  seconde  lettre. 

Il  y  rappelle  d'abord  l'envoi  du  traité  dont  avait  parlé  Cœci- 
lius.  Il  ajoute  qu'il  se  tient  à  la  disposition  de  Celer  pour  répon- 
dre à  ses  questions  et  pour  lui  adresser  d'autres  ouvrages  6. 
Puis,  considérant  déjà  sa  conversion  comme  acquise,  il  le  prie 
de  travailler  pour  son  compte  au  rétablissement  de  l'unité  catho- 
lique, en  usant  de  son  influence  sur  les  gens  qui  dépendent  de 
lui  :  notamment  sur  deux  personnages  inconnus  de  nous, 
Paternus  et  Maurusius.  Il  lui  demande  encore  d'assurer  sa 
protection  à  un  ami  qui  hésite  à  se  convertir  dans  la  crainte  des 
violences  donatistes.  Enfin,  d'une  touche  délicate,  il  indique  le 
dernier  obstacle  qui  s'opposait  encore  à  la  conversion  définitive 
de  son  correspondant  :  Celer,  dit-il,  se  doit  à  lui-même  de  ne 

1)  Epist.  56,1.  4)  Epist.   56,  1. 

2)  Ibid.,  56,  2  ;  57,  1.  5)  Ibid.,  56,  2. 

3)  Ibid.,  56,  2;  57,  2.  &)  Epist.  57,  1. 


278  LITTÉR.VTURE    DONATISTE 

pas  se  laisser  arrêter  par  une  fausse  honte,  et  le  prêtre  Optatus 
lui  expliquera  le  reste'. 

Gomme  on  le  voit,  les  deux  lettres  tendaient  au  même  objet  : 
elles  marquent  deux  étapes  d'une  âme  de  Donatiste  qui  se  dé- 
tourne du  Donatisme.  Nous  ne  savons  ce  que  répondit  Celer; 
mais  il  se  convertit  peu  après. 

De  nouveau,  nous  entendons  parler  de  lui  quelques  années 
plus  tard,  dans  le  courant  de  412.  A  ce  moment,  il  était  com- 
plètement rallié  à  l'Eglise  catholique.  Il  mettait  à  son  service 
l'influence  dont  il  disposait  comme  grand  propriétaire.  Confor- 
mément au  récent  édit  d'union,  il  avait  ordonné  de  fermer  les 
sanctuaires  donatistes  qui  étaient  situés  sur  ses  terres.  11  avait 
alors  pour  intendant  {procurator)  à  Hippone  un  certain  Spon- 
deus,  qui  s'opposait  énergiquement  aux  entreprises  des  dissi- 
dents et  de  leur  évêque  Macrobius.  Mais,  Spondeus  ayant  dû  se 
rendre  à  Carthage  pour  affaires,  son  absence  fournit  aux  schis- 
matiques  l'occasion  attendue.  Macrobius  se  remit  en  campagne; 
avec  ses  bandes  de  fanatiques,  il  pénétra  dans  le  domaine  de 
Celer,  y  rouvrit  de  force  les  basiliques  de  la  secte,  et,  devant 
les  colons  surpris  ou  terrorisés,  recommença  de  prêcher  la  vé- 
rité donatiste  '-.  Désarmé  en  face  des  incursions  de  ces  énergu- 
mènes,  Augustin  ne  put  que  signaler  à  son  amiMarcellinus,  com- 
missaire impérial  pour  l'Afrique,  ce  retour  offensif  des  entêtés 
du  schisme.  On  peut  croire  que  le  commissaire  y  mit  bon  ordi'e. 

Vers  420,  Celer  était  redevenu  un  personnage  considérable. 
Il  exerçait  alors  de  hautes  fonctions  administratives  en  Numi- 
die  :  à  ce  titre,  il  intervint  dans  les  querelles  des  Donatistes 
convertis  de  Fussala  avec  leur  évêque  Antonius,  dont  il  ré- 
prima énergiquement  les  fantaisies  tyranniques-*.  Il  arriva  enfin 
aux  honneurs  suprêmes  dans  la  hiérarchie  africaine  :  en  429,  il 
fut  proconsul  a  Carthage''.  Quand  il  entra  en  charge,  il  était 
depuis  trente  ans  le  correspondant  d'Augustin. 

Le  contraste  est  frappant,  entre  les  lettres  à  Celer  et  la  lettre 
à  Donatus  de  Mutugenna''.  D'une  part,  la  conversion  lente  et 
raisonnée  d'un  grand  propriétaire  des  environs  d'ilippone. 
D'autre  part,  dans  le  même  pays,  les  récriminations  et  protes- 
tations furibondes  d'un  prêtre  schismatique,  rallié  de  force, 
Catholicpie  malgré  lui,  se  débattant  contre  des  policiers  pour 
courir  au  martyre  ou  au  suicide. 

1)  Ephl.  -,7,2.  1,  185   et    186.  —  Cf.   Pallu  de  Lcsscrt, 

2)  Ep'nl.  139,  2.  Fash'<.  des.  provinces  africaines,  tome  II, 

3)  Epist.  2Uy,  .■>.  p.  134-135. 

4)  Cod.  Tlieod.,  XI,  1,  31  ;  30,  68  ;  XII,            5)  .\iiguslin,  Epist.  173. 


CORKESPONDANGES  279 

Ce  prêtre  Donattis  gouvernait  la  communauté  dissidente  de 
Mutugenna,  dans  le  diocèse  d'Hippone.  C'était  un  vrai  Dona- 
tiste,  fanatique  à  souhait,  têtu,  retors,  jamais  à  court  d'argu- 
ments ou  de  citations  bibliques.  Après  la  Conférence  de  Car- 
tilage, sans  doute  dans  le  courant  de  412,  il  refusa  de  s'incliner 
devant  la  notification  de  l'édit  impérial  d'union,  qui  ordonnait  à 
tous  les  clercs  schismatiques,  sous  peine  de  rélégation,  de  se 
rallier  au  Catholicisme.  Sur  l'ordre  de  quelque  magistrat  trop 
zélé,  des  policiers  vinrent  l'arrêter,  pour  le  conduire  tout  droit 
vers  l'église  la  plus  voisine.  On  le  hissa  sur  un  cheval.  Il  se 
débattit  si  bien,  qu'il  tomba  et  se  blessa.  On  le  remit  en  selle. 
Plus  loin,  il  faussa  compagnie  à  son  escorte,  et  courut  se  jeter 
dans  un  puits,  dont  on  le  tira  vivant,  non  sans  peine  '.  On  réus- 
sit à  le  traîner  jusqu'à  l'église;  mais,  au  lieu  d'une  conversion, 
on  ne  put  y  enregistrer  qu'une  victoire  de  la  police  sur  la  liberté 
de  conscience. 

Au  milieu  de  ses  aventures,  le  malheureux  prêtre  n'avait 
cessé  de  protester  énergiquement  contre  la  violence  dont  il  était 
l'objet.  Il  déclarait  arbitraire  l'ordre  d'arrestation,  et  se  plai- 
gnait amèrement  de  la  brutalité  des  policiers^.  Il  invoquait  la 
liberté  de  conscience,  réclamant  même  le  droit  à  l'erreur  :  «  Per- 
sonne, s'écriait-il,  .personne  ne  doit  être  amené,  même  au  bien, 
par  la  force. ^,  Dieu  nous  a  donné  le  libre  arbitre:  par  consé- 
quent, l'homme  ne  doit  pas  être  contraint,  même  pour  son  bien... 
Eh  bien!  oui,  je  veux  errer  ainsi,  je  veux  périr  ainsi-*.  »  Il 
revendiquait  même  le  droit  au  suicide  ;  pour  justifier  le  mar- 
tyre volontaire,  il  alléguait  un  texte  de  saint  Paul,  qu'il  inter- 
prétait à  sa  façon  ^.  A  toutes  les  objections  tirées  des  faits 
récents,  il  répliquait  que  les  Donatistes  étaient  les  serviteurs 
de  la  vérité,  que  leur  Eglise  était  la  véritable  Eglise,  qu'il  se 
chargeait  de  le  démontrer  même  aux  évêques  soi-disant  Catho- 
liques, que  la  cause  de  son  parti  avait  été  mal  défendue  à  la 
Conférence  de  Carthage''.  Enfin,  il  établissait  le  droit  au  schisme 
par  l'exemple  des  disciples  qui,  selon  saint  Jean,  quittèrent  le 
Christ,  et  que  le  Christ  laissa  partir*^. 

Ces  protestations  si  énergiques,  et  souvent  éloquentes,  sem- 
blent avoir  produit  quelque  impression  sur  les  témoins  de  la 
tragi-comédie.  Augustin  en  eut  connaissance,  soit  par  le  procès- 
verbal  d'arrestation,  soit  par  un  rapport  ou  une  lettre  d'un  de 


1)  Augustin, /?/3ist.  ]73,  1  et  4.  4)  Augustin,  Episl.  173,  5. 

2)  Ibid.,  173,  1-2.  5)  Ihid.,  173,  7. 

3)  Ibid.,  173,  2-3.  6)  Ibid.,  173,  10. 


280  LITTÉUATUnE    DONATISTE 

ses   clercs.   Il  crut  devoir  y  répondre.  Il  le  fit  dans  une  lettre 
adressée  à  Donatus  lui-même  '. 

Dès  le  début,  Tironie  se  mêle  à  la  charité  chrétienne  :  «  Si  tu 
pouvais  voir  ma  douleur,  écrit  l'évêque  d'Hippone,  si  tu  pouvais 
voir  ma  sollicitude  pour  ton  salut,  peut-être  aurais-tu  pitié  de 
ton  âme  :  soucieux  alors  de  plaire  à  Dieu  en  écoutant  sa  parole, 
non  la  nôtre,  mais  la  sienne,  tu  ne  te  contenterais  plus  de  fixer 
dans  ta  mémoire  ses  Écritures,  en  leur  fermant  ton  cœur.  Il  te 
déplaît  qu'on  te  traîne  vers  le  salut  ;  et  pourtant  vous  avez 
traîné  vers  leur  perte  beaucoup  des  nôtres.  Quelle  a  été  notre 
intention,  sinon  de  te  faire  saisir  et  amener  pour  te  sauver  de 
la  mort  ?  Si  tu  as  été  blessé,  c'est  ta  faute  :  on  t'a  offert  un  che- 
val, tu  n'as  pas  voulu  le  monter,  et,  en  tombant  sur  le  sol,  tu  t'es 
fait  de  graves  contusions.  La  preuve,  c'est  qu'un  de  tes  col- 
lègues, amené  avec  toi,  est  arrivé  sans  blessures,  vu  qu'il  ne 
s'en  est  pas  fait  lui-même  -.  »  Augustin  s'efforce  ensuite  de  jus- 
tifier la  contrainte  en  matière  de  religion  •^.  A  propos  de  l'aven- 
ture du  puits,  il  déclare  qu'un  chrétien  n'a  pas  le  droit  de  se 
donner  la  mort  '*.  Sur  la  controverse  de  411  entre  les  deux  Eglises, 
qui  a  tourné  à  la  confusion  des  Donatistes,  il  engage  le  prêtre 
à  lire  et  à  méditer  les  procès-verbaux  delà  Conférence^.  Aux 
allégations  du  schismatique  sur  le  fondement  évangélique  du 
droit  au  schisme,  il  oppose  l'interprétation  catholique  du  pas- 
sage de  saint  Jean,  et  la  théorie  du  Conipelle  intrare.  Il  ter- 
mine par  cette  exhortation  à  l'obstiné  schismatique  :  «  Maîtrise 
donc  ton  àme  si  injuste  et  si  rebelle,  poui'  trouver  dans  la  véri- 
table Eglise  du  Christ  le  banquet  du  salut  t^.  » 

Bref,  l'évêque  d'Hippone  prétendait  persuader  au  prêtre 
Donatus  qu'on  avait  eu  raison  de  l'arrêter,  d'attenter  à  sa 
liberté  personnelle  comme  à  sa  conscience,  pour  l'enrôler  de 
force  dans  l'Eglise  officielle.  Nous  ne  savons  ce  que  répondit 
l'intéressé,  ni  même  s'il  répondit.  A  en  juger  par  ses  protes- 
tations antérieures  et  par  l'histoire  du  puits,  on  peut  douter 
(juc  le  schismatique  de  Mutugenna  se  soit  laissé  convaincre.  On 
peut  douter  surtout  qu'il  ait  jamais  fait  un  bon  Catholique. 

Moins  têtus  en  apparence  que  le  prêtre  de  Mutugenna,  les 
Donatistes  convertis  de  Fussala  n'étaient  guère  plus  accommo- 
dants :  leur  conversion  superficielle  n'avait  pas  modifié  leur 
mentalité  sectaire.   On  le  constate  aisément  dans  les  débris  de 


1)  Episl.  173.  4)  Epht.  173,  4-(î. 

2)  Ihid.,  173,  1.  5)  IbhL,  173,  7-!». 

3)  Ihid.,  173,  2-3.  6)  Ibid.,  173,  lU. 


CORRESPONDANCES  281 

leur    correspondance,   comme  Augustin   s'en  aperçut  dans  ses 
rapports  avec  eux  '. 

Le  bourg  de  Fussala,  qui  jusqu'au  début  du  cinquième 
siècle  dépendait  du  diocèse  d'Hippone,  avait  été  longtemps  une 
citadelle  du  Donatisme.  Cependant,  après  l'édit  d'union  de  412, 
presque  toute  la  population  s'était  ralliée  au  Catholicisme. 
Augustin,  qui  par  sa  propagande  infatigable  avait  beaucoup 
contribué  à  ce  résultat,  proposa  lui-même  le  démembrement  de 
son  immense  diocèse,  dont  la  charge  devenait  trop  lourde  en 
raison  des  conversions  multiples  :  il  résolut  de  céder  à  un  con- 
frère le  district  de  Fussala,  dont  le  chef-lieu  était  situé  à 
quarante  milles  d'Hippone'.  Comme  évéque,  les  gens  de  l'en- 
droit agréèrent  les  yeux  fermés  son  candidat  :  un  jeune  clerc 
nommé  Antonius,  qui  avait  été  élevé  sous  ses  yeux  dans  son 
monastère,  et  qui  paraissait  avoir  toutes  les  vertus -^ 

Devenu  évêque,  cet  xVntonius  se  révéla  tel  qu'il  était  :  un 
odieux  tyran,  préoccupé  surtout  de  pressurer  ses  fidèles  et  de 
voler  son  Église  pour  mener  joyeuse  vie^.  Or  ses  fidèles,  on 
s'en  souvient,  étaient  d'anciens  Donatistes,  dont  la  patience 
n'avait  rien  d'évangélique.  C'est  dire  que  le  Diable  redevint 
maître  à  Fussala,  et  dans  les  deux  camps. 

iVu  bout  de  quelques  mois,  tous  les  convertis  du  bourg 
furent  sur  le  pied  de  guerre.  Ils  juraient  de  se  débarrasser  de 
leur  évêque.  Dans  leur  détresse,  ils  se  tournèrent  vers  Augus- 
tin, en  attendant  le  jour  où  ils  se  tourneraient  contre  lui.  Ils 
lui  envoyèrent  une  lettre  de  plaintes,  où  ils  énuméraient  leurs 
griefs  contre  Antonius  :  «  Tyrannie  intolérable,  rapines,  divers 
abus  do  pouvoir  et  voies  de  fait''.  »  Vainement,  Augustin  essaya 
de  s'entremettre  et  de  rétablir  la  paix.  Les  gens  de  Fussala 
déclaraient  net  qu'ils  ne  voulaient  plus  de  leur  évéque  O;  et  de 
nouvelles  plaintes  arrivaient,  dénonçant  de  nouveaux  attentats 
[stuprorum  crlmiiia  capitalia"').  L'affaire  fut  portée  devant  le 
concile  de  Numidie,  qui  ordonna  une  enquête,  et  qui  rendit 
bientôt  son  jugement,  sans  doute  dans  le  courant  de  422.  On 
condamnait  xVntonius,  sous  peine  d'excommunication,  à  resti- 
tuer tout  ce  qu'il  avait  volé  ;  et  on  lui  enlevait  l'administration 
de  son  diocèse,  tout  en  lui  laissant  son  titre  d'évêque^.  Anto- 
nius en  appela  au  pape  Bonifatius.  Il  se  démena  si  bien,  qu'il 


1)  Episl.  209.  capinis    et   diversis    oppressionibus    et 

2)  Ibid.,  20i),  2.  contritiunibus  »  {ibid.,2m,  4). 

3)  Ibid.,  209,  3.  (!)  Episl.  209,  5. 

4)  Ibid.,  209,  4  et  suiv.  7)  Ibid.,  209,  4. 

5)  «  De  intolerabili   dominatione,  de  8)  Ibid.,  209,  4-7. 


282  LITTÉRATURE    DONATISTE 

réussit  à  gagner  le  primat  de  Numidie,  et  qu'il  le  décida  à 
appuyer  sa  requête  auprès  du  pape  ^ 

En  attendant,  il  restait  à  Fussala,  d'où  il  terrorisait  son 
diocèse  en  poursuivant  le  cours  de  ses  brigandages.  Il  osait 
railler  la  sentence  du  concile  de  Numidie  :  «  Ou  bien,  disait-il, 
j'aurais  dû  rester  dans  ma  chaire,  ou  bien  je  n'aurais  pas  dû 
rester  évéque"-.  »  En  fait,  malgré  le  concile,  il  gardait  sa  chaire 
avec  son  titre,  et  continuait  à  en  tirer  bon  rapport.  Il  allait 
répétant  que  le  pape  lui  aA'ait  donné  raison  ;  il  menaçait  les 
mécontents  d'appeler  à  son  aide,  fort  de  l'appui  du  pape,  les 
magistrats  et  les  troupes 3.  De  plus  en  plus  exaspérés,  ses 
fidèles  étaient  décidés  à  en  finir  par  n'importe  quel  moyen  :  ils 
parlaient  de  tuer  leur  évêque '\  Cependant,  ils  tentèrent  à 
Rome  une  démarche  suprême  :  au  début  de  l'année  423,  ils 
exposèrent  tous  leurs  griefs  au  nouveau  pape  Ctplestinus.  Dans 
leur  lettre,  ils  mettaient  en  cause  Augustin  lui-même,  à  qui  ils 
reprochaient  amèrement  de  leur  avoir  imposé  un  évêqae  in- 
digne''. 

\'ivement  ému,  et  même  inquiet,  du  tour  que  prenait  l'affaire, 
Augustin  crut  devoir  envoyer  au  nouveau  pape,  qu'il  savait 
hésitant,  une  lettre  de  justification"^'.  Il  y  résumait  avec  préci- 
sion les  origines  et  toute  l'histoire  de  ce  malheureux  procès, 
invoquait  le  jugement  du  concile,  citait  les  pièces  à  l'appui'. 
En  toute  franchise,  il  confessait  sa  faute  initiale  :  «  J'avais 
voulu  être  utile  à  certains  fidèles  de  notre  voisinage;  mais,  par 
mon  imprévoyance  et  mon  imprudence,  j'ai  été  pour  eux  la 
cause  d'un  grand  malheur'^.  »  Il  avouait  qu'il  s'était  mis  lui- 
même  dans  un  cruel  embarras  :  «  Les  Catholiques  de  Fussala, 
disait-il,  sont  mes  fils  dans  le  Christ,  et  l'évêque  Antonius  est 
aussi  mon  fils  dans  le  Christ  :  je  les  recommande  également  à 
la  charité  bienveillante  de  ta  Sainteté,  parce  que  je  les  chéris 
également.  Je  n'en  veux  pas  aux  gens  de  Fussala,  de  ce  qu'ils 
portent  à  tes  oreilles  de  justes  plaintes  contre  moi  :  car  je  leur 
ai  infligé  comme  évêque  un  homme  que  je  n'avais  pas  encore 
mis  à  l'épreuve,  qui  même  n'avait  pas  encore  été  fortifié  par 
l'âge,  un  homme  destiné  à  devenir  leur  tyran.  Je  ne  veux  pas 
non  plus  nuire  à  Antonius  :  j'ai  pour  lui  une  sincère  affection,  si 
je  m'oppose  d'autant  plus  à  la  perversité  de  ses  passions.  Tous 
ont  besoin   de  ta  miséricorde  :  ceux-là  pour  ne  plus  souffrir  le 

1)  Episi.  209,  fi  et  9.  5)  Episl.  2(19.  9. 

2)  ;6/d.,2U9,  7.  fi)  Ei>ist.  '20U. 

3)  Ibid.,  209,  9.  7)   Ihid.,  2(i9,  2-7. 

4)  lOid.,  209,  5.  8)  Ibid.,  209,  1. 


CORRESPONDANCES  283 

mal,  celui-ci  pour  ne  plus  le  faire.  Ceux-là  pourraient  prendre 
en  haine  l'Eglise  catholique,  si  les  évêques  catholiques,  et  sur- 
tout le  Siège  apostolique,  ne  venaient  pas  à  leur  secours  contre  un 
évêque  catholique.  Quant  à  Antonius,  il  risque  de  commettre  ce 
crime  capital  :  en  persistant  à  reconquérir  malgré  eux  ses  fidèles^ 
il  les  rendrait  étrangers  au  Christ'.  »  Augustin  insistait  sur  cette 
considération,  qu'une  décision  imprudente  de  Rome  pousserait 
à  bout  les  convertis  de  Fussala,  et  pouvait  amener  un  attentat 
ou  un  retour  au  schisme'.  Tout  en  reconnaissant  qu'il  avait  dans 
l'affaire  une  part  de  responsabilité,  il  restait  ferme  sur  le  fond, 
et  affirmait  le  bien-fondé  du  jugement  poité  par  le  concile  de 
Numidie.  Il  allait  jusqu'à  déclarer  qu'il  était  prêt,  dans  le  cas 
oîi  Rome  lui  donnerait  tort,  à  se  démettre  de  ses  fonctions  épis-- 
copales  ■^. 

Heureusement,  il  n'eut  pas  à  en  venir  là.  Non  seulement  il 
garda  jusqu'au  bout  son  siège  d'Hippone,  mais  encore  il  con- 
serva provisoirement  l'administration  du  diocèse  de  Fussala, 
dont  on  le  voit  plus  tard  recommander  un  prêtre  ^.  Malgré  tout, 
il  ne  pouvait  se  souvenir,  sans  quelque  amertume,  de  ses 
relations  épistolaires  ou  épiscopales  avec  les  Donatistes  mal 
convertis  de  Fussala. 

De  ces  mêmes  querelles,  on  surprend  sans  doute  un  écho 
dans  une  autre  correspondance  du  même  pays  et  du  même 
temps  :  la  correspondance  de  Felicia,  une  religieuse  convertie^. 
Ou  plutôt,  une  «  vierge  »  donatiste,  devenue  religieuse  après 
sa  conversion  :  on  sait,  en  effet,  que  l'Eglise  de  Donat  repoussa 
toujours  le  monachisme  proprement  dit,  pour  s'en  tenir  aux 
formes  antérieures  de  l'ascétisme  chrétien.  Felicia  était  donc 
une  de  ces  vierges  sacrées,  qui,  après  avoir  prononcé  leurs 
vœux  dans  l'Eglise  de  Donat,  continuaient  à  vivre  dans  le 
monde,  et  qui  trop  souvent  compromettaient  leur  dignité  au 
milieu  des  bandes  de  Circoncellions.  Un  jour,  pourtant,  elle 
s'était  ralliée  au  Catholicisme  ;  ou  mieux,  elle  y  avait  été  ralliée 
d'office,  à  la  suite  de  l'édit  d'union.  On  nous  dit,  en  effet, 
qu'elle  avait  été  convertie  de  force  ^.  Dès  lors,  bon  gré  malgré, 
elle  était  devenue  une  véritable  religieuse,  dans  un  monastère 
des  environs  d'Hippone.  Elle  ne  protestait  plus  contre  l'atteinte 
portée  jadis  à  sa  liberté  de  conscience.  Cependant,  à  certaines 
heures,  elle  avait  peine  à  se  défendre  contre  les  retours  offensifs 


1)  Epist.  209,  9.  4)  Epist.  224,  1. 

2)  Ihid.,  209,  5  et  9-10.  5)  Epi<it.  208. 

3)  Ibid.,  209,  10.  6)/6ic/.,208,  7. 


284  LITTÉRATURE    DONATISTE 

du  vieil   esprit  sectaire.   D'où  une   âme   inquiète,   quelquefois 
tourmentée  par  le  doute. 

Ce  qui  achevait  de  troubler  la  religieuse,  c'est  le  spectacle 
de  gros  scandales  qui  affligeaient  alors  son  Eglise.  Elle  s'éton- 
nait de  la  conduite  très  peu  évangélique  de  certains  clercs  ; 
surtout  d'un  évêque,  son  évêque  probablement,  qu'elle  voyait 
uniquement  préoccupé  de  ses  intérêts  temporels,  et  nullement 
scrupuleux  sur  le  choix  des' moyens  ' .  Tout  cela  s'accorde  bien 
avec  l'histoire  du  diocèse  de  Fussala  en  ces  temps-là.  Selon 
toute  apparence,  Felicia  était  religieuse  dans  un  monastère  de 
ce  diocèse  :  ce  qui  la  troublait,  c'était  les  fantaisies  tyranniques, 
les  rapines  et  les  attentats  de  son  évêque  Antonius. 
.  Dans  son  émoi,  elle  se  tourna  vers  Augustin,  qui  naguèiMB 
avait  contribué  à  sa  conversion.  Elle  lui  écrivit,  pour  se  confesser 
en  toute  franchise.  Elle  avouait  sa  déception,  en  voyant  «  la 
faiblesse  ou  l'iniquité  »  de  certaines  gens-,  en  Aboyant  certaines 
communautés  livrées  à  de  «  mauvais  pasteurs-^  »,  qui  «  sié- 
geaient dans  les  chaires  pastorales  pour  jouir  de  leurs  honneurs 
temporels  et  de  leurs  avantages  séculiers'*  ».  Devant  tous  ces 
«  scandales  >;,  elle  se  sentait  l'âme  <(  troublée'  »  ;  et  même,  elle 
sentait  vaciller  sa  «  foi'^  ».  Sans  le  dire,  et  sans  probable- 
ment s'en  douter,  elle  laissait  voir  que  la  déception  causée  par 
tous  ces  scandales  risquait  de  la  rejeter  vers  le  schisme. 

Pris  de  pitié  pour  cette  âme  en  détresse,  Augustin  s'efforça 
de  tranquilliser  la  pauvre  femme.  Dès  les  premiers  mots  de  sa 
réponse,  il  la  rassurait  en  lui  montrant  qu'il  avait  bien  compris 
son  cri  d'angoisse  :  «  Je  vois,  écrivait-il,  que  ton  âme  est  trou- 
blée pour  ta  foi,  à  cause  de  la  faiblesse  ou  de  l'inicjuité  d'autrui... 
J'en  éprouve  moi-même  de  la  componction;  et  je  suis  inquiet 
pour  ton  salut,  qui  dépend  du  Christ.  C'est  pourquoi  j'ai  cru 
devoir  adresser  à  ta  Sainteté  la  présente  lettre,  lettre  de  conso- 
lation ou  d'exhortation.  C'est  que,  dans  le  corps  de  NotreSei- 
gneur  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  dans  son  Eglise  et  dans  l'unité 
de  ses  membres,  tu  es  devenue  tout  à  fait  notre  sœur  ".  » 

Pour  apaiser  les  scrupules  de  la  religieuse,  l'évêque  d'ilip- 
pone  lui  expliquait  que  les  misères  de  ce  monde  ont  été  annon- 
cées par  l'Écriture,  et  qu'on  ne  doit  pas  s'en  émouvoir  outre 
mesure  :  a  Donc,  disait-il,  je  t'avertis  de  ne  pas  te  laisser 
troubler  si  fort  par  ces  scandales  :  ils  ont  été  prédits,  pour  que 

1)  /i>i.s/.  2(IS,  1-2.  5)  Epist.  20H,  2  cl  7. 

2)  Ihid.,  208,  1.  6)  Ihid.,  2(18,  1. 
8)  Ihid.,  20S,  6.  7)  E[)i:it.  208,  1. 
4)  Ibid.,  208,  2. 


CORHESPONDANCES  285 

nous  nous  souvenions  de  ces  prédictions  et  que  nous  n'en 
soyons  pas  trop  émus...  Parmi  les  évoques,  les  uns  occupent 
les  chaires  pastorales  pour  veiller  sur  les  troupeaux  du  Christ; 
mais  d'autres  occupent  ces  chaires  pour  jouir  de  leurs  honneurs 
temporels  et  de  leurs  avantages  séculiers.  Ces  deux  genres  de 
pasteurs,  dont  les  uns  sont  voués  à  la  mort  et  les  autres  à  la 
vie  future,  dureront  nécessairement,  dans  l'Eglise  catholique 
elle-même,  jusqu'à  la  fin  du  monde  et  jusqu'au  jugement  der- 
nier du  Seigneur  ^  »>  En  conséquence,  on  ne  doit  pas  se  laisser 
décourager  par  les  scandales  :  parmi  les  prêtres  ou  les  évêques, 
il  y  aura  toujours  «  de  bons  et  de  mauvais  pasteurs  »,  comme 
il  y  a  parmi  les  fidèles  des  bons  et  des  méchants".  On  n'en 
doit  pas  moins  maintenir  l'unité,  comme  l'ordonnent  bien  des 
textes  de  l'Ecriture-^.  Sous  aucun  prétexte,  les  bons  ne  doivent 
se  séparer  des  méchants.  Quand  on  a  le  malheur  de  tomber 
sur  de  mauvais  pasteurs,  on  en  est  quitte  pour  «  faire  ce  qu'ils 
disent,  et  ne  pas  faire  ce  qu'ils  font^  ». 

Après  cet  exposé  de  doctrine,  Augustin  exhortait  la  reli- 
gieuse à  ne  pas  s'émouvoir  des  scandales,  à  arrêter  plutôt  sa 
pensée  sur  les  bienfaits  que  lui  avait  valus  sa  conversion  :  «  Je 
t'exhorte  donc  à  garder  fidèlement  les  dons  du  Seigneur,  Aime- 
le  de  tout  ton  cœur,  lui  et  son  Eglise...  Si  tu  dois  aussi  une 
sincère  affection  à  ses  bons  serviteurs,  dont  le  ministère  t'a 
forcée  d'entrer  chez  lui,  pourtant  c'est  en  lui  que  tu  dois  placer 
ton  espérance  :  en  lui  qui  a  préparé  le  banquet,  lui  qui  t'a 
invitée  au  banquet  de  la  vie  bienheureuse  pour  l'éternité.  Re- 
commande-lui ton  cœur,  tes  vœux,  ta  sainte  virginité,  ta  foi, 
ton  espérance,  ta  charité  :  alors  tu  ne  seras  pas  émue  par  les 
scandales,  qui  abonderont  jusqu'à  la  fin.  Alors  tu  seras  sauvée 
par  la  constance  inébranlable  de  ta  piété  ;  tu  seras  glorieuse  dans 
le  Seigneur,  en  persévérant  dans  son  unité  jusqu'à  la  fin^.  » 
En  terminant,  l'évêque  d'Hippone  priait  la  religieuse  de  lui  ré- 
pondre :  évidemment,  pour  juger  de  l'effet  produit  par  sa  lettre  ""^ 

Nul  doute  que  Felicia  se  soit  empressée  d'obéir.  Mais,  sur  le 
contenu  de  sa  réponse,  nous  ne  savons  rien.  Ses  inquiétudes 
d'âme  ont  dîi  s'apaiser  à  mesure  que  disparaissaient  les  scan- 
dales. Le  meilleur  moyen  de  rassurer  la  religieuse,  c'était 
assurément  d'expulser  son  évêque  Antonius,  en  lui  interdisant 
à  jamais  l'accès  de  son  diocèse". 

1)  Epist.  208,  2.  .5)  Epist.  208,  7. 

2)  Ibid.,  208,  3.  6)  «  Fac  ut  noveriin  rescriptis  tuis  » 

3)  /6ù/.,  208,  4-5.  («6id.,  208,  7). 
.4)  Ibid.,  208,  6.  7)  Epist.  209. 

VI.  -  19 


286  LITTÉRATURE    DONATISTE 

Entre  la  lettre  à  Felicia  et  la  lettre  à  Proculeianus,  l'inter- 
valle est  de  vingt-cinq  ans  et  plus.  Durant  cette  longue  période, 
les  correspondances  donatistes  ou  les  lettres  adressées  à  des 
Donatistes  nous  permettent  de  suivre  l'histoire  de  l'Église 
schismatique  dans  la  région  d'Hippone. 

Pendant  les  quinze  premières  années,  ce  qui  frappe  tout 
d'abord,  c'est  l'attitude  intransigeante  ou  équivoque  des  évêques 
dissidents  :  ils  se  tiennent  à  l'écart  sans  jamais  désarmer,  ils 
rebaptisent  des  clercs  transfuges,  ils  repoussent  plus  ou  moins 
brutalement  les  avances  d'Augustin,  ses  offres  de  discussions 
courtoises'.  L'exemple  donné  parles  évêques  était  suivi  natu- 
rellement par  les  prêtres  et  autres  clercs  :  mais  ceux-ci  mani- 
festaient leurs  sentiments  avec  une  franchise  encore  plus 
brutale,  ils  allaient  jusqu'à  faire  cause  commune  avec  les  Cir- 
concellions,  à  menacer  de  mort  leurs  adversaires  catholiques'-. 
On  remarquera,  pourtant,  que  certains  laiqaes  se  montraient 
plus  accommodants.  Nous  assistons  même  à  la  conversion  d'un 
grand  propriétaire,  qui  pousse  la  bonne  A'olonté  jusqu'à  secon- 
der Augustin  dans  sa  propagande  -K 

Après  l'édit  d'union  de  412,  toutes  les  correspondances  de  la 
région  mettent  en  scène  des  convertis.  Mais  quels  convertis  ! 
Un  prêtre  qui  se  débat  contre  des  policiers  et  rêve  du  suicide  ; 
des  fidèles,  devenus  catholiques  de  nom,  mais  restés  sectaires 
de  nature  et  d'esprit,  qui  mènent  une  guerre  ouverte  contre 
leur  évêque  et  songent  à  le  tuer  ;  une  religieuse  tourmentée  par 
le  doute,  et  prête  à  retomber  dans  le  schisme  4. 

C'est  surtout  dans  ces  contrastes  qu'est  l'intérêt  historique 
et  psychologique  de  ces  correspondances.  En  même  temps  que 
le  progrès  matériel  et  la  victoire  incontestable  du  Catholicisme, 
on  y  saisit  sur  le  A'if  l'énergie  des  résistances,  même  involon- 
taires, qu'opposait  à  l'Eglise  catholique  la  persistance,  chez  les 
convertis,  de  la  mentalité  donatiste. 


III 


Autres  correspondances  douatisles  en  Numidie.  — Crispinus  de  Calama.  — 
Ses  relations  cpistolaires  avec  Augustin.  —  Ses  démêlés  avec  Possidius 
et  ses  réponses. —  laiiu<afiainis,prini;il  douât isie  de  >«mni(lie.  —  L't'vô(|uo 
Fortunius  et  les  scbismaliqiics  ilc  Tliul)iirsicuiii  ^iuuiidaiiun.  —  L'évèqiie 
Honoratus.  —  Discussion  par  lettres  avec  Augustin.  — Lettre  d'un  prêtre 


1)  Episl.  28  ;  33-8r)  ;  100-108.  3)  Epist.  56-57. 

2)  Epist.  ]():.,  1.  -i)  Epist.   173;  208-209. 


CORRKSPONDANCES  287 

schisiiiatique  de  Constaatiiie.  —  Lettre  du  Dotiatiste  Naucellio.  —  Le 
schismatique  Severinus,  cousin  d'Augustin.  —  Ses  lettres  à  l'évêque 
d'Hippone.  —  Correspondances  avec  des  Donalistes  convertis.  —  L'avocat 
Castorius.  —  Lettre  des  convertis  de  Constantine.  —  Lettre  des  prêtres 
Saturuiuus  et  Eufrates.  —  Caractères  de  ces  diverses  correspondances. 

En  dehors  du  diocèse  ou  de  la  région  d'Hippone,  la  littéra- 
ture épistolaire  du  Donatisme  a  laissé  des  traces  multiples  sur 
divers  points  du  pays  nurtiide  :  à  Calama,  à  Thubursicum  Nu- 
midarum,  à  Constantine,  à  Thamugadi,  et  ailleurs.  Dans  la 
correspondance  dWugustin  se  sont  conservées  bien  des  lettres 
adressées  à  des  schismatiques  de  la  contrée,  et,  par  fragments, 
des  lettres  de  ces  mêmes  schismatiques  '. 

Rappelons  d'abord,  pour  mémoire,  une  série  de  pièces  impor- 
.  tantes  qui  ont  été  étudiées  précédemment  :  pour  Constantine, 
les  lettres  de  Petilianus  au  clergé  de  son  diocèse  ou  à  l'évêque 
catholique  d'Hippone-  ;  pour  Thamugadi,  les  lettres  de  Gau- 
dentius  au  tribun  Dulcitius  ou  à  Augustin^.  Ce  sont  là,  comme 
on  l'a  vu,  des  ouvrages  en  forme  de  lettre,  plutôt  que  de  véri- 
tables lettres.  Ce  qui  nous  intéresse  ici,  ce  sont  les  correspon- 
dances proprement  dites. 

Telle  est  la  correspondance  d'xAugustin  avec  Crispinus  de 
Calama  :  correspondance  dont  deux  pièces  nous  sont  parvenues 
ititactes,  avec  des  fragments  d'autres  pièces^. 

Ce  Crispinus  est  une  figure  assez  curieuse  d'évèque  proprié- 
taire, de  sectaire  fanatique  et  ploutocrate.  On  ne  sait  rien  sui' 
sa  jeunesse  ni  sur  son  âge  mùr.  Au  moment  de  ses  démêlés  avec 
Augustin  et  Possidius,  vers  le  début  du  cinquième  siècle,  il 
était  déjà  fort  âgé,  et  gouvernait  depuis  longtemps  la  commu- 
nauté schismatique  de  Calama.  Mais  l'âge  n'avait  pas  atténué 
l'ardeur  et  la  violence  de  son  caractère.  C'était  un  homme  très 
passionné,  intransigeant,  têtu,  très  autoritaire.  Il  avait,  d'ail- 
leurs, de  l'instruction  ;  il  passait  même  pour  savant  chez  les 
Donatistes,  qui  admiraient  sa  «  docte  vieillesse  —  doctissima 
annositas^  ».  Plus  encore  que  la  science,  Crispinus  estimait 
la  fortune  :  il  était  fort  riche,  aimait  à  faire  sonner  ses  écus,  et 
s'en  servait  à  l'occasion  pour  sa  propagande o. 

Lors  du  schisme  maximianiste,  il   resta  fidèle  à   Primianus, 


1)  Augustin,  Epist.  43-44  ;  49  ;  51-53  ;  II,  ]  et  suiv.  ;  Retracl.,  II,  85. 
6(j  ;  69-70  ;  88  ;  142  ;  144.  4)  Epist.  51  et  GG. 

2)  Contra    litteras    Petiliani,    I,    1    et  5)  Contra  Cresconium,    III,    46,  50.  — 
suiv.  ;  II,  ]  et  suiv.  ;  III,  1  et  suiv.  ;  Re-  Cf.  Possidius,  Vita  Aiigusliui,   12. 
tract.,  II,  51.  '       6)  Augustin,  Epist.  66,  1  ;    Contra   lit- 

3)  Contra    Gaudenlium,   1,  1    et  suiv.  ;  teras  Petiliani,  II,  99,  228. 


288  LITTÉRATURE    DONATISTE 

dont  il  fut  toujours  un  fougueux  partisan.  Il  assistait  en  394 
au  concile  de  Bagaï,  qui  excommunia  les  Maximianistes '.  Vers 
397,  il  entra  en  relations  avec  Augustin.  Les  deux  évêques, 
dont  les  diocèses  étaient  voisins,  mais  qui  ne  se  connaissaient 
jusque-là  que  de  nom,  se  rencontrèrent  à  Carthage.  Leur  en- 
trevue fut  courtoise,  probablement  grâce  à  la  déférence  d'Au- 
gustin pour  son  aîné.  Au  cours  de  la  conversation,  Crispinus 
fit  une  promesse,  relative  sans  doute  à  un  projet  de  contro- 
verse'-^. Mais  il  ne  tint  pas  son  engagement;  et  les  choses  en 
restèrent  là  pour  le  moment. 

Deux  ou  trois  ans  plus  tard,  vers  399,  Crispinus  parut  se 
souvenir  de  sa  promesse.  Il  fit  savoir  ou  laissa  entendre  qu'il 
désirait  une  controverse  publique,  sur  le  schisme,  avec  son  col- 
lègue catholique  d'Hippone.  I^ar  malheur,  depuis  son  expérience 
de  Carthage,  Augustin  était  en  défiance  :  il  suspectait  un  peu 
la  bonne  foi  ou  les  intentions  du  Donatiste.  Au  lieu  d'une  dis- 
cussion publique,  qui  pouvait  donner  lieu  à  des  scandales  ou  à 
des  malentendus,  il  proposa  une  discussion  «  par  lettres ^  ». 
Cette  discussion,  il  l'engagea  aussitôt,  en  envoyant  à  Cris- 
pinus une  série  de  questions  et  objections^.  Nous  possédons 
la  lettre  par  laquelle  il  ouvrit  le  feu^'. 

Il  commençait  par  rappeler  discrètement  la  conversation  de 
Carthage,  l'engagement  pris  et  si  vite  oublié.  Mais  il  se  gar- 
dait d'insister  là-dessus,  dans  la  crainte  d'effaroucher  le  Dona- 
tiste :  «  Sur  ta  promesse  de  Carthage  ou  sur  nos  instances, 
trêve  de  paroles.  Peu  importe  la  façon  dont  les  choses  se  sont 
passées  entre  nous  :  c'est  fini,  que  cela  ne  soit  pas  un  obstacle 
pour  l'avenir.  Maintenant,  si  je  ne  me  trompe,  et  Dieu  aidant, 
il  n'y  a  plus  d'excuse  possible  :  nous  sommes  tous  deux  en  Nu- 
midie,  et  nous  sommes  voisins.  »  Puis  il  écartait  d'une  main 
légère  l'idée  d'une  controverse  publique,  pour  y  substituer  son 
idée  d'une  discussion  par  lettres  :  «  D'après  les  bruits  qui  sont 
venus  jusqu'à  moi,  tu  veux  encore  tenter  de  discuter  avec  moi 
sur  la  question  qui  sépare  nos  deux  communions.  Vois  comme 
j'écarte  d'un  mot  tous  les  retards  :  réponds  à  la  présente  lettre, 
si  tu  le  veux  bien.  Cela  suffira  peut-être,  non  seulement  à 
nous,  mais  encore  à  ceux  qui  désii'ent  nous  entendre.  Ou  bien, 
si  cela  ne  suffit  pas,  nous  continuerons  à  nous  écrire  et  à  nous 


1)  Contra  Crcsconium,  III,  .OS,  .59  ;  I\',            .">)  Ejiist.  ")!.  —   Possidius    lueritionue 
10,  12.  ([uatro    k-Ures    d'.\ugustiii    à   Crispinus 

2)  Epist.  r>l,l.  (Indic.    oper.   Auyiistini,    3).    Nous    n'en 
.S)   lhi<l.,'>l,  ].  ii\i)ns  que  deux  [Episl.  51  et  û(>). 

■i)  Ibid.,  51,  2-5. 


COHRESPONDANCES  289 

répondre,  jusqu'à  ce  que  cela  suffise.  N'est-ce  pas  le  plus  com- 
mode, grâce  au  voisinage  des  villes  que  nous  habitons  ?  Quant 
à  moi,  je  suis  bien  décidé  à  ne  pas  discuter  là-dessus  avec 
vous,  si  ce  n'est  par  lettres.  De  cette  façon,  aucun  de  nous  ne 
pourra  oublier  ce  qui  aura  été  dit  ;  et  nous  donnerons  satisfac- 
tion aux  amateurs  de  ce  genre  de  discussions,  qui  autrement, 
peut-être,  ne  pourraient  pas  y  assister  '.  »  Puis,  sans  tarder, 
i'évêque  d'Hippone  engageait  la  controverse. 

Invoquant  le  témoignage  de  l'Ecriture,  il  soutenait  que  le 
schisme  est  le  plus  grand  des  crimes  :  plus  grand  même  que 
ridolàtrie  ou  la  destruction  des  Livres  sacrés  '■^.  Contre  les 
mauvaises  raisons  qu'alléguaient  les  schismatiques  africains 
pour  justifier  leur  rupture,  Augustin  développait  un  système 
d'argumentation  qui,  en  ces  années-là,  lui  devenait  de  plus  en 
plus  familier.  Vous  nous  reprochez,  disait-il,  de  prétendus  crimes 
de  traditio  :  cependant  vous  avez  accueilli  et  maintenu  dans 
leurs  fonctions  épiscopales  vos  propres  schismatiques,  bien 
plus  coupables  d'après  vos  propres  théories,  et  solennellement 
condamnés  par  votre  concile  de  Bagar^  Vous  nous  accusez 
d'en  appeler  au  pouvoir  séculier  pour  vous  persécuter  :  mais, 
vous-mêmes,  pour  la  restitution  des  basiliques,  vous  avez  in- 
tenté des  procès  aux  Maximianistes  devant  les  gouverneurs 
africains^.  Vous  déclarez  que,  seuls,  vous  pouvez  conférer  le 
baptême  :  cela  ne  vous  a  pas  empêchés  d'accepter  comme  va- 
lable le  baptême  conféré  en  dehors  de  vous  par  vos  schisma- 
tiques"'. Bref,  sur  les  trois  questions  essentielles  qui  séparaient 
les  deux  Eglises,  schisme,  persécution,  baptême,  la  conduite 
des  Primianistes  envers  les  Maximianistes  était  en  opposition 
flagrante  avec  les  principes  dont  ils  se  targuaient  contre  les 
Catholiques '\ 

C'est  sur  tout  cela  qu'Augustin  priait  Crispinus  de  s'expli- 
quer nettement  :  «  Réponds  à  cela,  disait-il.  Vois  comme  votre 
concile  a  traité  de  sacrilège  le  schisme  des  Maximianistes  ;  vois 
comme  vous  les  avez  persécutés  avec  l'aide  des  puissances  ju- 
diciaires ;  vois  comme  vous  avez  admis  leur  baptême,  en  les 
admettant  eux-mêmes  après  les  avoir  condamnés.  Puis  réponds, 
si  tu  le  peux,  quel  moyen  vous  emploierez  pour  jeter  de  la 
poudre  aux  yeux  des  ignorants.  Dites  pourquoi  vous  êtes  sé- 
parés du  monde  entier  par  un  schisme  bien  plus  criminel  que 
le  schisme  condamné  par  vous-mêmes,  vous  vous  en  glorifiez, 

1)  Epist.  51,  1.  4)  Epist.  51,  3. 

2)  Ibid.,  51,  1.  5)  Ibid.,  51,  4. 

3)  Ibid.,  51.  2.  6)  Ibid.,  51,  5. 


290  LITTÉRATUUE    DONATISTE 

chez  les  Max:liTilanistes.  Que  la  paix  du  Christ  triomphe  dans 
ton  camr'.  »  Il  est  à  craindre  que  la  «  paix  du  Christ  »  n'ait 
pas  triomphé  dans  l'àme  du  Donatiste.  En  tout  cas,  rien  n'au- 
torise à  croire  que  Crispinus  ait  même  pris  la  peine  de  ré- 
pondre. 

Après  un  entr'acte  d'un  an  ou  deux,  Augustin  revint  à  la 
charge.  Cette  fois,  il  voulait  surtout  protester  contre  un  singu- 
lier abus  de  pouvoir  de  son' collègue  schismatique,  qui,  devenu 
propriétaire  foncier  dans  le  diocèse  d'Hippone,  en  avait  profité 
pour  y  pousser  sa  propagande,  et  pour  y  déchaîner  sur  les 
malheureux  paysans  de  ses  terres  les  coups  de  la  grâce  dona- 
tiste. C'était  en  400  ou  401.  Crispinus  avait  acheté  récemment 
le  domaine  des  Mappalia,  situé  aux  environs  d'Hippone.  Quand 
le  nouveau  propriétaire  vint  visiter  son  domaine,  il  constata 
que  quatre-vingts  de  ses  colons  étaient  catholiques  :  sans  leur 
demander  leur  avis,  il  les  convertit  d'office,  et  les  rebaptisa-. 

Ce  fut  un  beau  scandale  dans  la  région.  L'évêque  d'Hippone 
fut  indigné.  On  s'en  aperçoit  au  ton  de  la  lettre  qu'il  écrivit 
aussitôt  à  Crispinus.  Il  le  menaçait  d'un  procès  :  il  pourrait, 
disait-il,  le  faire  condamner  à  l'amende  des  dix  livres  d'or, 
prévue  par  les  lois  récentes  contre  les  rebaptiseurs  3.  Cepen- 
dant, il  préférait  une  solution  à  l'amiable.  Il  proposait  donc 
au  Donatiste  une  discussion  contradictoire,  en  présence  des 
paysans  du  domaine  :  on  dresserait  le  procès-verbal  complet 
de  toutes  les  paroles  prononcées,  et  l'on  traduirait  ce  procès- 
verbal  en  punique  pour  ceux  qui  ne  savaient  pas  le  latin.  Après 
avoir  entendu  les  deux  évèques,  les  colons  des  Mappalia  choi- 
siraient librement  entre  les  deux  Eglises.  On  pourrait  procéder 
de  même  dans  d'autres  domaines,  où  les  Donatistes  préten- 
daient que  les  paysans  avaient  été  convertis  de  force,  par  leur 
maître,  au  Catholicisme^. 

La  lettre  se  terminait  par  une  invitation  pressante  :  «  Je 
t'adjAre,  par  le  Christ,  de  répondre  à  cela  »,  disait  Augustin^''. 
Cette  fois  encore,  semble-t-il,  l'évêque  —  propriétaire  —  fit  le 
sourd  ;  et  son  adversaire  ne  paraît  pas  avoir  donné  suite  à  sa 
menace  de  procès. 

Bientôt  Crispinus  allait  se  trouver  aux  prises,  et  dans  sa 
ville  épiscopale,  avec  un  adversaire  moins  patient  :  son  collègue 
catholique  de  Calama,  encore  jeune  en  ces  temps-là,  l'ardent  et 

1)  «  Pax  Cliristi  \iiic;il  in  rurilt^  liio  »  3)   Episl.  (îfi,  1. 
[ihid.,  51,  .5).                                                                4)  Ibid.,  (i(),  2. 

2)  Episl.    Gfi,  1  ;   Contra   Ulleras  Peli-  h)  «   Adjuro    te   pcr    Christiiin  ut    ;iil 
Uani,  II,  8.3,  184  ;  99,  22S.                                  ista  rcspondeas  »  {ihid.,  6(),  2). 


CORRESPONDANCES  291 

belliqueux  Possidiûs.  Ancien  moine  d'Hippone,  disciple  et  ami 
d'Auofustin,  orand  admirateur  du  maître  dont  il  devait  écrire 
la  biogi*aphie,  Possidiûs  avait  horreur  des  schismatiques.  On  a 
vu  que  Grispinus  n'était  pas  mieux  disposé  pour  les  Catho- 
liques. La  guerre  ne  pouvait  manquer  d'éclater  entre  les  deux 
évêques  rivaux  de  Galama.  Ce  fut  une  guerre  sourde,  d'abord. 
Après  un  attentat  donatiste,  ce  fut  une  guerre  ouverte,  qui 
aboutit  à  d'interminables  querelles  devant  les  tribunaux.  Plu- 
sieurs document^  fort  curieux  déroulent  encore  sous  nos  yeux 
les  péripéties  assez  pittoresques  de  ce  long  duel  épiscopal  ^. 

A  notre  connaissance,  c'est  en  403  que  les  deux  évêques  de 
Galama  se  trouvèrent  pour  la  première  fois  en  présence.  Dans 
l'automne  de  cette  année-là,  conformément  aux  résolutions  ar- 
rêtées à  Carthage  par  le  concile  catholique  du  25  août,  Possi- 
diûs voulut  mettre  son  collègue  schismatique  en  demeure 
d'adhérer  au  projet  de  conférence  générale.  Suivant  la  procédure 
adoptée,  il  s'adressa  aux  autorités  municipales,  qui  devaient 
servir  d'intermédiaires  et  faire  dresser  le  procès-verbal.  A  Ga- 
lama, comme  à  Hippone,  il  y  eut  deux  entrevues  successives. 
Lors  de  la  première  convocation,  Grispinus  déclara  sèchement 
qu'il  ne  pouvait  répondre  à  la  notification  du  Catholique,  avant 
de  connaître  la  décision  du  concile  de  son  parti.  Convoqué  de 
nouveau,  quelques  mois  plus  tard,  après  la  réunion  du  concile 
donatiste,  il  afficha  le  plus  profond  dédain  pour  son  adver- 
saire, affectant  d'ignorer  sa  présence,  jouant  au  prophète,  ne 
répondant  aux  questions  et  aux  sommations  des  magistrats  que 
par  des  versets  bibliques  '~. 

Ce  fut  d'abord  un  trait  emprunté  au  livre  des  Macchabées  : 
«  Ne  crains  pas  les  paroles  du  pécheur  3.  »  Puis,  cette  maxime 
des  Proverbes  :  «  Garde-toi  de  parler  devant  les  oreilles  d'un 
insensé  ;  s'il  t'entend,  il  raillera  la  sagesse  de  tes  discours  ^.  » 
Sommé  de  s'expliquer  plus  clairement,  le  Donatiste  ajouta  : 
«  Voici  ma  réponse,  conforme  au  langage  du  patriarche  :  Que 
les  impies  s'éloignent  de  moi,  je  ne  veux  pas  connaître  leurs 
voies ^^.  »  Ces  énigmes,  qui  durent  causer  quelque  stupéfac- 
tion aux  magistrats,  n'étaient  que  trop  claires  pour  un  évêque 
catholique.  Elles  signifiaient  aussi  que  Grispinus  se  considérait 
comme  un  juste,  un  sage,  un  saint,  et  qu'il  regardait  Possi- 
diûs comme  un  pécheur,  un  insensé,  un  impie.  Les  oracles  du 

1)  Possidiûs,   Vita  Augustini,  12  ;   Au-        16,  50. 

gustin,  Epist.  88,   7  ;  105,  2,  4  ;    Contra  3)  I  Macchab.,  2,  62. 

Cresconium,  lll,  46,  50  et  suiv.  4)  Proverh.,  '2'i,  9. 

2)  Augustin,    Contra    Cresconium,   III»  5)  Job.,  34,  27. 


292  LITTÉRATURE    DONATISTE 

prophète  de  Calama  n'en  mirent  pas  moins  en  gaieté  Augustin 
et  ses  amis. 

Ces  railleries  contribuèrent  sans  doute  à  exaspérer  les  clercs 
dissidents,  dont  les  rancunes  mirent  en  péril  jusqu'à  la  vie  de 
Possidius.  A  quelque  temps  de  là,  vers  la  fin  de  403,  un  sau- 
vage attentat  émut  toute  la  contrée.  Au  cours  d'une  tournée 
pastorale,  l'évêque  catholique  de  Calama  fut  attaqué  soudain 
par  une  bande  de  fanatiques,  que  commandait  le  prêtre  Crispi- 
nus,  homonyme  et  peut-être  parent  de  l'évêque  schismatique. 
Voyant  la  route  barrée,  Possidius  se  réfugia  dans  un  domaine 
voisin  avec  les  gens  de  son  cortège.  Il  y  fut  poursuivi  par  les 
énergumènes,  qui  commencèrent  le  siège  de  la  maison,  et  qui 
par  trois  fois  y  mirent  le  feu.  Les  assiégés  auraient  été  brûlés 
vifs,  sans  l'intervention  des  Colons  du  domaine,  qui  éteigni- 
rent l'incendie.  Enfin,  la  porte  céda.  Les  assiégeants  enva- 
hirent aussitôt  la  maison,  saccageant  tout,  pillant  les  bagages, 
assommant  les  gens  et  jusqu'aux  bêtes  de  charge.  L'évêque 
s'était  caché  à  l'étage  supérieur.  On  l'y  découvrit,  on  le  traîna 
vers  l'escalier,  on  le  poussa  en  bas  avec  force  coups.  A  ce  mo- 
ment, le  prêtre  Crispinus  donna  le  signal  de  la  retraite  : 
effrayé  sans  doute  des  conséquences  d'un  crime  commis  devant 
tant  de  témoins.  Le  malheureux  évêque  échap})ait  à  ses  bour- 
reaux par  miracle.  Il  en  fut  quitte  pour  de  multiples  contu- 
sions '. 

Cet  attentat  donna  lieu  à  de  longs  procès,  qui  durèrent  plus 
d'un  an,  et  où  plusieurs  fois  les  deux  évêques  de  Calama  se  re- 
trouvèrent face  à  face.  Possidius  déposa  une  plainte  auprès  des 
magistrats  de  la  cité  :  très  modéré  dans  sa  requête,  il  invitait 
seulement  son  collègue  schismatique  à  désavouer  et  à  punir 
son  prêtre.  A  l'audience  municipale,  l'évêque  donatiste  refusa 
brutalement  toute  satisfaction.  Alors,  le  defensor  Ecclesiœ  du 
diocèse  entra  en  scène.  Il  poursuivit  l'évêque  Crispinus  devant 
le  tribunal  du  proconsul,  en  requérant  contre  lui  l'application 
de  la  loi  de  Théodose  contre  les  clercs  hérétiques,  l'amende  des 
dix  livres  d'or.  Crispinus  plaida  lui-même  sa  cause  devant  le 
proconsul.  Il  soutint  ([u'il  n'était  nullement  hérétique.  Par  son 
argumentation,  il  embarrassa  le  juge,  et  déconcerta  même 
l'accusateur  public,  qui  abandonna  l'affaire.  Possidius,  qui  ne 
lAchait  pas  prise  aisément,  reprit  l'accusation  pour  son  compte  ; 
et  le  procès  recommença.  A  Cartilage,  devant  le  proconsul,  une 


1)  Augustin,  Conlra    Cresconium,    III,        \'ita  Aunustini,  12. 
46,     50  ;    Epist.    105,    2,    4  ;    Possidius, 


CORRESPONDANCES  293 

longue  controverse  s'engagea  entre  les  deux  évêques  de  Ga- 
lama  sur  les  caractères  de  l'hérésie.  Vaincu,  sinon  convaincu, 
par  son  adversaire,  Grispinus  l'at  déclaré  hérétique,  et  con- 
damné à  l'amende.  Gondamnation  de  principe,  puisque  le  juge 
accorda  remise  de  l'amende  sur  la  requête  de  l'accusateur  lui- 
même.  ?>Iais  Grispinus  continuai  de  protester  contre  le  principe 
de  la  condamnation  :  il  en  appela  au  tribunal  de  l'empereur. 
Mal  lui  en  prit  ;  car  l'empereur  confirma  la  sentence,  en  blâ- 
mant l'indulgence  du  juge.  Gette  fois  encore,  l'amende  fut  re- 
mise sur  une  nouvelle  requête  de  Possidius  et  d'autres  évêques 
catholiques  '.  D'ailleurs,  la  générosité  de  ses  adversaires  ne  fit 
qu'exaspérer  Grispinus,  comme  une  humiliation. 

Jusqu'au  bout,  il  resta  fidèle  à  son  parti.  Au  reste,  il  n'eut 
guère  à  souffrir  pour  son  Eglise.  Il  ne  fut  pas  sérieusement 
inquiété  après  l'édit  d'union  de  405  ~.  Il  conserva  son  siège 
épiscopal  jusqu'au  début  de  411.  Mais  le  l*^""  juin  de  cette  année- 
là,  à  la  première  séance  de  la  Gonférence  de  Garthage,  Peti- 
lianus  de  Gonstantine  put  dire,  à  propos  de  la  communauté  dis- 
sidente de  Galama  :  «  Grispinus  est  sorti  tout  récemment  de 
son  corps -^  »  Le  farouche  sectaire  était  mort  à  temps  pour  ne 
pas  assister  à  la  déroute  de  son  parti.  Sectaire,  il  l'avait  tou- 
jours été  ;  mais,  d'an,néeen  année,  il  était  devenu  plus  intransi- 
geant. Les  relations  épistolaires  avec  Augustin  et  ses  démêlés 
avec  Possidius  nous  l'ont  montré  de  plus  en  plus  sourd,  ou  de 
moins  en  moins  poli. 

Aussi  peu  accommodant  que  Grispinus,  mais  moins  batail- 
leur, était  son  collègue  lanuarianus,  qui,  par  droit  d'ancienneté, 
devint  primat  donatiste  de  Numidie.  Ge  lanuarianus  était 
évêque  des  Cases  Noires  [Casse  Nigrœ  ou  Nigrenses),  cité  nu- 
mide dont  on  ignore  l'emplacement  exact.  Les  schismatiques 
étaient  maîtres  dans  cette  localité,  o\x  les  Gatholiques  n'avaient 
même  pas  d'évêque 's  Pendant  bien  des  années,  lanuarianus 
s'était  contenté  d'administrer  son  diocèse,  sans  qu'on  entendit 
parler  de  lui.  Nous  savons  seulement  qu'il  assistait  en  394  au 
concile  primianiste  de  Bagaï  ^. 

A  ce  moment,  il  n'était  pas  encore  primat  de  Numidie,  mais 
il  était  déjà  l'un  des  évêques  les  plus  anciens  :  il  est  nommé  le 
cinquième  dans    l'en-tête    de    la    SeiiLence    du    concile.   Il    fut 


1)  Augustin,    Episl.  88,  7;    105,  2,  4  ;  3)  Collât.  Carlhag.,  I,  139. 
Contra  Cresconium,  III,  47,  51  et  suiv.  ;  4)  Ibid.,  I,  157. 

Possidius,  Vita  Augaslini,  12.  5)  Augustin,    Contra    Cresconium,   III, 

2)  Augustin,    Contra   Cresconium,  III,  53,  59  ;  IV,  10,  12. 
47,  51. 


294  LITTÉRATURE    DONATISTE 

promu  à  la  charge  de  primat  avant  402  ;  car,  cette  année-là,  il 
est  mentionné  comme  étant  l'un  des  principaux  Donatistes, 
entre  Donat  et  Petilianus  K  C'est  donc  vers  400,  comme  doyen 
des  évêques  de  la  province  par  l'ancienneté  de  sa  consécra- 
tion épiscopale,  que  lanuarianus  devint  le  chef  de  l'Eglise  dis- 
sidente en  Numidie. 

Gomme  tel,  il  joua  un  rôle  en  411,  un  rôle  d'apparat,  dans 
les  préliminaires  de  la  Conférence  de  Carthage.  Pour  la  signa- 
ture des  pièces  officielles,  et  sans  doute  dans  les  cérémonies,  il 
eut  le  pas  sur  Primianus  lui-même,  primat  de  Carthage  et  chef 
réel  du  parti  ^  :  préséance  tout  honorifique,  qu'il  devait  évidem- 
ment, non  pas  à  son  mérite  personnel  ni  à  sa  réputation,  mais 
à  une  vieille  tradition  remontant  aux  origines  mêmes  de  la 
secte.  D'ailleurs,  malgré  ces  honneurs  et  ces  prérogatives 
apparentes,  lanuarianus  n'exerça  aucune  action  sur  les  dé- 
bats ;  il  ne  put  même  y  prendre  part,  n'ayant  pas  été  élu  man- 
dataire du  parti.  On  ne  sait  ce  qu'il  devint  après  la  condam- 
nation du  Donatisme,  au  milieu  de  l'effondrement  de  son 
Eglise. 

La  correspondance  d'Augustin  avec  lanuarianus  est  anté- 
rieure de  plusieurs  années  à  la  Conférence  de  Carthage*^.  Elle 
se  rapporte  aux  violences  commises  par  les  schismatiques  dans 
le  nord  de  la  Numidie.  L'édit  d'union  de  405,  appliqué  sans 
méthode  et  par  à-coups  en  ces  régions,  n'y  avait  pas  produit 
l'effet  attendu  :  loin  d'effrayer  ou  de  ramener  les  dissidents,  il 
les  avait  exaspérés  sans  les  affaililir  sérieusement.  Leur  fureur 
avait  redoublé  ;  les  attentats  se  multipliaient.  Augustin,  qui 
n'avait  plus  d'illusions  sur  ses  confrères  schismatiques  d'Hip- 
pone  ou  des  diocèses  voisins,  résolut  vers  406  de  tenter  une 
démarche  auprès  de  leur  chef  hiérarchique.  D'où  sa  lettre  à 
lanuarianus,  primat  donatiste  de  Numidie  :  lettre  envoyée  au 
nom  des  «  clercs  catholiques  de  la  région  d'Hippo  Regius^  », 
mais  inspirée  et  même  rédigée  par  leur  évêque,  dont  on  recon- 
naît la  manière  et  le  style.  L'objet  de  la  lettre  était  double  : 
protester  contre  les  violences  en  sommant  le  primat  de  les  faire 
cesser,  et,  en  même  temps,  lui  proposer  une  conférence  entre 
évêques  des  deux  partis,  ou,  tout  au  moins,  engager  une  con- 
troverse épistolaire  où  l'on  chercherait  à  s'entendre. 


1)  Contra    lilteras    Petilioni,    UI,    53,  157  ;  III,  2ôl  cl  2.5S. 

<>5  et  suiv.  -^  Cf.  Possidiiis,  Indlc.  oper.  '^)  Aujzuslin,  Epist.  8S. 
Augiistini,    3  :    «  Jnnuari  (an)o,  priniati  4)  «  laniiari(an)o  clerici  catholici  re- 
partis Di)uati  ».  j^ionis  Hip])oncnsiumIlc^iorutn))(£p(S<. 

2)  Collât.    Curtkay.,    I,    14;    148-149;  88,  cii-tèto). 


COHUESPONDANCES  295 

Cette  longue  lettre,  qui  a  souvent  les  allures  d'un  ti-aité,  vi- 
sait d'abord  à  établir  la  légitimité  du  recours  au  pouvoir  sécu- 
lier. Dès  ses  premiers  mots,  l'auteur  constatait  le  fait,  brutal 
qui  poussait  à  bout  les  Catholiques  :  «  Vos  clercs  et  vos  Cir- 
concellious,  disait-il,  sévissent  contre  nous  en  déchaînant  une 
persécution  d'un  nouveau  genre  et  d'une  cruauté  inouïe  '.  »  Ces 
violences  justifiaient  le  récent  édit  d'union.  Les  Donatistes  de- 
vraient s'incliner  devant  ces  lois  impériales  ;  car  leurs  an- 
cêtres avaient  été  les  premiers  à  solliciter  l'intervention  du 
gouvernement  dans  la  querelle  des  Eglises,  en  accusant  Ceeci- 
lianus  de  Carthage  auprès  de  Constantin"-.  C'est  ce  que  mon- 
traient bien  les  pièces  officielles  ici  reproduites  et  toute  l'histoire 
des  premiers  temps  du  schisme  :  le  rapport  du  proconsul  Anu- 
linus^,  les  conciles  de  Rome  et  d'Arles,  les  appels  successifs 
des  dissidents,  la  sentence  de  Constantin  et  la  loi  qui  suivit  '% 
l'enquête  sur  Félix  d'Abthugni  et  la  lettre  de  l'empereur  au 
proconsul  Probianus"'.  Tous  ces  documents  et  ces  faits  prou- 
vaient en  toute  évidence  que  les  Donatistes  avaient  les  premiers 
provoqué  l'intervention  du  pouvoir  séculier  6. 

Si  les  Catholiques,  à  leur  tour,  s'étaient  engagés  dans  cette 
voie,  c'est  qu'ils  y  avaient  été  contraints  par  les  attentats  des 
clercs  schismatiques  et  des  Circoncellions  :  pour  se  défendre, 
ils  avaient  dû  demander  l'application  des  lois".  Encore  avaient- 
ils  patienté  tant  qu'ils  l'avaient  pu.  Vainement  ils  avaient 
proposé  naguère  une  conférence  générale  entre  les  deux  partis, 
et  montré  une  patience  toute  chrétienne  dans  leurs  plaintes, 
notamment  lors  des  procès  de  Crispinus,  ou  dans  leurs  re- 
quêtes à  l'empereur  :  les  violences  de  leurs  adversaires,  sur- 
tout l'attentat  contre  Maximianus  de  Bagai,  avaient  décidé  le 
gouvernement  à  lancer  le  récent  édit  d'union'^.  Malgré  ces  lois, 
les  violences  avaient  continué,  même  redoublé.  Les  Donatistes 
se  disaient  persécutés  ;  mais  c'étaient  leurs  amis  les  Circoncel- 
lions, et  même  certains  de  leurs  clercs,  qui  terrorisaient  la 
contrée  par  des  brigandages  de  tout  genre,  incendies,  vols, 
mutilations  ou  meurtres-'.  A  ces  provocations  et  à  ces  crimes, 
les  Catholiques  n'opposaient  qu'une  propagande  toute  paci- 
fique et  l'ardeur  d'une  charité  toute  chrétienne.  Si  parfois  des 
schismatiques  avaient  été  frappés  à  lenr  tour,  ils  l'avaient  été,  à 


1)  Epist.  88,  1.  (i)  Epist.  88,  5. 

2)  IbicL,  88,   1.  7)  Ibid.,  88,  6. 

3)  Ibid.,  88,  2.  8)  Ibid.,  88,  7. 

4)  Ibid.,  88.  3.  9)  Ibid.,  88,  8. 

5)  Ibid.,  88,  3-4. 


296  LITTÉRATURE    DONATISTE 

l'iiisu  du  clergé  et  malgré  sa  défense,  par  leurs  victimes  qui  se 
jugeaient  en  état  de  légitime  défense  '. 

Pour  mettre  fin  à  tous  ces  brigandages,  les  clercs  d'Hippone 
s'adressaient  maintenant  à  lanuarianus,  comme  à  la  plus  haute 
autorité  de  l'Eglise  donatiste  en  Numidie.  Ils  invitaient  le  pri- 
mat à  prendre  des  mesures  pour  rétablir  la  paix.  Ils  lui  sug- 
géraient divers  moyens  :  soit  une  grande  conférence  entre  les 
évéques  des  deux  partis,  soit  un  concile  donatiste,  soit  des  né- 
gociations par  l'intermédiaire  des  évéques  de  la  région  d'Hip- 
pone, soit  une  enquête  sur  les  attentats,  avec  confrontation  des 
coupables  et  des  plaignants,  soit  des  réprimandes  et  des  ins- 
tructions écrites  aux  clercs  compromis  dans  les  brigandages'^. 
Bref,  on  ne  prétendait  pas  imposer  au  primat  donatiste  telle  ou 
telle  décision;  mais  on  le  sommait  d'agir  enfin  d'une  façon  ou 
d'une  autre.  S'il  continuait  à  tolérer  les  excès  de  tout  genre 
commis  par  les  gens  de  sa  secte,  on  l'avertissait  qu'il  pourrait 
le  regretter  bientôt  :  «  De  tous  ces  moyens,  lui  disait-on, 
choisissez  ceux  que  vous  voudrez.  Mais,  si  vous  méprisez  nos 
plaintes,  nous  ne  regretterons  nullement  d'avoir  voulu  agir 
pacifiquement.  En  ce  cas,  le  Seigneur  secourra  son  Eglise;  et 
c'est  vous  qui  regretterez  d'avoir  méprisé  notre  humble  re- 
quête^. »  Sur  cette  menace  discrète  se  terminait  la  lettre  de 
protestation. 

Des  clercs  d'Hippone  avaient  été  chargés  de  porter  le  mes- 
sage, et  de  rapporter  la  réponse  du  primat''.  On  peut  craindre 
qu'ils  ne  soient  revenus  les  mains  vides.  lanuarianus,  malgré 
son  grand  âge\  semble  n'avoir  pas  été  plus  avisé  qu'aimable. 
Selon  toute  apparence,  il  ne  fit  rien  pour  arrêter  les  violences, 
il  n'envoya  pas  d'instructions,  il  n'accepta  ni  conférence  ni 
controverse,  il  ne  promit  rien,  et  même  il  ne  répondit  rien. 
C'était  assez  dans  les  traditions  de  la  politi([ue  et  de  la  poli- 
tesse des  Donatistes. 

Heureusement,  tous  les  schismatiques  de  Numidie  n'étaient 
pas  aussi  farouches  que  le  primat  lanuarianus  ou  son  collègue 
Grispinus  de  Calama.  Parmi  eux,  il  se  trouva  des  gens  de  bon 
sens,  aimables  et  polis,  assez  conciliants,  au  moins  dans  la 
forme,  qui  répondaient  aux  Catholiques  et  consentaient  à  dis- 
cuter pour  chercher  sincèrement  la  vérité.  Augustin  et  ses 
amis   purent  engager  des   controverses    par  lettres   avec  plu- 


1)  Epist.  88,  9.  4)  Epist.  88,  10-11. 

2)  Ihi,l.,  83,  10-12.  5)    Ibid.,  88,  1. 

3)  Ibid.,  88,  12. 


CORRESPONDANCES  297 

sieurs  d'entre  eux  :  tantôt  des  évoques  ou  des  clercs,  tantôt  des 
laïques  '. 

Au  premier  rang,  dans  l'ordre  de  la  courtoisie  comme  dans 
l'ordre  chronolog-ique,  on  doit  citer  des  schismatiques  de  Thu- 
bursicum  Numidarum  :  l'évèque  Fortunius,  et  un  groupe  de  ses 
fidèles,  Glorius,  Eleusius,  deux  personnages  du  nom  de  Félix, 
dont  l'un  était  peut-être  grammairien'. 

La  ville  de  Thubursicum  Numidarum,  aujourd'hui  Khamissa, 
dont  plusieurs  quartiers  sont  sortis  de  terre  au  cours  de  fouilles 
importantes  en  ces  dernières  années 3,  était  située  au  Sud  d'Hip- 
pone,  à  32  kilomètres  au  Sud-Ouest  de  Thagaste  (Souk  Ahras), 
la  ville  natale  d'Augustin.  C'est  dire  qu'on  y  connaissait  bien 
le  grand  évèque  catholique  d'Hippone.  On  l'y  considérait  un 
peu  comme  un  compatriote,  on  y  était  fier  de  ses  succès  et  de 
sa  renommée  ;  les  gens  de  tous  les  partis  avaient  pour  lui  une 
sincère  admiration.  Ces  considérations  ne  furent  peut-être  pas 
étrangères  aux  manifestations  de  la  sympathie  déférente  que 
lui  témoignèrent  à  plusieurs  reprises  les  schismatiques  de  l'en- 
droit. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  le  courant  de  397,  deux  ans  après  sa 
consécration  épiscopale,  Augustin  eut  l'occasion  de  se  rendre  à 
Thubursicum.  Il  y  noua  ou  y  renouvela  connaissance  avec  un 
groupe  de  dissidents  laïques,  Glorius,  Eleusius,  les  deux  Félix 
et  autres.  C'étaient  de  très  honnêtes  gens,  sincères  et  loyaux, 
connus  pour  leur  modération  et  leur  parfaite  orthodoxie,  aux- 
quels l'adversaire  le  plus  décidé  ne  pouvait  rien  reprocher, 
sinon  d'être  schismatiques  ^.  Ils  s'affligeaient  des  misères  du 
Donatisme  et  des  querelles  religieuses;  ils  désiraient  ardem- 
ment une  réconciliation,  et  cherchaient  à  la  préparer  par  do 
franches  explications"'.  Pour  Augustin,  qui  menait  une  très 
vive  campagne  contre  le  schisme,  et  qui  alors  comptait  seule- 
ment sur  la  persuasion  pour  ramener  les  dissidents,  c'était 
une  bonne  fortune  que  de  rencontrer  des  schismatiques  comme 
ceux-là.  Il  engagea  donc  avec  eux  une  controverse  en  règle, 
avec  pièces  à  l'appui,  sur  les  origines  et  la  légitimité  du 
schisme 'J.  Les  discussions  remplirent  trois  longues  séances. 

Pour  en  fixer  le  souvenir  et  en  marquer  les  résultats,  l'évêquo 


1)  Epht.  43-44  ;  49  ;  70.  mism  ;  Alger  et  Paris,  1914. 

2)  Episl.  43-4i.  4)  AugLisliii,  EpAsl.  43,  1. 

3)  Gsell    et   Joly,    Khainissa,    Mdaoa-  .5)  IbLd.,  43,  9,  27;  44,  1  et  suiv.  ;  44, 
roach,  Announn.  Fouilles   exécutét's   par  6,  13. 

le  Ser\ite  des   Moauinenls    historiques  6)  Episl.  43,  2,  3  et  suiv. 
de  l'Algérie.  —  Première   j^artie  :   A7ia- 


298  LITTÉRATURE    DONATISTE 

d'Hippone  imagina  de  résumer  toute  la  controverse  dans  une 
longue  lettre,  adressée  non  seulement  «  aux  seigneurs  ses  très 
chers  frères,  justement  recommandables,  Glorius,  Eleusius,  les 
Félix...  »,  mais  encore  «  à  toutes  les  autres  personnes  qui  le 
voudraient  bien  '  ».  Gomme  on  le  voit,  dans  la  pensée  de  l'au- 
teur, la  lettre  visait  le  public  autant  que  ses  correspondants  : 
elle  devait  servir  de  procès-verbal  pour  la  propagande  catholique. 

Dans  une  sorte  d'introduction,  Augustin  louait  hautement  ses 
amis  de  Thubursicum;  il  déclarait  qu'il  était  toujours  prêt  à  dis- 
cuter avec  les  Donatistes  sincères -.  Puis  commençait  le  compte 
rendu  détaillé  de  la  controverse.  Les  schismatiques  avaient 
produit  les  Actes  du  concile  des  dissidents  qui  à  Carthage,  en 
312,  avait  condamné  et  déposé  Cœcilianus^'.  L'évèque  d'Hip- 
pone avait  allégué  aussitôt  la  série  des  documents  dont  les 
Catholiques  se  servaient,  depuis  Optât,  pour  justifier  Cœcilia- 
nus  et  prouver  la  condamnation  de  ses  adversaires  par  l'empe- 
reur comme  par  les  conciles^.  Mais  tous  ces  documents,  Augus- 
tin ne  pouvait  en  donner  lecture,  ne  les  ayant  pas  sous  la  main. 
Il  avait  donc  proposé  de  les  envoj'er  chercher,  probablement  à 
Thagaste,  dans  les  archives  épiscopales  de  son  ami  Alype. 
Pendant  l'entr'acte,  il  était  allé  régler  une  affaire  dans  une  petite 
ville  des  environs.  Deux  jours  après,  les  documents  étant  arri- 
vés à  Tbubursicum,  la  conférence  avait  recommencé.  Le  matin, 
on  avait  lu  d'un  bout  à  l'autre  le  protocole  de  la  réunion  de 
Cirta,  en  305,  qui  prouvait  la  traditio  de  plusieurs  des  adver- 
saires de  Ciecilianus  ;  puis  les  Gesla  proconsalaria  de  l'en- 
quête qui  avait  établi  l'innocence  de  son  cousécrateur  Félix 
d'Abthugni.  L'après-midi,  on  avait  pris  connaissance  des  autres 
documents:  les  suppliques  des  dissidents  à  Constantin,  les  Gesta 
ecclesiasLica  du  concile  de  Pvome,  la  lettre  de  Constantin  noti- 
fiant sa  sentence  •". 

Après  avoir  fait  lire  ces  pièces,  Augustin  les  avait  longue- 
ment commentées.  Il  rappelait  à  ses  corres})ondants  les  princi- 
paux tlièmes  de  sa  démonstration  :  innocence  de  Ca-cilianus  et 
de  son  cousécrateur  ;  indignité  de  ses  advei-saires,  dont  beau- 
coup étaient  des  traditeurs  ;  précipitation  coupable  du  concile  de 
312,  qui  aurait  dû  renvoyer  l'affaire  aux  évêques  d'outre-mer''; 
imprudence  des  dissidents,  ((ui  avaient  sollicité  eux-mêmes 
l'intervention  du  pouvoir  séculier",  et  qui  avaient  préparé  ainsi 

1)  «    VA  ceti-ris    (juibus    hoc    frratmn  4)  Ephl!  \'à,  2,  3-4. 
est  »  (Ei)isL  43,  oii-lèle).                                         3)    Un<l.,  43,  2,  ."i. 

2)  Episl.  43,  1,  1-2.  (i)  IbUL,  43,  3,  (;-12  ;  C,  17-18. 
3;  ll>kl.,  43,  2,  3.  7)  Und.,  43,  4,  13. 


CORRESPONDANCES 


299 


leur  condamnation  ';  entêtement  absurde  des  Donatistes,  qui 
pourtant  avaient  contre  eux  toutes  les  Eglises  d'outre-mer',  et 
qui  venaient  de  condamner  eux-mêmes  leur  schisme  par  leur 
attitude  envers  leurs  propres  schismatiques^.  Cette  longue 
argumentation  avait  pour  conclusion  logique  une  exhortation  à 
rentrer  dans  l'Eglise  :  «  Mon  discours,  disait  Tévêque,  sera 
pour  vous  un  avertissement  salutaire,  si  vous  le  voulez;  sinon, 
un  témoin  contre  vous,  même  si  vous  ne  le  voulez  pas  \»  Le 
[)rocès-verbal  de  la  controverse  se  terminait  par  un  sermon  ;  et 
le  sermon,  par  une  mise  en  demeure  de  se  convertir. 

Si  Augustin  avait  donné  à  ce  procès-verbal  la  forme  d'une 
lettre  aux  Donatistes  de  Thubursicum,  ce  n'était  pas  seulement 
par  courtoisie  envers  eux;  c'était  pour  soumettre  son  compte 
rendu  à  leur  approbation,  pour  en  l'aire  ainsi  certifier  l'exacti- 
tude ou  provoquer  des  rectifications.  Ses  correspondants  lui 
ont  certainement  répondu  ;  mais  nous  n'avons  pas  leur  lettre. 

Ils  avaient  fait  à  Augustin  l'éloge  de  leur  évêque  Fortunius  ^  ; 
ils  firent  à  Fortunius  l'éloge  d'Augustin 'J.  Les  deux  évêques 
désiraient  entrer  en  relations.  Quand  deux  hommes  sont  ains 
attirés  l'un  vers  l'autre,  les  hasards  de  la  vie  ne  tardent  pas  à 
les  mettre  en  présence.  En  ce  cas,  le  plus  jeune  des  deux  fait 
ordinairement  plus  de  hi  moitié  du  chemin.  C'est  ce  qui  arriva. 

Depuis  longtemps  évêque,  Fortunius  était  de  beaucoup  l'ainé 
d'Augustin.  Au  moment  de  sa  rencontre  avec  l'évêque  d'Hip- 
pone,  c'était  un  vieillard  7.  Tout  ce  qu'on  sait  sur  sa  vie  anté- 
rieure, c'est  qu'il  assistait  en  394  au  concile  primianiste  de 
Bagai^.  Il  ne  devait  pas  voir  la  déroute  de  son  parti.  Il  mourut 
avant  411,  et  il  eut  pour  successeur  un  certain  lanuarius,  pré- 
sent à  la  Conférence  de  Carthage'-'. 

Brave  homme  un  peu  naïf,  d'une  bonhomie  candide,  Fortu- 
nius n'avait  rien  d'un  docteur.  D'instruction  métliocre,  et  sans 
vigueur  d'esprit,  il  n'était  pas  habitué  à  penser  par  lui-même. 
Il  acceptait  bénévolement  les  traditions,  les  préjugés  et  les 
prétentions  de  la  secte,  sauf  à  les  interpréter  dans  le  sens  le 
moins  intransigeant.  Il  était  convaincu,  sans  y  avoir  beaucoup 
réfléchi,  que  les  Catholiques  étaient  des  traditeurs  i^,  que  son 
Eglise  était  en  communion  avec  le  monde  entier  i',  qu'elle  était 


1)  Epist.  43,  5,  14-16  ;  7,  19-20. 

2)  Ibid.,  43,  8,  21-24  ;  9,  25. 

3)  Ibid.,  43,  9,  26. 

4)  Ibid.,  43,  9,  27. 

5)  Epist.  44,  1. 

6)  Ibid.,  44,  2,  3. 


7)  Epist.  44,  1  ;  44,  5,  12  et  siiiv. 

8)  Contra  Crescoiiiuin,  III,   53,  59  ;  IV, 
10,  12. 

9)  Collât.  Carthag.,  I,  143  et  201. 

10)  Aiisustiii,  Epist.  44,  2,  4. 

11)  Ibid.,  44,  2,  3. 


300  LITTÉRATURE    DONATISTE 

la  véritable  Eglise  en  raison  des  persécutions  subies,  et  qu'elle 
était  l'Eglise  des  justes  par  excellence,  même  des  seuls  justes  '. 
Sans  doute,  s'il  n'avait  pas  cru  tout  cela,  il  n'aurait  pas  été 
Donatiste.  Mais  il  y  a  des  manières  différentes  de  croire  les 
mêmes  choses.  La  manière  de  Fortunius  était  simple,  trop  sim- 
ple, allant  jusqu'à  la  crédulité.  Il  était  sans  défense  contre  les 
affirmations  hautaines  et  les  sophismes  des  docteurs  de  la  secte. 
Il  restait  asservi,  sans  qu'il  s'en  doutât,  aux  principes  exclu- 
sifs d'une  éducation  sectaire  et  à  la  tyrannie  de  longues  habi- 
tudes d'esprit.  Par  là,  malgré  les  tendances  contraires  de  sa 
bonhomie  conciliante,  il  ne  pouvait  s'affranchir  entièrement 
d'une  défiance  instinctive  à  Tégard  des  Catholiques,  même  ou 
surtout  à  l'égard  d'un  docteur  célèbre,  dialecticien  redoutable, 
comme  était  l'évêque  d'Ilippone. 

Chez  cet  excellent  homme,  le  cœur  valait  mieux  que  l'intelli- 
gence. D'intention,  au  moins,  il  était  aussi  dégagé  de  l'esprit 
sectaire  que  pouvait  l'être  un  Donatiste.  De  toute  sa  personne 
se  dégageait  un  air  de  bonté,  de  douceur  évangélique  ;  ses  pa- 
roles étaient  toutes  de  bienveillance  et  depaix^.  Il  ne  se  faisait 
pas  trop  prier  pour  discuter  avec  les  adversaires  de  son  Eglise, 
et  il  discutait  avec  eux  courtoisement,  sans  jamais  se  fâcher  ;  il 
rendait  justice  à  leur  modération  ;  il  n'hésitait  même  pas  à  leur 
adresser  des  compliments 3.  Il  condamnait  franchement  les  vio- 
lences de  certains  schismatiques,  et  prêchait  à  ses  fidèles  le 
respect  du  droit  d'autrui  ;  il  était  d'avis  que  les  deux  partis 
devaient  renoncer  à  se  reprocher  mutuellement  les  torts  de  leurs 
partisans  ;  il  déclarait  même  ([u'il  regrettait  la  décision  des 
conciles  de  la  secte  ordonn